Internationalisme no. 346

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Le capitalisme n'offre qu'une seule perspective à la classe ouvrière : la misère

Gouvernement et médias le proclament haut et fort: la Belgique aurait traversé la crise sans trop de dégâts grâce à sa Sécurité sociale. Et déjà, l’horizon économique s’éclaircirait de sorte que l’austérité et les restrictions ne seraient plus bientôt qu’un mauvais rêve pour notre "petit pays prospère". L’hiver dernier, les associations caritatives tiraient la sonnette d’alarme: à cause d’une pauvreté croissante, beaucoup de gens étaient victimes du froid rigoureux. Depuis lors, la neige et le gel ont disparu mais les sans-logis, les SDF, la misère croissante dans des parties de plus en plus larges de la population sont plus que jamais bien présents. L’hiver glacial n’a d’ailleurs dévoilé que la partie visible de l’iceberg car la pauvreté se développe au niveau planétaire. La période où la pauvreté était associée à l’Afrique, l’Asie ou l’Amérique latine est révolue. Aujourd’hui, c’est en Europe même que des millions de gens y sont confrontés. Un Européen sur cinq risque de tomber dans la pauvreté, d’après les derniers chiffres d’Eurostat et de EU-SILC (Union européenne/ Study on Income and Living Conditions). Selon la définition utilisée, quiconque gagne moins de 60% du revenu d’une famille moyenne court le risque de connaître la pauvreté. En Espagne et en Grèce, 20% de la population est déjà en dessous de ce seuil de pauvreté relatif et 4,5% de la population vit dans une misère extrême. Au Royaume-Uni, un tiers des enfants grandit dans la pauvreté. En Belgique, la pauvreté touche déjà 15% des personnes (une famille sur sept, soit plus de 1.500.000 personnes), un chiffre plus élevé que dans les autres pays "riches" d’Europe occidentale.

L’insécurité sociale devient plus que jamais la règle pour une grande partie de la classe ouvrière. Le développement de cette insécurité a également un impact sur les conditions de vie que les travailleurs peuvent assurer pour eux-mêmes et pour leurs enfants dans ce système social. La pauvreté n’est pas seulement un drame financier mais elle inclut tous les domaines de la vie sociale: le logement, les soins de santé, l’enseignement et mène à l’exclusion sociale, à l’isolement, à l’absence de perspective, à une pression extrême pour une partie croissante de la population. C’est un cercle vicieux qui entraîne des familles entières de plus en plus profondément dans la misère. Des drames individuels et des révoltes sans perspectives découlant de cette situation terrible sont d’ailleurs devenus une rubrique récurrente à la une des médias.

Des emplois moins nombreux et mal payés …

Les revenus générés par le travail sont bien sûr la pierre angulaire du système capitaliste. Or, les marchés qui se contractent posent à la bourgeoisie un problème de capitaux disponibles et de baisse des profits et la pousse à attaquer les salaires et les conditions de travail. Les profits et le capital sont de fait du travail non rémunéré. Dès lors, soit la productivité du travail augmente, soit la part des salaires diminue: moins de travailleurs par unité produite ou moins de salaire.

- La crise économique actuelle accentue lourdement la contraction du marché du travail: l’année dernière, la "clientèle" de l’ONEM a augmenté de 10% pour atteindre 1,3 million de personnes et la situation se détériore encore en 2010 (déjà 1,4 millions en mars). Jamais dans l’histoire de l’ONEM, ce chiffre n’a été atteint (et ceci malgré une politique agressive de "contrôle" des chômeurs qui a abouti en 2009 à la suspension (temporaire) de 90.000 personnes (Agence Belga, 10.03.2010)). Rien qu’en Flandre le nombre a augmenté sur base annuelle de 23,8%. Dans des pays comme l’Irlande ou le Danemark, on a observé un doublement du nombre de chômeurs. Au Pays-Bas, la hausse était de 50% et en France de 25%. Le résultat relativement bas de la Belgique s’explique par l’existence d’un système généralisé de chômage partiel, qui permet aux entreprises de "parquer" leurs travailleurs – et depuis peu aussi (sous conditions) leurs employés – en surnombre auprès de l’ONEM, sans pour autant devoir les licencier. En mars et avril 2009, 25% de la population ouvrière totale se retrouvait dans ce système de chômage économique temporaire!

- Par ailleurs, un nombre de plus en plus important de travailleurs court également le risque de tomber dans la pauvreté. A cause de situations de travail précaires ou de salaires insuffisants, les familles monoparentales (de 32% en 2005 à 40% en 2008, selon le rapport EU-SILC), des familles avec plusieurs enfants et des personnes qui ne sont pas de nationalité d’un pays de l’UE sont les premières à sombrer dans la pauvreté. Les nombreux contrats partiels ou temporaires, les emplois précaires induisent aussi un risque accru de pauvreté. En 2006, 14% de ceux qui se trouvaient sous le seuil de pauvreté avaient cependant un travail.

Trouver un emploi devient de plus en plus difficile et le fait d’avoir un emploi n’est pas en soi une garantie d’échapper à la spirale de la pauvreté. La paupérisation absolue de larges parties de la population – et essentiellement de travailleurs – se traduit clairement dans la baisse de la quote-part des salaires dans le revenu national du pays: elle est descendue en quelques années de 60% à 50% d’après les chiffres de la Banque nationale.

et les allocations en chute libre...

Nos démocraties se targuent pourtant d’avoir mis en place une sécurité sociale solide qui empêche la chute dans la pauvreté en soutenant les plus vulnérables par des allocations sociales. Les instituts universitaires qui observent la situation sociale pour le compte de la bourgeoisie dégonflent la baudruche: «Les minima sociaux sont largement insuffisants. Même si les familles avec un revenu faible n’ont pas de problèmes de santé et gèrent leurs revenus de manière exemplaire, ils ne pourront pas réaliser les conditions matérielles pour une bonne santé et une autonomie (...). Celui qui vit uniquement d’une allocation se situe presque automatiquement dans notre pays autour ou en dessous du seuil de pauvreté» (B. Cantillon, Centre pour la Gestion Sociale, U. Anvers, De Standaard, 16.05.09 et 24.03.10). Le Pacte des Générations (2005) et la Loi Programme (2006), avaient permis aux autorités de proposer en grande pompe un mécanisme structurel d’adaptation des allocations sociales au bien-être. Sur papier cela semblait nickel mais dans la réalité, malgré les belles promesses des gouvernements successifs, rien n’a été mis en application. La ministre flamande de la lutte contre la pauvreté, Ingrid Lieten (Socialiste flamande) soulignait encore dernièrement que les allocations de base (fédérales), telles que le salaire de survie et l’allocation minimale en cas de maladie chronique n’étaient plus "décentes". Elle veut les augmenter de 150 euros par mois, tout en ajoutant cyniquement: «Evidemment, une telle augmentation est difficile à réaliser en pleine période de crise. Nous le savons parfaitement». Le recul des allocations sociales est implacablement illustré par les données suivantes:

- Les allocations minimales – le salaire de survie, les retraites de base, les allocations d’invalidité, etc. - se situent 100 euros en dessous du seuil de pauvreté européen!

- En Belgique, le rapport entre les allocations de chômage minimales et les salaires moyens a baissé de 40% par rapport au milieu des années 1970;

- En comparaison avec l’évolution des salaires les plus bas, les allocations d’assistance ont reculé proportionnellement durant les années 1990 de 10% (Belgique) à 20% (Suède) et plus (Pays-Bas).

D’une part, la bourgeoisie veut réduire les frais improductifs: tous les frais qui ne sont pas directement liés au processus de production doivent être réduits au minimum. D’autre part, elle veut maintenir ce que les sociologues appellent la fonction de "stimulation" de ces allocations: les allocations sociales doivent rester nettement inférieures aux revenus du travail car, pour faire baisser les salaires, il ne faut pas que ces derniers s’approchent trop du niveau de ces allocations, soi-disant pour ne pas "démotiver le travail"(sic). Sous le prétexte d’ "inclusion sociale", on organise ainsi l’exclusion de quiconque ne peut pas être "activé".

Le système des pensions est déjà depuis un certain temps à la traîne et est totalement insuffisant. Les interventions forfaitaires des soins de santé sont bien trop limitées pour ceux qui ont une petite retraite et cette dernière ne suffit plus dans la plupart des cas à payer la maison de repos. La pension moyenne brut par salarié comporte 925 euros (Assuralia, 10.02.2010). De fait, la Belgique a environ les retraites les plus basses d’Europe de l’Ouest. Les systèmes de pension complémentaires deviennent de plus en plus incontournables, mais ceux-ci accentuent non seulement l’inégalité mais sont aussi des mécanismes d’exclusion structurels. Des centaines de milliers de personnes non actives n’ont pas accès à ces systèmes complémentaires, tout comme les chômeurs, plus de 200.000 invalides, les handicapés et ceux qui bénéficient du salaire de survie, car, pour en bénéficier, il faut travailler. Et ne parlons pas des travailleurs intérimaires ou de ceux mis au travail dans le cadre du système des chèques-services.

Presque tous les pays européens ont revu durant ces dernières années à plusieurs reprises leur système de retraite. Dans les années 1990, ils ont rétabli "l’équilibre financier" des caisses de retraite et supprimé les retraites anticipées. Les réformes de la dernière décennie ont pour but soi-disant de prendre en considération l’augmentation de l’espérance de vie et le fait qu’il y a trop peu de "jeunes" qui cotisent et trop de "vieux" qui touchent ces allocations. Nous avons déjà montré qu’une partie croissante de la classe ouvrière est exclue du système et la bourgeoisie arrive sur le plan mondial de moins en moins à intégrer les jeunes générations dans le circuit du travail. Les revenus provenant des salaires sont donc en baisse et en conséquence, les caisses de retraite sont de plus en plus en difficulté. L’augmentation de l’âge de la retraite n’est qu’une nouvelle diminution de fait de l’allocation et annonce donc une accentuation de la paupérisation!

... mènent à une détérioration des conditions de vie

La combinaison du chômage, d’emplois précaires et mal payés et d’allocations de plus en plus maigres aboutit à un cumul de problèmes qui affectent de plus en plus durement les conditions de vie de la classe ouvrière:

- L’endettement des ménages augmente. De plus en plus de Belges vivent à crédit et ont des difficultés à repayer à temps leurs dettes. La centrale des crédits de la Banque nationale de Belgique relève qu’à la fin 2009, 4,5 millions de personnes (sur une population de +/- 10,5 millions) ont au moins un crédit à repayer. 356.611 de ceux –ci ont un retard de remboursement, une augmentation de 3,6%. Le total de la somme impayée a augmenté en 2009 de 16,1% (2,16 milliards d’euros). En 2007, 338.933 personnes étaient fichées comme surendettées. Et ce chiffre ne concerne que les crédits de consommation et les prêts hypothécaires. Les dettes concernant la location, les soins de santé, les télécommunications, l’énergie, ... ne sont pas reprises dans ces statistiques;

- La qualité de l’habitat se dégrade. Les revenus en baisse poussent une part croissante de la population ouvrière à rechercher des logements meilleur marchés, donc à louer dans les segments les plus bas du marché immobilier privé (le nombre d’habitations sociales étant totalement insuffisant). Ces familles modestes occupent dès lors de petites maisons humides et insalubres, avec des installations sanitaires insuffisantes, ou alors, elles deviennent des sans-logis. Dans la spirale infernale de la paupérisation et de l’exclusion sociale, l’accès à un logement abordable et décent est effectivement une donnée cruciale. Près de 3 millions d’Européens sont sans logis, dont 20.000 en Belgique (Ministère fédéral de l’intégration sociale). Selon une estimation des centres de recherche des Universités d’Anvers et de Liège, il y aurait en Flandre 12 sans-logis pour 10.000 habitants (7.000 au total), en Wallonie 25 pour 10.000 (8.000 au total) et à Bruxelles 30 pour 10.000 (3.000 au total).

Par ailleurs, un certain nombre de groupes ne sont sans doute pas repris dans les statistiques. Il y a les sans-abris temporaires ou chroniques, d’autres encore ne veulent pas être identifiés, souvent parce qu’ils sont illégaux. Le groupe des sans-abris augmente et devient de plus en plus jeune et féminin. Parmi eux aussi de plus en plus de locataires expulsés de leur habitation. La moitié des gens qui vivent en dessous du seuil de pauvreté sont encore propriétaires d’une maison, héritée ou acquise au moment où ils en avaient encore les moyens. Mais 1 sur 6 n’arrive plus à l’entretenir ou à la chauffer (étude EU-SILC). Voilà encore une confirmation du processus de paupérisation en cours ;

- L’augmentation des coupures partielles ou totales de gaz ou d’électricité est une autre indication de la détérioration des conditions de vie de la population ouvrière. Le prix du gaz naturel a augmenté de 50 à 70% entre début 2003 et la fin 2009 pour la grande majorité des familles belges, selon une étude du régulateur officiel du marché belge. Pour une famille qui a une consommation moyenne de gaz naturel, le prix à payer en décembre 2009 est de 35% à 40% plus cher qu’il y a 6 ans. En octobre 2009, Eandis, le gestionnaire de réseau le plus important en Flandre, avait plus de 88.000 points de raccordement (électricité et gaz) en tant que pourvoyeur social sur son réseau de distribution, c’est-à-dire des personnes qui avaient été rejetées par les fournisseurs commerciaux parce qu’elles n’arrivaient pas à payer leurs factures énergétiques. En région wallonne, 37.991 utilisateurs bénéficient du tarif social pour le gaz et 81.677 pour l’électricité (Commission Wallonne pour l’Energie – CwaPE, 2009);

- Les soins de santé reculent également. Logements insalubres, conditions de travail stressantes et une nourriture bon marché et déséquilibrée mènent souvent à des problèmes de santé. Pour des raisons financières, ces soins de santé sont souvent postposés. La santé se détériore et rend les conditions de travail encore plus difficiles. Les données confirment que la baisse des revenus mène à une détérioration de la santé, à un accès plus difficile aux soins de santé et à une mortalité anticipée. L’espérance de vie des Belges augmente et la mortalité enfantine baisse, mais les indicateurs de santé soulignent les inégalités significatives en ce qui concerne l’état de santé et l’accès aux soins de santé, par exemple quant à l’appréciation subjective de la santé, les limitations dans l’exercice des activités quotidiennes dues à la maladie, les dépressions, le surpoids, la consommation d’alcool et de cigarettes, les campagnes de prévention des cancers de l’utérus et des seins.

Pour la bourgeoisie, la première préoccupation est toujours "qui paie les soins de santé?" et pas "comment faire pour que tout le monde en bénéficie au mieux?". Et lorsqu’il faut réduire de manière drastique les dépenses de l’Etat pour la sécurité sociale, la bourgeoisie n’hésitera pas à faire payer une fois de plus les travailleurs. Et ceci alors que dans 8% des familles en 2009, quelqu’un a arrêté un traitement médical à cause de problèmes d’argent, que dans 26% des cas, un traitement a été reporté et que dans 9% des cas l’idée d’un traitement a simplement été abandonnée pour des raisons financières ((enquête de TestSanté/Test–Achat).

En ce qui concerne la distribution de nourriture bon marché, il faut constater que la clientèle des banques alimentaires augmente pour la 14ième année consécutive. En 1994, 59.461 personnes s’adressaient aux neuf banques alimentaires qui font partie de la Fédération belge, et ce chiffre est passé à 108.100 personnes en 2007. On y retrouve de plus en plus des personnes provenant de milieux divers: chômeurs, bénéficiaires du salaire de survie, des gens qui ont fait faillite, des travailleurs et des employés avec un salaire bas, ce qui confirme une fois de plus que la paupérisation touche des secteurs de plus en plus larges de la population en général et de la classe ouvrière en particulier.

La bourgeoisie tente de mettre le capitalisme hors du coup

Même la bourgeoisie et ses gouvernements ne peuvent plus ignorer une réalité aussi criante. Sa stratégie consiste alors à maquiller pour l’ensemble de la classe ouvrière les raisons fondamentales du développement de la paupérisation. D’une part, elle veut faire croire que les gouvernements démocratiques mettent tout en œuvre pour engager le combat contre l’extension de la pauvreté: l’Europe a par exemple proclamé en grande pompe que 2010 serait l’année européenne de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. L’objectif était de créer l’illusion parmi les travailleurs que les gouvernements démocratiques s’occupaient du problème afin de détourner leur attention des vraies causes de leur misère. Lors du traditionnel sommet du printemps, les premiers ministres et présidents de l’Union Européenne ont cependant déjà clairement montré que leurs plans pour réduire de 20 millions le nombre de personnes tombées dans la pauvreté étaient purement du bluff. Cette intention a carrément été retirée de la déclaration finale. Différents états membres ne trouvaient pas que la réduction de la pauvreté était un but en soi mais devait être une conséquence de la croissance économique (sic!). Pour quand les poules auront des dents donc!

D’autre part, la bourgeoisie et ses média essaient de faire croire à la population en général et à la classe ouvrière en particulier que si les pauvres se retrouvent dans cette situation, c’est de leur propre faute, parce qu’ils ne travaillent pas assez dur, ce qui implique qu’ils sont paresseux et irresponsables. C’est une manière d’instiller parmi un nombre croissant de travailleurs un sentiment de culpabilité et de rejeter sur eux la pleine responsabilité pour leur situation de détresse. C’est aussi une manière de mettre hors de cause la société capitaliste et d’insinuer qu’il ne faut rien changer aux rapports sociaux. Les conséquences inévitables de la pauvreté dans la société capitaliste sont traitées de manière isolée et individualisée de sorte que les causes fondamentales de cette situation ne sont pas abordées. «Les problèmes sociaux (chômage, pauvreté, etc.) sont vus comme des problèmes individuels qui doivent être traités au moyen d’une politique plus répressive. Ceci conduit à des mesures simplistes, qui sont essentiellement orientées vers les symptômes : les sans-abris sont chassés hors des stations de métro, les jeunes qui font l’école buissonnière (et leurs parents) sont plus strictement contrôlés. Et la société reste bien hors d’atteinte» remarquaient déjà Nadia Fadil (U.Louvain), Sarah Bracke (U.Louvain), Pascal Debruyne (UGand) en Ico Maly (association KifKif) lors d’un débat à l’occasion des émeutes à Anderlecht en début d’année. Ces chercheurs "oublient" un peu trop facilement que cette société qui reste hors d’atteinte a un nom: le capitalisme, un système qui depuis des décennies a atteint les limites de son développement et qui s’enfonce dans sa décadence historique.

Pour exterminer la pauvreté, il faut s’attaquer à ses racines, qui sont enchevêtrées dans la logique de profit des lois du marché capitaliste, elle-même asséchée par la crise historique dans laquelle le système s’est enfoncé. Les campagnes montées par la bourgeoisie ont effectivement pour but de d’éviter que la question des responsabilités mène à la mise en cause des rapports sociaux. La réalité qui apparaît clairement derrière les données avancées et la dynamique qu’elles révèlent démontrent le caractère irréversible de la spirale de la paupérisation dans les limites du système actuel. L’approfondissement de la crise économique frappe la classe ouvrière de plus en plus durement et rejette une partie de plus en plus importante de celle-ci dans la pauvreté.

Dans la pauvreté, il y a plus que la pauvreté

Tenter de cacher la compréhension des véritables rapports sociaux et des oppositions de classe équivaut à entraver le processus de prise de conscience de la classe ouvrière et à lui enlever la seule perspective qui puisse lui fournir une sortie de la pauvreté. Dans les années 1930, les révolutionnaires appelaient déjà les travailleurs à ne pas se laisser berner par des chimères: «Un capitalisme qui est contraint de nourrir les travailleurs au lieu d’être nourri par eux n‘a pas de futur (...). Si le capital avait du travail à offrir, soyons-en sûr, il nous en donnerait à ne plus savoir où donner de la tête. (...) Ne demandez pas du travail ; battez vous simplement pour de la nourriture, des habits, un toit ! Joignez votre voix à celle des autres! Allez aux bureaux de pointage, allez dans la rue, allez aux portes des usines!” (Living Marxism, USA).

La bourgeoisie essaie bien sûr de se servir de ce "malaise social" pour démoraliser la classe ouvrière: elle veut nous faire croire que le désespoir et la concurrence font partie de la "nature humaine" et que la classe ouvrière ne peut qu'accepter cette situation comme une fatalité. Les révolutionnaires, quant à eux, doivent mettre en avant que c'est la barbarie du capitalisme qui est responsable de la misère et la spirale suicidaire. Les conditions d'exploitation et la concurrence que connaît aujourd'hui le prolétariat dans le monde n'ont pas comme seule perspective le désespoir individuel, les suicides ou les dépressions. Car la dégradation vertigineuse des conditions de vie des prolétaires porte avec elle la révolte collective et le développement de la solidarité au sein de la classe exploitée. L'avenir n'est pas à la concurrence entre les travailleurs mais à leur union grandissante contre la misère et l'exploitation. L'avenir est à des luttes ouvrières de plus en plus ouvertes, massives et solidaires.

Aussi, dans le sillage de Marx, il faut rappeler que la réalité de la crise capitaliste et de la spirale de paupérisation révèle plus que la paupérisation elle-même: «Tout comme les économistes sont les représentants scientifiques de la classe bourgeoise, les socialistes et les communistes sont les théoriciens de la classe ouvrière. Aussi longtemps que la classe ouvrière n’est pas assez développée pour constituer réellement une classe et que donc le combat avec la bourgeoisie ne prend pas encore une forme politique, aussi longtemps que les forces productives au sein de la bourgeoisie elle-même ne sont pas suffisamment développées pour rendre globalement visibles les conditions matérielles qui sont nécessaires pour la libération du prolétariat et pour la constitution d’une nouvelle société, ces théoriciens ne seront que des utopistes qui, pour répondre aux besoins de la classe opprimée, imaginent des systèmes et vont à la recherche d’une science régénératrice.

Mais au fur et à mesure que l’histoire avance et que la lutte du prolétariat prend une forme plus précise, ils ne sont plus forcés de chercher la science dans leur propre tête. Ils doivent simplement prendre conscience de ce qui se passe devant leurs propres yeux pour en devenir l’expression. Aussi longtemps qu’ils cherchent la science et se limitent à créer des systèmes, aussi longtemps qu’ils se trouvent au début de la lutte, ils ne voient dans la misère que la misère, sans déceler en son sein l’aspect révolutionnaire, menant à un bouleversement, qui mènera au renversement de l’ancienne société. A partir de ce moment, la science devient un produit conscient du mouvement historique et a cessé d’être doctrinaire. Elle est devenue révolutionnaire» (Karl Marx, La misère de la philosophie, chapitre II: La métaphysique de l’économie politique).

Lac / 24.04.2010