Emeutes à La Réunion : seul le développement international de la lutte peut briser le carcan de la misère

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L’explosion sociale a eu lieu alors que la majeure partie de la population de l’île de La Réunion déjà exposée à des conditions de vie dramatiques, a été confrontée à une intolérable hausse des prix. Dans ce département de plus de 800 000 habitants, le taux de chômage officiel frise les 30 % et atteint 59 % chez les jeunes de 18-25 ans ! Plus d’un habitant sur deux (52 %) vit sous le seuil de pauvreté. La nouvelle augmentation du prix des carburants dans ce département d’outremer depuis le 1er février a été le détonateur, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. La colère de la population a alors éclaté dans la soirée du 21 février au Port et dans le quartier populaire du Chaudron du chef-lieu Saint-Denis à l’issue d’une journée de grève et de manifestations, virant à l’émeute et à des affrontements de plus en plus violents avec les forces de police appelées en renfort (600 policiers et gendarmes ont été déployés). Ces émeutes et affrontements qui ont culminé dans la nuit du 23 au 24 se sont rapidement propagés, comme une traînée de poudre, à plusieurs communes de l’est et du sud du département. Plusieurs commerces et bâtiments publics ont été saccagés, des poubelles et quelques voitures ont été brûlées, souvent par des bandes de gamins entre 12 et 16 ans. Il y a eu une dizaine de blessés mais plus de 200 personnes, surtout des jeunes, ont été arrêtées et pour la plupart assignées à comparution immédiate devant les tribunaux. Les jeunes émeutiers se sont vus infliger de très lourdes peines “pour l’exemple”, allant de 6 mois à 2 ans de prison.

Le mouvement avait démarré avec la revendication très corporatiste des transporteurs routiers organisant des barrages pour obtenir une réduction de 25 centimes le litre des prix à la pompe. Devant l’échec des négociations, à partir du 17, les routiers ont bloqué l’unique dépôt de carburant de l’île. Puis les chauffeurs routiers ont désavoué le président de leur syndicat, la FNTR quand celui-ci a annoncé la signature d’un accord pour une nouvelle table ronde avec l’Etat et les pétroliers et ils ont lancé un appel à la mobilisation de la population “contre la vie chère”. Cet appel a eu un très large écho car pour beaucoup de familles, la voiture est l’unique moyen de transport (il y a 400 000 véhicules, soit une voiture pour 2 habitants) car le réseau de transports publics est quasiment inexistant : pas de réseau ferré, et des bus non fiables. Ainsi, entre l’assurance, l’entretien et le prix du carburant, la voiture absorbe entre 30 et 50 % du budget des familles. Par ailleurs, dans les grandes surfaces, la nourriture est plus chère qu’en métropole alors que le salaire médian est de 950 € (contre 1600 € en France métropolitaine) ; les légumes sont à des prix exorbitants : les champignons de Paris à 13,95 € le kilo, l’artichaut est vendu 2.35 € pièce, le kilo de la viande de bœuf atteint 24 € et la simple cuisse de lapin est à 7,35 €. Certaines denrées de consommation courante voient leur prix littéralement exploser, comme par exemple le produit vaisselle qui a grimpé jusqu’à 6,70 € le litre. La semaine suivante, le préfet, pour calmer la pression, a promis une baisse de prix des carburants, du gaz et de 60 produits de première nécessité (dont 48 alimentaires), garantis stables jusqu’à… la fin de l’année alors que les salaires seront bloqués pour une période de 3 ans au minimum… ce qui laisse la population très sceptique : “C’est rien du tout ! En 2009, on avait arraché à la grande distribution des diminutions sur 250 produits” (1) déclarait le président de l’Alliance des Réunionnais contre la pauvreté et les effets de cette baisse se sont évaporés en quelques mois. D’ailleurs l’Observatoire des prix et des revenus réunissant associations de consommateurs, syndicats, administrations, représentants de l’Etat, des patrons et de la grande distribution qui publie officiellement la liste des produits qui doivent baisser n’est pas crédible et attire cette réflexion : “C’est du bidon ! L’observatoire n’a jamais permis la moindre avancée sur la transparence des prix” (2). Pour beaucoup, la baisse de prix est un leurre. Il y a de bonnes raisons qui justifient cette méfiance généralisée : la baisse des prix des carburants et du gaz est financée par les collectivités, donc ponctionnée sur les impôts. Un habitant déclarait que c’était une vulgaire arnaque pour faire diversion, la baisse promise concerne surtout des produits qui venaient de subir une très forte augmentation début février : “Ils ont augmenté les prix il y a quinze jours. Je le sais. Je fais tous les supermarchés” (3). Un autre surenchérissait dans le même sens : “les prix ont même monté pendant les grèves. Ca va être des conneries, la baisse !” (4). Déjà touchée par des émeutes récurrentes notamment en 1991 puis en 2009 et alors que les conditions de vie se sont encore dégradées, un mouvement de résistance “démocratique” pour éviter les débordements a déjà été mis en place depuis les précédentes émeutes il y a 3 ans sur le modèle du mouvement en Guadeloupe du LKP et de son collectif contre la “profitation” : le COSPAR (Collectif des organisations syndicales politiques et associatives de La Réunion) dans lequel grenouillent tous les notables politiques et syndicaux pour encadrer ceux qui se nomment eux-mêmes “les indignés du pays” ou les “gouttes d’eau”. Parmi ceux-ci qui se rassemblent devant les mairies en signes de protestation, filtre l’idée exprimée par cette manifestante : “Nous, on reste pacifiques ; mais on comprend les jeunes qui cassent, il n’y a que ça qui marche !” (5). En réalité, les émeutes comme les illusions “démocratiques et citoyennes” conduisent vers le même sentiment d’impuissance alors même que l’Etat, les politiques et les syndicats attisent la division entre prolétaires en prenant comme boucs-émissaires les fonctionnaires qui bénéficient d’une prime de vie chère représentant entre 30 et 53 % du salaire de base, alors qu’un fonctionnaire faisait ce constat désabusé : “On sait bien que tôt ou tard, ce privilège va sauter” (6). La division entre privé et public permet de dévoyer le combat en prenant pour cible précisément ceux qui seront les victimes de la prochaine attaque d’ores et déjà annoncée. Tout cela ne peut qu’entraîner une masse croissante de prolétaires vers le bas.

Pour que ces luttes ne sombrent pas dans des émeutes désespérées et que les prolétaires ne soient pas condamnés à subir la misère toujours plus grande et la répression toujours plus forte, il est nécessaire que ces luttes s’inscrivent dans une toute autre perspective d’un combat non pas localiste mais international et qu’elles soient reliées au combat de leurs frères de classe pour sortir de l’ornière de l’isolement insulaire. Ce n’est que le développement du combat au cœur des métropoles du monde capitaliste qui pourra porter un avenir et ouvrir une perspective, là où sont aussi à l’ordre du jour la même lutte et la même nécessité de résister contre la vie chère et contre l’ensemble des attaques de la bourgeoisie.

W (2 mars)

 

1) Libération du 27 février 2012.

2) Idem.

3) Le Monde daté du 1er mars 2012.

4) Idem.

5) Libération du 27 février 2012.

6) Le Monde du 1er mars 2012.

 

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Lutte de classe