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Après le départ de Ben Ali et de Moubarak, après l’éclatement des affrontements sanglants en Libye, un vent de révolte parcourt le monde, contre les régimes de terreur et contre l’enfoncement dans la misère. Partout la bourgeoisie s’inquiète de la propagation de cette onde de choc qui révèle la faillite générale du système capitaliste.
Dans la péninsule arabique
Au Yémen, les manifestants ont baptisé le 25 février “vendredi du début de la fin du régime”. Des dizaines de milliers de Yéménites ont participé à des prières collectives dans plusieurs villes du pays (Sanaa, Aden, Taez) pour demander la chute du régime du président Ali Abdallah Saleh. “Pars, pars !”, a scandé à son intention la foule réunie dans la capitale. Une foule d’au moins 50 000 personnes, selon le décompte du Guardian, s’est rassemblée sur une place située devant l’université où campent depuis plusieurs jours des manifestants.
Depuis le début de la contestation le 27 janvier, douze personnes ont été tuées à Aden, outre les deux morts de Sanaa et celui de Taez.
A Bahreïn, les manifestants étaient des dizaines de milliers, le 25 février, dans le centre de la capitale Manama, pour la prière du vendredi. Cette prière a eu lieu sur la place de la Perle, qui est devenue l’épicentre de la contestation entrée dans sa douzième journée. “Nous voulons que les Al-Khalifa quittent Bahreïn”, lancent certains, en référence à la dynastie sunnite qui règne sur l’île du Golfe, dont la majorité de la population est chiite.
L’amiral Mike Mullen, chef d’état-major interarmées, en tournée dans le Golfe depuis le 20 février, a marqué une étape à Bahreïn, quartier général de la 5e Flotte américaine, pour y rencontrer jeudi soir le roi Hamad ben Issa Al-Khalifa et le prince héritier. Il a salué “la manière très modérée” avec laquelle les autorités ont répondu à la crise. Après des violences initiales qui ont fait sept tués parmi les manifestants, les forces de sécurité se sont retirées sur ordre du prince héritier, chargé par son père de conduire un “dialogue nationale avec l’opposition”. Le régime a aussi procédé à des libérations de prisonniers politiques.
En Afrique du Nord
En Algérie, l’état d’urgence a été levé le 24 février. La décision a été publiée au Journal officiel du pays. Pourquoi maintenant ? Quelles en sont les conséquences ?
Selon le correspondant de France 24 en Algérie, l’état d’urgence, mis en place le 9 février 1992 pour contrer la menace islamiste, sortie victorieuse aux élections législatives de 1991, reposait sur trois dispositions. Tout d’abord, aucun rassemblement – manifestations, ou réunion d’ampleur dans une salle – n’était autorisé sans l’aval du pouvoir. Ensuite, l’état d’urgence justifiait tout internement administratif : “On pouvait mettre en détention provisoire n’importe qui sans décision de justice. Et c’est ce qui s’est passé dans les camps du Sud où de nombreux islamistes ont été internés. Enfin, le pouvoir algérien d’avant 2011 avait accepté la réquisition des forces militaires par les autorités civiles : “C’était en gros l’armée dans la rue”.” Il a fallu 19 ans au pouvoir assassin pour lever l’état d’urgence qui lui permet d’arrêter n’importe qui, de le détenir, de le torturer puis de le faire disparaître au nom de la lutte contre le terrorisme. Mais, curieusement, le pouvoir reconnaît que la question du terrorisme n’est pas réglée et avoue qu’il fait cela face à la contestation sociale. En quoi la situation va-t-elle changer ? Fondamentalement… en rien. Les militaires garderont le pouvoir que leur conférait l’ancienne disposition d’état d’urgence, afin de poursuivre la lutte anti-terroriste, en vertu d’une nouvelle loi prochainement annoncée (toujours sous le prétexte d’endiguer une possible menace d’Al Qaïda). Pour beaucoup, cette nouvelle mesure, de même que l’annonce le 3 février de plans pour contrer le chômage et la crise du logement, fléaux majeurs qui ont largement conduit aux manifestations de janvier dernier, pour l’emploi et le logement, n’est qu’un effet d’annonce et une manœuvre.
Il est fort à parier que la manifestation prévue à Alger pour s’opposer au régime de Bouteflika le samedi 26 février, se termine par le même flot d’arrestations que les précédentes des 12 et 19 février qui avaient mobilisé de 30 à 40 000 policiers pour 2 à 3000 manifestants.
Cette contestation sociale, malgré la répression et surtout malgré le poids énorme de vingt ans de guerre civile qui aura fait 200 000 morts, n’a pas cessé comme en témoignent les grèves qui tendent à se poursuivre au cours de ces dernières semaines.
• 300 salariés d’une société de sous traitance ont multiplié des actions de protestation, fin février, devant la direction générale de Fertial (entreprise algéro espagnole de production d’engrais phosphatés), à Annaba, pour revendiquer leur intégration au sein de l’entreprise, des hausses de salaires et une protection sociale. Ce mouvement pourrait rebondir et s’élargir à Annaba en cas d’échec des négociations.
• Une grève des employés paramédicaux déclenchée mardi 1er février, a été suivie à plus de 87 %, à l’échelle nationale et à près de 100 % dans la capitale (selon le syndicat de ce secteur, le SAP). “Pour un statut de dignité. Les paramédicaux en grève” pouvait on lire sur les pancartes.
• Une grève des travailleurs a affecté, mardi 1er février, le secteur de l’éducation de la wilaya de Bejaïa. Un mouvement de grève de deux jours initié conjointement par les deux syndicats autonomes de l’éducation, le CNAPEST et l’UNPEF. Cette grève a été précédée, lundi, par celle du syndicat rival le SETE, affilié à l’UGTA. Les syndicats revendiquent “la régularisation immédiate de toutes les situations des travailleurs du secteur de l’éducation”. D’après certaines informations, la grève aurait été suivie par plus de 92 % des travailleurs.
Selon les organisateurs, se disant indépendants de toute formation politique, près de 15000 étudiants (moins de 5000, selon les services de sécurité) ont pris part sous une pluie battante à la marche “du changement” à laquelle avait appelé pour le 1er février la coordination locale des étudiants de l’Université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou. Les manifestants ont scandé, en plus de revendications d’ordre pédagogique, des slogans contre le système et les responsables de l’université mais surtout en faveur des libertés démocratiques en Algérie.
En Tunisie, 100 000 personnes ont défilé dans l’après-midi du 25 février pour réclamer le départ du gouvernement de transition, et en particulier du premier ministre Mohammed Ganouchi qui était déjà celui de l’ex-président. Dans la rue, les Tunisiens maintiennent la pression et continuent à subir la répression. Des incidents ont conclu dans la soirée la plus importante manifestation en Tunisie depuis la chute de Ben Ali. Des manifestants ont jeté des pierres sur le ministère de l’Intérieur et des soldats ont tiré en l’air pour tenter de les disperser. Le gouvernement a de son côté annoncé des élections au plus tard pour la mi-juillet.
Au Maroc, les protestations n’ont pas cessé. Particularité : les opposants ne demandent pas la démission de leur dirigeant, Mohamed VI. “On n’a rien contre le roi, mais on veut plus de justice et du travail”, ont expliqué deux participants aux manifestations cités dans le Courrier international. Le souverain avait d’ailleurs pris les observateurs à contre-pied en n’interdisant pas ces rassemblements.
A ce jour, le bilan s’élève tout de même à six morts. Tous ont été tués lors des troubles qui ont entaché les défilés largement pacifiques.
Au Proche et Moyen Orient
En Jordanie, à Amman, le 25 février, une nouvelle “journée de la colère” avait été décrétée par l’opposition islamiste et une vingtaine de groupes issus de la société civile. Des milliers de personnes ont manifesté pour réclamer des “réformes constitutionnelles” et, cette fois, tout semble s’être déroulé dans le calme, contrairement au vendredi précédent. Des partisans du régime avaient alors attaqué une manifestation de jeunes et huit personnes avaient été blessées.
Les manifestations ont commencé en janvier pour protester contre l’augmentation du coût de la vie. Elles avaient pris une plus grande ampleur après la chute de Ben Ali en Tunisie, le 14 janvier, ce qui avait contraint le roi Abdallah II à limoger son Premier ministre et à former un nouveau gouvernement chargé de proposer des réformes, au terme d’un dialogue avec l’opposition. Des concessions encore jugées trop faibles par cette dernière.
En Syrie, la rue est restée calme mais la population n’est pourtant pas insensible à ce qui se passe dans les autres pays arabes. Le pays est placé en état d’urgence depuis 1963 et tout rassemblement public non autorisé est interdit. Une manifestation pacifique de 200 personnes à Damas devant l’ambassade de Libye mercredi a été violemment dispersée par les forces de l’ordre. Le Guardian rapporte que 14 personnes ont été arrêtées et les autres participants de ce sit-in pacifique de soutien aux révoltés libyens dispersés à coups de bâtons. La Syrie est en apparence le pays le moins vulnérable à un vent de contestation populaire. Le système policier de Bachar al-Assad, au pouvoir depuis 11 ans, contrôle étroitement la population. Les moyens de communication et de mobilisation (Internet et téléphone) sont surveillés comme jamais. Ceux qui ne sont pas arrêtés sont convoqués par les autorités et menacés de poursuite. Les services secrets, terriblement efficaces, étouffent dans l’oeuf le moindre frémissement protestataire de ce régime présidentiel avec un parti unique. L’actuel président a cependant décidé en janvier de créer un fonds d’aide de 250 millions de dollars aux plus démunis, suivie en février de mesures pour faire baisser les prix de produits alimentaires de base.
En Irak, le 25 février a aussi été proclamé “Journée de la colère”. De Kirkouk, à Mossoul dans le Nord, comme à Bassorah, dans le Sud, des milliers d’Irakiens sont descendus dans les rues pour dénoncer la corruption et l’état déplorable des services de base. Au moins cinq personnes ont été tuées et 49 blessées. Huit ans après l’invasion américaine qui a renversé Saddam Hussein, on enregistre des pénuries de vivres, d’eau et d’électricité et les emplois sont rares. Enfin, les frustrations sont grandes dans un pays qui dispose d’importantes réserves de pétrole et pourrait être un gros producteur. “Où est ma part des profits du pétrole ?”, se demandait un manifestant sur une banderole.
En Iran, les chefs de l’opposition réformatrice sont mis à l’isolement. La justice iranienne a averti mardi qu’elle considèrerait désormais comme des “contre-révolutionnaires” tous les partisans de Karoubi et Moussavi, accusés de s’être mis au ban du régime issu de la révolution islamique de 1979. L’accusation de “contre-révolutionnaire” peut entraîner des condamnations judiciaires sévères, notamment pour des participants à des manifestations interdites.
En Asie
En Inde, au moins 100 000 personnes ont manifesté le 23 février dans les rues de New Delhi pour protester contre la hausse des prix alimentaires et le chômage. Le défilé était organisé et encadré par le Comité des syndicats indiens (CITU, affilié au Parti communiste) et auquel se sont associés d’autres syndicats, y compris certains adhérents d’une centrale liée au parti du Congrès au pouvoir. Les manifestants, en majorité issus de la classe ouvrière, scandaient des slogans contre l’inflation et la corruption. Il s’agit de la plus grande manifestation dans la capitale depuis des années. Il faut dire que l’inquiétude est grande face à l’inflation sur les denrées alimentaires qui a atteint 18 % en décembre en rythme annuel. Les centaines de millions de miséreux de ce pays de plus d’un milliard d’habitants sont les plus durement touchés. “On gagne 100 à 125 roupies par jour (deux à trois dollars). Comment allons-nous survivre avec ça si les prix augmentent autant ?”, s’interrogeait un manifestant. “Les prix vont finir par tuer l’homme de la rue”, lisait-on sur une banderole.
En Chine, la crainte d’une contagion des révoltes arabes est perceptible dans toute la bourgeoisie et son appareil d’Etat. Le site américain LinkedIn, réseau social professionnel sur Internet, a annoncé vendredi être bloqué en Chine, après avoir été le vecteur d’une campagne pro-démocratie en ligne inspirée par la “révolution du jasmin”. Le gouvernement chinois n’est pas tranquille. De nombreux médias étrangers à Pékin ont reçu ce vendredi des convocations ou des coups de téléphone des autorités chinoises leur enjoignant de “respecter les règlements”, à la veille d’un week-end où les Chinois ont été appelés sur Internet à participer à des “rassemblements du jasmin”. Les autorités sont visiblement nerveuses de voir des rassemblements se produire, potentiellement dans 13 villes du pays. A Pékin, l’une des 13 villes concernées par cet appel, le McDonald’s devant lequel la population a été appelée à se retrouver sur le site basé à l’étranger boxun.com a vu sa façade entourée de palmiers et de barrières de chantier qui en ont bloqué l’accès. “Nous invitons chaque participant à se promener, à observer, voire à prétendre qu’il ne fait que passer. Pour peu que vous soyez présents, le gouvernement autoritaire va trembler de peur”, ont assuré les initiateurs des rassemblements.
En Europe
En Albanie, au moins trois personnes ont été tuées par balles vendredi 25 février à Tirana au cours d’une manifestation de l’opposition émaillée de violents accrochages avec les forces de l’ordre devant le siège du gouvernement. Selon les services d’urgence, au moins 55 personnes ont également été blessées dont 20 policiers et 30 civils.
En Croatie, se sont produits des affrontements entre police et manifestants anti-gouvernementaux. La police a utilisé des gaz lacrymogènes jeudi 24 février au soir à Zagreb pour disperser un millier de manifestants qui tentaient de s’approcher du siège du gouvernement en réclamant la démission du Premier ministre Jadranka Kosor. Les manifestants scandaient : “Voleurs ! Voleurs !”, et : “Jadranka, va-t-en !”. Une dizaine de personnes ont été arrêtées, selon la télévision nationale. La manifestation avait été organisée sur Facebook. Une autre, similaire, avait rassemblé la veille quelque 300 personnes. Les organisateurs ont réclamé la démission de Mme Kosor. Ils ont accusé le gouvernement de “rendre tous les jours la vie des citoyens plus difficile et de mener le pays vers un chaos économique”. L’économie locale s’est contractée de 1,9% en 2010, selon les prévisions de la Banque centrale, après un recul du PIB de 5,8% en 2009.
En Russie, interrogé sur les répercussions potentielles des révolutions arabes, notamment dans le Caucase du Nord, Poutine s’est dit “préoccupé” tout en affirmant que la situation dans ces deux régions n’avait rien de comparable !
En Grèce, les grèves générales contre la cure d’austérité imposée par le gouvernement socialiste pour répondre aux exigences de l’Union européenne, de la BCE et du FMI, se multiplient depuis deux ans. La dernière en date, le 23 février a donné lieu à des heurts particulièrement violents avec la police. Face à une misère grandissante et à des syndicats complices du pouvoir, la colère des exploités ne peut que s’amplifier. Le PIB a reculé de 1,4% au quatrième trimestre 2010 par rapport au troisième trimestre, le chômage affiche un taux record de 15%, le coût de la vie est en hausse constante, du fait de la baisse des salaires et de l’augmentation des taxes impôts, l’inflation grimpe à 5 %, et la consommation s’effondre. Un Grec sur quatre vit désormais sous le seuil de pauvreté (on commence à voir à Athènes des “cartoneros”, phénomène caractéristique de la misère urbaine sud-américaine) et une majorité des jeunes (le plus fort taux de diplômés d’Europe) ne songe qu’à s’expatrier. Face à cette réalité sans fard, les réponses des institutions politiques et sociales tournent en rond. Celles du gouvernement socialiste ont pour principal leitmotiv “ou nous vaincrons ou nous coulerons”. Il propose comme unique solution une privatisation à outrance des services publics. Quant aux syndicats, leur rhétorique est usée jusqu’à la corde. Ce mécontentement de la population, face à la cure d’austérité imposée par un gouvernement ne réussit finalement qu’à exprimer de la rage et de l’impuissance. Il peine à trouver une portée efficace. Tous les signes d’une mobilisation étaient là pourtant lors de la grève générale du 23 février : participation plus massive que les derniers mois, salariés du public et du privé ensemble dans les rues de plusieurs villes du pays. De nombreux secteurs ont été touchés par la paralysie. Aucun transport urbain, sauf le métro. Les médias ont observé une grève de 24 heures. Pharmacies, banques, cabinets d’avocats fermés. Nombre de vols ont été annulés du fait, notamment, de la grève des contrôleurs aériens. Les ferries sont restés à quai. Dans les hôpitaux, seules les urgences assuraient un service de garde tandis que les écoles n’ont accueilli aucun enfant. Répondant à l’appel de leur Union professionnelle, les commerçants ont gardé porte close, indiquant : “Nous fermons aujourd’hui pour ne pas fermer pour toujours.” Et ce, dans un contexte très tendu de grèves quasi-quotidiennes ces derniers mois.
CCI (26 février)