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Cet été, certains militants d’Internationalism, organe du CCI aux Etats-Unis, et quelques révolutionnaires qui sympathisent avec notre organisation, sont intervenus ensemble dans la grève des ouvriers de Verizon (opérateur de téléphonie numéro un du secteur en Amérique et exploitant environ 45 000 salariés). Nos camarades, du CCI ou non, ont tous travaillé en étroite collaboration dès le début (de l’échange d’idées pour écrire un tract jusqu’à sa diffusion, en passant par les discussions avec les grévistes et la réflexion après cette intervention). C’est justement cette discussion qui a essayé de dresser un premier bilan de cette intervention collective que nous publions ci-dessous. La lecture de ces notes montre, de façon saisissante, comment de part et d’autre de l’Atlantique (et en vérité partout dans le monde), les mêmes interrogations et difficultés se posent dans la lutte. En particulier, nos camarades se sont confrontés à cette grande question : comment révéler l’impasse des méthodes syndicales sans déclencher une réaction épidermique chez ceux qui croient sincèrement lutter pour l’intérêt de tous en suivant les ordres et consignes de leurs centrales ?
Camarade H
Quand nous dénonçons les syndicats, cela peut vraiment être assimilé à une attaque que livre contre eux l’aile droite de la bourgeoisie. Il peut être difficile, pour des gens qui n’ont jamais entendu auparavant les syndicats être attaqués sur leur gauche, de faire la distinction. En fait, on finit souvent par dire la même chose que l’aile droite (les syndicats vous prennent de l’argent, mais ne font rien pour vous, ils ne font que défendre leurs propres intérêts, etc.). Peut-être, étant donné le rapport entre les classes aux Etats-Unis, devrions-nous donc moins insister sur notre attaque contre les syndicats – ou du moins ne pas en faire le cœur de notre intervention – et nous concentrer plutôt au développement des revendications de classe. Bien sûr, les syndicats vont les saboter, mais les travailleurs doivent peut-être apprendre cela au cours de la lutte. Il est possible qu’une dénonciation trop forte des syndicats ne puisse que renforcer la tendance à s’identifier à eux. Les ouvriers n’arrivent pas encore à voir la différence entre les syndicats et eux-mêmes. Quand ils entendent qu’il y a des attaques contre les syndicats, ils pensent qu’ils sont eux-mêmes attaqués. Peut-être qu’il n’y a pas de perspective immédiate aux Etats-Unis de prise en main de leurs luttes par les ouvriers ? En ce sens, le Wisconsin était peut-être une véritable exception et nous avons vu comment les syndicats y ont pris rapidement le contrôle de la situation. La chose la plus importante n’est-elle pas que les ouvriers soient réellement en train d’essayer de lutter, et nous devrions peut-être nous concentrer sur la volonté de lutter plutôt que sur la dénonciation des syndicats ? Cela ne veut pas dire qu’on donne un blanc-seing aux syndicats, mais on ne devrait pas donner l’impression que notre principal but est de détruire les syndicats.
Camarade A
Personnellement, j’ai eu un moment vraiment difficile pour comprendre comment intervenir de façon adéquate, de manière à ce que, d’un côté, cela aide, développe et favorise la conscience de classe et que d’un autre, cela ne soit pas vraiment une dénonciation des syndicats que la grande masse des travailleurs ne comprend pas encore. Je ne sais pas non plus comment les ouvriers peuvent être d’accord pour faire ce qu’on a dit avant sans se poser la question de pourquoi tout cela devrait être fait en dehors du cadre syndical. C’est une énigme à laquelle je suis toujours confronté sur mon lieu de travail, où beaucoup de collègues sont d’accord avec les idées et les propositions, mais finissent toujours par dire quelque chose comme : c’est bien, allons proposer cela aux syndicats… En dernière analyse, les travailleurs ont besoin de sentir qu’ils peuvent faire ce qui précède (développer la lutte, etc.) sans les syndicats. C’est ce sentiment d’impuissance, mais aussi cette reconnaissance d’une identité de classe encore inexistante, je pense, que la classe n’a pas encore surmonté et développé. Et cela, comme nous le savons, se produit dans les luttes elles-mêmes. Je me demande si le tract n’aurait pas eu un impact tout différent si les trois premiers paragraphes n’avaient pas été là du tout, ou s’ils avaient été écrits à la fin, après avoir présenté ce que les travailleurs pouvaient réellement faire dans de telles circonstances.
Camarade H
Tous ces questionnements et ces sentiments sont très justes. Je pense souvent, que notre intervention se réduit à la chose suivante : les ouvriers ont besoin de se rassembler pour décider par eux-mêmes ce qu’il faut faire. Au delà de quelques orientations très générales, et la plupart sur ce qu’il ne faut pas faire, nous ne pouvons pas réellement dire aux travailleurs ce qu’il faut faire, ou réellement comment lutter, en dehors de quelques leçons de base de l’histoire. C’est réellement une situation difficile pour toute la Gauche communiste. Les ouvriers doivent le trouver par eux-mêmes. En tant que telle, notre intervention apparaît souvent comme négative, c’est-à-dire : “Nous ne savons pas exactement quelle est la réponse mais les syndicats ne l’ont sûrement pas, pourquoi n’allez-vous pas discuter entre vous de ce qu’il faut faire alors que les syndicats ne s’en occupent pas ?” En même temps, les syndicats semblent avoir des réponses concrètes qui ne se dévoilent être des illusions que très lentement. Cela demandera du temps et de l’expérience pour que les ouvriers brisent l’étreinte du syndicat. En ce moment même, les tentatives absurdes d’éléments de la bourgeoisie de détruire les syndicats ne semblent que renforcer ce mythe syndical. Les syndicats sont capables de jouer la carte de la victimisation. Ce n’est pas le meilleur moment pour faire une intervention qui condamne les syndicats en des termes aussi austères. En Europe ou ailleurs, c’est peut-être une autre histoire. J’entends bien la frustration qu’éprouve A quand les travailleurs semblent être d’accord avec quelques-uns de nos concepts de base, mais pensent encore qu’ils peuvent les réaliser à travers le syndicat. C’est comme quand vous avez une liste de doléances contre la société et qu’un type quelconque en costume-cravate vous dit d’écrire à votre député. C’est comme s’ils ne comprenaient pas que le cadre que vous mettez est fondamentalement différent. De fait, ils ne comprennent vraiment pas. Ce n’est que l’expérience qui leur apprendra. Nous ne pouvons réellement qu’espérer avoir semé des germes de doute, le creuset d’un paradigme différent parmi les éléments les plus ouverts et qui pensent à plus long terme, de façon à préparer le terrain pour la prochaine lutte. Nous n’en sommes encore qu’à un tout premier stade du retour à la lutte, un retour qui ne balise que très lentement le terrain de classe.
Camarade J
J’ai énormément apprécié votre aide pour l’intervention. Je pense que j’ai appris beaucoup et j’ai aussi été surprise par l’ouverture à la discussion et encouragée par la solidarité qu’ont montrée les autres travailleurs. En même temps, je suis vraiment d’accord avec ce que dit H. Pour le moment, les ouvriers pensent encore que “les syndicats se battent pour nous”. Je pense que dix ans d’endoctrinement peuvent éroder ce que les ouvriers ont appris de la dernière grève, surtout quand la majeure partie de la classe ne lutte pas et que – bien que la solidarité ait été appréciée comme nous l’avons vu –, la classe ouvrière a encore peur et reste conservatrice dans toutes ses tentatives de se défendre. Tant qu’il n’y aura pas de luttes plus fréquentes, il y a probablement peu de chance que nous convainquions beaucoup de monde de notre position sur les syndicats. Cependant, nous pouvons sans doute convaincre les ouvriers du fait que :
– la crise ne mène nulle part et il y aura davantage de luttes dans le futur ;
– chaque travailleur mérite de jouer un rôle actif dans ces luttes et de discuter de ce que sont exactement les revendications, et de comment se battre pour elles ;
– d’autres travailleurs sont intéressés par notre lutte et veulent nous aider et on peut donc discuter avec eux aussi ;
– ce que font les syndicats ne marche pas à long terme et ce que nous devons faire avec ces lutte, c’est d’en discuter, en dehors de la boîte, avec d’autres ouvriers, discuter des luttes des autres ouvriers – pour construire une sorte d’identité de classe ;
– ce n’est pas tel ou tel patron mais le système capitaliste tout entier qui attaque, non seulement les ouvriers de Verizon mais la classe ouvrière toute entière et nous devons répondre en luttant en tant que classe.
Camarade A
Il y a un tas de choses que nous pouvons dire aux ouvriers et J en a cité quelques-unes ici, mais je suis d’accord avec le fait que nous ne devons pas mettre en avant la dénonciation des syndicats quand on va dans les piquets de grèves, dans les marches de protestation ou dans les manifestations et autres. Je ne pense pas que nous devions cacher ou mentir à propos de nos positions, mais ce ne doit pas être la première chose qui sorte de notre bouche. Ce ne devrait pas être en première ligne de notre tract. Pour la presse, c’est une autre histoire. L’audience est différente. Quand nous intervenons dans un piquet, nous allons vers les ouvriers ; quand quelqu’un achète un journal ou prend le temps d’aller sur le site, il prend l’initiative d’en savoir plus sur nos positions. En théorie, notre presse n’est lue que par les éléments les plus avancés de la classe alors qu’un tract est beaucoup plus largement distribué. Je suis d’accord avec J qu’à ce stade, il est probablement plus important d’intervenir sur la question de la crise, en mettant en avant la perspective marxiste qui dit qu’il n’y a pas de solution à cette pagaille au sein du capitalisme ; quoi que fassent les ouvriers dans les syndicats, ils ne vont pas au-delà de l’horizon des alternatives bourgeoises, qui ne sont en réalité pas du tout des alternatives. Les travailleurs ont besoin de voir que réformer le système n’est pas possible, qu’aucune fraction de la bourgeoisie n’a de réponse : le futur est sinistre sans leur action indépendante. En théorie, la remise en question de l’hégémonie syndicale devrait suivre.
Discussion répercutée par le CCI (24 septembre 2011)