En Espagne, le capital et son État nous attaquent sur tous les fronts

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Nous publions ci-dessous un tract de la section du CCI en Espagne, largement diffusé lors des manifestations syndicales organisées le 23 février dans les principales villes du pays.

Au milieu d’un des hivers les plus rigoureux dont on se souvienne, ce sont les annonces du trio « Gouvernement-Patronat-Syndicats » pendant la première semaine de février qui nous ont glacé le sang : recul de l’âge de la retraite, coupes budgétaires, nouvelle réforme du travail, etc.

La semaine suivante, comme s’il s’agissait d’une douche écossaise, ces mêmes acteurs ont occupé la scène pour nous « tranquilliser », Zapatero disant que la réforme des retraites était « négociable », que les coupes budgétaires « ne toucheraient pas la protection sociale » et les syndicats comme le patronat se sont déclarés « satisfaits » de cette réforme du travail.

Quelle est la réalité ? Est-ce qu’on peut penser « qu’il n’y a pas encore le feu au lac » ? Ou, au contraire, devons-nous ressentir une grande inquiétude vis-à-vis de ce qui nous attend ?

 L’accélération de la crise économique et la menace de faillite économique des Etats

 Pour comprendre ce qui se passe, nous devons analyser la situation économique mondiale et ses perspectives d’évolution. Et celles-ci sont très négatives, contrairement aux insistants messages selon lesquels « on est en train de sortir de la crise ». Les taux de croissance sont en fait rachitiques : …le plus élevé est celui de la France… 0,6% ! (le journal Le Monde annonçant que « la reprise sera plus faible que prévu »).

En réalité, on est entré dans une nouvelle étape de la crise, suite et conséquence de l’étape précédente, caractérisée par une crise des déficits. En 2008, les Etats ont injecté dans le trou noir des banques des sommes pharamineuses, en poursuivant par des plans de sauvetage des industries clés, telles que l’automobile et le bâtiment, en Espagne. Ceci a conduit à un endettement colossal des Etats. Et à la tête de cet hyper-endettement se trouvent les Etats-Unis eux-mêmes, suivis par la Grande-Bretagne. En Europe, l’Irlande, l’Islande, le Portugal, l’Italie et, surtout, la Grèce et l’Espagne. Ces États, frappés par un déficit insupportable, sont au bord de la banqueroute.

Dans la zone euro, construite sur la base du pacte de stabilité qui interdit des déficits dépassant 3% du PIB, la crise est très grave, menaçant l’euro et tout le système qui le soutient.

Tout cela oblige à prendre des mesures dans les pays où le déficit est plus élevé : la Grèce et l’Espagne.

Et quelles mesures va prendre la bourgeoisie ? Dans le capitalisme, les seules mesures que le système peut envisager sont celles qui consistent à attaquer à fond les ouvriers et la majorité de la population travailleuse.

S’attendre à autre chose, s’attendre à ce que « les riches payent » ou que « les charges soient réparties équitablement », c’est croire aux contes de fées, croire que l’État est « neutre », qu’il « appartient à tous ». L’Etat, son gouvernement et les institutions qui le composent (partis d’opposition, syndicats, patronat, église, etc.) sont tous avec le capital, ils le défendent par tous les moyens, légaux et illégaux, de gré ou de force.

C’est ainsi que les « socialistes » grecs arrivés au pouvoir en octobre 2009 avec la promesse « d’augmenter la consommation des travailleurs pour sortir de la crise » ont fait exactement le contraire : ils ont baissé le salaire des fonctionnaires, ont annulé le treizième mois, réduit les retraites, augmenté la TVA...

Mais ces mesures en Grèce ne sont pas quelque chose d’isolé et de particulier. Dans un pays où « ça va mieux », comme la France, le gouvernement a lancé la proposition d’un nouveau coup de hache dans les retraites.

 L’Espagne, est-ce la Grèce ?

 Zapatero s’égosille à dire que « L’Espagne, ce n’est pas la Grèce ». En effet, l’Espagne ne se trouve pas dans la même situation que la Grèce, pour la simple raison que, dans le pays ibérique, la situation est bien pire. Pourquoi, ? parce que l’Espagne est la quatrième économie de la zone euro, par la profondeur insondable de la spéculation immobilière, à cause d’un chômage débridé, par l’ampleur démesurée du déficit de l’Etat. Ainsi, les mesures annoncées maintenant, qui sont déjà une attaque en profondeur contre nos conditions de vie, ne constituent que le premier chapitre d’une longue chaîne d’attaques qui vont accabler nos vies avec son cortège de terribles fléaux : la misère, le chômage, le stress, l’épuisement, l’angoisse vis-à-vis de l’avenir.

Si, déjà, les souffrances au cours de ces deux dernières années ont été cruelles (il n’y a qu’à aller demander aux plus de quatre millions de chômeurs, aux milliers de familles qui ont perdu leur maison ou aux ouvriers qui doivent supporter des retards de salaire ou d’allocations de plus de 3 mois !), si, déjà, les mesures annoncées signifient un coup bien plus dur, ce qui va nous arriver demain sera bien pire.

Est-ce que le problème est limité à l’âge de la retraite ?

 Les syndicats ont accepté la réforme du travail ; ils ne se sont pas opposés aux coupes budgétaires et viennent de signer avec le patronat un gel de salaires, un accord qui comporte une clause de possibilité de décrochage qui permet au patron de jeter par-dessus bord ces accords « en cas de crise »…Tout cela est pour eux acceptable, mais, par contre, ils se sont mis à pousser des cris d’orfraie face à la retraite à 67 ans. Ils ont convoqué des manifestations pour ce 23 février.

Pourquoi cela ? Ce qu’ils cherchent, c’est à nous limiter et à nous enfermer dans une seule question, celle de la retraite, où le gouvernement aura beau jeu de faire semblant de reculer maintenant pour nous attaquer de plus belle un peu plus tard, dans quelques mois en utilisant le mécanisme plus discret du pacte de Tolède1 où, comme cela a été fait jusqu’à maintenant, on peut changer l’âge de la retraite, baisser les pensions, etc., sans publicité et en nous plaçant devant les faits accomplis.

Ils veulent ainsi nous dévoyer vers une « lutte » offrant un paquet cadeau aux syndicats pour qu’ils puissent redorer leur blason, pour nous faire momentanément ressentir l’illusion d’avoir gagné quelque chose... et nous réveiller après avec le cauchemar réel qu’on nous a fait avaler toutes les autres attaques avec la perspective d’autres supplémentaires.

Les plans que les syndicats ont considérés comme étant acceptables annoncent des coups très durs ! Le coup de massue des coupes budgétaires, nous le ressentirons à travers la baisse des emplois, les réajustements salariaux et de personnel dans les administrations publiques, dans le service détérioré des hôpitaux, celui des écoles, des transports... Le fer rouge de la réforme du travail, nous le ressentirons dans la généralisation des indemnités pour cause de licenciement qui vont être ramenées à 33 jours… et la voie est ouverte vers les 20 jours !2. Nous le ressentirons dans le fait que « la transformation des embauches à temps partiel en CDI » permet aux entreprises de nous faire travailler une journée complète avec le salaire d’une journée à temps partiel...

Et il y a un événement qu’on a fait passer comme une lettre à la poste, sans que personne ne rechigne : le décret-loi contre les contrôleurs aériens. D’abord, le gouvernement a lancé une campagne passablement dégueulasse de lynchage médiatique en présentant les contrôleurs comme des « privilégiés », qui vivraient comme des rois à ne rien foutre alors que leur travail est un des plus risqués et où la tension nerveuse est plus forte. À la suite de cette campagne, le décret-loi est un précédent dangereux qu’on utilisera sans le moindre doute contre d’autres secteurs.

 On a besoin de lutter, mais comment faire ?

 Peut-on lutter en nous laissant entraîner derrière les syndicats ? Définitivement, non ! Leurs « mobilisations » ce n’est que se foutre de notre gueule ou une sinistre plaisanterie, si on veut être un peu plus délicat. Ils font la même chose depuis 40 ans : ils signent des deux mains tout ce que le gouvernement et le patronat leur demande de signer et, après, de temps à autre, ils organisent une « journée de lutte » décaféinée, qui ne sert qu’à semer le découragement et la division chez les ouvriers.

Une des raisons du fait que les gens ne réagissent pas, c’est justement du fait de l’action des syndicats. Ils se proclament « représentants des travailleurs », mais avec leurs accords avec le patronat et le gouvernement, avec leurs coups bas, leurs appels-bidon à se mobiliser, ils découragent et rendent désabusés et sceptiques beaucoup d’ouvriers.

Une autre cause qui rend difficile la lutte ouvrière est l’idéologie même que cette société sécrète, une idéologie faite d’individualisme, d’atomisation, de concurrence, de chacun pour soi et de guerre de tous contre tous. Ces virus pénètrent dans nos têtes et dans nos cœurs, en nous refermant sur nous-mêmes, en rendant difficiles la solidarité et la camaraderie qui sont le seul acier pour forger nos armes.

Cet individualisme est fomenté par les méthodes syndicales qui nous font suivre de façon passive et individuelle leurs appels, au lieu de nous rassembler, de nous réunir, de discuter et décider ensemble. Cette atomisation est développée par l’idéologie de l’attentisme électoraliste, avec l’espoir que grâce au vote isolé et individuel puisse apparaître le leader charismatique qui promet des « solutions » et qui ne fait autre chose que mener des attaques encore plus dures. Les partis du capitalisme, autant ceux de gauche que ceux de droite, lorsqu’ils sont dans l’opposition disent ce qu’ils ne feront jamais et, quand ils sont au gouvernement, font ce qu’ils n’avaient jamais dit.

C’est pour tout cela que la lutte des ouvriers doit être organisée, contrôlée et dirigée par les ouvriers eux-mêmes. C’est ainsi que se sont déroulées les luttes qui, dans les années 1970-76, se sont résolument opposées aux attaques du gouvernement franquiste à l’époque où les travailleurs n’avaient « personne qui les défendait ». Et il en a été de même tout au long de l’histoire : les grandes luttes des travailleurs dans le monde ont été organisées par eux-mêmes dans des assemblées et, lors des situations révolutionnaires, en conseils ouvriers.

La Première Internationale affirmait que l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. Le Manifeste communiste mettait en avant que le mouvement ouvrier ne peut être que le mouvement indépendant de la grande majorité au bénéfice de la grande majorité.

 C’est seulement en prenant notre lutte en mains que nous pourrons nous défendre

 Les ouvriers qui prennent conscience de ces nécessités doivent se réunir, s’organiser, encourager les autres, impulser une lutte autonome de classe. Lors des manifestations convoquées par les syndicats, au lieu de suivre leurs consignes avec passivité, nous devons en profiter pour nouer des contacts, pour convoquer des assemblées générales où l’on puisse discuter de ce qui nous intéresse, de comment organiser notre défense.

La lutte ne passe pas par les convocations syndicales, mais par le fait que chaque fois qu’une lutte surgit, aussi petite soit-elle, on aille à la recherche de la solidarité et de l’extension de cette lutte aux autres travailleurs. Nous sommes tous touchés ! Ce serait une illusion de croire que, dans son secteur, dans son entreprise, dans sa corporation, on pourrait être à l’abri en nous protégeant de tout ce qui nous tombe dessus. Ce n’est qu’en brisant les prisons du secteur, de l’entreprise, de la région, de la race… que nous pourrons vraiment nous défendre. La solidarité et l’unité, voilà notre force.

Les travailleurs en Grèce ont commencé à protester contre les attaques qui leur tombent dessus. La solidarité avec eux pour résister aux mesures du « socialiste » Papandreou est une solidarité avec nous-mêmes, nous travailleurs en Espagne, parce que si le pouvoir arrive à imposer les mesures brutales prévues en Grèce, il se sentira encore plus fort et arrogant pour les imposer en Espagne. La solidarité internationale est notre force.

 Est-ce qu’on peut croire sérieusement qu’ils vont résoudre cette crise ?

 Peut-on vraiment croire que les sacrifices d’aujourd’hui vont permettre de faire un pas vers la prospérité demain ? Il suffit de regarder ce qui s’est passé depuis 40 ans : depuis 1967 le capitalisme s’enfonce de manière récurrente dans des crises de plus en plus graves dont les issues, toujours momentanées, ont signifié des sacrifices supplémentaires pour les travailleurs. Pour quel résultat ? Il y a 25 ans, plus de 90% des travailleurs étaient en CDI et aujourd’hui plus de 40% sont dans des emplois précaires. Pour les jeunes d’aujourd’hui, un travail en CDI leur paraît une chose sortie d’un musée ; il y a 25 ans, tous les travailleurs avaient une pension plus ou moins décente ; aujourd’hui, il est de plus en plus évident que les jeunes n’auront jamais de pension de retraite ; il y a 25 ans presque toutes les familles avaient un logement décent ; aujourd’hui, il y a de plus en plus de familles sans toit ou qui doivent s’entasser à plusieurs générations dans un même logement déjà exigu. Et cela n’arrive pas seulement à Haïti ou en Afrique, cela arrive à Londres, Madrid ou New York, au cœur même du monde dit « prospère » !

Le capitalisme n’a pas de solution à sa crise mortelle, ses mesures d’austérité ne débouchent que sur des mesures d’austérité supplémentaires. L’austérité ne produit que plus d’austérité, les sacrifices d’aujourd’hui ne font que préparer ceux de demain.

En 2007, Zapatero avait dit « qu’il n’y avait pas de crise » ; en 2008, il a dit qu’il fallait supporter le chômage et les mesures de réajustement, parce qu’en 2009 on commencerait à voir des « bourgeons verts ». Aujourd’hui, en 2010, il y a bien plus de chômage et, en plus, on annonce un programme d’attaques sans précédent.

Il n’y a que la lutte, le développement de l’unité et de la solidarité en tant que travailleurs qui pourront nous ouvrir la voie vers une solution. Une solution qui sera celle que nous rechercherons à nous tous. Pour la simple raison que nous savons ce en quoi consistent les « solutions » des gouvernants et de ceux qui aspirent à le devenir : des promesses et des « sorties de crise » dans les discours et les campagnes électorales ; de la misère, du chômage et des coups bas dans la vie de tous les jours.

Accion proletaria, section du CCI en Espagne (19 février 2010)

 

1 Le pacte de Tolède de 1995 signé par le gouvernement d’alors (socialiste) avec les syndicats et l’opposition, voulait renforcer les retraites par répartition. Premier résultat : le calcul moyen a été allongé progressivement de 8 à 15 années de cotisations supplémentaires. Au-delà des « avantages » de ce pacte, on y établit que le gouvernement espagnol peut se permettre de réduire le montant des pensions, grâce à l'indexation des pensions sur les prix plutôt que sur les salaires. Par ailleurs, les fonds de pensions privés complémentaires ont été renforcés (passant en 15 ans de 2% à presque 30% !) avec tout ce que cela signifie d’aléatoire.

2 Actuellement, cette indemnisation est : 45 jours payés par année travaillée.

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