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Face à l’attaque inouïe que le gouvernement socialiste espagnol a lancé contre les travailleurs, nos camarades du CCI en Espagne ont élaboré un tract, traduit ci-dessous, pour le distribuer le plus largement possible dans la mesure de nos forces.
Comme les lecteurs le constateront, la bourgeoisie espagnole orchestre là-bas les mêmes attaques, les mêmes pièges idéologiques, les mêmes tentatives de divisions public-privé, les mêmes manifestations-balades stériles qu'en France.
Nous encourageons nos camarades en Espagne ou d’ailleurs, qui sont d’accord avec nos positions, à diffuser ce tract autour d'eux (disponible ici au format pdf ).
Mercredi 12 mai, le gouvernement espagnol de Zapatero a annoncé le « réajustement » le plus dur de l’histoire de la démocratie. Mais ce n’était pas une surprise. En février, lorsque le même Zapatero annonça les premiers grands coups (baisse des pensions de retraite, reforme du code du travail etc.), nous avions dit : « les mesures annoncées maintenant, qui sont déjà une attaque en profondeur contre nos conditions de vie, ne constituent que le premier chapitre d’une longue chaîne d’attaques qui vont accabler nos vies avec son cortège de terribles fléaux : la misère, le chômage, le stress, l’épuisement, l’angoisse vis-à-vis de l’avenir...»1. Par ailleurs, même un journal aussi pro-gouvernemental qu’El País reconnaît sans ambages qu’on peut s’attendre encore à de nouvelles mesures de réajustement.
L’attaque des conditions de vie des ouvriers est mondiale
Zapatero et consorts disaient que « la reprise arrive », en claironnant la proximité du « bout du tunnel ». La réalité est qu’on est entré dans une nouvelle étape supérieure et bien plus grave de la crise mondiale du capitalisme, celle qui se caractérise par l’insolvabilité des États. Il n’est pas facile de savoir à quel rythme cela va empirer, les capitalistes eux-mêmes ni leurs serviables gouvernements ne le savent pas ! Mais tout le monde sait que ces mesures entraîneront de nouvelles chutes et récessions, de nouvelles baisses de la production…
Ces mesures sont imposées par la nécessité d’éviter l’effondrement de l’Euro, ce qui entraînerait des dangers énormes de déstabilisation pour toute l’économie mondiale. Et, en même temps, c’est le seul moyen qu’ont les États pour pouvoir continuer à s’endetter, continuer à demander « aux marchés » des sommes pharamineuses qu’il faudra rembourser plus tard.
Le capitalisme – malade d’une crise incurable – essaye de fuir sans relâche ses propres contradictions par une course folle vers toujours plus d'endettement.
Les gouvernements, tels des bateaux ivres, naviguent à vue sans savoir où ils vont. Mais, par contre, pour faire avancer leurs bateaux, leurs coups tombent toujours sur les mêmes dos, ceux des rameurs : les travailleurs et la majorité travailleuse de la population ! Voilà la seule chose qu’ils savent et qu’ils peuvent faire.
Les Plans d’austérité prolifèrent dans tous les pays : l’Islande, la Grèce, le Portugal, l’Espagne, l’Irlande... Le nouveau gouvernement anglais a comme priorité absolue celle d’imposer des coupes de 70 milliards de livres. En France, en Italie et en Allemagne, de durs réajustements, comme ils disent, sont aussi annoncés.
Le poison de la division est la meilleure arme qu’ils ont pour nous assener leurs attaques
Tous les travailleurs sont attaqués, nous devons tous nous unir par-dessus toutes ces divisions de secteur, d’entreprise, de nationalité (de la région ou de la nation).
Les gouvernements, les oppositions diverses, le patronat et les syndicats, s’efforcent, tous, de semer dans nos rangs le poison de la division. Ils ne savent pas très bien quoi faire face à la crise, mais, par contre, ils ont une large et infâme expérience pour mener des manœuvres de division en tout genre.
En Grèce, la propagande de tous les partis et des syndicats montre de son doigt accusateur carrément les ouvriers allemands parce qu’ils « ne veulent pas les aider ». Et, en contrepartie, en Allemagne, la campagne est centrée sur le rejet que doivent avoir les ouvriers allemands, qui ne doivent pas payer avec leurs efforts les « excès » des travailleurs grecs !
Ici, en Espagne, on nous dit que Zapatero s’est mis à genoux devant l’Union Européenne, qu’il n’a pas eu le courage de défendre une « position nationale ». Rajoy [chef de l’opposition de droite, NDT] demande des élections anticipées et qu’on vote pour lui, parce que, lui, « a la solution », une solution nationale et espagnole, sans doute dans la bouche d’un Rajoy, une solution pour une Espagne « une, grande et libre » [slogan franquiste, NDT].
Ces « sorties nationales de la crise » ne sont pas seulement une vulgaire mystification, elles sont surtout un moyen pour diviser les travailleurs, de les empêcher de voir que la seule sortie possible de la crise est l’unité et la solidarité internationales de tous les travailleurs, le développement des luttes qui s’orientent vers leur unification internationale.
Mais les manœuvres de divisions ne portent pas seulement aussi loin dans le futur. Zapatero a ainsi annoncé que ces mesures « seraient limitées » aux fonctionnaires publics, aux pensions et aux bénéficiaires du chèque-bébé, en donnant l’impression que les travailleurs du secteur privé ou les chômeurs ne seraient pas touchés par ces mesures. Pour renforcer la manœuvre, les syndicats limitent leurs mobilisations aux fonctionnaires et Rajoy, quant à lui, rejette le gel des pensions et les coupes salariales aux fonctionnaires. De leur côté, les deux quotidiens principaux d’Espagne, qui sont à couteaux tirés la plupart du temps, sont de concert pour sortir chacun son « sondage » coïncidant avec l’autre, avec des titres proclamant que « plus de 50% des citoyens sont favorables à la réduction salariale des fonctionnaires ».
Autrement dit, ils veulent laisser les travailleurs de la fonction publique seuls et bien isolés, en les présentant comme boucs émissaires pour ainsi leur assener un bon coup et, par la suite, continuer avec les autres secteurs : les travailleurs du privé, les chômeurs, les étudiants, etc. Ils veulent que chaque ouvrier, individuellement, se réfugie derrière l’idée suicidaire qui consiste à se dire : « tout ceci ne m’est pas destiné, ne me concerne pas ».
Mensonge ! Est-ce que les syndicats n’ont pas déjà établi avec le patronat des accords pour réajuster les salaires et permettre aux patrons d’utiliser sans limites cette loi de la jungle concrétisée dans la possibilité du « décrochage salarial », par rapport aux conventions collectives qu’eux-mêmes ont signées ? Est-ce qu'il n’y aura pas, par hasard, pour tout le monde, des hausses de la TVA ? Est-ce qu’il n’y a pas déjà des quantités d’ouvriers affectés par les retards de payement de leur salaire ? Est-ce qu’on n’est pas en train de préparer une énième nouvelle reforme du code du Travail ? Est-ce qu’on oublie que des coupes énormes vont avoir lieu dans les communes et les régions ? Est-ce qu’on n’a pas entendu qu’on va réduire les préretraites ? Il suffit de lire ce qu’El País est quelque part forcé de reconnaître dans son édition de dimanche 16 mai : « les réajustements de salaire vont s’étendre au secteur privé ».
Nous ne devons pas tomber dans ce piège ! L’attaque est globale et frontale ! Salaires, pensions, allocations chômage, précarité, santé, éducation, conditions de travail, …tout est menacé par cet Attila des plans d’austérité !
Y a-t-il une issue dite « sociale » à la crise ?
Alors que les travailleurs doivent se serrer la ceinture, alors que la misère et la pauvreté se répandent telles une plaie sur beaucoup de quartiers de New York, Londres, Paris, Madrid ou Athènes, qui ressemblent de plus en plus à ceux du Tiers monde, nous voyons que le salaire annuel des dirigeants des entreprises de l’IBEX [équivalent du CAC 40, NDT] atteint un million d’euros (300 fois le salaire minimum) et les banquiers partent à la retraite avec des revenus de plus de 85 millions d'euros.
Cela fait que Monsieur Cayo Lara d’IU [chef de file de la Izquierda Unida, Gauche Unie, coalition autour du Parti Communiste Espagnol, NDT] nous propose « pourquoi ne pas mettre en place des mesures pour que les profits bancaires se consacrent à ouvrir une issue sociale à la crise ? » (Interview dans El País, 16 mai 2010).
Certes, il est intolérable que les grands chefs économiques et politiques du capitalisme s’enrichissent de cette manière insolente alors que partout prolifèrent pauvreté et souffrance. Mais ça, c’est la loi du capitalisme ! Sous le capitalisme, il ne peut pas y avoir « d'issue sociale où les charges seraient reparties équitablement ». Au fur et à mesure que la crise avance, la tendance, déjà dénoncée par Marx il y a un siècle et demi, ne fait que s’intensifier : d’un côté l’accumulation des richesses pharaoniques entre les mains d’une minorité de plus en plus petite, de l’autre une pauvreté de plus en plus grande qui n’arrête pas de se répandre. Sous le capitalisme la misère de la grande majorité est la condition de la richesse de la petite minorité.
Sous le capitalisme, les « issues sociales » sont impossibles comme l’est aussi la « protection des plus défavorisés » ou le « bien-être pour la majorité ». Où on en est la promesse démagogique de Zapatero selon laquelle « on ne toucherait pas aux acquis sociaux » ? Le capitalisme tend toujours vers l’appauvrissement de la grande majorité. Tout ceci n’a pas de solution sous le capitalisme. La seule solution est de le détruire.
Les plans de lutte des syndicats
La « riposte proportionnée » annoncée par les Commissions ouvrières (CO) et l’Union générale des travailleurs (UGT), les deux syndicats majoritaires, est celle de manifester le 20 mai et une grève pour le 2 juin limitée exclusivement aux fonctionnaires. Ceci a provoqué une indignation justifiée chez beaucoup de travailleurs qui considèrent ces « actions » comme une arnaque pour les diviser.
Ce n’est pas un hasard si Zapatero, qui a reçu de suite les leaders syndicaux avant même de recevoir ses amis du patronat, s’est empressé de « respecter les protestations des syndicats » ! Les leaders « socialistes » n’arrêtent pas de « saluer » le comportement responsable des syndicats !
Cet enthousiasme suspect, ces entretiens privés, font que beaucoup de travailleurs pensent à juste titre que le capitalisme ne planifie pas seulement ses attaques, mais qu’il planifie aussi un succédané de riposte, une espèce d’occupation préventive du terrain social de la part des syndicats, pour gâcher notre lutte, nous affaiblir, nous diviser, nous amener dans l’impasse.
Rappelons-nous cette singerie du 23 février lorsque les syndicats ont monté des manifestations « contre les réductions des pensions de retraite »… et maintenant que le sieur Zapatero annonce un gel brutal des pensions en se foutant, sur la forme et sur le fond, du Pacte de Tolède2, les syndicats limitent leur action « aux fonctionnaires » !
Face à cette occupation du terrain, face à toute cette planification préventive de la part de l’État capitaliste, que pouvons-nous faire, nous, les travailleurs ?
Il est clair que nous avons besoin d’une lutte qui se déroule en dehors de ces terrains piégés où on nous oblige à jouer un match où l’arbitre siffle contre nous et où certains qui s’habillent avec « notre maillot » ne pensent qu’à mettre des buts contre notre camp.
Les luttes doivent surgir des lieux de travail eux-mêmes, par la décision et le contrôle des assemblées générales de tous, et ouvertes à tous les travailleurs quel que soit leur secteur ou leur entreprise, etc. Les luttes, pour qu’elles montent en force, doivent s’étendre, occuper la rue avec des manifestations et autres rassemblements.
Les fonctionnaires doivent rejeter la prison de l’isolement que les syndicats leur ont concoctée. Aux endroits où ils disposeront d’un minimum de forces, ils devraient organiser des assemblées ouvertes aux travailleurs des autres secteurs, aux étudiants, à ceux qui préparent des concours qui viennent d’être affectés par la sévère réduction de l’Offre publique d’emploi3. Les travailleurs des autres secteurs doivent laisser de côté le préjugé qui ne sert qu’au capitalisme, sur le « fonctionnaire paresseux et privilégié » et prendre conscience du fait que l’attaque qui vient d’être lancée est une attaque contre tous.
Il faut que tous ceux qui ont conscience de l’escroquerie syndicale, ceux qui comprennent la nécessité impérieuse de lutter, se regroupent pour impulser des propositions d’action. Nous ne pouvons pas nous lamenter ni rester passifs. Ne laissons pas les manifestations syndicales entre les mains de ceux qui les convoquent, utilisons-les pour y établir des contacts avec d’autres travailleurs, pour impulser des réunions pour y discuter sur comment lutter. Ne laissons pas nous imposer une parodie de lutte, faisons tout pour développer une lutte véritable.
La société capitaliste mondiale va vers des convulsions de plus en plus graves, vers une misère insondable, vers le chômage et la barbarie. La situation est grave et pourtant les travailleurs sont pour l'heure encore loin de posséder une force sociale internationale pour opposer une issue révolutionnaire qui puisse un jour en finir avec tant de souffrance sans fin. Mais, déjà, ici et maintenant, il faut que nous luttions avec le peu de forces dont nous disposons. Conscience, solidarité, unité : voilà nos leviers.
Tract rédigé et diffusé par Action Proletaria, section du Courant Communiste International en Espagne (16 mai 2010 ).
1 Voir, “En Espagne, le capital et son État nous attaquent sur tous les fronts” (mars 2003)
2 Le pacte de Tolède de 1995 signé par le gouvernement d’alors (socialiste) avec les syndicats et l’opposition, voulait renforcer les retraites par répartition. Premier résultat : le calcul moyen a été allongé progressivement de 8 à 15 années de cotisations supplémentaires. Au-delà des « avantages » de ce pacte, on y établit que le gouvernement espagnol pouvait dorénavant se permettre de réduire le montant des pensions, grâce à l'indexation des pensions sur les prix plutôt que sur les salaires. Par ailleurs, les fonds de pensions privés complémentaires ont été renforcés (passant en 15 ans de 2% à presque 30% !), avec tout ce que cela signifie d’aléatoire. Eh bien, même les « avantages » (l’indexation des retraites et l’âge de départ) de ce pacte signé pour soi-disant sécuriser le système deviennent du « papier mouillé » comme on dit en Espagne !
3 Lire en espagnol : « Una miserable Oferta Pública de Empleo que profundiza el desempleo ».