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Les manifestations de rue massives en Israël semblent, pour l’instant en tout cas, être en net recul. La question sociale, qui a été bruyamment soulevée autour des questions du logement, de l’inflation et du chômage, est une fois de plus mise sur la touche pour mettre en avant la question nationale.
Dans la Cisjordanie occupée, il y a eu des affrontements entre les soldats israéliens et des Palestiniens qui manifestaient leur soutien à la candidature de l’Autorité de la libération de la Palestine pour qu’elle soit acceptée à l’ONU en tant qu’Etat membre.
A Qalandia, un check-point israélien majeur entre la Cisjordanie et Jérusalem, les troupes israéliennes ont tiré des gaz lacrymogènes pour disperser les lanceurs de pierres palestiniens. Les affrontements ont duré plusieurs heures et environ 70 Palestiniens ont été blessés par des granulés de caoutchouc et d’acier ou ont souffert d’inhalation de gaz lacrymogène. Ce scénario s’est joué dans de nombreux endroits. D’après des témoins et un rapport militaire, des soldats israéliens ont abattu un Palestinien, près du village d’Ousra, en Cisjordanie, lors d’un incident entre les villageois et les colons israéliens.
Un peu plus tôt, en septembre, un assaut violent contre l’ambassade d’Israël en Egypte a déclenché des raids aériens israéliens sur Gaza, qui ont causé la mort d’un certain nombre de gardes-frontières égyptiens.
Par contre, les tentatives du gouvernement pour détourner l’attention des manifestants de leurs revendications économiques et politiques en brandissant la “question palestinienne” et le sentiment anti-Israël ont rencontré peu de succès. D’après un article de Nadim Shehadi dans le New York Times (25 septembre), “même la récente attaque contre l’ambassade israélienne au Caire a été vue par beaucoup comme une diversion contre la poursuite des manifestations de la place Tahrir”. Il y avait des indices laissant soupçonner une collusion entre le gouvernement et la police dans l’attaque, qui a également coïncidé avec une visite au Caire du Premier ministre turc Erdogan, avide de promouvoir un nouvel axe anti-Israël au Moyen-Orient entre la Turquie et l’Egypte. En tout cas, le pillage de l’ambassade a certainement contribué à détourner l’attention d’une nouvelle vague de mécontentement populaire contre le régime, qui a de nouveau conduit à une vague de grèves ouvrières.
Un ou deux Etats?
Parmi ceux qui affirment être opposés au système capitaliste actuel, beaucoup soutiennent que, tant que la question nationale ne sera pas réglée en Israël et Palestine, il ne pourra jamais y avoir de lutte de classe “normale” dans la région, réunissant les travailleurs et les opprimés, indépendamment de la nationalité et de la religion, contre les capitalistes de tous les pays.
Il existe différentes approches sur la façon dont la question israélo-palestinienne pourrait être résolue: une partie de la gauche s’est montrée plus que disposée à appuyer une action militaire contre Israël (par des groupes palestiniens nationalistes, laïques et islamiques, et, logiquement, par les Etats qui leur ont fourni des armes et des ressources, comme l’Iran, la Syrie, la Libye de Kadhafi ou l’Irak de Saddam Hussein). Le fait qu’une telle politique soit combinée avec la rhétorique de la “révolution arabe” et celle d’une future “Fédération socialiste du Moyen-Orient” ne modifie pas fondamentalement son caractère militariste. Une telle vision a été mise en avant par George Galloway, du SWP et par d’autres. Cette approche a souvent été liée à l’idée d’une “solution à un Etat”: une Palestine démocratique laïque avec des droits pour tous. Comment un tel régime idyllique pourrait-il émerger d’un massacre impérialiste est une question à laquelle seuls pourraient répondre ceux qui sont formés à la sophistique trotskiste.
D’autres, à gauche, et une foule de libéraux, privilégient la “solution à deux Etats”, avec les nations israélienne et palestinienne qui se “déterminent toutes deux” et respectent mutuellement leurs droits nationaux. Dans cette vision, il y a beaucoup de nuances différentes: officiellement, les Etats-Unis sont en faveur d’une solution à deux Etats, sur la base de négociations, qu’ils supervisent avec l’ONU, l’UE et la Russie. Mais Washington met actuellement son veto à la candidature de la Palestine à l’ONU parce qu’elle dit qu’elle n’est pas basée sur des conditions mutuellement convenues. Le fait que les Etats-Unis soient de plus en plus incapables de faire plier l’intransigeance du gouvernement de droite d’Israël avec ses propositions, en particulier avec leur appel à un gel de la colonisation dans les territoires occupés, joue également un rôle majeur dans la position actuelle de l’Amérique.
En attendant, Mohamed Abbas, le président de l’autorité palestinienne, soulignant que les négociations n’existent simplement pas, va de l’avant avec la proposition que la Palestine devienne un Etat parce que cela va lui donner un certain nombre d’avantages tactiques, comme la possibilité de traduire Israël devant la Cour pénale internationale. Mais l’opposition à cette stratégie vient d’un certain nombre de partisans du nationalisme palestinien, à la fois laïques et islamiques, qui soulignent à juste titre qu’un Etat fondé sur quelques morceaux de terrains divisés et dominés par les militaires israéliens et le Mur ”anti-terroriste” n’est rien de plus qu’un Etat symbolique. Les islamistes, dont la plupart ne reconnaissent même pas l’existence d’Israël, veulent poursuivre la lutte armée pour un Etat islamique dans l’ensemble de la Palestine historique (bien qu’en pratique, ils soient prêts à examiner diverses étapes intermédiaires). A ce niveau, l’Islam militariste et le trotskisme militariste préconisent les mêmes méthodes pour la réalisation de leurs différents plans pour un système à un seul Etat. 1
Les communistes sont contre l’Etat-nation
A notre avis, ce sont toutes de fausses solutions. Le conflit Israël- Palestine, qui a traîné en longueur pendant 80 ans, est un exemple concret qui montre pourquoi le capitalisme ne peut pas résoudre les différentes “questions nationales” dont il a hérité en partie des anciens systèmes sociaux, mais qu’il a en grande partie lui-même créées.
En s’opposant au slogan du “droit de tous les peuples à l’autodétermination nationale” durant la Première Guerre mondiale, Rosa Luxemburg a fait valoir que, dans un monde désormais dépecé par les puissances impérialistes, aucune nation ne peut défendre ses intérêts sans s’aligner sur les plus grands Etats impérialistes, tout en cherchant, dans le même temps, à satisfaire ses propres appétits impérialistes. Le nationalisme n’est pas, comme Lénine et d’autres l’ont soutenu, une force potentielle qui pourrait affaiblir l’impérialisme, mais fait partie intégrante de ce dernier. Cette analyse a certainement été confirmée par l’histoire du conflit au Moyen-Orient. Il est bien connu que, depuis sa création, le sionisme ne pouvait faire la moindre conquête sans le soutien de l’impérialisme britannique et, plus tard seulement, il s’est tourné contre l’Angleterre pour se mettre au service des Etats-Unis plus puissants. Mais le mouvement national palestinien n’a pas été moins obligé de chercher le soutien des puissances impérialistes: l’Allemagne et l’Italie fascistes avant et pendant la Seconde Guerre mondiale, la Russie stalinienne et ses satellites arabes pendant la guerre froide, la Syrie, l’Irak, l’Iran et d’autres depuis l’effondrement de l’ancien système des blocs. Les alliances ont changé au fil des années, mais la constante est que les nationalismes juif et arabe ont agi comme des agents locaux de rivalités impérialistes plus larges et mondiales. Ceux qui préconisent la défaite militaire d’Israël ou des solutions plus pacifiques, présidées par l’ONU, sont toujours enfermés dans cette logique.
Dans le même temps, un soutien à des solutions nationales, dans une période de l’histoire où la classe ouvrière et ses exploiteurs n’ont pas d’intérêts communs, même pas celui de la nécessité de s’opposer aux précédentes classes dominantes réactionnaires, est directement nocive pour la lutte de la classe exploitée. En Israël, la lutte des travailleurs pour défendre leur niveau de vie est constamment accueillie avec l’argument que le pays est en guerre, qu’ils doivent accepter les sacrifices et que les grèves ne peuvent que saper les besoins de la défense nationale. En Egypte et dans d’autres pays arabes, les travailleurs qui résistent à leur exploitation s’entendent dire, en permanence, que leur véritable ennemi est le sionisme et l’impérialisme américain. Les luttes ouvrières massives de 1972 en sont une illustration très claire: à la suite de la répression des grèves à Helwan par le gouvernement de Sadate, “les gauchistes (maoïstes, militants palestiniens, etc.) ont réussi à détourner toute la question vers des fins nationalistes. Ainsi, les demandes de libérer les travailleurs emprisonnés ont été combinées avec des déclarations de soutien à la guérilla palestinienne, avec des demandes pour la mise en place d’une économie de guerre (y compris un gel des salaires) et pour la formation d’une “milice populaire” pour défendre la “patrie” contre l’agression sioniste. Ainsi, le grief principal était que le gouvernement n’avait pas été assez décisif dans ses préparatifs de guerre; quant aux travailleurs, ils ont été exhortés à ne pas mener la lutte contre leurs exploiteurs, mais à former les hommes de troupe d’un impérialisme “populaire” égyptien contre son rival israélien” (“Lutte de classe au Moyen-Orient”, World Revolution no 3, avril 1975).
D’autre part, les récents mouvements de protestation montrent que lorsque la question sociale se pose dans la lutte ouverte, les arguments des nationalistes peuvent être remis en question. Le refus des manifestants de la place Tahrir, en Egypte, de subordonner leur lutte contre le régime de Moubarak à la lutte contre le sionisme, les avertissements prémonitoires par des manifestants israéliens que le gouvernement Netanyahou utiliserait un conflit militaire pour faire dérailler leur mouvement, et surtout leur détermination à poursuivre leurs revendications, même quand les affrontements militaire eurent lieu sur les frontières, montrent que la lutte des classes n’est pas quelque chose qui peut être reporté en attendant qu’une solution idéale au problème national ait été mise en œuvre. Au contraire, c’est dans le cadre de la lutte de classes elle-même que les divisions nationales peuvent être mises à jour et affrontées. En Israël, des slogans inspirés des mouvements dans le monde arabe, bruyamment clamés, comme “Moubarak, Assad, Netanyahu”, des appels à l’unité de lutte entre arabes et juifs, ont été des exemples concrets et positifs de cette possibilité, même si le mouvement est resté hésitant par rapport à l’éventualité de prendre directement en charge la question de l’occupation.
Il serait naïf de s’attendre à ce que ces mouvements récents naissent libres de toute idée nationaliste car, pour la majorité de ceux qui y ont pris part, l’internationalisme signifie plutôt une sorte de trêve ou de fête d’amour entre nations. Ceux qui luttent n’ont par encore pris pleinement conscience de ce que le combat internationaliste implique réellement: la guerre de classe à travers les divisions nationales, la lutte pour un monde sans Etats-nations.
C’est à peine nécessaire de mentionner le terrible engrenage de vengeance, de méfiance et de haine que le conflit israélo-arabe a créé et renforce chaque jour. Mais, dans le même temps, le capitalisme fournit d’amples preuves, non seulement de sa faillite économique, mais aussi de son incapacité à concilier les intérêts nationaux. Dans la prison de l’Etat-nation, que soit préféré l’idéal d’une solution à un ou à deux Etats, il n’y a tout simplement aucune possibilité de délivrer les millions de Palestiniens de la misère des camps de réfugiés ou de rendre la masse des Israéliens capables de vivre sans la peur constante de la guerre et des attaques terroristes. La vision d’une communauté humaine sans frontières, qui est la seule réponse à la crise mondiale du capitalisme, va aussi apparaître comme la seule solution réaliste au conflit israélo-arabe. Et cette vision ne peut prendre corps que dans le cadre de mouvements sociaux massifs qui évoluent vers une authentique révolution des exploités et des opprimés. Tous les Etats bourgeois, réels ou potentiels, seront l’ennemi d’une telle révolution: ils seront le premier mur à devoir être démantelé sur le chemin de la liberté.
Amos/01.10.201
1 Il est important de souligner que certains sionistes de droite ont également conclu qu’un Etat serait préférable, mais que ce serait bien sûr un Etat juif dans lequel la minorité arabe serait soit expulsée, soit y resterait pour toujours comme des citoyens de seconde classe.