Exposé de Réunion Publique : crise économique et lutte de classe

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Nous publions ci-dessous l'exposé qui a lancé les débats lors de notre Réunion Publique (RP) du 19 novembre à Paris, sur "la crise économique et la lutte de classe dans le monde".

Ce texte n'est qu'une trame, une prise de notes sur laquelle s'est appuyée le camarade pour faire son exposé oral. Le style est donc forcément particulier, plus "parlé" qu'écrit ; il y a parfois des imprécisions ou des raccourcis. Son intérêt est de montrer avec quel état d'esprit nous réalisons les introductions à nos RP et comment nous essayons de favoriser les questionnements, les échanges et la discussion.

 Exposé

La semaine dernière, je discutais avec mes voisins et voilà qu'ils se mettent à causer de la crise économique en termes techniques, des "agences de notation" qui d'après eux devraient être plus contrôlées, des "ventes à découvert" à la bourse qui devraient être interdites, des « émissions d’Etat » et des « taux d'emprunt » qui s'envolent de façon injustifié… bon, j'en passe et des meilleures. Moi, je les connais mes voisins, il y a deux ans encore les sujets de discussion c'était plutôt sur le match de foot de la veille ou des trucs du genre.

Au-delà de la surprise d’entendre le jargon financier sortir de la bouche de mes voisins, ce qui m'a le plus marqué, c'est la charge d'angoisse qu'il y avait derrière. Ils semblaient tous crier : "Mais qu'est-ce qu'on va devenir?" Il faut dire qu'on entend plus que ça dans les médias : "La crise de la dette". Au journal du 20h ? "La crise de la dette". A la radio ? "La crise de la dette". En gros titre dans les journaux ? "La crise de la dette".

1 - La misère explose

Après tout, il y a de quoi s'angoisser. Quand on regarde ce qui se passe en Grèce, ça colle même des sueurs froides. Il faut imaginer ce que c'est un pays en faillite, un pays économiquement en ruines. En Grèce, de très nombreuses écoles sont purement et simplement fermées, les enfants restent chez eux. Et celles qui restent ouvertes n'ont plus de chauffage et plus de cantine. Sur le web, les témoignages d'instituteurs se multiplient sur des enfants qui s'évanouissent en cours, qui tombent d'inanition… Il y a des rues entières où tous les magasins sont fermés, les gens ne payent plus les péages, les transports… La semaine dernière, il y avait un reportage à la télé qui montrait une fonctionnaire des finances (le ministère qui paye le mieux là-bas), cadre A (le grade le plus élevé, plus haut il faut être chef) qui touchait 2200 euros il y a un an et qui ne touchera plus que 800 euros d'ici l'été… ça s'appelle le "salaire dégressif", c'est nouveau, ça vient de sortir… Non mais vous vous imaginez, de 2200 euros à 800 ! Et on parle là des mieux lotis en Grèce. Faut être clair : c'est la misère qui se développe, la vraie, celle qui tord les boyaux, celle qui fait que les gamins tombent dans les pommes d'inanition…

Et la Grèce n'est pas une exception… elle est seulement plus avancée dans la crise… elle préfigure de ce qui va se passer partout dans les années à venir. Pour paraphraser une expression triviale, "pour connaître l'avenir, vas voir chez les Grecs". Actuellement, en Espagne, les hôpitaux ferment les uns après les autres. Ceux qui restent ouverts, ne le sont qu'à moitié. Des chambres, des étages et parfois des services entiers sont fermés. En Catalogne, les urgences ne sont ouvertes que le matin ; faut pas être cardiaque l'après-midi. Les délais pour être opérés s'allongent démesurément, il faut 2 mois pour être opéré d'une tumeur, et encore, seulement quand il s'agit d'une question de vie ou de mort ! Et ce n'est pas tout, en ce moment même en Espagne, des milliers de familles sont en train d’être expulsées alors que plus d'un million de logements sont vides !

Et il ne s'agit pas là non plus d'une particularité européenne. De l'autre côté de l'Atlantique, c'est le même constat accablant. L’Etat du Minnesota est officiellement en faillite. Depuis le 4 juillet, ses 22 000 fonctionnaires ne sont plus payés et restent chez eux. Idem pour les fonctionnaires de Harrisburg – capitale de l’Etat de Pennsylvanie – et de ceux de la ville de Central Falls, près de Boston. Le rêve américain est en train de virer au cauchemar : aux Etats-Unis, 45,7 millions de personnes ont besoin pour manger des bons alimentaires versés par l’Administration.

Et vous avez dû tous entendre qu'aujourd'hui c'est l'Italie qui est en train de plonger et qu'après ce sera le tour de la France.

2 – La "crise de la dette", pourquoi ?

Tout le monde le sait aujourd’hui, et même la bourgeoisie le dit, la décennie qui est devant nous va être terrible. Le capitalisme, au niveau mondial, est entré dans une ère de convulsions économiques de plus en plus violentes. La bourgeoisie est incapable de trouver une solution réelle et durable à la crise. C’est pour ça d’ailleurs qu’elle n’arrête pas de gesticuler dans tous les sens de Sommets européens en Sommet du G20, de déclarations de Sarkozy ou d’Obama en annonces triomphantes comme quoi ça y est, promis, juré, cette fois-ci, « tout est réglé, les décisions nécessaires et courageuses ont été prises, blabla-blabla »… pour qu’à chaque fois, après chacun de ces discours fumeux, parfois même dès le lendemain matin, patatras, une nouvelle mauvaise nouvelle vienne rétablir la vérité et provoquer un nouveau mini-krach boursier. Alors répétons-le, la bourgeoisie est incapable de trouver une solution réelle et durable à la crise, elle ne fait depuis des mois qu’étaler toujours un peu plus son impuissance. Pas parce qu’elle est devenue soudainement incompétente mais parce que c’est un problème qui n’a pas de solution. La crise du capitalisme ne peut pas être résolue par le capitalisme. Pour une raison simple, le problème, c’est le capitalisme… ce ne sont pas les traders ou les financiers véreux, ce ne sont pas les banques ou les agences de notation… c’est le système capitaliste comme un tout.

Pour le comprendre, il faut savoir d’où vient cette « crise de la dette ». Cette question est importante, c’est justement parce que la bourgeoisie a peur que l’on trouve la vraie réponse à cette question que ses médias nous causent en permanence de la crise, ils embrument notre réflexion, ils nous empêchent d’y voir clair, ils saturent les débats (comme celui que j’ai eu avec mes voisins) de mensonges et autres fausses explications. La Grèce va mal ? C’est parce que c’est un peuple de fraudeurs ! L’Italie va mal ? Mais Berlusconi, c’est le roi des bunga-bunga, comment voulez-vous que ça aille bien ! Une banque française va mal ? pfffuuu, certainement encore un coup de Jérome Kerviel ! (vous savez c’est le trader en prison à cause des pertes de la Société Générale). La propagande de la bourgeoisie ressemble de plus en plus à une devise Shadock : « Quand un phénomène se produit partout en même temps, c'est parce qu'il y a 1000 causes locales différentes ! ». Eh bien non, si cela va mal partout sur la planète, c’est pour une cause unique : le capitalisme est malade et sa maladie est incurable.

Je vous ai mis sur la table deux graphiques. Le premier représente la dette totale des Etats-Unis (« Dette totale », ça signifie celle de l’Etat, des entreprises et des ménages), le second représente l’endettement public du Royaume-Uni.

 

 

 

 

 

 

 


Qu'est-ce qu'on y voit ? Des années 1950 jusqu'à aujourd'hui, l'endettement n'a fait qu'augmenter. Et de manière exponentielle ! Aujourd'hui, la pente est à la verticale, c'est ce que les économistes appellent le « mur de la dette ». Et c’est ce mur que le capitalisme vient de percuter en pleine face.

Alors pourquoi, depuis les années 1950, dans tous les pays, sous tous les gouvernements, de droite comme de gauche, d'extrême droite comme d'extrême gauche, à tendance déclarée "étatiste" ou "ultra-libérale", l'endettement n'a fait que croître ? Il était facile de voir que l'économie mondiale allait finir par heurter ce mur, c'était une évidence, alors pourquoi tous les gouvernements de la planète depuis plus d'un demi-siècle n'ont quand même fait que faciliter le crédit, creuser les déficits, agir activement en faveur de l'augmentation des dettes des Etats, des entreprises et des ménages ? La réponse est simple : ils n'avaient pas le choix. S'ils n'avaient pas agit ainsi, l'effroyable récession dans laquelle nous entrons, aurait commencé dès les années 1950. Pourquoi ? Parce que le capitalisme produit en permanence plus de marchandises que ses marchés ne sont capables d'en absorber. Permettez moi juste de répéter cette phrase car c'est la clef pour comprendre non seulement la crise actuelle, l'évolution de l'économie depuis 50 ans mais aussi l'histoire économique du capitalisme depuis sa naissance : le capitalisme produit en permanence plus de marchandises que ses marchés ne sont capables d'en absorber. Ça a été sa chance au 18ème et 19ème siècle, quand ce système ne recouvrait qu'une infime partie de la planète. Toutes ces marchandises qu'il avait en trop, il les a déversés (pas gratuitement évidemment mais en les vendant), il les a déversés en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud, mais aussi dans les campagnes européennes ou américaines, dans toutes les économies arriérées, non capitalistes. Il a connu ainsi un incroyable développement, sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Mais voilà, la terre est ronde et pas si grande que ça. Le capitalisme en a vite fait le tour et transformé toutes les économies à son image. Le capitalisme a conquis la planète. Il n'y avait donc plus de marchés arriérés, de marchés extra-capitalistes, en dehors du capitalisme, où vendre sa surproduction. Il a donc créé un marché artificiel, le marché du crédit ! C'est grâce au crédit, à la dette, que le capitalisme a évité pendant des décennies que son économie ne se bloque, ne soit paralysée par des tonnes de marchandises invendues. Mais toute dette doit un jour être remboursée et aujourd'hui, où l’endettement est généralisé, l'heure de la facture a sonné.

3 – Un autre monde est-il possible ?

Bon désolé pour ce passage un peu théorique, les arcanes de l'économie ne sont pas faciles à expliquer, pour moi en tout cas. J'espère ne pas avoir été trop confus. Mais nous voulions que ressorte cette idée, à notre avis, essentielle : le capitalisme ne peut pas vivre éternellement, il est condamné à disparaître, il porte en lui une sorte de maladie génétique dégénérescente et incurable. C'est pourquoi Marx disait que le capitalisme était un système né dans la boue et le sang qui périra dans la boue et le sang. L'avenir qui est devant nous, c'est une crise économique de plus en plus grave, de plus en plus violente, de plus en plus ravageuse. La misère ne va plus cesser de se répandre comme un fléau. Vous devez penser "ah bah super, super cette réunion, on va rentrer chez nous tous complètement déprimés et effrayés"…

Alors comme on a envie que vous reveniez, on va essayer d'éviter ça. Marx disait qu'il ne faut pas voir dans la misère que la misère. Individuellement, nous avons tous peur de nous appauvrir, pour nous ou nos enfants, pour nos proches. Mais là, ensemble, collectivement, nous devons surtout être persuadés que face à ces conditions de vie terrible à venir, des luttes vont émerger, la solidarité, l'entraide, l'envie et le besoin de combattre ensemble, massivement, vont se développer. Le capitalisme est en train d'agoniser, d'accord, la bourgeoisie nous le fait payer au prix fort, par mille souffrances, d'accord, mais ensemble, les exploités peuvent et doivent saisir cette occasion pour bâtir un nouveau monde, car un autre monde est possible, un monde sans classe ni exploitation, sans argent ni crise, sans misère ni guerre.

Cela peut paraître idéaliste, mais en réalité, être idéaliste aujourd'hui c'est croire que le capitalisme peut continuer de fonctionner comme avant ou se réformer. Et être réaliste, c'est savoir que la révolution est non seulement absolument nécessaire mais qu’elle est tout à fait possible.

Regardez ce qui se passe en Espagne, en Israël, aux Etats-Unis… tous ces mouvement des Indignés ou des Occupy Wall Street. Evidemment, ce ne sont pas encore des mouvements révolutionnaires. On pourrait ne voir uniquement que les faiblesses de ces mouvements de contestation. Au sein des discussions en assemblée générale, il y a c’est vrai encore beaucoup d'illusions, justement sur les possibilités de réformer le système, de l'améliorer grâce à une meilleure démocratie et un meilleur contrôle du monde de la finance. D'ailleurs, la bourgeoisie pousse de toute ses forces pour que la réflexion s'engage dans ce genre d'impasse, c'est à ces idées qu'elle fait la pub dans ses médias ; il suffit de lire ce titre "Oui, un autre capitalisme est possible !" du magazine Marianne pour s'en rendre compte.

 

 

Au sein même de ces mouvements, dans les Assemblées Générales (AG), il y a un combat entre une aile prolétarienne, à tendance plus révolutionnaire, et une aile ouvertement réformiste. Une partie de ces réformistes ont d'ailleurs tendance ne pas être très honnête dans l'organisation collective de la lutte et le processus de prise de décision : ils noyautent les débats pour qu'ils se cantonnent aux requêtes pour plus de démocratie dans les élections et moins de libéralisme, pour taxer les banques… et certains sont mêmes proches du sabotage quand ils endiguent toute tentative d'extension aux entreprises. Par exemple, aux Etats-Unis, les tentatives de certaines AG d'Occupy d'aller à la rencontre de travailleurs sur leur lieu de travail pour les entraîner dans la lutte et la grève, ont été systématiquement sabotées par les organisateurs auto-proclamés. Ok, il s'agit là de vraies faiblesses. Les pessimistes ne voient toujours que la moitié du verre vide, les optimistes la moitié pleine, mais les révolutionnaires doivent surtout voir si le verre est en train de se vider ou de se remplir, car finalement c'est ça qui est important quand on a soif. En d’autres termes, c'est la dynamique qui compte dans la lutte de classe. Tous ces mouvements de contestations qui se développent depuis des mois révèlent la volonté grandissante de notre classe de prendre ses luttes en main, de s'auto-organiser, de vivre et de lutter ensemble, collectivement, de tourner le dos à l'individualisme du capitalisme pour occuper ensemble un lieu et y discuter ; ces mouvements révèlent la volonté de débattre collectivement et de réfléchir collectivement. Plus important encore est la dimension internationale de ces mouvements. Il y a un lien explicite des occupations à l'échelle internationale, de l'Espagne aux Etats-Unis, de l'Israël à la Grande-Bretagne. La crise est mondiale et l'idée que la solution doit être, elle aussi, mondiale fait peu à peu son petit bonhomme de chemin dans les têtes. Dans tous les pays, la même exploitation, les mêmes attaques, les mêmes injustices et donc… la même lutte, les mêmes espoirs. La bourgeoisie se divise et se bat entre elle, divisée en nation concurrentes, notre classe, elle, est internationale, elle a un monde unifié à construire. Voilà ce qui émerge aussi de la vague de contestation actuelle.

Tout cela est extrêmement important pour l'avenir car l'expérience historique montre que notre classe devient dangereuse pour la bourgeoise justement quand elle prend en main ses luttes, quand elle commence à vouloir discuter et comprendre ensemble, en masse ! Il manque encore une ou deux marches pour que des luttes massives et auto-organisées se développent réellement et pleinement mais le chemin pris aujourd'hui par notre classe est le bon. Car ce chemin, nous le savons, mène à une contestation de plus en plus grande et radicale de ce système d'exploitation. Et il n'y a pas besoin de remonter à la Commune de Paris de 1871 ou à la révolution russe de 1917 pour le savoir. Il y a 30 ans, en Europe, en Pologne exactement, des centaines de milliers d'ouvriers donnaient des sueurs froides à la bourgeoisie dans tous les pays en organisant des luttes massives, en organisant des assemblées générales partout, en prenant même en main la production pour la mettre au service de la lutte ! Notre force à nous les exploités, c'est notre unité et notre solidarité dans la lutte, notre capacité à nous auto-organiser massivement et à créer les conditions d'un développement général des consciences et de la réflexion grâce aux débats ouverts et permanents de nos assemblées générales, c'est notre dévouement et notre désintéressement. Les mouvements de contestation actuels portent tout ceci déjà en eux, en petit ou, plus exactement, en germe. Nous pouvons donc avoir confiance en l'avenir, avec l'aggravation de la crise, le terreau va devenir de plus en plus fertile pour que ces germes poussent, s'épanouissent et fleurissent !

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