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La série Que sont les conseils ouvriers ? se propose de répondre à la question en analysant l'expérience historique du prolétariat. Il ne s'agit pas d'élever les soviets au niveau d'un modèle infaillible qu’il s’agirait simplement de .copier ; nous cherchons à les comprendre tant dans leurs erreurs que dans leurs succès, pour armer les générations actuelles et futures à la lumière de cette compréhension.
Dans le premier article, nous avons vu comment ils naquirent avec la Révolution de 1905 en Russie 1, dans le deuxième comment ils furent la pièce maîtresse de la Révolution de Février 1917 et comment ils entrèrent dans une crise profonde en juin-juillet 1917 jusqu'à être pris en otage par la contre-révolution bourgeoise 2.
Dans ce troisième article, nous verrons comment ils furent reconquis par la masse des travailleurs et des soldats qui purent ainsi prendre le pouvoir en octobre 1917.
Après la défaite de juillet, la bourgeoisie se propose de détruire les soviets
Dans les processus naturels comme dans les processus sociaux, l'évolution ne se fait jamais linéairement mais bien à travers des contradictions, des convulsions, des contretemps dramatiques, des pas en arrière et des bonds en avant. Tout ceci est encore plus évident avec le prolétariat, classe qui, par définition est privée de la propriété des moyens de production et ne dispose d'aucun pouvoir économique. Sa lutte suit un processus convulsif et contradictoire, fait de reculs, de perte apparente de ce qui est qui paraissait acquis à jamais, de longs moments d’apathie et de découragement.
Après la Révolution de Février, les travailleurs et les soldats semblaient voler de succès en succès, le bolchevisme augmentait sans cesse son influence, les masses – surtout celles de la région de Petrograd – allaient vers la révolution. Celle-ci paraissait mûrir comme un fruit.
Toutefois, juillet mit en évidence ces moments de crise et d’hésitation typiques de la lutte prolétarienne. "Une défaite directe fut essuyée par les ouvriers et les soldats de Petrograd qui, dans leur élan en avant, s'étaient heurtés, d'un côté, au manque de clarté et aux contradictions de leurs propres desseins, d'autre part, à l'état arriéré de la province et du front" 3.
La bourgeoisie en profita pour engager une furieuse offensive : les bolcheviks furent calomniés comme agents de l'Allemagne" 4 et arrêtés en masse ; des bandes paramilitaires furent organisées qui les brutalisaient dans la rue, organisaient le boycott de leurs meetings, assaillaient leurs locaux et leurs imprimeries. Les redoutables Cent Noir tsaristes, les cercles monarchiques, les associations officielles reprirent le haut du pavé. La bourgeoisie – avec l’aval des diplomaties anglaise et française – aspirait à détruire les soviets et à implanter une dictature féroce 5.
La révolution entamée en février parvenait à un point où le spectre de la défaite devenait on ne peut plus présent : "Bien des gens crurent que la révolution était en somme arrivée à son point mort. En réalité, c'était la Révolution de Février qui avait tout donné d'elle jusqu'au fond. Cette crise intérieure de la conscience des masses, combinée avec la répression et la calomnie, mena à la perturbation et à des reculades, à des paniques en certains cas. Les adversaires s'enhardirent. Dans la masse elle-même monta à la surface tout ce qu'il y avait d'arriéré, d'inerte, de mécontent, à cause des commotions et des privations" 6.
Les bolcheviks impulsent la riposte des masses
Toutefois, en ce moment difficile, les bolcheviks surent être un bastion essentiel des forces prolétariennes. Poursuivis, calomniés, secoués par de violents débats dans leurs propres rangs et par la démission de bon nombre de militants, ils ne cédèrent pas ni ne tombèrent dans la débandade. Leurs efforts se concentrèrent à tirer les leçons de la défaite et en particulier la leçon essentielle : comment les soviets avaient-ils pu être pris en otage par la bourgeoisie et menacer de disparaître ?
De février à juillet s’était maintenue une situation de double pouvoir : les soviets d'une part et, de l’autre, le pouvoir de l'État bourgeois, qui n'avait pas été détruit et avait encore suffisamment d’atouts pour pouvoir se reconstituer pleinement. Les événements de juillet avaient fait exploser un équilibre impossible entre soviets et pouvoir d'État : "L'état-major général et le commandement supérieur de l'armée, consciemment ou à demi-consciemment, secondés par Kerenski que les socialistes-révolutionnaires, même les plus en vue, traitent maintenant de Cavaignac 7, se sont pratiquement emparés du pouvoir d'État et ont déclenché la répression contre les unités révolutionnaires du front. Ils ont commencé à désarmer les troupes et les ouvriers révolutionnaires de Petrograd et de Moscou, à étouffer et à mater le mouvement de Nijni Novgorod, à arrêter les bolcheviks et à fermer leurs journaux, non seulement sans décision des tribunaux, mais encore sans décret du gouvernement. (…) l'objet véritable de la dictature militaire qui règne aujourd'hui sur la Russie avec l'appui des cadets et des monarchistes : préparer la dissolution des Soviets" 8.
Lénine démontrait également comment les mencheviks et les SR "ont définitivement trahi la cause de la révolution en la livrant aux contre-révolutionnaires et en transformant leurs propres personnes, leurs partis et les Soviets en feuilles de vigne de la contre-révolution". (idem.).
Dans de telles conditions, "Tous les espoirs fondés sur le développement pacifique de la révolution russe se sont à jamais évanouis. La situation objective se présente ainsi : ou la victoire complète de la dictature militaire ou la victoire de l'insurrection armée des ouvriers (…) Le mot d'ordre "Tout le pouvoir aux Soviets" fut celui du développement pacifique de la révolution qui était possible en avril, mai, juin et jusqu'aux journées du 5 au 9 juillet" (idem).
Dans son livre Les Soviets en Russie, Anweiler 9 utilise ces analyses pour essayer de démontrer que "Ainsi se trouvait pour la première fois érigée en but, sous une forme à peine voilée, la dévolution exclusive du pouvoir aux bolcheviks, but jusqu'alors camouflé sous le mot d'ordre 'tout le pouvoir aux soviets'" 10.
Ici apparaît l'accusation désormais célèbre et maintes fois réitérée selon laquelle Lénine aurait "utilisé les soviets de façons tactique pour conquérir le pouvoir absolu". Une analyse de l'article que Lénine a écrit par la suite démontre toutefois que ses préoccupations étaient radicalement différentes de celles que lui attribue Anweiler : il cherchait comment sortir les soviets de la crise dans laquelle ils se débattaient, comment les tirer du mauvais pas qui conduisait à leur disparition.
Dans l'article "À propos des mots d’ordre", Lénine s’est prononcé sans équivoque : "Après l'expérience de juillet 1917, c'est précisément le prolétariat révolutionnaire qui doit prendre lui-même le pouvoir : hors de là, pas de victoire possible pour la révolution (…) Les Soviets pourront et devront faire leur apparition dans cette nouvelle révolution ; pas les Soviets d'aujourd'hui, pas ces organes d'entente avec la bourgeoisie, mais des organes de lutte révolutionnaire contre la bourgeoisie. Nous resterons, alors aussi, partisans d'un État bâti sur le type des Soviets, c'est certain. Il ne s'agit pas de disserter sur les Soviets en général, mais de combattre la contre-révolution actuelle et la trahison des Soviets actuels" 11. Plus précisément, il affirme : "Un nouveau cycle commence, où entrent les classes, les partis, les Soviets, non pas anciens, mais rénovés au feu des combats, aguerris, instruits, régénérés à travers la lutte" (idem).
Ces écrits de Lénine s’inscrivaient dans un débat orageux qui traversa les rangs du Parti bolchevique, et se cristallisa lors du VIe Congrès du Parti, qui se tint du 26 juillet au 3 août dans la clandestinité la plus rigoureuse et en l’absence de Lénine et de Trotsky, particulièrement recherchés par la police. Dans ce Congrès, trois positions s’exprimèrent : la première, désorientée par la défaite de juillet et par la dérive des soviets, préconisait ouvertement de "les négliger" (Staline, Molotov, Sokolnikov) ; la seconde plaidait pour maintenir tel quel l'ancien mot d'ordre "Tout le pouvoir aux soviets" ; la troisième préconisait de s’appuyer sur les organisations "de base" (conseils d'usines, soviets locaux, soviets de quartiers) pour reconstituer le pouvoir collectif des travailleurs.
A la mi-juillet, les masses commencent à récupérer
Cette dernière position tapait dans le mille. Dès la mi-juillet, les organisations soviétiques "de base" avaient entamé un combat pour la rénovation des soviets.
Dans le deuxième article de cette série, nous avons vu qu'autour des soviets, les masses s’étaient organisées dans un gigantesque réseau d'organisations soviétiques de tout type, qui exprimaient leur unité et leur force 12. Le sommet du réseau soviétique – les soviets des villes – ne flottait pas sur un océan de passivité des masses ; celles-ci, bien au contraire, exprimaient une intense vie collective concrétisée par des milliers d'assemblées, de conseils d’usines, de soviets de quartiers, d’assemblées interdistricts, de conférences, rencontres, meetings… Dans ses Mémoires, Soukhanov 13 nous donne une idée de l'atmosphère qui régnait lors de la Conférence des Conseils d’usine de Petrograd : " Le 30 mai s'ouvrit dans la salle Blanche une conférence des comités de fabrique et d'usine de la capitale et des environs. Cette conférence avait été préparée "à la base" ; son plan avait été mis au point dans les usines sans aucune participation des organismes officiels chargés des questions du travail, ni même des organes du Soviet. (…). La conférence était réellement représentative : des ouvriers venus de leurs établis participèrent en grand nombre et activement à ses travaux. Pendant deux jours, ce Parlement ouvrier discuta de la crise économique et de la débâcle dans le pays" 14
Même aux pires moments qui succédèrent aux journées de juillet, les masses purent conserver ces organisations, qui furent moins touchées par la crise que "les grands organes soviétiques" : le Soviet de Petrograd, le Congrès des soviets et son Comité exécutif, le CEC (Comité exécutif central).
Deux raisons concomitantes expliquent cette différence : d'abord, les organisations soviétiques "d’en bas" étaient directement convoquées sous la pression des masses qui, ressentant des problèmes ou des dangers, appelaient à la tenue d'une assemblée et parvenaient à la tenir en quelques heures. La situation des organes soviétiques "d’en haut" était très différente : "Mais ce qu'il [le Soviet] gagnait en matière de bon fonctionnement, il le perdait sur le plan du contact direct avec une partie considérable des masses. Quasi quotidiennes pendant ses premières semaines d'existence, les séances plénières du Soviet allaient s'espaçant et n'attiraient souvent qu'un nombre restreint de députés. L'Exécutif du soviet s'affranchissait à vue d'œil de la surveillance que les députés étaient censés exercer sur lui." 15
Deuxièmement, mencheviks et SR se concentrèrent dans le noyau bureaucratique des grands organes soviétiques. Soukhanov, décrit l'atmosphère d’intrigues et de manipulations qui émanait du Soviet de Pétrograd : "Le Présidium du Soviet, qui avait été à l'origine un organe de procédure intérieure, tendit à se substituer au Comité exécutif dans ses fonctions, et à le supplanter. En outre, il se renforça d'un organisme permanent et quelque peu occulte qui reçut le nom de "Chambre des Etoiles". On y retrouvait les membres du Présidium et une sorte de camarilla composée d'amis dévoués à Tchkhéidzé et à Tseretelli. Ce dernier, avec tout le déshonneur et toute l'indignité que cela comportait, devint l'un des responsables du dictatorialisme au sein du Soviet." 16
Par contre, les bolcheviks menaient une intervention active et quotidienne dans les organes soviétiques de base. Leur présence était très dynamique, ils étaient souvent les premiers à proposer des assemblées et des débats, l'adoption de résolutions capables de donner une expression à la volonté et à l'avancée des masses.
Le 15 juillet, une manifestation d’ouvriers des grandes usines de Petrograd se concentra devant le bâtiment du Soviet, dénonçant les calomnies contre les bolcheviks et exigeant la libération des prisonniers. Le 20 juillet, l'assemblée de l'usine d'armements de Sestroretsk demandait le règlement des salaires qui avaient été retenus aux ouvriers pour leur participation aux journées de juillet ; ils consacrèrent l’argent récupéré à financer la presse contre la guerre. Trotsky raconte comment, le 24 juillet, "une assemblée des ouvriers de vingt-sept entreprises du district de Peterhof vota une résolution protestant contre le gouvernement irresponsable et sa politique contre-révolutionnaire" 17
Trotsky souligne aussi que le 21 juillet arrivèrent à Petrograd des délégations de soldats du front. Ils étaient las des souffrances qu'ils y avaient vécues et de la répression que les officiers déchaînaient contre les éléments les plus en vue. Ils s’adressèrent au Comité exécutif du Soviet qui n’en fit pas le moindre cas. Plusieurs militants bolcheviques leur conseillèrent alors de prendre contact avec les usines et les régiments de soldats et de marins. L'accueil y fut radicalement différent : ils furent reçus comme des frères, écoutés, nourris et logés. "Dans une conférence que personne d'en haut n'avait convoquée, qui avait surgi d'en bas, il y eut, comme participants, des délégués de vingt-neuf régiments du front, de quatre-vingt-dix usines de Petrograd, de matelots de Kronstadt et des garnisons de la banlieue.
Au centre de la conférence se trouvaient des délégués venus des tranchées; parmi eux, il y avait aussi quelques jeunes officiers. Les ouvriers de Petrograd écoutaient les hommes du front avec avidité, tâchant de ne pas perdre un mot de ce qu'ils disaient. Ceux-ci racontaient comment l'offensive et ses conséquences dévoraient la révolution. D'obscurs soldats, qui n'étaient pas du tout des agitateurs, décrivaient dans des causeries simplistes le traintrain journalier de la vie du front. Ces détails étaient bouleversants, car ils montraient clairement la remontée de tout ce qui était le plus détesté dans le vieux régime", indique Trotsky qui ajoute ensuite : "Bien que, parmi les délégués du front, les socialistes-révolutionnaires fussent vraisemblablement en majorité, une violente résolution bolcheviste fut adoptée presque à l'unanimité : il n'y eut que quatre abstentions. La résolution adoptée ne restera pas lettre morte : une fois séparés, les délégués raconteront la vérité, diront comment ils ont été repoussés par les leaders conciliateurs et comment ils ont été reçus par les ouvriers" (idem).
Le soviet de Kronstadt – un des postes d'avant-garde de la révolution – se fit aussi entendre : "Le 20 juillet, un meeting sur la place de l'Ancre exige la remise du pouvoir aux soviets, l'envoi au front des Cosaques ainsi que des gendarmes et des sergents de ville, l'abolition de la peine de mort, l'admission à Tsarskoié-Sélo de délégués de Kronstadt pour vérifier si Nicolas II, dans sa détention, est suffisamment et rigoureusement surveillé, la dislocation des "Bataillons de la mort", la confiscation des journaux bourgeois, etc." (idem). À Moscou, les conseils d'usine avaient décidé de tenir des sessions communes avec les comités de régiment et, fin juillet, une Conférence de conseils d’usines à laquelle furent invités des délégués des soldats adopta une résolution de dénonciation du gouvernement et la revendication de "nouveaux soviets pour remplacer le gouvernement". Lors des élections, le premier août, six des dix conseils de quartier de Moscou avaient une majorité bolchevique.
Face aux augmentations de prix décidées par le Gouvernement et aux fermetures d'usines organisées par les patrons, grèves et manifestations massives commencèrent à proliférer. Y prenaient part des secteurs de la classe ouvrière jusqu'alors considérés comme "attardés" (papier, tanneries, caoutchouc, concierges, etc.).
Dans la section ouvrière du Soviet de Petrograd, Soukhanov rapporte un fait significatif : "La section ouvrière du Soviet créa un Présidium, qu'elle ne possédait pas auparavant, et ce Présidium se trouva composé de bolcheviks" 18.
En août se tint à Moscou une Conférence nationale dont l'objectif était, comme le dénonce Soukhanov, "d'étouffer l'opinion de "toute la démocratie" à l'aide de l'opinion de "tout le pays", libérant ainsi le gouvernement de "toute la nation" de la tutelle de toutes sortes d'organisations ouvrières, paysannes, zimmerwaldiennes, semi-allemandes, semi-juives, et autres groupes de voyous" 19.
Les travailleurs perçurent le danger et de nombreuses assemblées votèrent des motions proposant la grève générale. Le Soviet de Moscou les rejeta toutefois, par 364 votes contre 304, mais les soviets de quartier protestèrent contre cette décision, "les usines réclamèrent immédiatement de nouvelles élections au soviet de Moscou, qui s'était non seulement laissé distancer par les masses, mais était tombé dans un grave antagonisme avec elles. Dans le soviet de rayon de Zamoskvorietchie (faubourg de Moscou au sud de la Moscova), en accord avec les comités d'usine, on exigea que les députés qui avaient marché 'contre la volonté de la classe ouvrière' fussent remplacés, et cela par cent soixante-quinze voix contre quatre, devant dix-neuf abstentions !" 20 plus de 400 000 travailleurs entrèrent en grève, laquelle s’étendit à d'autres villes comme Kiev, Kostrava et Tsatarin.
La mobilisation et l’auto-organisation des masses fait échouer le coup de Kornilov
Ce que nous venons de rapporter ne constitue qu'un petit nombre de faits significatifs, pointe de l'iceberg d'un processus très vaste qui montre le tournant marqué par rapport aux attitudes qui avaient prédominé de février à juin, plus passives, encore marquée de beaucoup d'illusions et à la mobilisation qui était restée plus restreinte aux lieux de travail, aux quartiers ou à la ville :
– les assemblées unitaires de travailleurs et de soldats, ouvertes à des délégués paysans, prolifèrent. Les conférences de soviets de quartiers et d'usines invitent à leurs travaux des délégués des soldats et des marins ;
– la confiance croissante envers les bolcheviks : calomniés en juillet, l'indignation vis-à-3vis de la persécution dont ils furent victimes, alimente la reconnaissance toujours plus vaste de la validité de leurs analyses et de leurs mots d’ordre ;
– la multiplication de revendications exigeant la rénovation des soviets et la prise du pouvoir.
La bourgeoisie ressent que les succès obtenus en juillet risquent de partir en fumée. L'échec de la Conférence nationale de Moscou a été un coup dur. Les ambassades anglaise et française poussent à prendre des mesures "décisives". C’est dans ce contexte qu’apparaît le "plan" de coup militaire du général Kornilov 21. Soukhanov souligne que "Milioukov, Rodzianko et Kornilov, eux, comprirent ! Frappés de stupeur, ces vaillants héros de la révolution se mirent à préparer d'urgence, mais en secret, leur action. Pour donner le change, ils ameutèrent l'opinion contre une entreprise prochaine des bolcheviks" 22.
Nous ne pouvons pas ici faire une analyse de tous les détails de l'opération 23. L’important est que la mobilisation gigantesque des masses d’ouvriers et de soldats parvint à paralyser la machine militaire déchaînée. Et ce qui est remarquable, c’est que cette réponse eut lieu en développant un effort d'organisation qui donnera le coup de pouce définitif à la régénération des soviets et à leur marche vers la prise du pouvoir.
Dans la nuit du 27 août, le Soviet de Pétrograd proposa la formation d'un Comité militaire révolutionnaire pour organiser la défense de la capitale. La minorité bolchevique accepta la proposition mais ajouta qu'un tel organe "devait s'appuyer sur les masses des ouvriers et des soldats" 24. Au cours de la session suivante, les bolcheviks firent une nouvelle proposition, acceptée à contrecœur par la majorité menchevique, "le partage des armes dans les usines et les quartiers ouvriers" (idem.) chose qui, dès qu'elle fut annoncée, donna lieu à ce que "Dans les quartiers, d'après la presse ouvrière, se formèrent aussitôt "des files impressionnantes d'hommes désireux de faire partie de la Garde rouge". Des cours s'ouvrirent pour le maniement du fusil et le tir. En qualité de moniteurs, on fit venir des soldats expérimentés. Dès le 29, des compagnies (droujiny) se formèrent dans presque tous les quartiers. La Garde rouge se déclara prête à faire avancer immédiatement un effectif comptant quarante mille fusils (…) L'entreprise géante de Poutilov devient le centre de la résistance dans le district de Peterhof. On crée en hâte des droujiny de combat. Le travail dans l'usine marche et jour et nuit : on s'occupe du montage de nouveaux canons pour former des divisions prolétariennes d'artillerie". 25.
A Petrograd, "… les soviets de quartier se resserrèrent entre eux et décidèrent de déclarer la conférence interdistricts ouverte en permanence ; d'introduire leurs représentants dans l'état-major formé par le Comité exécutif ; de créer une milice ouvrière ; d'établir le contrôle des soviets de quartiers sur les commissaires du gouvernement ; d'organiser des équipes volantes pour l'arrestation des agitateurs contre-révolutionnaires" (idem.). Ces mesures "représentaient l'appropriation d'importantes fonctions, non seulement du gouvernement mais même du Soviet de Pétrograd (…) L'entrée des quartiers de Pétrograd dans l'arène de la lutte modifia du coup la direction et l’ampleur de celle-ci. De nouveau se découvrit, par l'expérience, l’inépuisable vitalité de l'organisation soviétique : paralysée d'en haut par la direction des conciliateurs, elle se ranimait, au moment critique, en bas, sous l'impulsion des masses" (idem. souligné par nous)
Cette généralisation de l'auto-l'organisation des masses s’étendit à tout le pays. Trotsky cite le cas de Helsingfors, où "l'assemblée générale de toutes les organisations soviétiques créa un Comité révolutionnaire qui délégua à la maison du général-gouverneur, à la Kommandantur, au contre-espionnage et à d'autres très importantes institutions ses commissaires. Dès lors, sans la signature de ces derniers, pas un ordre n'est valable. Les télégraphes et les téléphones sont pris sous contrôle" (idem), et il se passa un événement très significatif : "Le lendemain, au Comité, se présentent des Cosaques du rang, ils déclarent que tout le régiment est contre Kornilov. Des représentants des Cosaques sont pour la première fois introduits dans le Soviet" (idem).
Septembre 1917 : la rénovation totale des soviets
L’écrasement du coup de Kornilov provoqua une inversion spectaculaire du rapport de forces entre les classes : le Gouvernement provisoire de Kerenski avait été en-dessous de tout. Les masses furent les seuls protagonistes de ces événements, par dessus tout, à travers le renforcement et la revitalisation générale de leurs organes collectifs. La réponse à Kornilov fut "le départ d'une transformation radicale de toute la conjoncture, une revanche sur les Journées de Juillet. Le Soviet pouvait renaître !" 26
Le journal du parti cadet 27, Retch, ne se trompait pas quand il indiquait : "Dans les rues sont déjà présents des multitudes de travailleurs armés qui terrorisent les habitants pacifiques. Dans les soviets, les bolcheviks exigent énergiquement la liberté de leurs camarades emprisonnés. Tout le monde est convaincu qu'une fois terminé le mouvement du général Kornilov, les bolcheviks, rejetés par la majorité du Soviet, emploieront toute leur énergie à l’obliger à suivre, ne serait-ce que partiellement, leur programme". Retch se trompait toutefois sur une chose : ce ne furent pas les bolcheviks qui obligèrent le soviet à suivre leur programme, ce furent les masses qui obligèrent les soviets à adopter le programme bolchevique.
Les ouvriers avaient acquis une énorme confiance en eux-mêmes et ils voulaient l'appliquer à la rénovation totale des soviets. Ville après ville, soviet après soviet, dans un processus vertigineux, les vieilles majorités social-traîtres furent écartées et de nouveaux soviets à majorité bolchevique et autres groupements révolutionnaires (socialistes-révolutionnaires de gauche, mencheviks internationalistes, anarchistes) émergeaient après des débats et des votes massifs.
Soukhanov décrit ainsi l'état d'esprit des travailleurs et des soldats : "Poussés par l'instinct de classe et, dans une certaine mesure, la conscience de classe ; par l'influence idéologique organisée des bolcheviks ; las de la guerre et des charges qui en découlaient ; déçus par la stérilité de la révolution qui ne leur avait encore rien donné ; irrités contre les maîtres et les gouvernants qui jouissaient, eux, de toutes leurs aises ; désireux enfin d'user du pouvoir conquis, ils souhaitaient livrer une bataille décisive" 28.
Les épisodes de cette reconquête et de la rénovation des soviets sont légion. "Dans la nuit du 31 août au 1er septembre, toujours sous la présidence du même Tchkhéidzé, le Soviet vota pour le pouvoir des ouvriers et des paysans. Les membres de la base des factions conciliatrices soutinrent presque tous la résolution des bolcheviks. La motion concurrente de Tsérételli recueillit une quinzaine de voix. Le présidium conciliateur n'en croyait pas ses yeux. De droite, l'on exigea un vote nominal qui dura jusqu'à trois heures du matin. Pour ne point voter ouvertement contre leurs partis, bien des délégués sortirent. Et pourtant, malgré tous les moyens de pression, la résolution des bolcheviks obtint, après pointage, 279 voix contre 115. C'était un fait de grande importance. C'était le commencement de la fin. Le présidium, abasourdi, déclara qu'il déposait ses pouvoirs" 29.
Le 2 septembre, une Conférence de tous les soviets de Finlande adopte une résolution pour la remise du pouvoir aux soviets, par 700 voix pour, 13 contre et 36 abstentions. La Conférence régionale des soviets de toute la Sibérie approuve une résolution dans le même sens. Le Soviet de Moscou va également dans le même sens le 5 septembre, lors d’une session dramatique, où est approuvée une motion de défiance envers le Gouvernement provisoire et le Comité exécutif. "Le 8, la résolution des bolcheviks est adoptée au Soviet des députés ouvriers de Kiev par une majorité de 130 voix contre 66, bien que la fraction bolcheviste officielle ne comptât que 95 membres" (idem). Pour la première fois, le Soviet de députés paysans de la province de Petrograd choisit un bolchevik comme délégué.
Le moment culminant de ce processus a été la session historique du Soviet de Petrograd, le 9 septembre. D’innombrables réunions dans des usines, les quartiers et les régiments l'avaient préparée. Environ 1000 délégués allèrent à une réunion où le Bureau proposa d’annuler le vote du 31 août. Le vote exprima un résultat qui signifiait le rejet définitif de la politique des social-traîtres : 519 votes contre l’annulation et pour la prise du pouvoir par les soviets, 414 votes pour le présidium et 67 abstentions.
On pourrait penser, en regardant les choses de manière superficielle, que la rénovation des soviets n’a été qu’un simple changement de majorité, celle-ci passant des social-traîtres aux bolcheviks.
Il est certain – et nous le traiterons plus longuement dans le prochain article de cette série – que dans la classe ouvrière et, par conséquent, dans ses partis, pesait encore fortement une vision contaminée par le parlementarisme, selon laquelle la classe choisissait "des représentants qui agissaient en son nom", mais il est important de comprendre que là n’était pas l’essentiel de la rénovation des soviets.
1) La rénovation se construit sur l'énorme réseau de réunions des soviets de base (conseils d'usine, de quartiers, comités de régiment, réunions conjointes). Après le coup de Kornilov, ces réunions se multiplièrent à l'infini. Chaque session de soviet unifiait et donnait une expression décisive à une infinité de réunions préparatoires.
2) Cette auto-organisation des masses fut propulsée de manière consciente et active par les soviets renouvelés. Tandis que les soviets précédents s’autonomisaient et ne convoquaient que de rares sessions massives, les nouveaux convoquaient quotidiennement des sessions ouvertes. Alors que les anciens soviets craignaient et désapprouvaient même les assemblées dans les usines et les quartiers, les nouveaux les convoquaient continuellement. Autour de chaque débat significatif ou important, le soviet appelait à tenir des réunions "à la base" pour adopter une position. Face à la 4e coalition du Gouvernement provisoire (25 septembre) : "Outre la résolution du Soviet de Saint-Pétersbourg refusant de soutenir la nouvelle coalition, une vague de meetings déferla à travers les deux capitales et la province. Des centaines de milliers d'ouvriers et de soldats, protestant contre la formation du nouveau gouvernement bourgeois, s'engagèrent à mener contre lui une lutte résolue et exigèrent le pouvoir les Soviets." 30
3) La multiplication de congrès régionaux de soviets – qui parcourent comme une traînée de poudre tous les territoires russes depuis le milieu de septembre – s'avère spectaculaire. "Durant ces semaines se tiennent de nombreux congrès de soviets locaux et régionaux, dont la composition et le développement reflétaient l'atmosphère politique des masses. Le déroulement du Congrès de Conseils députés ouvriers, soldats et paysans à Moscou dans les premiers jours d'octobre fut significatif de la bolchevisation rapide. Alors qu'au début de la réunion la résolution présentée par les SR, qui s’opposait à la cession du pouvoir aux soviets, recueillait 159 votes contre 132, la fraction bolchevique obtenait trois jours plus tard, lors d’un autre vote, 116 votes contre 97. Dans d'autres congrès de conseils furent aussi acceptées les résolutions bolcheviques, qui exigeaient la prise du pouvoir par les soviets et la destitution du Gouvernement provisoire. A Ekaterinbourg, 120 délégués de 56 Conseils de l'Oural se réunirent le 13 octobre, 95 parmi eux étaient bolcheviks. A Saratov, le Congrès territorial de la région de la Volga rejeta une résolution menchevique-SR et adopta la résolution bolchevique" 31.
Mais il est important de préciser deux éléments qui nous paraissent fondamentaux.
Le premier est le fait que les résolutions bolcheviques obtiennent la majorité signifiait beaucoup plus qu'une simple délégation de vote à un parti. Le Parti bolchevique était le seul parti clairement partisan non seulement de la prise du pouvoir mais mettant en avant une façon concrète de le faire : une insurrection consciemment préparée qui renverserait le Gouvernement provisoire et démonterait le pouvoir de l'État. Tandis que les partis social-traîtres annonçaient qu'ils voulaient obliger les soviets à se faire hara-kiri, tandis que d'autres partis révolutionnaires faisaient des propositions irréalistes ou vagues, seuls les bolcheviks étaient convaincus que "… le Soviet de députés ouvriers et soldats ne peut être qu'un organisme insurrectionnel, qu'un organe du pouvoir révolutionnaire. Sinon les Soviets ne sont que de vains hochets qui conduisent infailliblement à l'apathie, à l'indifférence, au découragement des masses légitimement écoeurées par la répétition perpétuelle de résolutions et de protestations" 32
Il était donc naturel que les masses ouvrières accordent leur confiance aux bolcheviks, non pour leur donner un chèque en blanc, mais comme instrument de leur propre combat qui arrivait à son point culminant : l'insurrection et la prise du pouvoir.
"Le camp de la bourgeoisie s'alarma enfin avec raison. La crise était claire pour chacun. Le mouvement des masses, visiblement, débordait ; l'effervescence dans les quartiers ouvriers de Saint-Pétersburg était manifeste. On n'écoutait que les bolcheviks. Devant le fameux Cirque Moderne, où venaient parler Trotsky, Volodarski, Lounatcharski, on voyait des queues sans fin et des foules que le vaste bâtiment ne pouvait plus contenir. Les agitateurs invitaient à passer des discours aux actes et promettaient le pouvoir au Soviet pour le plus proche avenir." ; c'est ainsi que Soukhanov, pourtant adversaire des bolcheviks, décrivait l'atmosphère régnant à la mi-octobre 33.
Deuxièmement, les faits qui s'accumulent en septembre et octobre révèlent un changement important dans la mentalité des masses. Comme nous l'avons vu dans l'article précédent de la série, le mot d’ordre "Tout le pouvoir aux soviets", énoncé timidement en mars, argumenté théoriquement par Lénine en avril, massivement proclamé lors des manifestations de juin et juillet, avait été jusqu'alors davantage une aspiration qu'un programme d'action consciemment assumé.
Une des raisons de l'échec du mouvement de juillet était que la majorité réclamait que les Soviets "obligent" le Gouvernement provisoire à nommer des "ministres socialistes".
Cette division entre Soviet et Gouvernement révélait une incompréhension évidente de la tâche de la révolution prolétarienne, qui n'est certainement pas de "choisir son gouvernement" et de conserver par conséquent la structure du vieil État, mais bien de détruire l’appareil d'État et d’exercer le pouvoir directement. Dans la conscience des masses, bien que, comme nous le verrons dans un prochain article, la multitude de problèmes nouveaux et les confusions ait été considérable, se faisait jour une compréhension beaucoup plus concrète et précise du mot d’ordre "Tout le pouvoir aux soviets".
Trotsky montre comment, ayant perdu le contrôle du Soviet de Petrograd, les social-traîtres emportèrent tous les moyens à leur disposition, les concentrant dans leur dernier bastion : le CEC : "Le Comité exécutif central supprima en temps voulu au Soviet de Pétrograd les deux journaux qu'il avait créés, tous les services de direction, toutes les ressources financières et techniques, y compris les machines à écrire et les encriers. De nombreuses automobiles qui, depuis les Journées de Février, avaient été mises à la disposition du Soviet, se trouvèrent sans exception livrées à l'Olympe conciliateur. Les nouveaux dirigeants n'avaient ni caisse, ni journal, ni appareils de bureaux, ni moyen de transport, ni porte-plume, ni crayons. Rien que des murs dépouillés et l'ardente confiance des ouvriers et des soldats. Cela se trouva parfaitement suffisant" 34.
Le Comité militaire révolutionnaire, organe soviétique de l'insurrection
Début octobre, une marée de résolutions provenant de soviets du pays tout entier réclame la tenue du Congrès des soviets, reportée constamment par les social-traîtres, dans le but de matérialiser la prise du pouvoir.
Cette orientation constitue une réponse tant à la situation en Russie qu’à la situation internationale. En Russie, les révoltes de paysans se répandent dans presque toutes les régions, la prise des terres est généralisée ; dans les casernes, les soldats désertent et retournent dans leurs villages, manifestant une fatigue croissante face à une situation de guerre inextricable ; dans les usines, les travailleurs doivent faire face au sabotage de la production par une partie des chefs d'entreprise et des cadres supérieurs ; l’ensemble de la société est menacée par la famine, due au désapprovisionnement total et à la pénurie, au coût de la vie qui ne cesse de croître. Sur le front international se multipliaient les désertions, l'insubordination de troupes, les fraternisations entre soldats des deux bords, ;une vague de grèves balaye l’Allemagne, une grève générale explose en août 1917 en Espagne. Le prolétariat russe doit prendre le pouvoir non seulement pour répondre aux problèmes insolubles du pays mais, surtout, pour ouvrir une brèche par laquelle puisse se développer la révolution mondiale contre les souffrances terribles causées par trois années de guerre.
La bourgeoisie utilise ses armes contre la montée révolutionnaire des masses. En septembre, elle tente de tenir une conférence démocratique qui échoue à nouveau, comme celle de Moscou. De leur côté, les social-traîtres font tout leur possible pour retarder le Congrès des soviets, dans le but de maintenir dispersés et désorganisés les soviets de tout le pays et d'éviter ainsi leur unification pour la prise du pouvoir.
Mais l'arme la plus redoutable et qui se précise toujours plus est la tentative de saboter la défense de Petrograd pour que l'armée allemande écrase le bastion le plus avancé de la révolution. Kornilov, le "patriote", avait déjà tenté ce coup en août, quand il abandonna la Riga 35 révolutionnaire à l'invasion des troupes allemandes qui y "rétablirent l'ordre" dans le sang. La bourgeoisie, qui fait de la défense nationale son credo, l’utilise comme pire poison contre le prolétariat, n'hésite pas une seconde à s’allier avec ses pires rivaux impérialistes quand elle voit son pouvoir menacé par l'ennemi de classe.
C'est à partir de cette question de la défense de Petrograd, que les discussions du Soviet aboutirent à la formation d'un Comité militaire révolutionnaire, composé de délégués élus du Soviet de Petrograd, de la Section de soldats de ce Soviet, du Soviet de délégués du Carré baltique, de la Garde rouge, du Comité régional des soviets de la Finlande, de la Conférence des conseils d'usine, du Syndicat ferroviaire et de l'Organisation militaire du Parti bolchevique. À la tête de ce Comité fut nommé Lasimir, un jeune et combatif membre des SR de Gauche. Les objectifs de ce comité concernaient tant la défense de Petrograd que la préparation du soulèvement armé, deux objectifs qui "s'excluaient jusqu'alors l'un l'autre, se rapprochaient maintenant en fait : ayant pris en main le pouvoir, le Soviet devra se charger aussi de la défense militaire de Petrograd" 36.
Le lendemain même fut convoquée une Conférence permanente de toute la garnison de Petrograd et de la région. Avec ces deux organismes, le prolétariat se dotait des moyens pour l'insurrection, moyens nécessaire et indispensable pour la prise du pouvoir.
Dans un précédent article de la Revue internationale, nous avons mis en évidence comment – à l’encontre des légendes tissées par la bourgeoisie qui présente Octobre comme "un coup d'État bolchevique" – l'insurrection a été l’œuvre des soviets et plus concrètement de celui de Pétrograd 37. Les organes qui ont préparé méticuleusement, pas à pas, la défaite armée du Gouvernement provisoire, dernier rempart de l'État bourgeois, furent le Comité militaire révolutionnaire et la Conférence permanente des garnisons. Le CMR obligea le Quartier général de l'armée à soumettre à son aval tout ordre et toute décision, aussi insignifiants soient-ils, le paralysant ainsi totalement. Le 22 octobre, lors d’une assemblée dramatique, le dernier régiment récalcitrant – celui de la forteresse Pierre et Paul- accepta de se soumettre au CMR. Le 23 octobre, lors d’une journée émouvante, des milliers d'assemblées de travailleurs et de soldats s’impliquaient définitivement dans la prise du pouvoir. L’échec et mat exécuté par l'insurrection du 25 octobre, qui occupa le Quartier général et le siège du Gouvernement provisoire, défit les derniers bataillons restés fidèles à celui-ci, arrêta des ministres et des généraux, occupa les centres de communications, et posa ainsi les conditions pour que le lendemain, le Congrès des Soviets de toute les Russies assume la prise du pouvoir 38.
Dans le prochain article de cette série, nous verrons les problèmes gigantesques auxquels les soviets durent faire face après la prise du pouvoir.
C.Mir 6-6-10
3. Trotsky, Histoire de la Révolution russe, Tome 2, "Les masses exposées aux coups".
4. Voir la réfutation très documentée de cette thèses dans le chapitre "Le mois de la grande calomnie",dans Histoire de la Révolution russe de Trotsky, Tome 2.
5. Le General Knox, chef de la mission anglaise, disait: "Je ne m'intéresse pas au gouvernement de Kerensky, il est trop faible ; il faut une dictature militaire, il faut des Cosaques, ce peuple a besoin du knout ! La dictature est exactement ce qu'il faut." Ainsi s’exprimait le représentant du gouvernement de la plus ancienne démocratie", cité par Trotsky dans "Le soulèvement de Kornilov", Tome 2.
6. Trotsky, Histoire de la Révolution russe, Tome 2, "Les masses exposées aux coups".
7. Cavaignac : général français (1802-1857), sabre-peuple, bourreau de l’insurrection des ouvriers parisiens en 1848.
8. Lénine, "La situation politique (Quatre thèses)", 23 (10) juillet 1917.
9. Cf. références dans le précédent article de cette série.
10. Les soviets en Russie, Le bolchevisme et les conseils de 1917; Expériences tactiques p 214
11. Lénine, "A propos des mots d’ordre", mi-juillet 1917.
12. Voir l’article précédent de cette série, le sous-titre "Mars 1917 : un gigantesque réseau de soviets s'étend sur toute la Russie", Revue internationale no 141.
13. Soukhanov, menchevik internationaliste, scission de gauche du menchevisme dans laquelle militait Martov. Il a publié des Mémoires en 7 tomes. Un abrégé La révolution russe a été publié, d'où nous tirons les citations en français, Editions Stock, 1965.
14. Soukhanov, La révolution russe ; Le Triomphe de la réaction ; Autour de la coalition p. 210.
15. Anweiler, op. cit. Les soviets de 1917 ; Le conseil de Petrograd, p. 134
16. Soukhanov, La révolution russe ; Le Triomphe de la réaction ; Dans les profondeurs p. 223.
17. "Les masses exposées aux coups", Trotsky, op. cit.
18. Soukhanov, La révolution russe ; Contre-révolution et désagrégation de la démocratie ; Après le juillet : deuxième et troisième coalitions, page 306.
19. Soukhanov. La honte de Moscou, page 310
20. "Kérensky et Kornilov", Trotsky, Histoire de la révolution russe, Tome 2.
21. Kornilov : militaire assez incompétent qui se fit remarquer par ses constantes défaites sur le front, puis fut encensé par les partis bourgeois et considéré comme un "héros de la Patrie" après les journées de Juillet.
22. Soukhanov, La bourgeoisie unifiée dans l’action, page 312.
23. Voir Trotsky, Histoire de la révolution russe, Tome 2. On peut consulter les chapitres "La contre-révolution relève la tête", "Kérensky et Kornilov", "Le complot de Kérensky" et "Le soulèvement de Kornilov".
24. Soukhanov, La bourgeoisie unifiée dans l’action, page 317
25. Trotsky, La révolution russe, Tome 2, "La bourgeoisie se mesure avec la démocratie".
26. Soukhanov, La bourgeoisie unifiée dans l’action, page 314
27. Le parti cadet : Parti constitutionnel démocrate, principal parti bourgeois de l’époque.
28. Soukhanov, La désagrégation de la démocratie après le soulèvement de Kornilov, page 330
29. Trotsky, La révolution russe, Tome 2, "Marée montante".
30. Soukhanov, La préparation de l’artillerie, page 351
31. Anweiler, op. cit. Le bolchevisme et les conseils de 1917; Bolchevisation des soviets et préparatifs insurrectionnels, p. 228. Dans les pages suivantes, il fait une liste des nombreux congrès régionaux qui couvrirent pratiquement tout l’empire et décidaient dans leur majorité la prise de pouvoir.
32. Lénine. Thèses pour le rapport à la conférence du 8 octobre de l'organisation de Pétersburg. Sur le mot d'ordre "Tout le pouvoir aux soviets". 8 octobre 1917.
33. Soukhanov, La préparation de l’artillerie, page 364.
34. La révolution russe, Tome 2, "Marée montante".
35. Capitale de l’Estonie, qui faisait alors partie de l’Empire russe.
36. Trotsky, La révolution russe, Tome 2, "Le Comité militaire révolutionnaire"
37. Voir notre article "La révolution d'Octobre 1917 : œuvre collective du prolétariat", 2e partie, "La prise du pouvoir par les soviets", Revue internationale n° 72, 1er trimestre 1993.
38. Dans notre article "1917, la révolution russe : l'insurrection d'Octobre, une victoire des masses ouvrières", Revue internationale n°91, 4e trimestre 1997, nous développons une analyse détaillée sur la façon dont l'insurrection du prolétariat n'a rien à voir avec une révolte ou une conspiration, quelles sont ses règles et le rôle indispensable que joue en son sein le parti du prolétariat.