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Chine: L'empereur a-t-il encore des habits ?
Dans l'article 'Le capitalisme mondial au tournant de la crise (1), dans 'Le prolétaire'n°497 de juil-oct 2010', il y avait déjà des données intéressantes qui semblent aller dans le sens du cadre d’analyse présenté dans le livre que nous commentons ci-dessous. On y constate aussi que, bien que la Chine soit «le premier producteur mondial d'électroménager, de composants électroniques, de matériaux de construction, le deuxième producteur dans la chimie (…) une caractéristique peu connue mais très importante de l'économie chinoise actuelle [est]: la domination du capital étranger sur les secteurs les plus dynamiques et les plus productifs de l'industrie».
Il arrive assez peu qu'un petit livre d'à peine 180 pages puisse donner autant d'informations et d'analyses qui permettent d'avoir un cadre clair sur un sujet aussi vaste que l'émergence économique de la Chine actuelle. Et pourtant, c'est bien le cas avec le livre de Bruno Astarian 'Luttes de classes dans la Chine des réformes (1878-2009)'.(2)
En fait comme le signale l'auteur lui-même l'essentiel du matériel du livre avait été élaboré avant la crise financière. Selon lui: «Il n'y a pas de pays, et dans chaque pays une classe capitaliste et son prolétariat, mais il existe un capital et un prolétariat mondiaux, segmentés en pays par des États, comme ils le sont en entreprises par des capitalistes».
«D'un point de vue temporel, ce texte vient trop tard où trop tôt : trop tard parce qu'il a été rattrapé par la crise mondiale... et trop tôt parce qu'il est certain que l'approfondissement de cette crise imposera de corriger et d'approfondir la réflexion...»
D'un point de vue théorique le livre pose de nombreuses interrogations, qui vont du capitalisme d'État à la révolution mondiale, en passant par le développement endogène du capital national à notre époque... et en analysant le fait que beaucoup de médias en Occident proclament que la Chine sera la prochaine puissance mondiale. C'est d’abord à ce questionnement qu'essaie de répondre ce livre.
D’emblée, il faut saluer le travail de recherche de l'auteur et son courage d'aller à l'encontre des idées reçues, comme celle qui affirme que la Chine monte inexorablement vers l'hégémonie mondiale. Il essaie de contrer ces affirmations souvent gratuites par une argumentation, chiffres à l'appui, sans pour autant alourdir le texte et en comprimant toutes ces informations dans 160 pages bien synthétisées en 6 chapitres clairs et lisibles.
Dans les chapitres 1 à 3, il analyse essentiellement la composition du capital chinois au sein du pays et sa place sur l’échiquier mondial entre les autres requins impérialistes.
En parcourant les différentes étapes depuis les réformes, l'auteur constate que les entreprises privées, qui se sont développées après les réformes de 1978, se sont trouvées étouffées par le manque de crédit et la reprise en main des autorités locales: «Ces quelques éléments n'augurent pas bien d'un développement 'endogène' d'un capitalisme chinois appelé à dominer le monde – voire le seul territoire chinois … L'hypothèse … d'un développement autocentré d'un petit capitalisme chinois en grand capitalisme national puis international est bloqué par la saturation du monde en capital. … Comment faire le recentrage de l'économie chinoise sur son marché intérieur … si la faiblesse des salaires urbains et celles des revenus agricoles est le principe même de la survie du capitalisme chinois dans la concurrence internationale» (p.21)
En ce qui concerne le fameux transfert technologique si 'redouté' par les médias occidentaux et le Japon, l'auteur constate que «depuis l'adhésion à l'OMC, la Chine a dû accepter que les investissements étrangers puissent se faire sans co-entreprise, de sorte que «la plupart des investissements étrangers basés sur la technologie se situent maintenant dans des entreprises entièrement contrôlées par l'étranger» (R & D, but mostly D, China Economic Quarterly, 2003, IV). Autant pour les transferts de technologie»(p.31). Il s'avère donc que là aussi les informations qu'on reçoit par la presse bourgeoise sont pour le moins exagérées: «Les médias placent la recherche chinoise en haut du tableau des pays scientifiques … Mais si on tient compte de la valeur qualitative de la recherche, la Chine tombe à la dixième place (Les Echos, 24 février 2009) (p.32).. Sur le vaste marché dont se vantent les médias il voit la aussi qu'il «est déjà proche de la saturation» (p.33). En fait: «Pour ne pas mourir, il va falloir se développer. Pour se développer, il va falloir investir. Pour investir, il va falloir du crédit. Or les entreprises privés n'en obtiennent pas, ou peu, des banques chinoises».(p.34)
Est-il donc étonnant que la seule compagnie qui fleurisse (Huawei, télécommunications, avec un personnel de 34.000 personnes dans le monde) «ne publie pas de comptes et est comme par hasard lié à l'armée (qui se soucie peu de la rentabilité de l'affaire) et a pu bénéficier en 2004 d'un crédit de 10 milliards de dollars de la China Development Bank (banque publique)». (p.36). Hors depuis l'entrée en décadence du capitalisme, les pays qui ont davantage dû investir dans leur secteur militaire au détriment des autres secteurs, ont toujours été les régimes impérialistes en position de faiblesse.
Il en arrive à la conclusion que bien qu'il y ait des essais de la part de l'État et du PCC de se mettre en valeur, ils sont tout à fait pris dans les étaux d'une contradiction insoluble :
Après avoir recherché comment est organisé le capitalisme endogène il en arrive à la conclusion que : «Les aides et protections dont bénéficient les entreprises chinoises publiques et privées semblent plus importantes et nécessaires qu'ailleurs.(...) Contrairement à l'image d'un capitalisme chinois triomphant, cet état de fait n'exprime-t-il pas plutôt une faiblesse? En plus l'auteur constate que «la crise actuelle accentue … le protectionnisme régional. La fragmentation du territoire et de l'économie entraine un surinvestissement systématique» et il en donne un exemple, cité du livre de Christian Milelli (3): «Dans le Delta de la Rivière des Perles (région de Canton/Shenzhen), on trouve cinq aéroports, sans aucune connexion entre eux, dans un rayon de 90 kilomètres» (32) (p.38). Pour lui, en se basant sur des données de Jean-Louis Rocca '4) , il est donc évident que : «le capitalisme chinois réformé … requiert cependant tant de protections et d'aides qu'on est en droit de parler d'un 'capitalisme peu conquérant', vivant de rentes et de monopoles locaux» (33) Il mentionne une autre auteur (Marie-Claire Bergère)(5) qui avait aussi souligné les effets peu prometteurs des réformes et de la vision à long terme, qui est court-circuitée par la corruption et des politiques à court terme : «l'amélioration de la rentabilité des entreprises de l'État après leur réforme est en partie due à la privatisation des logements et de la dānwèi [système] «qui garantissait à ses membres un travail, mais aussi leur logement, leur santé, la maternité, l'éducation des enfants, les retraites... Ces avantages pouvaient représenter jusqu'à 120% du salaire versé en argent» !!!! (p.11) … à peu près 250 milliards de dollars» (p.35). «Cet argent était censé être placé dans un fonds spécial de réserve. Il l'a rarement été, et est donc parti avec les dépenses courantes». On peut donc se demander où reste donc la marge de manœuvre du capital national chinois ? Et très logiquement l'auteur conclut : «Cette image est évidemment contradictoire avec le sentiment général en Occident que la Chine est la prochaine grande puissance du monde»
Il fait aussi le constat très juste que le battage sur la puissance de la Chine sert plutôt à faire du chantage envers le prolétariat occidental et japonais : «En revanche, on ne peut refuser à tous ces entrepreneurs privés et publics le compliment que leur adressent leurs collègues du monde entier en investissant en Chine : ils sont absolument féroces avec leurs prolétaires».(p.39)
Pour le reste il y a deux chapitres: sur les paysans et le système 'hừkŏu' (permis de résidence, attaché à un lieu précis), «document administratif qui permet à l'État chinois un fichage policier nécessaire pour que la dictature du PCC dispose d'un quadrillage policier». (p.48)
A travers des chiffres sur la productivité de la paysannerie apparaît une fois de plus comment cette situation est une preuve accablante des contradictions du capitalisme et de son incapacité d'intégrer l'ensemble de la population paysanne dans la modernisation de l'agriculture capitaliste. Tout au plus le capital chinois peut utiliser cette masse de paysans sous-productifs comme un chantage contre la classe ouvrière dans son ensemble, au moyen de salaires extrêmement bas pour les ouvriers migrants. «Si l'agriculture chinoise élevait sa productivité au niveau de la moyenne mondiale … cela libérerait pratiquement 300 millions de candidats à la prolétarisation !!!» (p.53) «Pour porter la surface moyenne des exploitations à un hectare, ce qui est très peu, mais le double de la situation actuelle), il faudrait expulser environ 150 millions de paysans, ce qui est énorme» (p.59). Sans être exhaustif, l'auteur se limite à citer plusieurs révoltes selon leurs raisons: à cause d'impôts excessifs, de confiscations de terres, des tarifs de bus, de la politique de l'enfant unique (qui est exécutée souvent de façon féroce), révoltes auxquelles participent chaque fois plusieurs milliers de paysans (p.61). Là il faut sans doute se référer à d'autres œuvres qui donnent des informations plus amples.
Le prolétariat chinois et ses conditions de vie épouvantables
L’auteur nous donne des informations intéressantes sur ce sujet peu connu depuis les réformes de 1978. Il distingue d'abord les deux fractions du prolétariat chinois: le 'vieux' prolétariat des vieilles industries étatisées et les míngōng, les ouvriers et ouvrières surexploités venant de l'exode rural (pour l'essentiel des sans-papiers de l'intérieur), qui travaillent surtout dans des nouvelles industries, privées pour la plupart. Selon l'agence Xinhua le 16 juin 2007, il y en aurait 120 millions dans les grandes villes et 80 millions dans les petites, donc presque un tiers de la population active totale d'environ 750 millions (p.64). L'auteur fournit des données importantes à propos de cette surexploitation: durée hebdomadaire de 98 heures avec un jour de repos par mois(!), calcul scandaleux des salaires avec des heures non payées, considérées comme volontaires (!), systèmes d'amendes (!) pour baisser les salaires, frais de séjour pour des logements insalubres et une bouffe épouvantable, retard dans le payement des salaires pour empêcher que les travailleurs s'en aillent, etc... (pp. 68-71). Pourtant les ouvriers réagissent souvent et en dépit de la grave répression, forcent de temps en temps les patrons escrocs à reculer, obtiennent des hausses de salaires presque annuelles (+ 2,8 en 2004; +6,5% en 2005; + 11% en 2006) jusqu'en 2008, où le gouvernement a ordonné le gel des salaires minimaux (p.73). Mais ces travailleurs migrants doivent lutter durement pour chaque amélioration minimale, comme pour la scolarisation de à peu près 20 millions de leurs enfants qui se retrouvent en ville.
Les 'vieux' travailleurs du secteur public se sont battus surtout contre le démantèlement du système de dānwèi, l'unité du travail (qui garantissait emploi à vie, logement, scolarisation des enfants, etc..). Si pendant la première période de réformes le nombre de salariés a augmenté considérablement jusqu'en 1995, après il baisse de 113 à 64 millions en 2006 (!) (...) Du point de vue des travailleurs, cette évolution a été d'une rapidité, d'une brutalité et d'une profondeur difficilement imaginable en Occident. Elle a donné lieu à d'importants conflits sociaux» (pp. 83-84)
Ce sont précisément ces luttes contre la loi de 1995, qui met officiellement fin à l'emploi à vie, qui ont débouché sur «une nouvelle loi sur le contrat de travail en 2008, qui est plus favorable aux travailleurs que le précédent texte (de 1995), et dont les représentants de l'Union Européenne et des États-Unis ont essayé d'infléchir la rédaction» (!!!!) (p.85). Et encore, comme toujours, faut-il se méfier de son application réelle. Une autre donnée importante est: «qu'il ne semble pas avoir eu de concurrence massive entre les migrants et les licenciés des entreprises publiques»(p. 90).
Les luttes les plus importantes durant les trois décennies, allant de 1978 à 2008
Il est curieux que l'auteur ne mentionne aucune lutte avant et autour de la répression de Tian An Men, qu'on peut retrouver dans un excellent livre publié à Hong Kong en 1990, mais apparemment retiré sous pression de Beijing (2). En fait il n'y réfère qu'indirectement quand il traite de la répression «des 'syndicats libres', florissants en 1989, en citant Han Dongfeng, qui mentionne que la 'Beijing Workers Autonomous Federation'(…) fondée par les étudiants, n'avait pas d'adhérents ouvriers, car ceux-ci se méfiaient» (6) (p.132). En conséquence l'auteur ne mentionne que les luttes depuis 1997: Quand le gouvernement a décidé «de 'lâcher les petites pour maintenir les grandes entreprises'. Il y a eu alors une importante vague de luttes, parfois insurrectionnelles (... ) Certaines luttes cherchèrent à s'organiser durablement en fondant un syndicat à la base. Ce sont celles qui furent le plus durement réprimées (…) ces luttes importantes mais numériquement faibles par rapport aux millions d'ouvriers concernés par les restructurations ne parvinrent jamais à ébranler le pouvoir (…) Combiné à la répression, un semblant de prise en charge du chômage, l'apparition d'emplois dans le privé et les multiples combines de survie ont permis … de faire refluer la vague des luttes en défense de la dānwèi (pp. 10-101).
Cependant il y a eu d'importantes luttes insurrectionnelles: en février 1997, 20.000 mineurs licenciés à Yang-jiazhang (Liaoning), bloquant la ville plusieurs jours; en juillet 1997 de véritables émeutes éclatent dans le Henan et le Shandong; au même moment à Mianyang (Sichuan), 100.000 personnes se rassemblent; entre 1997 et 1998, de nombreuses révoltes dans le Heilongjiang et en 1988 à Pun Ngai à cause du retard de huit mois des salaires, etc... Beaucoup de ces conflits se terminent par des offres de mise à la retraite qui ne sont pas tenues (p.102).
Mais ensuite il y a eu des conflits beaucoup plus durs parce que les autorités ou les entreprises ne se tiennent presque jamais aux accords conclus: de 2000 à 2002, les travailleurs du pétrole du Nord-Est contre la restructuration et des dizaines de milliers de licenciements, une lutte qui dure plusieurs années; à Daqing (Heilongjiang) contre 80.000 licenciements allant jusqu'à des manifestations de 50.000 personnes et des blocages de trains vers la Russie et des manifestations de solidarité d'autres travailleurs du pétrole; à Fashun en 2001, quand 300.000 travailleurs du charbon, du ciment, etc. furent transformés en 'xiagang'(…) 10.000 d'entre eux tentèrent des barrages réguliers de routes et de voies ferrées pendant plusieurs semaines; en mars 2002 au complexe métallurgique Liaoyang Tiejehin où le non-respect des promesses et les mensonges provoquent des grèves et manifestations de solidarité allant jusqu'à 30 ou 80.000 personnes (...) suivies par une répression systématique» (pp.104-106).
«Aiqing Zheng signale que pour la seule année 1994, il y a eu 12.000 'conflits collectifs' du travail dans les entreprises publiques. Dans 2.500 cas, les ouvriers ont occupé les locaux, détruit des machines, pris en otage des dirigeants du parti ou de l'entreprise (7) . En 2002 la province de Anhui promulgua un règlement pour protéger les patrons, car plusieurs d'entre eux avaient récemment été assassinés» (p.107)
Un rapport du CLB (8) confirme que les luttes des travailleurs licenciés des entreprises de l'Etat et celles des travailleurs migrants sont «de plus en plus souvent rejointes par la lutte des salariés des entreprises d'Etat restructurées ou privatisées. Parfois aussi les travailleurs (cfr supra) payent durement leurs illusions de créer un syndicat, «même en pensant à se faire enregistrer à la FSC (Confédération Syndicale Unique) comme en 2004 à Xianyang (Shaanxi), où les meneurs sont arrêtés. Depuis 2005 on a aussi connu des grèves pour des augmentations de salaires, dans la Changha Lead-Zinc Mine et dans le textile: Feyia Textile Company à Huabei (Anhui) et Heze Textile Factory (Shandong), des entreprises d'Etat. Preuve que la 'vielle' classe ouvrière développe aussi des luttes plus offensives» (p.109-110).
L'auteur fournit encore quelques exemples de luttes de la 'nouvelle' classe ouvrière, qui démontrent que même en absence d'expérience historique, la colère des ouvriers provoque des luttes assez impressionnantes: «en 2004 à Dongguan, chez Stella International et chez Xing Ang Shoe Factory, dans les usines Xing Lai et Xing Peng les travailleurs, avec l'implication très active des femmes, ont obtenu une augmentation de leurs salaires, un conflit relaté par le CL qui déplore que dans les usines Xing Xiong et Xing Ang, ils n'aient pas eu de représentants, comme dans le autres deux usines, car cela aurait permis d'éviter les violences: 'Ces travailleurs non-organisés sont plus dangereux' car ils sont plus enclins aux débordements» [sic]; «en 2005 chez Uniden (Shenzhen) qui emploie 16.000 ouvrières à la fabrication de téléphones pour Wal-Mart [multinationale US très anti-syndicale], à cause de la non-tenue des promesses lors de la première grève, les ouvrières ont tenu une AG permanente (...) avec comité de grève élu de 29 membres, avec dix ouvrières arrêtées après la grève et condamnées à trois ans et demi de prison, mais amnistiées après une campagne internationale (!); été 2005 à Dalian avec une vague de grèves dans plusieurs usines ; en novembre 2007 chez Alco Holding à Dongguan contre l'augmentation des prix de la cantine; en janvier 2008 chez Maersk encore à Dongguan (au port de Machong) contre les amendes et chicaneries des gardes de l'usine. Selon Han Dongfen (6) il y a chaque jour au moins une grève de plus de 1.000 grévistes dans le Delta de la Rivière des Perles (source Radio Free Asia)» (pp. 112-118).
«Depuis la crise, le gouvernement estime qu'il y avait 20 millions de migrants au chômage depuis 2008 sur lee 200 millions de migrants en tout» (p.120). D'autres sources parlent de 30 millions et des nouveaux projets gouvernementaux de construction de villes intermédiaires (pour des millions de migrants) pour les occuper et en même temps pour empêcher qu'ils restent en ville ou qu'ils retournent à la campagne où ils causeraient des problèmes sociaux. Mais ce n'est qu'un déplacement temporaire du problème de l’impossibilité de les intégrer de façon durable dans la classe ouvrière.
Le livre traite aussi des luttes de la nouvelle classe ouvrière jusqu'à la crise de 2008 et s’arrête au moment du gel des salaires minimaux. Comme l'auteur le dit, il n'est pas toujours facile d'interpréter les sources qui utilisent souvent la notion d'«incidents de masse», qui «recouvrent les grèves, les manifestations, les émeutes, aussi bien en milieu urbain qu'à la campagne. C'est un indicateur très flou, qui donne une idée générale de la montée des luttes depuis quinze ans: 1993: 8.700; 1994: 12.000; 1998: 25.000; 1999: 32.000; 2000: 40.000; 2002: 50.000; 2003: 58.000; 2004: 74.000; 2005: 87.000; 2006: 90.000; 2007 (estim.) 116.000; 2008 (estim.): 127.000; 2009 (1er trim): 58.000» (p. 123). Donc une montée impressionnante.
Beaucoup d'éléments sont aussi fournis sur les moyens de luttes et «le relatif succès de la police à empêcher les ouvriers de sortir de l'usine pour chercher la solidarité de la population extérieure, le succès du gouvernement à acheter la paix sociale, le recours à la violence en l’absence de toute médiation sociale (…) En l'absence de données plus précises (…) on ne peut que conclure très provisoirement que le contexte de la lutte pousse plutôt les travailleurs à chercher à sortir des solidarités qu'à s'enfermer (…) une tendance (…) positive du point de vue d'un processus révolutionnaire éventuel» (p.125-126).
Pour notre part, nous exprimerons certaines réserves quand l’auteur traite de la question syndicale. Pour lui il «ne s'agit pas de savoir s’il faut être pour ou contre les syndicats libres. Les syndicats sont un rouage normal de la lutte des classes (..), mais il sont défavorables à la révolution (..) mais peut être, dans certaines circonstances, un instrument efficace de marchandage de la force de travail. En fait si on voit ce qu'a fait le syndicat 'libre' Solidarnosc à partir de 1980 pour saboter les luttes autonomes du prolétariat en Pologne, on ne comprend pas en se référent à l'histoire (mille fois confirmée) et aux luttes en Chine même, en quoi cela serait différent en Chine.
Quel avenir pour la Chine capitaliste et le prolétariat chinois?
L'auteur conclut à juste titre que la crise réduit en miettes toutes les illusions: «il n'y a pas de place dans le monde pour une Chine dont la consommation ouvrière 'monte en gamme'. Sa place est celle de pourvoyeuse de plus-value absolue, d'ouvriers misérables, etc (…) il n'y a pas de place pour un nouveau club de sociétés multinationales qui domineraient le monde. Celui que constitue l'axe États-Unis-Union Européenne-Japon occupe déjà tout le terrain» (p.163).
Pour le futur des luttes, il souligne que chez le prolétariat chinois, «vivant dans un extrême précarité, en n’ayant pas d'illusion sur l'autogestion … il est probable que l'absence … de tradition ouvrière chez les travailleurs migrants est aussi un facteur favorable à un dépassement non économique de la crise … en plus de la place importante des femmes … qui ne reculent pas devant les nécessités de la lutte» (p. 167)
Et il finit par se poser quelques questions légitimes qui découlent de son analyse: «Le prolétariat chinois est-il le mieux placé pour comprendre que la liberté démocratique est la meilleure forme d'oppression? La réponse est non, bien sûr (…) La revendication d'un régime démocratique, y compris de la part du prolétariat, peut ainsi servir de vecteur important de la contre-révolution. Autrement dit, avec la crise qui s'approfondit, la révolte mondiale du prolétariat viendra peut-être de Chine, mais la révolution communiste viendra d'ailleurs, et sans doute d'une zone d'accumulation hautement développée» (p.170-171).
Espérons que ces commentaires inciteront de nombreux lecteurs à lire ce livre qui donne des éléments très valables de clarification dans les débats entre ceux qui réfléchissent au futur de la lutte des classes et aux questions qui se posent pour son internationalisation.
Dans Le prolétaire on constate que bien que «le prolétariat chinois est le plus nombreux du monde (…) la Chine n'a pas la possibilité comme l'ont eue les 'fabriques du monde' britanniques et américaines, d'anesthésier leurs prolétaires en leur concédant des hauts salaires et des conditions de vie supérieures à celles des ouvriers des autres pays, puisque c'est sur leur surexploitation forcenée que se fonde sa croissance (…) et les autorités chinoises … ont affirmé qu'une croissance inférieure à 6% mettait en péril la paix sociale. Mais cette croissance accélérée débouche inévitablement sur la surproduction … Cette surproduction frappera inévitablement la Chine, avec une force bien plus grande qu'en 2008. Et comme partout ce seront les prolétaires qui en feront les frais...» (9 ibidem)
Même si dans un premier temps beaucoup d'ouvriers combattifs gardent encore des illusions dans les 'syndicats libres', le fait qu'ils lancent des appels comme «Nous appelons tous les ouvriers à maintenir un haut degré d'unité et à ne pas laisser les capitalistes nous diviser» (10) révèle une base nécessaire pour dépasser aussi cette mystification comme le reste de leur frères et sœurs de classe dans le monde entier, condition pour pouvoir établir une vraie autonomie de classe, ouvrant la perspective d’une libération pour l'humanité entière.
JZ / 4.12.2010
(1) ISBN 962-7145-11-4: China, A moment of truth, Hong Kong Trade Union Education Centre, 1990.
(2) Bruno Astarian, Luttes de classes dans la Chine des réformes (1978-2009).: édité chez Acratie, septembre 2009. ISBN: 978-2-909899-34-3
(3) Christian Milielli, L'investissement direct japonnais en Chine, in Yunnan Shi et Françoise Hay (sous la dir.) : La Chine, forces et faiblesses d'une économie en expansion, p. 381)
'4) Jean-Louis Rocca, La condition chinoise
(5) Marie-Claire Bergère: Capitalismes et capitalistes en Chine, ed. Perrin, Paris 2007, p. 214.
(6) Han Dongfeng, Chinese Labour Struggles, New left Review, juillet-août 2005.
(7) Aiqing Zheng, Libertés et droits fondamentaux des travailleurs en Chine, L'Harmattan 2007, p. 171 sq.
(8) Communiqué du China Labour Bulletin, du 1er novembre 2004.
(9 ibidem) Le Prolétaire'n°n°497 de juil-oct 2010
(10) Cité de businessweek.com, dans RI n°415, Une vague de grèves parcourt la Chine, septembre 2010.