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La boue rouge toxique provenant de l’usine de bauxite-aluminium à proximité de la ville d’Ajka (1), souillant le Danube, inondant les cours d’eau voisins et les villages de Devecser et Kolontar (les plus touchés), ne pouvait que générer un sentiment d’effroi. Il s’agit là de la plus grave pollution qu’ait connu la Hongrie dans son histoire ! Ce sont des milliers de mètres cubes de boue empoisonnée qui ont été libérés dans la nature. Cependant, au-delà des images spectaculaires du paysage désolé des premiers reportages télévisés, une autre réalité tout aussi choquante, mais beaucoup moins médiatisée, apparaissait au détour des commentaires officiels : celle de la mort immédiate puis à terme ! L’horreur générée par la dizaine de victimes (dont une fillette de 14 mois), les disparus, le fait que plus d’une centaine de blessés, atteints de graves lésions, se retrouve aujourd’hui en proie à de véritables souffrances. Cette boue rouge corrosive, composée de métaux lourds et légèrement radioactive, provoque en effet des brûlures profondes et irrite très fortement les yeux. Les composants chimiques de cette infâme mixture s’avèrent cancérigènes. Des milliers de villageois ont d’ailleurs décidé de fuir leur domicile pour éviter de mettre leur santé en péril.
Tous les drames humains de cette catastrophe ont été bien évidemment noyés de façon intentionnelle dans les quelques commentaires que les journalistes ont bien voulu nous présenter. Comme de coutume, la classe dominante a minimisé la catastrophe : “Le risque de la pollution du Danube par la boue rouge toxique est liquidé.” Voilà ce qu’annonçait lamentablement le Premier ministre hongrois, Victor Orban, lors d’une conférence de presse à Sofia, quelques jours seulement après l’accident, ajoutant sans sourciller que “les autorités hongroises contrôlaient la situation” (2). En même temps, les journalistes détournaient l’attention et la réflexion sur les conséquences tragiques de l’accident, se contentant d’images spectaculaires, destinées à terroriser les populations, évacuant ainsi toute véritable explication (3). De toutes les façons, selon la propagande d’Etat, les accidents industriels liés aux “risques technologiques” (4) ne sont que “le prix à payer”, la “rançon inévitable du progrès”. Autrement dit, le fait qu’il y ait des victimes doit être accepté comme une fatalité, pour ne pas dire comme quelque chose de “normal” !
Nous ne pouvons que dénoncer avec colère et indignation cette idéologie nauséabonde et surtout la volonté de cacher des meurtres programmés par une classe capitaliste sans scrupules. Nous ne pouvons que dénoncer fermement la barbarie consistant à obliger les populations à vivre dans un environnement dangereux, puis à déplacer froidement ensuite des villageois, après coup, comme on déplace des poulets en batterie, alors qu’on les a délibérément surexposés, au mépris total de leur vie.
Cela fait longtemps que les fuites de boue rouge provenant du réservoir défectueux étaient détectées, que les risques de contamination directe des villages avoisinants et des cours d’eau étaient connus. L’exposition des populations n’était un secret pour personne chez les patrons et politiciens locaux ! Mais parce que la prévention n’est pas une activité rentable, la bourgeoisie a préféré faire des économies, quitte à jouer à la roulette russe avec une partie de la population. A ce jeu, ce sont toujours les mêmes qui trinquent !
Les “experts”, les politiciens, les patrons et les journalistes, savent pertinemment que la bordure industrielle du Danube est une gigantesque poubelle à ciel ouvert, que les installations vétustes, non sécurisées faute de moyens, ne peuvent que provoquer de nouvelles catastrophes similaires. Dès les premières coulées de boue, ils ont tout fait pour minimiser l’ampleur des dégâts, pour minorer l’impact de la catastrophe. Ils ont fait mine ensuite, face à l’évidence, de découvrir avec surprise les conditions de cette nouvelle catastrophe, pointant du doigt au passage les “vestiges” hérités de la période du prétendu “communisme”, pour mieux dédouaner leur système et leur propre responsabilité (5).
Si aujourd’hui les médias sont passés à autre chose, si l’événement ne fait plus la une des journaux, la catastrophe et les souffrances sont loin d’être terminées !
Cette catastrophe n’est ni naturelle, ni le produit de la fatalité. Elle est l’expression même de la folie destructrice générée par la recherche effrénée du profit. La concurrence exacerbée, dans un monde où les marchés se réduisent comme peau de chagrin, oblige tous les industriels et les Etats à prendre de plus en plus de risques, à rogner toujours plus sur les marges de sécurité pour faire des économies. En même temps, les ressources naturelles sont livrées partout à un véritable pillage et sont soumises à des destructions accélérées. La catastrophe en Hongrie est déjà là. Non seulement le Danube, deuxième plus grand fleuve d’Europe, est pollué, mais certains cours d’eau appartenant à son réseau hydrographique ont un écosystème complètement détruit. C’est le cas de la rivière Marcal (qui se jette dans le Raab, affluent direct du Danube) où les poissons inertes flottent dans une eau couleur rouille. Il faudra de longues années, sinon des décennies, avant de voir la vie y renaître ; sans compter les dégâts produits dans toutes les terres environnantes et les eaux d’infiltration, de ruissellement et celles filtrées pour finir dans la nappe phréatique. Plus d’un millier d’hectares contaminés affecte désormais l’activité agricole et la chaîne alimentaire de cet espace pollué. Que vont provoquer sur le long terme les poussières une fois les boues séchées ? Car il est avéré que tant que les boues restent liquides leur dangerosité est moindre.
Une fois de plus, la bourgeoisie étale son incurie et son mépris total de la vie humaine. Et non seulement son instinct de classe n’est guidé que par la quête assoiffée d’un profit immédiat, mais son aveuglement est tel qu’elle scie tous les jours un peu plus la branche sur laquelle elle est vautrée. Bien sûr, certains bourgeois interpellent le reste de leur classe à freiner l’enfoncement dans la catastrophe. C’est peine perdue, car la logique générale du capitalisme au profit rapide, alliée à l’involution actuelle dans la crise et donc dans l’effondrement de pans entiers de l’économie, ne peut que pousser encore plus les rapaces de l’industrie et de la finance à sucer jusqu’à la moelle les moindres industries encore rentables, les régions de la planète où un profit rapide est faisable en exploitant pire que des bêtes les prolétaires, et en faisant fi de toute mesure de sécurité, trop “coûteuse”. Quitte à entraîner avec eux, et sans même y réfléchir une seconde, le reste de l’humanité.
WH (14 octobre)
1 A 160 kilomètres à l’ouest de la capitale, Budapest.
3 Rappelons nous, entre autres, du silence orchestré il n’y a pas si longtemps concernant 11 ouvriers morts suite à l’explosion de la plateforme pétrolière dans le Golfe du Mexique. Les images en boucle de cette explosion spectaculaire ont produit des commentaires omettant systématiquement de parler des victimes (voir RI no 413, juin 2010).
4 Dans les programmes de géographie des lycées, il existe un objet d’étude intitulé : “risques technologiques”. Une façon d’habituer les jeunes à intégrer avec fatalisme le fait que les populations urbaines sont de plus en plus exposées aux catastrophes.
5) En France, à Gardanne (Bouches-du-Rhône), le problème posé par une partie de ces boues, sous forme liquide, est “réglé” d’avance : elles sont rejetées au large, dans la mer Méditerranée !