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En avril 2009, Marion Bergeron, jeune graphiste de 24 ans, sans emploi et en fin de droits, est employée par Pôle Emploi lors de la fusion entre les ex-Assedic et l’ex-ANPE. Affectée à une agence de la banlieue parisienne, semblable à bien d’autres, son CDD de 183 jours se révèlera être un véritable calvaire qu’elle décrit dans son livre-témoignage intitulé : « 183 jours dans la barbarie ordinaire, en CDD chez Pôle Emploi ». Atmosphère pesante, magouilles de chiffres et de statistiques, plannings intenables, agressivité des demandeurs à bout de nerfs, impuissance des conseillers, tout est décrit avec une remarquable précision et un vécu d’un réalisme saisissant. Nous tenons à saluer cette jeune travailleuse, jetée dans la précarité depuis la fin de sa formation, pour avoir mis en lumière la situation qui règne aujourd’hui chez Pôle Emploi. L’agence, sensée améliorer les conditions d’accès à l’emploi et orienter les demandeurs vers des filières qui leur correspondent, n’est autre qu’un organisme de gestion d’une situation de crise. D’un côté, le marché de l’emploi se réduit de jour en jour, et de l’autre immanquablement, le nombre de chômeurs ne cesse de croître. Entre les deux, tel un dernier rempart avant l’explosion sociale, les employés de Pôle Emploi jouent les conciliateurs entre un Etat qui va cyniquement de plans d’austérité en plans d’austérité et une masse croissante de laissés pour compte, dont les allocations s’amenuisent et pour qui l’avenir devient obscur, très obscur ! Ne nous racontons pas d’histoire : aujourd’hui, suivant les directives d’un Etat qui tente de sauver ses derniers Euros, le Pôle Emploi mène une politique de radiation massive. Les ouvriers de Pôle Emploi, n’ont d’autre choix que de se plier à cette politique et de laisser une partie de leur humanité au vestiaire pour supporter leur labeur. « D’un côté, je passe mon temps à demander des justificatifs qui ne sont manifestement pas nécessaires. De l’autre, un demandeur qui aurait eu une vrai tuile est immédiatement catalogué bonimenteur et peut se retrouver radié, car il faut bien en radier quelques-uns. Sur des critères qui relèvent entièrement du hasard. (…) C’est sur ce château de cartes que notre vigilant ministre du budget, Eric Woerth, organise sa grande « journée spéciale de lutte contre la fraude ». Il en profite pour exprimer, la cravate bien droite, tout le mal qu’il pense des vilains qui fournissent des fausses déclarations dans le but de percevoir de maigres aides sociales. Et ne manque pas de conclure sur l’intensification des contrôles. »1 Voilà ce qui se cache derrière la prétendue « stabilisation du chômage » dont les médias bourgeois nous rebattent les oreilles depuis de nombreux mois2. Effectivement, le nombre officiel de chômeurs tend à se stabiliser. Le nombre de personnes ayant droit à des allocations, RSA ou autre, cesse d’augmenter. Cela ne veut pas dire que le marché de l’emploi est en meilleure forme que les années précédentes. Non ! Cela signifie simplement que l’Etat est aujourd’hui tellement endetté qu’il doit par tous les moyens tenter de réduire ses dépenses. En première ligne, ce sont les chômeurs qui trinquent, c’est-à-dire la partie improductive du capital humain. Il faut réduire le montant des allocations et radier à tour de bras les ayants droit. C’est dans cette logique que s’inscrit le célèbre « Suivi Mensuel Personnalisé », proposé en juillet 2005 par Dominique de Villepin alors Premier ministre. Marion Bergeron ne manque d’ailleurs pas de dénoncer cette supercherie : « Si le principe du suivi mensuel peut paraître louable, apporter une aide plus régulière semble aller dans le bon sens, il n’en est pas moins une vaste fumisterie. La logique est toute mathématique. Les convocations génèrent des absences. Les absences, des radiations. Plus de convocations entraînent plus d’absences. Donc plus de radiations. Donc moins de chômeurs au compteur. Et Dominique a la joie d’annoncer une baisse du chômage à Noël. »3 Voici un bel exemple de la manière dont l’Etat capitaliste « gère » la situation invivable créée par la faillite de son propre système que nous subissions au quotidien. Dans cette situation abjecte, les conseillers débordés font avec les moyens du bord comme cette collègue de Marion Bergeron cherchant à joindre une autre agence du Pôle pour répondre à une annonce : « Cécilia n’a pas de solution. Elle me montre donc sa petite magouille personnelle. Faire appel à Actu-chômage. Une association de défense des droits des demandeurs qui, en réponse à la généralisation du 3949, met en ligne sur son site les lignes directes des agences. C’est un comble. Je travaille pour Pôle Emploi, et pour contacter mon collègue de l’agence à Trifouillis-sur-Poisse, le moyen le plus simple dont je dispose est d’utiliser les ressources d’une association qui dénonce les méthodes de mon employeur. »4 L’impuissance de Pôle-Emploi pour réellement aider les demandeurs, ou plutôt les « clients », pour reprendre le terme d’usage, est à l’image de l’incapacité de l’Etat de gérer sa propre crise économique. A propos d’une longue journée d’entretiens fleuves, Marion Bergeron raconte : « Ils ne laissent pour trace de leur passage qu’un entretien informatique plein de phrases creuses et d’espoirs bancals. Et seuls quelques rares élus resteront dans ma mémoire. Ils sont le visage du chômage. La multitude de vies que la crise perpétuelle dans laquelle nous vivons peut réduire à néant d’un claquement de doigts. »5 Dans ce témoignage critique et plein de sincérité, c’est une partie du vrai visage du capitalisme que l’auteur nous révèle. Un capitalisme à bout de souffle. Incapable de venir en aide à ceux qu’il ne peut intégrer à son fonctionnement décadent. Allant même jusqu’au mépris, au cynisme et à la barbarie.
En bref, pour Pôle Emploi comme partout au sein du capitalisme : « le service ne doit pas être rendu, il doit être productif. »6
Rodrigue (10 décembre)
1) 183 jours dans la barbarie ordinaire, édition Plon, page 65.
2) Voir RI n°416, « Le mensonge grossier de la baisse du chômage ».
3) 183 jours..., page 76.
4) Ibidem, page 184.
5) Ibid., page 224.
6) Ibid., page 158.