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Le but de cet article est d'introduire la nouvelle édition en anglais de notre brochure sur la gauche du Parti communiste turc (Türkiye Komünist Partisi, TKP) qui sera publiée intégralement dans les prochains numéros de la Revue internationale. La première édition a été publiée en 2008 par le groupe turc Enternasyonalist Komünist Sol (Gauche communiste internationaliste, EKS) qui, à l'époque, avait déjà adopté les positions de base du CCI comme principes et avait commencé à discuter la plateforme du CCI. En 2009, EKS a rejoint le CCI pour former la section de notre organisation en Turquie, publiant Dünya Devrimi (Révolution mondiale).
La nouvelle édition de la traduction en anglais fait suite à la publication d'une nouvelle édition en turc dans laquelle certains aspects de la brochure originale ont été clarifiés par de plus nombreuses références au matériel turc d'origine. Elle comprend également un appendice (publié pour la première fois en turc moderne et en anglais) : la déclaration de fondation du TKP à Ankara en 1920.
Le corps de la brochure présente toujours une certaine difficulté pour le lecteur non turc du fait qu'il fait référence à des événements historiques, bien connus de n'importe quel écolier turc mais très peu sinon pas du tout en dehors de la Turquie. Plutôt que d'alourdir le corps du texte avec des explications qui ne sont pas nécessaires pour le lecteur turc, nous avons choisi d'ajouter quelques notes explicatives dans la version anglaise et de présenter, dans cet article, un bref survol du contexte historique global qui, nous l'espérons, facilitera la lecture sur cette période complexe. 1
Ce survol historique sera lui-même divisé en deux parties : dans la première, nous nous centrerons sur les événements qui ont mené à la création de l'Etat turc et à la formation du TKP ; dans la seconde, nous examinerons les débats qui ont eu lieu autour des fondements théoriques de la politique de l'Internationale communiste envers les mouvements nationaux à l'Est, en particulier tels qu'ils s'expriment dans l'adoption des "Thèses sur la question nationale" au Deuxième Congrès de l'Internationale.
La chute de l'Empire ottoman
La République turque fondée par Mustapha Kemal Atatürk dans les années qui ont suivi la Première Guerre mondiale est née sur les ruines de l'Empire ottoman. 2 L'Empire (également connu sous le nom de La Sublime Porte) n'était pas un Etat national mais le résultat d'une série de conquêtes dynastiques qui – au moment de sa plus grande extension au début du 17e siècle – s'étendait jusqu'à Alger sur la côte nord-africaine, comprenait l'Irak, la Syrie, la Jordanie, Israël et le Liban actuels et la plus grande partie de la côte de l'Arabie saoudite, y inclus les villes saintes de La Mecque et de Médine ; sur le continent européen, les Ottomans conquirent la Grèce, les Balkans et la plus grande partie de la Hongrie. Depuis le règne de Selim Le Magnifique au début du 16e siècle, le sultan avait toujours endossé le titre de calife, c'est-à-dire de chef de tout l'Ummah – la communauté islamique. Pour autant qu'une analogie puisse être faite avec l'histoire européenne, les sultans ottomans combinaient donc les attributs temporels et spirituels de l'empereur romain et du pape.
Mais au début du 19e siècle, l'Empire ottoman fut soumis à la pression croissante de l'expansionnisme des Etats capitalistes européens modernes, menant à sa désintégration graduelle. L'Egypte s'en sépara de facto après son invasion par Napoléon en 1798 qui en fut chassé par une alliance des troupes britanniques avec les forces locales ; elle devint un protectorat britannique en 1882. Les troupes françaises conquirent l'Algérie au cours d'une série de conflits sanglants entre 1830 et 1872, tandis que la Tunisie devenait en 1881 un protectorat français. La Grèce gagna son indépendance en 1830 après une guerre menée avec l'aide de la Grande-Bretagne, de la France et de la Russie. Ce processus de désintégration se poursuivit jusqu'au début du 20e siècle. En 1908, la Bulgarie déclara son indépendance et l'Autriche-Hongrie officialisa l'annexion de la Bosnie ; en 1911, l'Italie envahit la Libye tandis qu'en 1912, l'armée ottomane était sérieusement bousculée par la Bulgarie, la Serbie et la Grèce au cours de la Première Guerre des Balkans. En réalité, la survie de la Sublime Porte était due, en partie, aux rivalités des puissances européennes dont aucune ne voulait permettre à ses rivaux de profiter de l'effondrement de l'Empire ottoman à ses dépens. Aussi la France et la Grande-Bretagne qui, comme on l'a vu, étaient parfaitement capables de dépouiller l'Empire dans leur intérêt propre, s'unirent pour le protéger des avancées de la Russie au cours de la Guerre de Crimée de 1853-56.
Sur le plan interne, l'Empire ottoman était une mosaïque d'unités ethniques dont la seule cohésion provenait du Sultanat et de l'Etat ottoman lui-même. Le Califat s'appliquait de façon limitée puisque l'Empire comprenait d'importantes populations juives et chrétiennes, sans mentionner toute une variété de sectes musulmanes. Même en Anatolie – la région qui correspond en gros à la Turquie moderne – il n'y avait pas d'unité nationale ou ethnique. La majorité de la population turque, en grande partie composée de paysans travaillant dans des conditions extrêmement arriérées, vivait côte-à-côte avec des Arméniens, des Kurdes, des Azéris, des Grecs et des Juifs. De plus, même si une sorte de capital turc existait, la vaste majorité de la bourgeoisie industrielle et commerçante montante n'était pas turque mais arménienne, juive et grecque, et les autres principaux acteurs économiques relevaient du capital étranger, français ou allemand. La situation en Turquie était ainsi comparable à celle de l'Empire tsariste où un appareil d'Etat despotique et dépassé chapeautait une société civile qui, malgré tous ses aspects arriérés, était néanmoins intégrée dans l'ensemble du capitalisme mondial. Mais, à la différence de la Russie, l'appareil d'Etat ottoman n'était pas basé sur une bourgeoisie nationale dominante économiquement.
Bien que le Sultanat ait fait quelques tentatives de réformes, les expériences de démocratie parlementaire limitée furent de courte durée. Des résultats plus concrets provinrent de la collaboration avec l'Allemagne pour la construction de lignes de chemin de fer reliant l'Anatolie à Bagdad et Al-Hejaz (La Mecque et Médine) ; celles-ci avaient une importance particulière aux yeux de la Grande-Bretagne au cours des années qui précédaient la guerre puisqu'elles pouvaient permettre à l'Empire ottoman et à l'Allemagne de constituer une menace pour les champs de pétrole perses (critiques pour l'approvisionnement de la flotte britannique) d'une part et, de l'autre, envers l'Egypte et le canal de Suez (l’artère du commerce avec l'Inde). La Grande-Bretagne n'était pas non plus enthousiaste face à la demande du Sultan que des officiers allemands entraînent l'armée ottomane à la stratégie et à la tactique modernes.
Pour la jeune génération de révolutionnaires nationalistes qui allaient former le mouvement des "Jeunes Turcs", il était évident que le Sultanat était incapable de répondre à la pression imposée par les puissances impérialistes étrangères, et de construire un Etat moderne et industriel. Cependant le statut minoritaire (à la fois national et religieux) des classes industrielles et marchandes signifiait que le mouvement révolutionnaire national Jeune Turc qui fonda le "Comité d'Union et de Progrès" (CUP, en turc Ýttihat ve Terakki Cemiyeti) en 1906, était en grande partie composé non d'une classe industrielle montante mais d'officiers de l'armée et de fonctionnaires de l'Etat turc frustrés. Au cours de ses premières années, le CUP reçut aussi un soutien considérable de la part des minorités nationales (y compris du parti arménien Dashnak et de la population de Salonique qui se trouve aujourd'hui en Grèce) et, au début du moins, de la Fédération socialiste ouvrière de Avraam Benaroya. Bien que le CUP s'inspirât des idées de la Révolution française et de l'efficacité de l'organisation militaire allemande, il ne pouvait à proprement parler être considéré comme nationaliste puisque son but était de transformer et de renforcer l'Empire ottoman multiethnique. Ce faisant il entra inévitablement en conflit avec les mouvements nationalistes émergents dans les Etats des Balkans et avec la Grèce en particulier.
Le soutien au CUP grandit rapidement dans l'armée, au point que ses membres décidèrent, en 1908, de mener un putsch militaire qui réussit et força le Sultan Abdulhamit à faire appel à un parlement et à accepter des ministres du CUP dans son gouvernement qu'ils dominèrent rapidement. La base populaire du CUP était cependant si limitée qu'il fut rapidement éjecté du pouvoir et ne put rétablir son autorité qu'en occupant militairement la capitale Istanbul. Le Sultan Abdulhamit fut contraint d'abdiquer et fut remplacé par son jeune frère, Mehmet V. L'Empire ottoman, au moins en théorie, était devenu une monarchie constitutionnelle que les Jeunes Turcs espéraient convertir en un Etat capitalisme moderne. Mais le fiasco de la Guerre des Balkans (1912-1913) allait démontrer on ne peut plus clairement l'arriération de l'Empire ottoman par rapport aux puissances plus modernes.
La "révolution Jeune Turque", nom sous lequel on la connaît, établit donc le schéma pour la création de la république turque et aussi pour les Etats qui allaient émerger plus tard de l'effondrement des empires coloniaux : un Etat capitaliste mis en place par l'armée en tant que seule force de la société ayant une cohésion suffisante pour empêcher le pays d'exploser.
Ce serait fastidieux de rendre compte des mésaventures de l'Empire ottoman qui ont suivi son entrée dans la Première Guerre mondiale aux côtés de l'Allemagne. 3 Il suffit de dire qu'en 1919, l'Empire était vaincu et démantelé : ses possession arabes avaient été réparties entre la Grande-Bretagne et la France tandis que la capitale elle-même était occupée par les troupes alliées. La classe dominante grecque qui avait participé à la guerre aux côtés des Alliés, voyait maintenant une opportunité de réaliser la Megali Idea : une "Grande Grèce" qui incorporerait à l'Etat grec les parties de l'Anatolie qui avaient été grecques du temps d'Alexandre – essentiellement la côte de la mer Egée incluant le grand port d'Izmir et la partie côtière de la mer Noire connue sous le nom de Pontus. 4 Comme ces régions étaient largement peuplées par des Turcs, une telle politique ne pouvait être mise en oeuvre qu'au moyen de pogroms et de nettoyage ethnique. En mai 1919, avec le soutien tacite de la Grande-Bretagne, l'armée grecque occupa Izmir. Le gouvernement ottoman affaibli, entièrement dépendant de la bonne volonté, peu fiable et intéressée, de la Grande-Bretagne et de la France, fut incapable de résister. La résistance allait venir, non du Sultanat discrédité d'Istanbul, mais du plateau central d'Anatolie. C'est là que le "Kémalisme" entra dans l'histoire.
Pratiquement au moment où la Grèce occupait Izmir, Mustapha Kemal Pasha – connu dans l'histoire sous le nom de Kemal Atatürk – quitta Istanbul pour Samsun sur la côte de la Mer Noire ; en tant qu'inspecteur de la 9e armée, ses tâches officielles étaient de maintenir l'ordre et de superviser le démantèlement des armées ottomanes selon l'accord de cessez-le-feu établi avec les alliés. Son but véritable était de galvaniser la résistance nationale contre les puissances d'occupation et, dans les années qui suivirent, Mustapha Kemal allait devenir la figure dirigeante au sein du premier mouvement turc véritablement national qui mena à l'abolition du Sultanat et à la liquidation de l'Empire ottoman, à l'expulsion des armées grecques de l'Anatolie occidentale et à la création de la République turque actuelle en 1922.
La première Assemblée nationale turque se tint à Ankara en 1920. La même année, les événements en Russie commencèrent une nouvelle fois à jouer un rôle important dans l'histoire de la Turquie et réciproquement.
Les deux années qui avaient suivi la révolution d'Octobre avaient été tragiques pour le nouveau pouvoir révolutionnaire : l'Armée rouge avait dû repousser l'intervention directe des puissances capitalistes et mener une guerre civile sanglante contre les armées blanches de Koltchak en Sibérie, de Denikine sur le Don (la région nord-est de la mer Noire) et de Wrangel en Crimée. En 1920, la situation commençait à se stabiliser : des "républiques soviétiques" avaient été créées ou étaient sur le point de l'être à Tachkent, Bokhara, en Géorgie, en Azerbaïdjan et en Arménie. Les troupes britanniques avaient été forcées de quitter Bakou (au cœur de l'industrie pétrolière de la mer Caspienne et le seul centre réellement prolétarien de la région), mais constituaient une menace toujours présente en Perse en en Inde. Dans ces circonstances, la question nationale était d'une importance pressante et immédiate pour le pouvoir soviétique et pour le mouvement ouvrier dont la plus haute expression politique était l'Internationale communiste : les mouvements nationaux constituaient-ils une force de la réaction ou une aide potentielle pour le pouvoir révolutionnaire comme l'avaient été les paysans en Russie ? Comment le mouvement ouvrier devait-il se comporter dans des régions où les ouvriers étaient toujours une minorité ? Que pouvait-on attendre de mouvements comme la Grande Assemblée nationale à Ankara qui semblait au moins avoir en commun avec la Fédération socialiste russe des Républiques soviétiques le même ennemi sous la forme de l'impérialisme britannique et français ?
Le débat sur la question nationale
En 1920, ces questions furent au cœur des débats du Deuxième Congrès de l'IC qui adopta les "Thèses sur la question nationale" et au Premier Congrès des Peuples de l'Orient, connu sous le nom de Congrès de Bakou. Ces événements constituèrent, pour ainsi dire, le contexte théorique des événements en Turquie et c'est d'eux que nous nous occuperons maintenant.
En présentant les "Thèses sur la question nationale", Lénine déclara : "En premier lieu, quelle est l'idée essentielle, fondamentale de nos thèses ? La distinction entre les peuples opprimés et les peuples oppresseurs. (...) A l'époque de l'impérialisme, il est particulièrement important pour le prolétariat et l'Internationale communiste de constater les faits économiques concrets et, dans la solution de toutes les questions coloniales et nationales, de partir non de notions abstraites, mais des réalités concrètes." 5
L'insistance de Lénine sur le fait que la question nationale ne pouvait être comprise que dans le contexte de "l'époque de l'impérialisme " (ce que nous appellerions l'époque de la décadence du capitalisme) était partagée par tous les participants au débat qui suivit. Beaucoup ne partageaient pas, cependant, les conclusions de Lénine et tendaient à poser la question en termes similaires à ceux qu'avait utilisés Rosa Luxemburg 6: "A une époque d'impérialisme sans frein, il ne peut plus y avoir de guerres nationales. Les intérêts nationaux ne servent que comme moyens de tromperie, à mettre les masses au service de leur ennemi mortel, l'impérialisme.(...) Aucune nation opprimée ne peut gagner sa liberté et son indépendance des mains des Etats impérialistes. (...) Les petites nations dont les classes dominantes sont des appendices de leurs frères de classe des grandes puissances, ne sont que des pions dans le jeu impérialiste des grandes puissances et sont maltraitées pendant la guerre exactement comme les masses ouvrières, dans le seul but d'être sacrifiées sur l'autel des intérêts capitalistes après la guerre." 7
Quand nous étudions les débats sur la question nationale, nous voyons émerger trois positions.
La position de Lénine et les "Thèses sur la question nationale"
La position de Lénine était profondément influencée par la situation de la Russie soviétique sur l'arène mondiale : "...dans la situation internationale d'aujourd'hui, après la guerre impérialiste, les relations réciproques des peuples et tout le système politique mondial sont déterminés par la lutte d'un petit groupe de nations impérialistes contre le mouvement soviétique et les Etats soviétiques, à la tête desquels se trouve la Russie des Soviets. (...) Ce n'est qu'en partant de là que les questions politiques peuvent être posées et résolues d'une façon juste par les partis communistes, aussi bien des pays civilisés que des pays arriérés." 8
Parfois cette position allait jusqu'à rendre la révolution prolétarienne dangereusement dépendante de la révolution nationale en Orient : "La révolution socialiste ne se fera pas simplement, ni principalement, par la lutte du prolétariat de chaque pays contre sa propre bourgeoisie – non, ce sera la lutte de toutes les colonies et de tous les pays opprimés par l'impérialisme, de tous les pays dépendants, contre l'impérialisme." (Traduit de l'anglais par nous) 9
Le danger d'une telle position est précisément qu'elle tend à faire dépendre le mouvement ouvrier de n'importe quel pays et l'attitude de l'IC envers celui-ci non des intérêts de la classe ouvrière internationale et des rapports entre eux des ouvriers des différents pays, mais des intérêts étatique de la Russie soviétique.10 La question de savoir que faire quand les deux types d'intérêts entrent en conflit reste sans réponse. Pour prendre un exemple très concret, que devait être l'attitude des ouvriers et des communistes turcs dans la guerre entre le mouvement nationaliste de Mustapha Kemal et les forces d'occupation grecques ? Le défaitisme révolutionnaire adopté par l'aile gauche des partis communistes turc et grec, ou le soutien à la diplomatie et au militarisme de la Russie soviétique à l'Etat turc naissant avec le point de vue de vaincre la Grèce du fait qu'elle était une arme entre les mains de l'impérialisme britannique ?
La position de Manabendra Nath Roy
Au cours du Deuxième Congrès de l'IC, M.N. Roy 11 présenta des "Thèses complémentaires sur la question nationale" qui furent débattues en commission et présentées avec celles de Lénine pour adoption par le Congrès. Pour Roy, la poursuite de la survie du capitalisme dépendait des "superprofits" venant des colonies. "L'une des sources majeures dont le capitalisme européen tire sa force principale se trouve dans les possessions et dépendance coloniales. Sans le contrôle des marchés étendus et du vaste champ d'exploitation qui se trouvent dans les colonies, les puissances capitalistes d'Europe ne pourraient maintenir leur existence même pendant un temps très court. (...) Le surprofit obtenu par l'exploitation des colonies est le soutien principal du capitalisme contemporain, et aussi longtemps que celui-ci n'aura pas été privé de cette source de surprofit, ce ne sera pas facile à la classe ouvrière européenne de renverser l'ordre capitaliste." 12
Ceci amenait Roy à considérer que la révolution mondiale dépendait de la révolution des masses travailleuses d'Asie. "L'Orient s'éveille ; et qui sait si la formidable marée, celle qui balaiera la structure capitaliste d'Europe occidentale, ne viendra pas de là. Ce n'est pas une lubie fantaisiste, ni un rêve sentimental. Que le succès final de la révolution sociale en Europe dépende largement sinon totalement, d'un soulèvement simultané des masses laborieuses d'Orient est un fait qui peut être scientifiquement prouvé." 13. Cependant, du point de vue de Roy, la révolution en Asie ne dépendait pas d'une alliance du prolétariat avec la paysannerie. Il la considérait comme incompatible avec le soutien au mouvement nationaliste démocratique : "... le fait d'aider à renverser la domination étrangère dans les colonies ne signifie pas qu'on donne adhésion aux aspirations nationalistes de la bourgeoisie indigène ; il s'agit uniquement d'ouvrir la voie au prolétariat qui y est étouffé. (...) On peut constater l'existence dans les pays dépendants de deux mouvements qui chaque jour se séparent de plus en plus. Le premier est le mouvement nationaliste bourgeois-démocratique, qui a un programme d'indépendance politique sous un ordre bourgeois ; l'autre est celui de l'action de masse des paysans et des ouvriers pauvres et ignorants luttant pour leur émancipation de toute espèce d'exploitation". 14 Les objections de Roy amenèrent à retirer du projet de Thèses de Lénine l'idée de soutien aux mouvements "démocratiques bourgeois" et à la remplacer pas le soutien aux mouvements "nationaux révolutionnaires". Le problème réside cependant en ce que la distinction entre les deux restait extrêmement confuse dans la pratique. Qu'est-ce qu'était exactement un mouvement "national révolutionnaire" qui n'était pas également "démocratique bourgeois" ? De quelle façon était-il "révolutionnaire" et comment les caractéristiques d'un tel mouvement "national" pouvaient-elles se réconcilier avec la revendication d'une révolution prolétarienne internationale ? Ces questions ne furent jamais clarifiées par l'IC et leurs contradictions inhérentes ne furent pas résolues.
La position de Sultanzade
Il existait une troisième position, à gauche, dont l'un des porte-parole le plus clair était certainement Sultanzade 15, délégué du Parti communiste perse nouvellement créé. Sultanzade rejetait l'idée selon laquelle des révolutions nationales pouvaient se libérer de leur dépendance vis-à-vis de l'impérialisme ainsi que celle selon laquelle la révolution mondiale dépendait des événements en Orient : "... le destin du communisme à travers le monde dépend-il du succès de la révolution sociale en Orient, comme le camarade Roy vous l'assure ? Certainement pas. Beaucoup de camarades au Turkestan commettent cette erreur. (...) Supposons que la révolution communiste ait commencé en Inde. Les ouvriers de ce pays seraient-ils capables de résister à l'attaque de la bourgeoisie du monde entier sans l'aide d'un grand mouvement révolutionnaire en Angleterre et en Europe ? Evidemment non. L'extinction de la révolution en Chine et en Perse est un clair exemple de cela. (...) Si quelqu'un essayait de procéder selon les Thèses dans des pays qui ont déjà dix ans d'expérience ou plus (...) cela voudrait dire jeter les masses dans les bras de la contre-révolution. Notre tâche est de créer et maintenir un mouvement purement communiste en opposition au mouvement démocratique-bourgeois. Tout autre évaluation des faits pourrait mener à des résultats déplorables." 16
La voix de Sultanzade n'était pas isolée et des points de vue similaires étaient défendus ailleurs. Dans son rapport au Congrès de Bakou, Pavlovitch (qui, selon certaines sources 17, avait travaillé avec Sultanzade sur ce rapport) déclara que si "les séparatistes irlandais atteignaient leur but et réalisaient leur idéal d'un peuple irlandais indépendant, (...) le lendemain, l'Irlande indépendante tomberait sous le joug du capital américain ou de la Bourse française et, peut-être, d'ici un ou deux ans, l'Irlande combattrait la Grande-Bretagne ou un autre Etat en s'étant alliée avec l'un des prédateurs de ce monde à la poursuite de marchés, de mines de charbon, de parts de territoires en Afrique et, une nouvelle fois, des centaines de milliers d'ouvriers britanniques, irlandais, américains et autres mourraient dans cette guerre. (...) L'exemple (...) de la Pologne bourgeoise qui se conduit maintenant comme le bourreau des minorités nationales vivant sur son territoire et sert de gendarme au capitalisme international dans sa lutte contre les ouvriers et les paysans russes ; ou l'exemple des Etats des Balkans - la Bulgarie, la Serbie, le Monténégro, la Grèce – qui se disputent les dépouilles des nations qui étaient hier encore sous le joug turc et veulent chacun les annexer ; et beaucoup d'autres faits du même genre montrent que la formation des Etats nationaux en Orient où le pouvoir est passé des mains de la domination étrangère qui a été chassée à celles des capitalistes et des propriétaires locaux ne constitue pas en elle-même un grand pas en avant pour ce qui est de l'amélioration de la position des masses du peuple. Dans le cadre du système capitaliste, tout Etat nouvellement formé qui n'exprime pas les intérêts des masses travailleurs mais sert les intérêts de la bourgeoisie constitue un nouvel instrument d'oppression et de coercition, un nouveau facteur de guerre et de violence. (... ) Si la lutte en Perse, en Inde et en Turquie devait mener simplement à la venue au pouvoir des capitalistes et des propriétaires terriens de ces pays avec leurs parlements et leurs sénats nationaux, les masses du peuple n'y auront rien gagné. Tout Etat nouvellement formé serait rapidement entraîné, par le cours même des événements et la logique inéluctable des lois de l'économie capitaliste, dans le cercle vicieux du militarisme et de la politique impérialiste et, après quelques décennies, il y aurait une nouvelle guerre mondiale (...) dans l'intérêt des banquiers et des patrons français, allemands, britanniques, indiens, chinois, perses et turcs (...) Seule la dictature du prolétariat et, de façon générale, des masses ouvrières, libérées de l'oppression étrangère et ayant renversé complètement le capital, apportera aux pays arriérés une garantie que des pays ne deviendront pas – comme c'est le cas des Etats qui se sont formés à partir des fragments de l'Empire austro-hongrois et de la Russie tsariste : la Pologne, la Hongrie blanche, la Tchécoslovaquie, la Géorgie, l'Arménie, ou de ceux formés des fragments de la Turquie, la Grèce de Venizelos et le reste – un nouvel instrument de guerre, de pillage et de coercition." Grigori Safarov (qui allait jouer un rôle important dans le développement du Parti communiste turc) posa le problème plus clairement dans son Problemy Vostoka : "(...) il faut souligner que seul le développement de la révolution en Europe rend la victoire de la révolution agraire paysanne en Orient possible. (...) le système impérialiste des Etats n'offre pas de place à des républiques paysannes. Un nombre insignifiant de cadres de prolétaires et semi-prolétaires ruraux locaux peut entraîner avec eux de larges masses paysannes dans la bataille contre l'impérialisme et les éléments féodaux, mais ceci requiert une situation révolutionnaire internationale qui leur permette de s'allier au prolétariat des pays avancés." 18
Il est sûr que le rapport de Pavlovitch que nous venons de citer n'est pas un modèle de clarté et contient un nombre d'idées contradictoires 19. A un autre endroit du rapport par exemple, il se réfère à "la Turquie révolutionnaire" ("L'occupation de la Thrace et d'Adrianople a pour but d'isoler la Turquie révolutionnaire et la Russie des Balkans révolutionnaires."). Il va même jusqu'à reprendre une suggestion des "camarades turcs" (probablement le groupe autour de Mustafa Suphi) selon qui "la question des Dardanelles doit être décidée par les Etats qui bordent la mer Noire, sans la participation de Wrangel 20, ni de l'Entente", et continue en disant : "Nous saluons chaleureusement cette idée dont la réalisation constituerait une première étape décisive vers une fédération de tous les peuples et de tous les pays qui bordent la mer Noire." (op. cité) Cela montre que les révolutionnaires de l'époque étaient confrontés, dans la pratique et dans des conditions extrêmement difficiles, à des problèmes nouveaux qui n'avaient pas de solution facile. Dans une telle situation, une certaine confusion était probablement inévitable.
Remarquons au passage cependant, que ces positions "de gauche" n'étaient pas mises en avant par des intellectuels occidentaux ni des révolutionnaires en chambre mais, précisément, par ceux qui devaient mettre en pratique la politique de l'IC.
La question nationale dans la pratique
Il faut souligner que les positions que nous avons fait ressortir ici de façon plutôt schématique n'existaient pas comme un seul bloc. L'IC était confrontée à des questions et à des problèmes qui étaient entièrement nouveaux : le capitalisme dans son ensemble était encore à un tournant, un moment charnière entre sa période d'ascendance triomphale et "l'époque des guerres et des révolutions" (pour utiliser l'expression de l'IC) ; l'opposition entre la bourgeoisie et le prolétariat trouvait son expression dans une opposition entre le pouvoir soviétique et les Etats capitalistes ; et les communistes d'Orient devaient "s'adapter à des conditions spécifiques que n'avaient pas connues les pays européens." 21
Il faut dire que face à ces nouvelles questions, les dirigeants de l'IC faisaient parfois preuve d'une naïveté surprenante. Voici ce que déclare Zinoviev au Congrès de Bakou : "Nous pouvons soutenir une politique démocratique telle qu'elle prend forme actuellement en Turquie et qui fera peut-être son apparition demain dans d'autres pays. Nous soutenons et nous soutiendrons les mouvements nationaux comme celui de Turquie, de Perse, d'Inde et de Chine (...), la tâche de ce mouvement (national actuel) est d'aider l'Orient à se libérer de l'impérialisme britannique. Mais nous avons notre propre tâche à mener, non moins grande – aider les travailleurs d'Orient dans leur lutte contre les riches et les aider, ici et maintenant, à construire leurs propres organisations communistes, (...) à les préparer à une réelle révolution du travail." 22 Zinoviev ne faisait rien d'autre que reprendre le Rapport de Lénine sur la question nationale au 2e Congrès de l'IC : "en tant que communistes, nous ne soutiendrons les mouvements bourgeois de libération dans les pays coloniaux que si ces mouvements sont vraiment révolutionnaires et si leurs représentants ne s'opposent pas à l'entraînement et l'organisation de la paysannerie d'une façon révolutionnaire." (op. cité)
En effet, la politique défendue par Zinoviev – et qu'au début, le pouvoir soviétique allait chercher à mettre en pratique – s'appuyait sur l'idée que les mouvements nationaux accepteraient le pouvoir soviétique comme allié tout en permettant que les communistes aient les mains libres pour les renverser. Mais les dirigeants nationalistes comme Mustapha Kemal n'étaient ni idiots ni aveugles vis-àvis de leurs intérêts propres. Kemal – pour prendre l'exemple turc – était prêt à laisser les communistes s'organiser tant qu'il avait besoin du soutien de la Russie soviétique contre la Grèce et la Grande-Bretagne. La détermination de Kemal à maintenir sous contrôle l'enthousiasme populaire pour le communisme – qui existait certainement et gagnait du terrain, même si c'était de façon confuse – amena même à la création bizarre d'un parti communiste "officiel" dont le comité central comprenait les généraux dirigeants de l'armée ! Ce PC était parfaitement clair (en fait bien plus clair que l'IC) sur la totale incompatibilité du nationalisme et du communisme. Comme l'écrivait l'organe du PC officiel", Anadoluda Yeni Gün : "Actuellement, le programme des idées communistes est non seulement nocif, mais il est même ruineux pour notre pays. Quand un ouvrier réalise qu'il ne doit pas y avoir de patrie, il n'ira pas la défendre ; en entendant qu'il ne doit pas y avoir de haine entre nations, il n'ira pas combattre les Grecs." 23 L'idéologue du Parti, Mahmud Esat Bozkurt, déclare sans ambiguïté : "Le communisme n'est pas un idéal, mais un moyen pour les Turcs. L'idéal pour les Turcs, c'est l'unité de la nation turque." 24
Bref, le pouvoir soviétique était un allié acceptable pour les nationalistes dans la mesure où il agissait non comme expression de l'internationalisme prolétarien, mais comme celle des intérêts nationaux russes.
Les conséquences de la politique de l'IC vis-à-vis de la Turquie ont été clairement exprimées dans les Mémoires d'Agis Stinas publiés en 1976 : "Le gouvernement russe et l'Internationale communiste avaient caractérisé la guerre menée par Kemal comme une guerre de libération nationale et l'avaient "en conséquence" jugée progressiste et, pour cette raison, soutenue politiquement, diplomatiquement et en lui envoyant des conseillers, des armes et de l'argent. Si l'on considère que Kemal combattait une invasion étrangère pour en libérer le sol turc, sa lutte avait un caractère de libération nationale. Mais était-elle pour autant progressiste ? Nous le croyions et le soutenions alors. Mais comment pourrions-nous aujourd'hui défendre la même thèse ? N'est progressiste à notre époque et ne peut être considéré comme progressiste que ce qui contribue à élever la conscience de classe des masses ouvrières, à développer leur capacité à lutter pour leur propre émancipation. En quoi la création de l'Etat turc moderne y a-t-il contribué ? Kemal (...) jeta les communistes turcs dans les geôles ou les pendit, puis tourna finalement le dos à la Russie, établissant des relations cordiales avec les impérialistes et se chargeant de protéger leurs intérêts. La politique juste, en accord avec les intérêts de la révolution prolétarienne, aurait été d'appeler les soldats grecs et turcs à fraterniser, et les masse populaires à lutter ensemble, sans se laisser arrêter par les différences nationales, raciales et religieuses, pour la république des conseils ouvriers et paysans en Asie mineure. Indépendamment de la politique de la Russie et des objectifs de Kemal, le devoir des communistes grecs était bien sûr la lutte intransigeante contre la guerre." 25 (nous soulignons).
L'importance de l'expérience de la gauche en Turquie ne réside pas dans son héritage théorique mais dans le fait que la lutte entre le nationalisme et le communisme à l'Est alla jusqu'au bout, non dans le débat mais sur le terrain, dans la lutte de classe. 26 Le combat de la gauche en Turquie contre l'opportunisme au sein du Parti et contre la répression de l'Etat kémaliste qui plongea les mains dans le sang des ouvriers dès sa naissance, met à nu de façon implacable les erreurs et les ambiguïtés des Thèses de l'IC sur la question nationale. La lutte de Manatov, Haçioglu et de leurs camarades appartient à l'héritage internationaliste du mouvement ouvrier.
Jens
1. Pour ce faire, nous nous sommes beaucoup appuyés sur la récente biographie de Kemal Atatürk par Andrew Mango, et sur l'Histoire de la révolution russe de EH Carr, en particulier le chapitre sur "L'auto-détermination dans la pratique" dans le volume intitulé La révolution bolchevique. Le lecteur de langue française peut consulter le long article critique publié dans Programme communiste n°100 (décembre 2009) qui, malgré l'inévitable aveuglement des bordiguistes sur la question nationale, contient des données historiques utiles.
2. Le fait que la Turquie n'existait pas en tant que telle durant la plus grande partie de la période traitée dans la brochure permet d'une certaine façon d'expliquer que la Préface originale de l'EKS décrive la Turquie comme "un obscur pays du Moyen-Orient" ; pour le reste, l'ignorance indubitable des affaires turques par la grande majorité du monde de langue anglaise justifie l'expression. Il est amusant de voir que Programme Communiste préfère l'attribuer aux "préjugés du citoyen d’une des «grandes puissances» qui dominent le monde" sur la base de la supposition absolument non fondée que cette Préface aurait été écrite par le CCI. Devons-nous en conclure que les propres préjugés du PCI le rendent incapable d'imaginer qu'une position internationaliste sans compromis puisse être adoptée par un membre de ce qu'il aime appeler "les peuples olivâtres" ?
3. Parmi tous les crimes perpétrés au cours de la Première Guerre mondiale, le massacre des Arméniens mérite une mention spéciale. De peur que la population arménienne chrétienne ne collabore avec la Russie, le gouvernement CUP et son Ministre de la Guerre, Enver Pasha, entreprit un programme de déportation massive et de massacres menant à l'extermination de centaines de milliers de civils.
4. Voir https://en.wikipedia.org/wiki/Megali_Idea
5. "Rapport de la commission nationale et coloniale", 2e Congrès de l'IC, 26 juillet 1920.
6. Dans la critique qu'il fait à la brochure d'EKS, Programme communiste cherche à opposer Lénine à Luxemburg et va jusqu'à dire que Luxemburg, sous le nom de "Junius", "avance... un programme national de défense de la patrie!". Il est vrai que Luxemburg comme la plupart de ses contemporains n'était pas toujours libérée d'ambiguïtés et de références démodées à la question nationale telle qu'elle avait été traitée au 19e siècle par Marx et Engels, et plus généralement par la Social-démocratie. Nous avons déjà signalé ces ambiguïtés dans la Revue internationale n°12 (1978) où nous avons défendu la critique que Lénine en avait faite dans son article sur la Brochure de Junius. Il est également juste qu'une analyse économique correcte ne mène pas automatiquement à une position politique correcte (pas plus qu'une analyse économique incorrecte n'invalide des positions politiques de principe correctes). Cependant, Programme communiste n'est malheureusement pas à la hauteur de Lénine quand il cite en les tronquant honteusement les textes de Rosa Luxemburg pour éviter que ses lecteurs puissent lire en quoi consistait le prétendu "programme national" de celle-ci : "Oui, les sociaux-démocrates doivent défendre leur pays lors des grandes crises historiques. Et la lourde faute du groupe social-démocrate du Reichstag est d'avoir solennellement proclamé dans sa déclaration du 4 août 1914 : « A l'heure du danger, nous ne laisserons pas notre patrie sans défense », et d'avoir, dans le même temps, renié ses paroles. Il a laissé la patrie sans défense à l'heure du plus grand danger. Car son premier devoir envers la patrie était à ce moment de lui montrer les dessous véritables de cette guerre impérialiste, de rompre le réseau de mensonges patriotiques et diplomatiques qui camouflait cet attentat contre la patrie ; de déclarer haut et clair que, dans cette guerre, la victoire et la défaite étaient également funestes pour le peuple allemand ; de résister jusqu'à la dernière extrémité à l'étranglement de la patrie au moyen de l'état de siège ; de proclamer la nécessité d'armer immédiatement le peuple et de le laisser décider lui-même la question de la guerre ou de la paix ; d'exiger avec la dernière énergie que la représentation populaire siège en permanence pendant toute la durée de la guerre pour assurer le contrôle vigilant de la représentation populaire sur le gouvernement et du peuple sur la représentation populaire ; d'exiger l'abolition immédiate de toutes les limitations des droits politiques, car seul un peuple libre peut défendre avec succès son pays ; d'opposer, enfin, au programme impérialiste de guerre - qui tend à la conservation de l'Autriche et de la Turquie, c'est-à-dire de la réaction en Europe et en Allemagne -, le vieux programme véritablement national des patriotes et des démocrates de 1848, le programme de Marx, Engels et Lassalle." (nous soulignons). https://www.marxists.org/francais/luxembur/junius/rljgf.html
7. Article "Ou – ou", 16 avril 1916, traduit de l'anglais par nous. Cela ne veut pas dire que les délégués qui faisaient écho à certaines positions de Luxemburg se soient considérés comme "luxemburgistes" car il n'est pas du tout évident qu'ils aient même connu les écrits de cette dernière.
8. ibid. note 6
9. Rapport de Lénine au Second Congrès des organisations communistes des peuples d'Orient, Novembre 1918, cité dans Le marxisme et l'Asie, Carrère d'Encausse et Schram.
10. Un exemple frappant de la domination des intérêts de l'Etat russe se rencontre dans l'attitude du pouvoir soviétique face au mouvement dans le Guilan (Perse). L'étude de ce mouvement dépasse le cadre de cet article mais les lecteurs intéressés peuvent trouver certaines informations dans l'étude de Vladimir Genis Les Bolcheviks au Guilan, publiée dans Les Cahiers du Monde russe, juillet – septembre 1999.
11. Manabendra Nath Roy (1887 – 1954). Né sous le nom de Narenra Nath Bhattacharya et connu sous celui de M. N. Roy, il était un révolutionnaire indien bengali, connu internationalement comme militant et théoricien politique. Il fonda le Parti communiste en Inde et au Mexique. Il commença son activité politique dans l'aile extrémiste du nationalisme indien mais évolua vers des positions communistes pendant un séjour à New York au cours de la Première Guerre mondiale. Il s'envola pour Mexico pour échapper à la surveillance des services secrets britanniques et y participa à la fondation du Parti communiste. Il fut invité à assister au Deuxième Congrès de l'IC et collabora avec Lénine dans la formulation des "Thèses sur la question nationale".
12. M.N. Roy, Discours au 2e Congrès de l'IC, juillet 1920.
13. Traduit de l'anglais par nous. M.N. Roy, The awakening of the East.
14. ibid. note 12
15. Sultanzade était en fait d'origine arménienne ; son vrai nom était Avetis Mikailian. Il est né en 1890 dans une famille de paysans pauvres de Marageh (au Nord-Ouest de la Perse). Il rejoignit les Bolcheviks en 1912, probablement à Saint Petersburg. Il travailla pour l'IC à Bakou et au Turkestan, et fut l'un des principaux organisateurs du Premier Congrès du Parti communiste perse à Anzali en juin 1920. Il assista au Deuxième Congrès de l'IC en tant que délégué du Parti perse. Il resta à gauche de l'Internationale et s'opposa aux "dirigeants nationalistes" de l'Est (tels que Kemal) ; il critiqua également très sévèrement les prétendus "experts" de l'IC sur l'Orient et la Perse. Il mourut dans les purges staliniennes entre 1936 et 1938. Voir l'étude de Cosroe Chaqeri sur Sultanzade dans Iranian Studies, printemps – été 1984.
16. Traduit de l'anglais par nous, The Second Congress of the Communist International, Vol.1 New Park
17. Voir Cosroe Chaqeri, op. cit. Dans les Cahiers du monde russe, 40/3, juillet-septembre 1999, Vladimir Genis mentionne un rapport rédigé par Pavlovitch et Sultanzade, à la demande de Lénine à la suite du 2e Congrès de l'IC, sur "Les objectifs du parti communiste en Perse". Le Rapport propose de mener une propagande massive "en vue de la liquidation complète de la propriété privée et du transfert des terres aux paysans" car "la classe des propriétaires ne peut être le support de la révolution, que ce soit dans le combat contre le shah ou, même, contre les Anglais."
18. Cité dans Le marxisme et l'Asie, Carrère d'Encausse et Schram
19. Mais il est significatif que Pavlovitch pose les questions en ces termes.
20. Wrangel était l'un des généraux des armées blanches dont les campagnes contre la révolution étaient financées par les grandes puissances – dans le cas de Wrangel, par la France en particulier.
21. Traduit de l'anglais par nous, Lénine cité dans Le marxisme et l'Asie, op. cit.
22. Traduit de l'anglais par nous.
23. Traduit de l'anglais par nous, cité par George S. Harris dans The origins of Communism in Turkey.
24. Ibid.
25. Mémoires, Editions La Brèche-PEC, 1990, chapitre 2 "Le réveil des masses populaires", page 42. Pour un résumé de la vie de Stinas, voir la Revue internationale n°72.
26. Comme l'écrit la brochure, "l'aile gauche du Parti communiste turc était formée autour de l'opposition au mouvement de libération nationale pour des raisons pratiques, du fait de ses terribles conséquences pour les ouvriers, ne leur apportant que des souffrances et la mort". Quand le groupe EKS a écrit la brochure, il était bien conscient – comme le CCI - que la gauche turque n'occupe pas la même place dans le développement théorique et organisationnel de la Gauche communiste que la Gauche italienne par exemple. C'est pourquoi la brochure s'intitule The left wing of the TKP ("l'aile gauche du PCT") et non The Turkish Communist Left ("la gauche communiste turque"). Apparemment, cette distinction n'est pas claire pour Programme communiste. Mais alors Programme communiste tend à traiter la Gauche communiste comme sa propriété personnelle et défend l'idée que seule la Gauche italienne "se situait, elle, sur la base du marxisme orthodoxe" (l'expression "marxisme orthodoxe" est elle-même une notion grotesque qui est totalement – osons le dire – non marxiste ). Programme communiste continue par de longs développements sur tous les différents courants, de droite et de gauche, dans "le jeune mouvement communiste" et nous informe savamment qu'ils pouvaient être "de droite" ou "de gauche" selon les changements de la politique de l'IC, citant la caractérisation de Bordiga par Zinoviev en 1924. Mais pourquoi ne mentionne-t-il pas la brochure de Lénine écrite contre "les communistes de gauche", spécifiquement en Italie, Allemagne, Hollande et Grande-Bretagne ? Contrairement à Programme communiste, Lénine n'avait aucune difficulté à voir qu'il y avait quelque chose de commun entre "les communistes de gauche" – même si nous ne partageons évidemment pas sa description du communisme de gauche comme une "maladie infantile".