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Le mouvement des Indignés est remarquable par la volonté qui l’anime de favoriser partout le débat dans des assemblées générales de rue, et par ce sentiment largement partagé de faire face dans tous les pays aux même attaques, à la même exploitation, à la même misère. Ce n’est pas un hasard si, parti d’Espagne, ce mouvement a gagné la Grèce, Israël et même le Chili !
D’ailleurs, en juillet, en Espagne, de nombreux intervenants avaient mis en avant l’importance de cette extension internationale des luttes et s’étaient interrogés sur les moyens de créer plus de liens et d’unité entre exploités par-delà les frontières. La DRY (Démocratie réelle maintenant), qui essaye depuis le début de noyauter la lutte et les débats pour endiguer toute réflexion trop radicale, contestataire et révolutionnaire à son goût, a alors immédiatement proposé sa vision de la lutte internationale : une “marche pacifiste” à travers l’Europe, de l’Espagne jusqu’à Bruxelles, pour demander aux membres du Parlement européen “la démocratie directe en Europe”, dénoncer “le monopole des technocrates non élus, des oligarchies politiques qui détiennent tous les pouvoirs” et exiger “leur départ” (1).
Cette marche partie de Madrid le 24 juillet, pour une arrivée prévue à Bruxelles le 8 octobre, a fait escale le 17 septembre à Paris. Certains militants du CCI se sont rendus aux rassemblements et débats organisés. L’un d’eux livre ci-dessous son témoignage.
Le samedi 17 septembre, la marche des “Indignés” espagnols, organisée par DRY, est arrivée à Paris. Le rendez-vous du rassemblement censé accueillir les marcheurs était prévu à 18 heures place de la Bastille, où une AG devait également se tenir. Mais à 18 heures 30, il n’y avait toujours aucun signe “d’indignation” devant l’Opéra. Le porte-parole de DRY annonce alors qu’en attendant l’arrivée des marcheurs, ils ont fait venir une fanfare et une petite troupe de théâtre.
Cette fanfare nous a joué un air tout à fait original, mélangeant la Marseillaise avec l’Internationale ! Un badaud qui passait par là a demandé aux musiciens-compositeurs pourquoi ils avaient fait un tel melting-pot avec l’hymne national de la bourgeoisie française et l’hymne révolutionnaire du mouvement ouvrier. Réponse : “Ces deux chants révolutionnaires ne sont plus d’actualité. En attendant de trouver un autre chant révolutionnaire correspondant à la “troisième voie” dont on a besoin aujourd’hui, on a mélangé les deux.”
Autrement dit, pour DRY, il est clair que ce n’est pas la lutte de classe, la révolution prolétarienne mondiale, qui constitue aujourd’hui la seule alternative à la faillite du capitalisme, mais une “troisième voie” : celle de l’union sacrée de tous les “citoyens”, qu’ils soient exploiteurs ou exploités !
Cette “troisième voie” préconisée par les altermondialistes de DRY n’a rien de bien nouveau. C’est celle qui prétend qu’il ne faut pas renverser le capitalisme mais le réformer en semant l’illusion qu’un système basé sur l’exploitation de l’homme par l’homme pourrait devenir “éthique” si tous les “citoyens” du monde se serraient les coudes pour construire un autre monde : un “capitalisme à visage humain” !
Rien de bien nouveau non plus dans cette ébauche d’un nouvel hymne révolutionnaire. Le métissage de la Marseillaise avec l’Internationale par la fanfare de DRY n’est rien d’autre qu’une resucée de l’idéologie contre-révolutionnaire du parti stalinien français (le PCF) qui, dans ses heures de gloire, avait mêlé le drapeau rouge de l’Internationale avec le drapeau tricolore en embrigadant des dizaines de millions de prolétaires dans la Seconde Guerre mondiale derrière la défense du capital national et de la “patrie du socialisme” (l’URSS).
Rien d’étonnant non plus dans ces propos très “démocratiques” tenus par l’animateur du “débat” de la Bastille : “Ici, c’est la démocratie horizontale. Tout le monde peut s’exprimer et dire tout ce qu’il a sur le cœur sauf… les provocateurs qui viennent ici pour foutre la merde !” (Suivez mon regard, je ne vise personne !).
Qui sont les “fouteurs de merde” ? Ce porte-parole de DRY (mal décrotté du stalinisme) n’a pas osé dire (mais cela va sans dire !) que les “fouteurs de merde” sont bien sûr ceux qui ne sont pas d’accord avec l’idéologie réformiste et la politique de DRY !
L’animateur du “débat” place de la Bastille a également affirmé que ce mouvement des Indignés en Espagne n’est pas un mouvement “anti-système”, mais un mouvement revendiquant un système “qui fonctionne” (avec bien sûr des banques “éthiques” ou “coopératives”).
Rien n’est plus mensonger ! Le mouvement des Indignés en Espagne ne s’est pas limité à son encadrement et sa tentative de récupération par ATTAC et DRY. Il ne s’est pas limité à l’Espagne, mais a surgi également en Grèce par exemple. C’était un mouvement social massif de protestation contre la faillite du capitalisme et donc un mouvement “contre le système”, n’en déplaise à tous les récupérateurs et saboteurs “altermondialistes” de la gauche du capital ! Un mouvement qui a fait écho aux révoltes sociales massives en Tunisie et en Egypte. Un mouvement dont l’onde de choc se répercute aussi en Israël aujourd’hui. De tout cela, les animateurs du “débat” à la Bastille n’ont pas pipé mot !
Lors de son speech au micro, le porte-parole de DRY (dont les propos sentaient à plein nez le programme du parti de gauche de Mélanchon !), nous a encore dit textuellement que “l’indignation doit être l’affaire de TOUS, et pas seulement des pauvres, des chômeurs, etc.” Autrement dit, les “riches citoyens-exploiteurs” sont aujourd’hui conviés par DRY à participer aux AG pour exprimer eux aussi, en tant que “citoyens” et hommes de bonne volonté, “tout ce qu’ils ont sur le cœur” (contrairement aux “provocateurs qui viennent pour foutre la merde”).
Plus grotesque, tu meurs !
La seule “indignation” que nos citoyens-exploiteurs peuvent exprimer, c’est celle de la matraque et de la répression face à “l’indignation” des pauvres, des chômeurs et des exploités ! C’est ce qu’on a vu en Espagne lors de la répression brutale du mouvement au printemps dernier. C’est ce qu’on a vu aussi ce jour-là à Paris où nos bons “citoyens-exploiteurs” ont montré “tout ce qu’ils avaient sur le cœur” en envoyant leurs CRS, leurs matraques et leurs bombes lacrymogènes contre les Indignés tout simplement parce que ces derniers avaient décidé de tenir leur AG devant la Bourse (comme “action symbolique contre les banques”, à Paris comme à New York).
Les bureaucrates de DRY qui dirigent et contrôlent aujourd’hui le mouvement des Indignés savent très bien que la classe des “citoyens”-exploiteurs est incapable de “s’indigner” contre son propre système (et qu’elle ne peut pas renoncer à ses privilèges).
En organisant cette marche de Madrid à Bruxelles (dont l’objectif est d’aller gentiment demander à l’Assemblée européenne de nous accorder une “démocratie réelle maintenant” !), les organisateurs ne font rien d’autre que le sale boulot classique de toutes les forces d’encadrement (partis de gauche et syndicats) au service de la préservation de l’ordre social capitaliste : épuiser la combativité des “indignés”, défouler leur “indignation” et dévoyer leur révolte contre le capitalisme dans une impasse afin de les livrer pieds et poings liés à la répression.
Cette marche européenne des Indignés est une pure mascarade organisée par DRY et destinée à ridiculiser le mouvement : elle s’apparente davantage à une marche de pénitents sur les chemins de Compostelle qu’à une manifestation de protestation contre le capitalisme !
Quant aux informations données par les organisateurs du rassemblement à la Bastille, c’était de la même eau que celles des commentateurs du Tour de France à la télé ! Avec les mêmes trémolos dans la voix, destinés à nous tenir en haleine, les ténors de DRY ont passé leur temps à raconter les différentes étapes de la marche des Indignés vers Bruxelles, la sympathie de la population dans les petits villages qu’on leur a fait traverser (au fin fond de la France profonde) soit disant pour… étendre le mouvement de l’autre côté des Pyrénées et en Europe !
Dans tous les pays du monde, les exploités ressentent de plus en plus ce besoin d’unité et de solidarité internationale, au-delà des frontières. Mais pour que leur indignation se transforme en force motrice capable de construire un autre monde débarrassé des lois barbares du capitalisme, ils devront nécessairement développer tous les lieux de débat et déjouer les pièges de leurs faux amis.
Linus (29 septembre)
1) Source : https://roadtobrussels.blogspot.com/