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Nous publions ci-dessous l’exposé introductif qui a lancé les discussions de nos réunions publiques du mois de septembre.
Ce qui est frappant dans la situation actuelle, c’est le décalage énorme entre, d’une part, l’exaspération que provoque dans les rangs ouvriers un déluge d’attaques et, d’autre part, l’intérêt encore très minoritaire qui s’exprime pour les questions de la révolution. Les exploités voient de plus en plus clairement que le capitalisme est un système moribond qui mène toute l’humanité à sa perte, mais ils ne croient en la révolution. En 1968, la révolution semblait possible mais non nécessaire, c’est l’exact opposé aujourd’hui.
Quel “autre monde” est possible ?
Ce sera une société sans pénurie, sans misère, sans frontière, sans guerre, où les besoins humains seront satisfaits. Ce sera la libre association des producteurs, c’est-à-dire de ceux qui, par leur travail associé, produisent les richesses. Ce sera le communisme où l’épanouissement de chacun est la condition de l’épanouissement de tous. Le travail cessera de constituer une souffrance et une source d’ennui intarissable, pour devenir un facteur d’épanouissement des êtres humains. Fini le sacrifice d’une vie prisonnière de la spécialisation à outrance dans une même activité, puisque comme le disait Marx : “Dans la société communiste, personne n’est enfermé dans un cercle exclusif d’activités et chacun peut se former dans n’importe quelle branche de son choix ; c’est la société qui règle la production générale et qui me permet ainsi de faire aujourd’hui telle chose, demain telle autre, de chasser le matin, de pêcher l’après-midi, de m’occuper d’élevage le soir et de m’adonner à la critique après le repas, selon que j’en ai envie, sans jamais devenir chasseur, pêcheur, berger ou critique” (L’Idéologie allemande ; partie sur Feuerbach ; chapitre division du travail et aliénation). Evidemment, c’est l’idée de fond qu’il faut retenir de cette citation, et non pas le fait qu’il y aura des chasseurs dans la société communiste. S’il y a en a, ils seront dans les musées.
Quelle est la base matérielle de cette nouvelle société ?
L’abondance, alors que le règne de la pénurie avait jusqu’alors constitué le fondement des sociétés de classe et d’exploitation.
Comment une telle abondance sera-t-elle possible ?
Depuis que l’homme ne produit plus selon les méthodes des communautés communistes primitives, la productivité du travail s’est considérablement accrue avec les sociétés de classes. Sous le capitalisme en particulier. Celui-ci a développé, bien plus que toutes les sociétés de classe qui l’ont précédé, tout ce qui concourt à la production des moyens de production et de consommation : les machines, la technologie, les sciences, etc. En fait, le niveau actuel de productivité du travail peut se mesurer à travers le fait que le travail d’un très petit pourcentage de la population mondiale peut suffire à nourrir l’ensemble de cette population.
Il est aujourd’hui patent que, si les capacités productives étaient orientées différemment, la faim dans le monde serait éradiquée et on aurait besoin de travailler beaucoup moins pour satisfaire nos besoins, etc. Une illustration de cela. En 2008, 100 000 personnes mouraient de faim par jour, dans une situation où, la planète comportant 6 milliards d’êtres humains, l’agriculture mondiale était en mesure d’en nourrir 12 milliards (selon un rapport de l’ONU – par Jean Ziegler, rapporteur spécial). Mais vouloir réaliser cela sous le capitalisme est utopique.
Qu’est ce qui peut permettre que le capitalisme soit remplacé par une autre société ?
Certainement pas la bourgeoisie. Il n’y aura pas de transition harmonieuse du capitalisme vers le communisme. La classe dominante au sein de la société capitaliste, celle qui tire ses richesses de l’exploitation de la classe ouvrière, ne se résoudra jamais à abandonner le système d’exploitation qui lui permet sa position privilégiée dans la société. Individuellement, des bourgeois pourront soutenir ou embrasser le combat pour une autre société. Mais cela ne sera jamais le fait de la classe bourgeoise comme un tout.
Le moteur de la transformation sociale est le prolétariat : il est la classe de la société qui est exploitée selon les méthodes de production capitaliste ;
– il n’a aucun intérêt propre à défendre dans ce système ;
– il est porteur d’un projet de société, celui de la libre association des producteurs, permettant de dépasser les contradictions de l’actuel système ;
– pour renverser le capitalisme et mener à bien son projet de classe révolutionnaire, il dispose de la force nécessaire que lui donnent son nombre, sa concentration et le fait qu’il produit l’essentiel des richesses de la société.
Ainsi, non seulement le capitalisme a développé les forces productives permettant l’abondance, mais il a aussi créé la classe révolutionnaire qui sera son fossoyeur, la classe ouvrière.
Qu’est-ce qui pourrait décider l’humanité à vouloir passer du capitalisme au communisme ?
Une telle transformation ne sera pas le fait de l’humanité comme un tout, même si celle-ci est victime de l’actuel système et qu’elle a tout intérêt à son renversement. C’est la classe révolutionnaire qui est le moteur de la révolution.
C’est en fait la nécessité qui constitue la base du changement révolutionnaire. Comme toutes les sociétés d’exploitation qui l’ont précédé, le capitalisme sera amené à périr de ses contradictions insurmontables s’il n’est pas remplacé par un autre système issu du dépassement des contradictions en question. Pour faire synthétique, ce système produit, non pas pour la satisfaction des besoins humains, mais pour le profit. Si bien que les richesses matérielles qu’il accumule à un pôle de la société fondent la possibilité de l’abondance pour tous. Le problème est que, dans le même temps, un tel phénomène s’accompagne d’un dénuement croissant imposé à une majorité toujours plus large. La classe ouvrière est ainsi poussée à se rebeller contre la condition qui lui est faite, avec en perspective la transformation de la société.
Ainsi donc, la révolution prolétarienne n’est pas le produit d’un impératif moral, mais de la nécessité, même s’il ne manque pas de bonnes raisons morales et humaines pour en finir avec ce système.
L’étape actuelle de la crise (qui sévit en fait depuis la fin de années 1960) constitue une illustration criante du caractère insurmontable des contradictions capitalistes.
La transformation communiste est-elle possible dans un pays, voire un ensemble de pays ?
Contrairement au capitalisme, le socialisme ne peut se développer progressivement d’un pays à l’autre. Il ne peut exister qu’à l’échelle du monde entier en mettant en œuvre l’ensemble des forces productives et des réseaux de circulation des biens crées par le capitalisme. C’est donc à cette échelle que la révolution prolétarienne doit intervenir pour permettre la transformation socialiste. Le pouvoir du prolétariat isolé dans un pays, ou même un ensemble de pays, continue à subir pleinement les lois du capitalisme, quelles que soient les mesures qu’il prenne.
Pourquoi le prolétariat ne ferait-il pas comme les classes révolutionnaires précédentes : devenir exploiteur à son tour ?
Les autres classes révolutionnaires du passé ne sont pas devenues exploiteuses après avoir pris le pouvoir. Elles l’étaient déjà avant.
C’est à la classe révolutionnaire qu’il revient de renverser l’ancienne société, c’est à elle aussi qu’il échoit de diriger la transformation révolutionnaire en vue de construire la nouvelle. Cette classe révolutionnaire, à la différence de toutes les autres classes révolutionnaires du passé, est également, pour la première fois dans l’histoire, la classe exploitée. En abolissant son exploitation, elle abolit toute exploitation. Ainsi, elle n’a pas pour vocation de s’émanciper seulement elle même mais d’émanciper l’humanité tout entière.
N’y a-t-il pas un risque de voir la prochaine révolution suivre la même cours que la révolution russe, à savoir la dégénérescence ?
Il n’existe aucune fatalité garantissant que la révolution puisse avoir lieu, qu’elle soit victorieuse, et ensuite que la transformation des rapports sociaux vers le communisme soit menée à son terme.
Si la révolution en Russie a dégénéré, ce n’est pas tant à cause de ses erreurs que de l’isolement international dans lequel elle s’est trouvée, avec le reflux et l’échec de la vague révolutionnaire mondiale dont elle avait été le produit. Non seulement la construction du socialisme est impossible dans un seul pays, mais même le pouvoir du prolétariat ne peut se maintenir longtemps en restant isolé dans un seul pays. Dans de telles conditions, il ne peut que tendre à dégénérer. En effet, s’il existe c’est pour assumer une fonction bien précise : étendre la révolution à l’échelle mondiale et entreprendre la transformation des rapports sociaux de production. Si ces objectifs ne sont pas réalisables, à cause d’un rapport de force défavorable à l’échelle internationale, alors ce pouvoir est soumis de façon croissante à la pression du capitalisme mondial : offensives militaires et diplomatiques pour l’asphyxier ; concurrence économique mondiale ; etc. C’est ce qui s’est passé dans la Russie des soviets.
Le fait de détenir le pouvoir n’est-il pas déjà corrupteur en soi, constituant ainsi le plus grand facteur de dégénérescence ?
Le pouvoir politique du prolétariat à l’échelle mondiale est exercé à travers son organisation mondiale en conseils ouvriers. Cette forme d’organisation, qui a vu le jour spontanément pour la première fois en Russie en 1905, est la seule forme d’organisation permettant à la classe ouvrière de penser et d’agir comme un tout uni, et cela malgré la très grande hétérogénéité pouvant exister en son sein. Sa force repose sur deux caractéristiques essentielles :
– les assemblées de base sont un lieu permanent de discussions où participe l’ensemble de la classe ouvrière ;
– elles élisent des délégués révocables, donnant ainsi naissance à des assemblées de délégués fonctionnant sur les mêmes principes que les assemblées de base et qui, à leur tour, élisent d’autres délégués. C’est ainsi que le mouvement se centralise permettant que les décisions, qui sont prises aux différents nivaux de centralisation, soient réellement l’expression de la classe ouvrière en mouvement.
C’est la seule forme d’organisation capable de prendre en compte l’évolution rapide de la conscience au sein de la classe ouvrière qui caractérise les phases révolutionnaires ou pré-révolutionnaires.
C’est cela la forme d’organisation de la dictature du prolétariat, après la prise du pouvoir.
De plus, le but du pouvoir prolétarien étant de diriger la transformation révolutionnaire en vue de construire une société sans classes sociales, sans Etat, sans pouvoir politique sur la société, il crée les bases de sa propre disparition. Il est d’ailleurs le seul pouvoir politique ayant jamais existé dans l’histoire qui ne vise pas à sa propre perpétuation.
Néanmoins, rien de ce qui précède ne constitue une garantie contre la dégénérescence, celle-ci survenant comme résultat obligé d’un recul durable de la révolution à l’échelle mondiale.
La révolution ne risque-t-elle pas de provoquer un bain de sang ?
Si la révolution n’a pas lieu ou ne triomphe pas, ce n’est pas un simple bain de sang qui est devant nous, mais des milliers de bains de sang. En fait, l’incapacité du prolétariat à renverser ce système fera que la situation actuelle de crise historique du capitalisme, s’exprime par des guerres encore plus meurtrières, par une détérioration aggravée de l’environnement, et par une explosion et une généralisation de la misère sous toutes ses formes, tout cela rendant la vie sur terre un véritable enfer, voire même une impossibilité.
La révolution étant destinée à briser la dictature de classe de la bourgeoisie, elle sera nécessairement violente, mais ce sera une violence libératrice, en vue de permettre l’avènement d’un monde débarrassé de la barbarie. Lors de la révolution russe, le nombre de victimes qui a résulté de l’insurrection d’octobre 1917 a été dérisoire comparé au nombre de morts quotidiens de la Première Guerre mondiale, de la réaction blanche organisée par le capitalisme mondial contre la révolution russe ou encore de la répression de la contre-révolution stalinienne. De plus, c’est la première vague révolutionnaire mondiale, et en particulier la révolution en Allemagne, qui a contraint la bourgeoisie à mettre un terme à la première boucherie mondiale, dans la mesure où sa continuation constituait un terreau fertile à la radicalisation des masses et donc à la révolution.
Par ailleurs, pour diaboliser la révolution, la bourgeoisie utilise souvent comme épouvantail des évènements qui n’ont rien à voir avec celle-ci mais qui, au contraire, sont directement des expressions de l’action de fractions de la bourgeoisie : la contre-révolution stalinienne, la prétendue révolution maoïste, l’action de Pol Pot de Cambodge, etc.
La révolution est-elle vraiment possible ?
Oui. Et ce n’est pas la défaite de la première tentative révolutionnaire mondiale qui est de nature à prouver le contraire.
En effet, le bastion prolétarien russe était l’expression le plus avancée d’une vague révolutionnaire mondiale. Etait également impliquée dans cette vague mondiale, rien de moins que le prolétariat allemand, la fraction la plus avancée du prolétariat mondial, et qui pendant trois années a mené une lutte sans merci contre la bourgeoisie.
Malheureusement il a été défait, sa défaite signifiant celle de la vague révolutionnaire mondiale et la dégénérescence de la révolution russe. Inversement, une victoire de la révolution en Allemagne ouvrait la possibilité de l’extension de la révolution en Europe centrale et, ensuite, en Europe occidentale et dans le monde.
En fait, pour conclure avec la question posée, ce dont il s’agit n’est pas de savoir si la révolution est possible mais de se rendre compte que continuer ainsi sans la révolution est une impossibilité réelle. La seule alternative est bien Socialisme ou barbarie.
CCI, septembre 2010