Submitted by ICConline on
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article réalisé par Internationalism, organe de presse du CCI aux Etats-Unis.
A l’heure où, en Europe, tous les médias affirment que la principale cause à la crise de l’Euro est la faiblesse de sa banque centrale, la BCE, que celle-ci devrait copier son homologue américain, la Fed, et émettre elle-même sans limite sa propre monnaie, cet article de nos camarades vivant aux Etats-Unis démontre qu’en réalité, de l’autre côté de l’Atlantique, la même crise économique et la même impuissance de la bourgeoisie à trouver une réelle solution à cette crise, font rage.
Les événements de juillet et août se sont produits à la suite les uns des autres si rapidement que la classe dominante a paru avoir le vertige devant leur vitesse et leur profondeur : la crise du plafond de la dette, la rétrogradation de la note américaine de AAA à AA+ par Standard & Poor's, les hauts et les bas et la volatilité des bourses, les nouvelles de l’insolvabilité de pays comme l’Espagne et l’Italie et le FMI dans une impasse par rapport à ce qu’il faut faire, la fuite de capitaux avec les bons du trésor américain transformés en or. La classe dominante est à court d’argument pour rassurer une classe ouvrière de plus en plus incertaine quant à ses espoirs d’un meilleur futur. Comble de l’infortune, ses options sur comment répondre à une crise économique qui ne fait que s’aggraver se réduisent de plus en plus. Que se passe-t-il ?
La crise du crédit qui a suivi l’éclatement de la bulle immobilière en 2008 a été une menace si sérieuse de blocage de l’activité économique que la bourgeoisie a été obligée de monter des plans de récupération sous la forme de « plan de relance économique » et de consolider l’industrie financière en absorbant les actifs toxiques des banques et de se porter caution. Le petit répit accordé par ces mesures est à la base de la soi-disant « récupération » qui s’est déroulée ces deux dernières années. Du point de vue de la classe ouvrière, comme elle continue à subir le poids de la crise, il est évident qu’il n’y a pas de fin ni de solution à la détérioration de ses conditions de vie et de travail. Comme le capitalisme ne peut plus tirer sur sa corde, et que les mesures employées par la classe dominante pour ralentir les pires effets de la crise s’épuisent, la classe ouvrière ne peut attendre que des attaques encore plus brutales contre elle.
Comment s’en sort la classe ouvrière ?
Vendredi 2 septembre, le gouvernement faisait un rapport sur l’embauche alors que le Bureau des Statistiques du Travail publiait des données pour le mois d’août. Le New York Times faisait la Une de l’édition du samedi 3 septembre avec : « zéro job, mauvais signal pour l’économie américaine avec la croissance récente ». Ce qu’on peut réaliser sombrement en lisant les données, c’est que les nouvelles personnes qui rentrent sur le marché du travail ne seront pas intégrées et que les sans- emploi continueront à être au chômage dans un futur prévisible : c’est la première fois que cela arrive depuis les années 1940. Il faut se rappeler que le taux officiel du chômage, stable à 9,1 %, est basé sur le nombre de gens qui ont activement recherché un travail au cours des quatre semaines précédentes. Cela n’inclut pas les ouvriers découragés qui ont laissé tomber la recherche d’un travail, ni ceux qui sont employés à temps partiel mais voudraient travailler à plein temps. En ajoutant tous ceux là, le taux de chômage grimpe immédiatement à 16,1%, et même ce chiffre est une donnée très peu actualisée, parce qu’il recense dans les employés la population non civile qui est intégrée dans l’armée.
Ce qui est aussi vraiment inquiétant, c’est le caractère à long terme du chômage dans la récession actuelle. Les suppressions d’emploi n’ont pas seulement été pires depuis le début de la dernière récession que dans les précédentes, mais cela prend beaucoup plus longtemps pour trouver un travail. La « croissance zéro » qui vient d’être publiée confirme que l’économie est dans un état de mauvaise santé chronique. Si l'on examine la composition de la classe ouvrière aux Etats-Unis, le gros des chômeurs est constitué par la population noire qui subit un chômage de 16,2 à 16,7%, ce qui est encore une confirmation de la maladie chronique du capitalisme, totalement incapable de relever le niveau de vie misérable de secteurs de la population qui ont été historiquement désavantagés. Les ressortissants d'origine latino-américaine suivent avec un taux de chômage de 11,3%. Une autre donnée très parlante est celle qui concerne le chômage des jeunes, qui atteint 25,4%. Dans le contexte d’une impasse économique et où il n’y a pas d’embauche, cela crée des conditions inédites dans lesquelles les parents qui bénéficient encore d’une pension ou de l’aide sociale vont se faire du souci pour la stabilité financière des enfants quand leurs parents partiront à la retraite.
Cette économie continue à perdre des emplois dans le secteur gouvernemental, alors que la manufacture et le commerce de détail, qui avaient bénéficié d’un petit répit l’année dernière, perdent aussi des emplois. Cette tendance va se poursuivre, car le seul secteur où les emplois sont en augmentation est l’agriculture ; or, la saison des récoltes touche à sa fin. Ces données sont assez décourageantes, mais pour les « veinards » qui ont encore un travail, aller au travail devient de plus en plus une activité très semblable à de la torture, avec une oppression, un contrôle et une intensification de l’exploitation intolérables. Les enseignants ont été tout particulièrement accusés et vilipendés du fait de leur salaire « privilégié » et de leurs avantages sociaux, mais leurs conditions de travail se sont particulièrement détériorées depuis le début de la crise. Il n’est pas étonnant qu’on trouve dans les statistiques publiées par le Bureau du Travail que le nombre de démissions est presque équivalent au nombre de licenciements, avec le plus grand nombre de démissions dans le secteur de l’éducation ! Cela amène à penser que les conditions de travail sont tellement exténuantes qu’un travailleur peut choisir la perspective de l’instabilité financière plutôt qu’une pression insupportable au travail ! Confrontés à la réalité de la crise, les économistes bourgeois abaissent maintenant leurs perspectives pour la croissance.
Comment s’en sort le capitalisme et que fera la classe dominante ?
Ces convulsions de l’économie ne sont ni le résultat de la cupidité des entreprises ni de la spéculation boursière, comme on nous l’a dit en 2008, quand elles ont commencé à se manifester. Les causes ne se trouvent pas dans l’imprudence des « consommateurs » qui contractent des dettes qu’ils ne peuvent pas rembourser. Pas plus qu’elles ne sont la cause des querelles incessantes à Washington entre factions de la classe dominante américaine divisée par le dilemme de ce qu’il faut faire face à la plus grave récession de l’histoire des Etats-Unis. Ces facteurs aggravent sûrement la situation, mais plutôt que d’en être la cause, ils sont des symptômes d’un malaise pour lequel la classe dominante n’a aucun remède. Comme nous l’avions écrit dans la Revue Internationale n°133 : « Pendant quatre décennies, …, l'ensemble de l'économie n'a conservé un semblant de fonctionnement que grâce à des politiques capitalistes d'État monétaires et fiscales…. Pendant toutes ces années de crise et d'intervention de l'État pour la gérer, l'économie a accumulé tant de contradictions qu'aujourd'hui, il existe une menace réelle de catastrophe économique ». (Les Etats-Unis, locomotive de l’économie mondiale… vers l’abîme.1 2e trimestre 2008)
La monstrueuse dette publique des Etats, le déficit du budget fédéral, la dette privée nationale, le déficit commercial énorme, sont tous le résultat de l’intervention capitaliste d’Etat au cours des quatre dernières décennies pour maintenir à flot son économie malade. Tout cela a conduit le capitalisme aujourd’hui au point auquel il a dépassé ses possibilités de freiner son endettement. Les multiples contradictions accumulées au cours des quatre dernières décennies ont toutes mûri à la fois et la classe dominante est incapable de s’y confronter avec un projet cohérent. Les plans d’austérité risquent d’affaiblir une économie déjà bien malade, encourager la consommation devient difficile et exacerbe le risque de banqueroute. Pomper de l’argent dans le marché financier – comme la politique de la banque centrale appelée « Quantitative Easing » d’inonder le marché financier avec du liquide via l’achat direct de dettes du Trésor, à hauteur de 600 milliards comme cela a été le cas la dernière fois – va entraîner une dépréciation de la monnaie en circulation et relancer l’inflation. La classe dominante va encore devoir continuer à s’appuyer sur l’appareil d’Etat pour intervenir massivement dans l’économie et administrer le même remède qui est déjà un véritable poison. Mais toutes ces manipulations financières et monétaires ne font que repousser le jour des règlements de compte à un petit peu plus tard. La banque centrale, par exemple, peut commencer à vendre des titres du Trésor des Etats-Unis arrivant prochainement à échéance et à acheter ceux à échéance plus tardive pour tenter d’accroître la demande d’investir dans des actions à plus long terme. De cette manière, leurs prix vont monter et les taux d’intérêt sur ces titres tomber, ce qui fera que les Etats-Unis paieront moins cher pour rembourser leurs dettes. Mais cela ne peut qu’encourager la spéculation sur des actifs encore plus à risque, puisque les investisseurs recherchent les plus gros profits à la Bourse et que les titres du Trésor ne seront pas d’un grand rapport.
On trouve aussi un exemple de l’incohérence croissante de la classe dominante américaine dans le discours du président de la Banque centrale, Ben Bernanke, le 26 août à Jackson Hole, dans le Wyoming, quand il a dit que l’état actuel de l’économie ne s’est pas détérioré au point d’avoir un troisième tour du « Quantitative Easing ». Quelques jours plus tard, les statistiques produites par le Bureau du Travail allaient de nouveau accroître la pression sur le capitalisme américain pour qu’il actionne davantage la planche à billets. Mais celà ne va pas guérir le patient en phase terminale, le capitalisme dans les affres de la mort. Pourquoi ?
Comme nous l’avions écrit dans la Revue Internationale n°144 : « Le apitalisme souffre par nature d'un manque de débouchés car l'exploitation de la force de travail de la classe ouvrière aboutit forcément à la création d'une valeur plus grande que la somme des salaires versés, vu que la classe ouvrière consomme beaucoup moins que ce qu'elle a produit. »2 (Face à la crise capitaliste, il n'existe aucune voie de sortie, 1er trimestre 2011). Les travailleurs et les capitalistes ne peuvent constituer un marché suffisant pour redémarrer le processus de production capitaliste. Or, il faut un marché pour valoriser la part de plus-value extraite de l’exploitation de la classe ouvrière et destinée à la reproduction du capital. La valeur d’échange entre capitalistes perd de vue le fait que le capital doit augmenter, pas consommer, sa plus-value. Pour les ouvriers qui représentent un marché solvable, la contradiction la plus puissante – et mortelle – du capitalisme tient en ce la lutte du capital contre la tendance à la baisse du taux de profit, résultat de la concurrence, pousse vers l’amélioration de la technologie, remplaçant ainsi des ouvriers et augmentant la productivité sans élévation correspondante des salaires. Il en résulte une contraction de la demande, puisque la capacité de consommation des ouvriers est de plus en plus réduite. Les discours actuels sur la consommation anémique, le manque d’investissements, la baisse de la productivité, sont l’expression de cette contradiction fondamentale du capitalisme. Dans ces conditions, le capitalisme ne peut pas et ne peut avoir de solution à sa crise. En opprimant et en imposant des plans d’austérité brutaux contre la classe ouvrière, la bourgeoisie risque de hâter le moment où les ouvriers du monde entier s’affronteront directement au capitalisme et le relégueront aux poubelles de l’histoire.
Ana (4 septembre)