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Nous publions ci-dessous un tract réalisé par Accion Proletaria, organe de presse du CCI en Espagne, et distribué dans ce pays tout au long du mois de février1.
Mais qu’arrive-t-il ? Tout d’un coup, les syndicats ont replié le drapeau de la « lutte », se sont mis en costard-cravate et sont allés signer le « Pacte social ». Leur drapeau de « lutte » était une pantomime comme l’a démontré la journée du 29 septembre 2010, alors que maintenant ils participent à quatre mains à l’imposition d’un nouveau coup : la reforme des retraites…et bien d’autres qui vont pleuvoir.
Les syndicats, autant lorsqu’ils appellent à une mobilisation que quand ils vont signer ce que le gouvernement et le patronat leur demandent, sont toujours contre la classe ouvrière. L’un ne va pas sans l’autre.
Nous allons voir les raisons de ce « changement » de politique et aussi ce que nous, les travailleurs, pouvons faire.
Pourquoi est-on passé de la « grève générale » au « Pacte social » ?
Nous sommes en train de vivre une situation où, avec l’aggravation considérable de la crise et des attaques contre les conditions de vie de la grande masse des travailleurs, surgissent ici et là des mouvements significatifs de la lutte de classe. En même temps qu’il y a eu des luttes d’une certaine envergure en France, en Grande-Bretagne, en Italie, en Grèce etc., on est en train de vivre l’entrée en lutte des jeunes générations en Tunisie, en Algérie et en Egypte...
Les confusions, l’inexpérience, le retard politique, font que ces luttes souffrent de faiblesses importantes, dont la bourgeoisie tire profit pour les présenter comme des « mouvements démocratiques » pour ainsi rejeter dans l’ombre le fait que ces mouvements font partie d’un courant international de lutte contre la crise capitaliste, d'un mûrissement des luttes massives dans les rangs prolétariens. On veut ainsi les isoler et faire croire que, dans ces pays prétendus « arriérés », on lutterait pour ce « bien-être démocratique » dont on peut « jouir » dans les pays « avancés ».
C’est dans ce contexte que l’on doit ajouter, pour bien comprendre toute la portée de ce qui se passe, la menace de banqueroute qui guette l’Etat espagnol et ce n’est pas parce que les médias en parlent un peu moins dernièrement que ladite menace se serait évanouie, loin de là2; c'est ce qui a amené le gouvernement, le patronat et les syndicats à signer un Pacte Social officialisant la violente attaque d’une dureté inouïe que représente la réforme des retraites, en y incluant aussi des mesures concernant les conventions collectives et les dénommées « politiques actives d’emploi », lesquelles contiennent essentiellement une attaque contre les chômeurs.
Pour accompagner ce qui précède, il y a eu le coup assené par la région de Murcie à ses fonctionnaires territoriaux, qui n’a été que le signal de démarrage d’un plan d’envergure dans les différentes régions contre les employés du secteur publis : réductions salariales, licenciements des contractuels en CDD, augmentations des horaires, intensification des contrôles, etc. La Catalogne et son plan de 10% de réduction budgétaire annoncé par A. Mas, le Président régional de la Catalogne, parait avoir pris la relève de la région de Murcie. Et la convention municipale du PSOE adopte aussi un plafond de dépenses dans les régions gouvernées par ce parti. Ces mesures sont élargies à toutes les administrations municipales.
Le pari politiquede la bourgeoisie espagnole
Comment analyser ce Pacte Social ? Nous pensons qu’il est la concrétisation d’un pari politique fait par la bourgeoisie espagnole sur la manière avec laquelle doit être menée l’attaque brutale contre les travailleurs. Les raisons de ce pari ? : Le malaise, l’indignation, la réflexion persistants qui animent une combativité qui mûrit lentement au sein de la classe ouvrière en Espagne, une combativité qui, malgré tout, n’est pas arrivée au point où notre classe peut apparaître comme une force sociale active. La politique suivie par les syndicats entre février et septembre 2010 était devenue contreproductive. Pendant cette période, ils ont appelé à des protestations mollassonnes, avec cette tactique de mobiliser tout en démobilisant comme on a pu le voir lors de la « grève générale » du 29 septembre3. Cette politique a semé la passivité et l’attentisme dans les rangs ouvriers, mais elle a aussi fini par discréditer les syndicats qui n’apparaissent que comme une instance se limitant à faire acte d’une présence un peu braillarde avec des simulacres de lutte.
C’est pourquoi les syndicats, et la bourgeoisie espagnole dans son ensemble, ont dû reprendre une attitude « responsable » en particulier le tandem Commissions Ouvrières (CO)-Union Générale des Travailleurs (UGT). D’un coté, ils avalisent l’illusion –qui est passablement entamée mais qui est toujours présente- selon laquelle « nous sortirons de cette crise en acceptant quelques sacrifices » et, d’un autre coté, ils cherchent à semer la passivité chez les ouvriers, parce ce sont les syndicalistes eux-mêmes, aidés par les médias, qui se chargent de rabâcher jusqu’à la nausée que si le 29 septembre a échoué, c’est à cause de la passivité et de l’égoïsme des ouvriers. Il faut que ceux-ci se sentent coupables, il faut les stigmatiser en les rendant responsables de l’attitude favorable au Pacte social de la part des syndicats.
Cette politique a aussi comme pilier la manœuvre gouvernementale de décembre où les contrôleurs aériens ont été désignés comme têtes de Turc4. Lors de cette campagne, on a présenté cette catégorie de personnel comme « l’ennemi du peuple », on les a punis avec la militarisation directe de leur travail, l’augmentation brutale de leurs horaires et une nouvelle réduction de leurs salaires.
Cette politique a continué : il suffit de voir la campagne qui a été montée suite à l’agression d'un conseiller régional de Murcie, avec laquelle on a pu dénigrer sans retenue les travailleurs du public de cette région qui avaient réagi spontanément contre la réduction de 7% de leurs salaires, l’augmentation de 5 heures de leurs horaires hebdomadaires et du licenciement de 600 personnes en CDD dans le secteur de la santé5. Et dans le même registre, un tribunal menace de sanctions très dures les grévistes du métro de Madrid6. Une grève de mécaniciens ferroviaires a donné lieu à une campagne hystérique avec le même schéma qui a été employé contre les contrôleurs aériens. À Valence, à propos des 1419 fonctionnaires du secteur de la Justice, la télévision n’a pas arrêté de diffuser en boucle les images de 55 d’entre eux les montrant en train de se livrer à quelques tricheries picaresques avec le pointage, ce qui a permis d'entamer une énième campagne médiatique contre les fonctionnaires de cette branche.
La bourgeoisie essaye par tous les moyens d’éviter la mobilisation massive et généralisée des ouvriers. Sa politique cherche à canaliser une combativité et une indignation qui mûrissent, vers le terrain piégé des mobilisations partielles et corporatistes. Les syndicats « renoncent » à la « grève générale », mais, par contre, ils ne renoncent pas du tout à promouvoir des mobilisations bien enfermées et encadrées dans les secteurs et les régions, c'est-à-dire, dans un cadre de division. La boucle se referme avec ces campagnes de dénigrement médiatique menées avec une jubilation mal dissimulée par le gouvernement et ses moyens de désinformation.
Les syndicats « alternatifs » ne sont pas l’alternative
Le 27 janvier, une poignée de syndicats « alternatifs » ont convoqué une « grève générale » qui s’est limitée au Pays Basque, à la Catalogne et à la Galice, limitant pour le reste de l’Espagne l’appel à quelques rassemblements très peu suivis.
Chacune de ces grèves « générales » est restée enfermée dans des motivations nationalistes et particulières : on voit bien là comment ces syndicats qui se prétendent « alternatifs » s’adaptent très bien à l’orientation générale de la bourgeoisie de parcellariser, diviser et fragmenter par tous les moyens la riposte prolétarienne7.
Ces « alternatifs » n'ont qu'une enveloppe un peu différente par rapport au tandem CO-UGT, le fond demeure identique. Comme ceux-ci, ceux-là appellent à une mobilisation sans la moindre assemblée ni débat, tout se règle avec quelques affiches, quelques réunions de syndicalistes et quelques courriers électroniques. Lors des rassemblements, c’est le même folklore. Le même bruit abrutissant que lors des manifs d’UGT-CO, ce qui ne fait qu’encourager l’atomisation, en empêchant le contact entre travailleurs, en obstruant tout débat et toute coordination. Ils ne sont pas une alternative, mais une mauvaise photocopie des appels de CO-UGT.
Ils ne parlent pas de la gravité mondiale de la crise, ni du fait que nous sommes tous attaqués, ni de la nécessité de lutter contre le capitalisme, mais ils propagent l’illusion selon laquelle une intervention publique de l’Etat qui « serre la vis » aux banquiers et aux spéculateurs nous permettrait de nous en sortir.
Ils demandent qu’on défende le « système public des retraites », mais c’est justement cet objectif qui est partagé et mis en avant par tous les partis et les forces du Capital depuis la droite la plus extrême jusqu'à la gauche ! La bourgeoisie ne prétend pas éliminer le « système public des retraites », mais le sauver en réduisant substantiellement les pensions (d’au moins 20 %) et être de plus en plus restrictive quant au droit d’accès à une pension. Cette attaque virulente est cachée par les syndicats avec l'épouvantail de la menace selon laquelle les pensions publiques seraient remplacées par des fonds privés.
Ils exigent « plus d’État » face au supposé « moins d’État » du « néolibéralisme », en essayant de nous cacher le fait qu’autant l’État « néolibéral » que l’État « socialiste » défendent à mort le système capitaliste, qu’ils sont les garants de l’exploitation dont nous souffrons. Ils exigent que l’État agisse au « profit du peuple », ce qu’il n’a jamais fait ni ne fera jamais ! Parce que l’État est un instrument de la classe capitaliste et les mesures qu’il prend, autant lorsqu’elles bénéficient au privé qu'au public, n’ont d’autre objectif que celui de défendre les intérêts du Capital et le maintien de l’exploitation.
L’alternative ne peut venir que des travailleurs eux-mêmes
Comment se fait-il qu’une minorité privilégiée parvienne à maintenir la grande majorité dans l’exploitation et l’oppression ? Il est évident qu’en dernier ressort, c’est parce que son État possède le monopole de la force : police, armée, législation, tribunaux, prisons. Mais ce monopole serait inefficace s’il n’était pas entouré, protégé et quelque part fardé par l’appareil des partis, des syndicats et tout le système des soi-disant « droits » et « libertés » dont on jouirait, autrement dit par la voie de la démocratie.
La démocratie bourgeoise est basée sur la délégation. Délégation de la gestion de nos vies à une caste de politiciens qui tous les 4 ans nous appellent à voter en nous bourrant la tête de promesses qu’ils ne tiennent jamais. Délégation aux professionnels syndicaux de la mobilisation dans la lutte et de la négociation. Cette délégation aux représentants politiques et syndicaux nous amène à l’atomisation, à la passivité, à l’individualisme. Cette délégation fait que, même quand nous luttons (par exemple, les mobilisations syndicales du genre 29 septembre ou le récent 27 janvier des « alternatifs »), nous rentrons à la maison avec un sentiment d’impuissance, avec l’arrière-goût amer dans la bouche d’avoir perdu notre temps.
La lutte de la classe ouvrière n’est pas basée sur la délégation mais sur la participation active et consciente de la grande majorité. L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ou elle ne sera pas, voilà ce qu'affirmait déjà la Première Internationale il y a 150 ans. Ceci se concrétise, entre autres, dans les expériences de se réunir en assemblées générales : débat pour décider des mesures à prendre pour le combat, développement de la solidarité et de la mobilisation, du sentiment que nous faisons partie d’un tout dans lequel nous sommes individuellement et collectivement plus forts, sentiment de courage qui nous fait oser des choses que, seuls et atomisés, nous serions incapables de réaliser.
En France, lors des mobilisations contre la réforme des retraites ont surgi des assemblées générales interprofessionnelles regroupant des travailleurs de différents secteurs qui, de façon unitaire, essayaient d’impulser l’ensemble de la classe ouvrière pour que celle-ci prenne en main la lutte, en dépassant le travail de sabotage des syndicats. En Italie du Nord, une assemblée autonome de travailleurs a regroupé un millier de camarades qui ont essayé d’impulser la lutte. Ici aussi, en Espagne, des groupes de travailleurs sont en train d’émerger qui essayent d’impulser un mouvement à la base, pour qu’on puisse décider collectivement de comment lutter, quand, avec quels moyens, comment gagner la solidarité, comment étendre la lutte et ne pas rester enfermés, isolés.
Tout cela est riche de potentialités pour le futur. Il s’agit pour le moment d’un mouvement très limité, avec de grandes difficultés, avec des doutes et des pas en arrière. Mais face à la passivité, à la duperie et à la démobilisation imposée par les politiciens et les syndicats, il existe une alternative : développer notre force collective. Il va de soi que de nombreuses erreurs seront faites, qu’il y aura des problèmes et des contretemps. Mais nous n’avons pas d’autre chemin possible pour pouvoir nous défendre.
CCI (8 février)
1 Pour ceux qui veulent participer à la diffusion la plus large possible de ce tract, il est possible de l'éditer en espagnol à l'dresse suivante : https://es.internationalism.org/files/es/pacto.pdf.
2 La preuve : les nouvelles lois, décrétées à toute vitesse, sur les Caisses d’épargne qui vont être soldées à vil prix.
3 Lire le tract fait en commun (CCI, CREE et la Red de Solidaridad y Encuentro d’Alicante) : https://es.internationalism.org/node/2960
4 Voir notre prise de position sur https://fr.internationalism.org/ri419/etat_d_urgence_en_espagne.html
5 Lire https://fr.internationalism.org/icconline/2011/dans_la_région_de_Murcie_les_fonctionnaires_protestent_contre_des_problèmes_qui_touchent_tout_le_monde.html
6 Les travailleurs du Métro de Madrid ont été les acteurs d’une grève impulsée par des assemblées générales en juin 2010. Lire « Leçons de la grève du Métro de Madrid » dans https://fr.internationalism.org/icconline/2010/lecons_de_la_greve_du_met...
7 Nous ne mettons pas du tout en doute l’envie de lutter ni la volonté de défendre les intérêts ouvriers des militants de base de ces syndicats. Justement, pour qu’ils ne soient pas les victimes d’une escroquerie et ne se retrouvent pas démoralisés et trompés, il leur faut instaurer un débat sur la nature de ces syndicats et sur le syndicalisme en général.