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Pour faire suite à notre précédent article sur les journées de discussion que le CCI a organisées à Lille en octobre dernier, nous abordons maintenant la première session de ce week-end consacré à Darwin et à la nature humaine, en publiant l'introduction et le compte-rendu synthétique de la discussion qui l'a suivie.
Nous rappelons que ces deux textes ont été produits par des participants à la réunion, ce qui nous donne l'occasion de saluer leur contribution et leur engagement actif dans la réussite de ces rencontres. Hormis certains détails, nous sommes globalement en accord avec ces textes et quoiqu'il en soit, ce qui importe avant tout est leur capacité à refléter la richesse d'une discussion qui a permis à chaque participant, qu'il soit intervenu ou non, d'y trouver matière à réfléchir et à approfondir sa conception de la nature humaine. Car ce qui peut apparaître dans un premier temps comme étant une question scientifique éloignée des besoins de la lutte de classe, est en fait un élément essentiel pour fonder la nécessité et la possibilité d'une société communiste. C'est en effet en comprenant mieux la nature humaine, l'existence d'instincts sociaux et leur rôle dans le développement de la civilisation, que l'on peut mieux définir en quoi le capitalisme constitue intrinsèquement une entrave au progrès de l'espèce humaine et le communisme le cadre indispensable de son émancipation.
CCI
Présentation du thème par la camarade N.
L’année 2009 a été l’année Darwin : anniversaire de sa naissance il y a 200 ans en 1809, et anniversaire de son livre le plus connu De l’origine des espèces écrit il y a 150 ans en 1859. Beaucoup de revues et magazines ont mis à l’honneur Darwin et sa théorie très connue de la sélection naturelle.) La bourgeoisie s’est intéressée très tôt à cette théorie mais s’est empressée de la dénaturer. Qui n’a pas eu un cours ou lu un article ou vu une émission sur la théorie de la sélection naturelle qui réduise celle-ci au fait que la sélection naturelle serait “la sélection des individus les plus forts”. Il ne reste plus qu’à savoir pourquoi la bourgeoisie et ses savants s’échinent tellement à détourner cette théorie. Il est clair que la réponse principale tient dans le fait que la didactique darwinienne pose directement la question de la nature humaine et se trouve être un enjeu de taille pour l’assise idéologique de la société capitaliste naissante.
Mais alors qu’est-ce que cette conception de la science et du monde apporte-t-elle vraiment ? Comment la bourgeoisie tente-t-elle de détruire les réels apports de Darwin ? Et enfin comment résoudre cette question de la nature humaine ?
Les apports de Darwin
La théorie de la sélection naturelle
Darwin, fils de médecin, arrêta ses études de médecine pour suivre une carrière de naturaliste. Il fit un voyage exploratoire de 5 ans autour du monde durant lequel il observa de nombreuses espèces animales et végétales : il remarqua de nombreuses ressemblances entre différentes espèces vivantes ou fossiles. Il étudia grâce à de nombreuses enquêtes auprès des éleveurs et des horticulteurs les modalités de création de nouvelles espèces. De ces observations, il en déduisit que si les éleveurs ou horticulteurs réussissaient à faire varier des espèces et à utiliser ces variations pour créer de nouvelles espèces c’est que ces espèces renfermaient naturellement en elles la capacité de varier : c’est la variabilité. Donc les espèces naturelles peuvent également varier mais alors comment et pourquoi cela se produit-il ? Comment ? Par la sélection naturelle (non exercée par l’homme) qui sélectionne les individus les plus aptes à survivre dans un environnement donné. Pourquoi ? C’est là que la loi de Malthus entre en jeu : après avoir lu les travaux de Malthus, Darwin comprend qu’appliqués aux espèces animales et végétales, ils permettaient de combler certains manques pour ancrer sa théorie dans la réalité de l’évolution. Pourquoi cette sélection ? Tout simplement parce qu’il naît plus d’individus pour chaque espèce qu’il ne peut en survivre.
La fin du “fixisme” et de la théologie scientifique
Résoudre ces questions et expliquer le mécanisme de l’évolution permet à la science de sortir du joug du fixisme qui veut que chaque espèce ait été créée par Dieu et qu’elles aient toujours existé à l’identique de ce qu’elles sont aujourd’hui. C’est ce que montre très bien Pannekoek dans sa brochure Marxisme et Darwinisme : des scientifiques tels que Lamarck avaient déjà élaboré des théories transformistes pour comprendre la variabilité des espèces animales et végétales, seulement ne pouvant prouver ni expliquer le mécanisme qui fait que les espèces animales et végétales naissent à partir d’espèces anciennes ces théories étaient restées à l’état d’hypothèse et Dieu restait le créateur de cette variabilité. Un des apports majeurs de Darwin est d’avoir démontré que les espèces d’aujourd’hui sont le fruit d’une longue évolution qui s’est faite au moyen de la sélection naturelle dans le cadre de la lutte pour l’existence : il introduit donc dans les sciences du XIXe siècle, gouvernées par les classifications, le principe de l’évolution et détruit non sans heurt le joug de la religion.
Darwinisme et marxisme
Qu’est-ce que cela apporte aux marxistes et au mouvement ouvrier ? Pannekoek, révolutionnaire du début du XXe siècle, montre à quel point les deux théories et méthodes sont liées : « Il apparaît donc que le marxisme et le darwinisme ne sont pas deux théories indépendantes qui s’appliqueraient chacune à leur domaine spécifique, sans aucun point commun entre elles. En réalité, le même principe sous-tend les deux théories. » Un siècle plus tard, Patrick Tort, directeur de l’Institut Charles Darwin International écrit en parlant des théories de Marx, Darwin et Freud : « La combinaison de ces multiples perspectives dans l’élaboration d’une théorie générale du devenir de la civilisation constitue, en effet, l’une des tâches scientifiques du matérialisme aujourd’hui. » Engels avait d’ailleurs écrit à Marx : « Ce Darwin, que je suis en train d'étudier, est tout à fait sensationnel. On n'avait jamais fait une tentative d'une telle envergure pour démontrer qu'il y a un développement historique dans la nature. » ( Lettre d’Engels à Marx, 11 décembre 1859). L’apport de Darwin est en fait le même que celui de Marx, c’est celui d’un raisonnement dialectique introduisant l’évolution dans la méthode d’analyse et permettant ainsi de comprendre la monde sous un jour nouveau : celui d’un monde en constante évolution. Tout comme chaque espèce n’est pas éternelle mais se transforme, le capitalisme non plus n’est pas une fin en soit.
De ce fait se pose alors cette question fondamentale : si l’espèce humaine est le fruit d’une évolution, est-elle soumise au principe de la sélection naturelle ? Darwin mettra onze ans pour aborder cette question dans son œuvre méconnue et pourtant majeure : La filiation de l’homme. Pendant ce temps, les savants de la bourgeoisie victorienne soumis à l’idéologie puissante d’un capitalisme fleurissant ont su voir l’intérêt qu’ils pouvaient tirer à combler ce vide “à leur manière”.
Détournement par la bourgeoisie et réponse de Darwin lui-même
Malheureusement cette mystification est encore très présente aujourd’hui et joue de tout son poids dans les rangs de la classe ouvrière.
Le darwinisme dénaturé
Le principal inspirateur du « darwinisme social » est Spencer (1823-1903) qui appliqua alors la théorie de la sélection naturelle à l’homme telle quelle, en proposant une relecture au passage. Il a traduit “lutte pour l’existence” (qui est d’ailleurs la seule force considérée pour expliquer la naissance de nouvelles espèces) par “concurrence interindividuelle généralisée”, selon l’expression de P. Tort et “sélection naturelle” par “survie des plus aptes”. Il étayera sa théorie d’exemples tirés du monde animal très critiqués par Pannekoek : « Ce n’est pas aux prédateurs, qui vivent de façon séparée et qui sont les animaux modèles des darwinistes bourgeois, que l’homme doit être comparé, mais à ceux qui vivent socialement. » Ainsi le système capitaliste naissant est à l’image de la nature et les moins adaptés doivent être éliminés sans égards et sans secours. Il est clair que Darwin est encore lu aujourd’hui à travers les lunettes de Spencer, lunettes en faveur de l’esprit de concurrence qui régnait chez les acteurs et les soutiens de l’industrie anglaise de l’époque victorienne. Processus fort bien démontré par Pannekoek qui décrit très clairement l’erreur faite par ces penseurs : « Ils ont déduit des lois qui gouvernent le monde animal, où la théorie darwinienne s’applique, ce qui est en conformité avec cette théorie, et dès lors l’ordre naturel qui doit durer toujours. »
Une frange de la bourgeoisie est allée plus loin dans le détournement de l’œuvre de Darwin avec Galton le penseur précurseur du racisme scientifique. L’eugénisme était hostile à la reproduction des pauvres, des handicapés physiques et mentaux, pensée comme un obstacle à l’augmentation numérique des hommes supérieurs. Alors que Spencer prône un libéralisme total (aucune intervention pour venir en aide aux pauvres et aux désœuvrés), Galton prône une intervention cœrcitive et limitative des naissances. On sait par la suite comment le nazisme poussera cette théorie à l’extrême et s’en servira de cautionnement scientifique.
Le démenti de Darwin
Darwin a répondu lui-même à ces lectures dévoyées de son œuvre et à son extrapolation erronée.
Darwin a démenti Galton bien avant que celui-ci ne dénature sa pensée en affichant un anti-racisme engagé dès ses premiers textes : « À mesure que l’homme avance en civilisation, et que les petites tribus se réunissent en communautés plus larges, la plus simple raison devrait aviser chaque individu qu’il doit étendre ses instincts sociaux et sa sympathie à tous les membres de la même nation, même s’ils lui sont personnellement inconnus. Une fois ce point atteint, seule une barrière artificielle peut empêcher ses sympathies de s’étendre aux hommes de toutes les nations et de toutes les races. Il est vrai que si ces hommes sont séparés de lui par de grandes différences d’apparence ou d’habitudes, l’expérience malheureusement nous montre combien le temps est long pour que nous les regardions comme nos semblables. » Il n’est pas nécessaire d’en dire plus.
Contre Spencer, il écrit : « L’aide que nous nous sentons poussés à apporter à ceux qui sont privés de secours est pour l’essentiel une conséquence inhérente de l’instinct de sympathie, qui fut acquis originellement comme une partie des instincts sociaux, mais a été ensuite, de la manière dont nous l’avons antérieurement indiqué, rendu plus délicat et étendu plus largement. » Darwin rappelle ce qui a manqué à la lecture de Spencer : la nature sélectionne également des instincts et chez l’homme comme pour l’ensemble des animaux sociaux a sélectionné les instincts sociaux et c’est bien ce qui pose problème à la bourgeoisie car cela ne rentre pas dans son cadre d’analyse et sa doctrine.
D’autres lectures de Darwin
Même si certains révolutionnaires sont tombés dans le piège de vouloir contrer ces théories en utilisant la même démarche que ces penseurs bourgeois, c’est-à-dire en voulant démontrer que c’est le communisme qui est le système social naturel à l’humanité, d’autres ont très bien compris son œuvre, comme Pannekoek déjà cité. Fervent défenseur des apports de Darwin, il montre l’importance de la question de la sociabilité de l’homme très présente dans la deuxième œuvre de Darwin : La Filiation de l’Homme qui détruit point par point les théories du darwinisme social. Pannekoek s’appuyant sur Kautsky écrit : « Quand un certain nombre d’animaux vivent en groupe, en troupeau ou en bande, ils mènent en commun la lutte pour l’existence contre le monde extérieur ; à l’intérieur la lutte pour l’existence cesse. […] C’est grâce à cette force unie que les herbivores sans défense peuvent contrer les prédateurs. » C’est du fait de cette nuance très importante qu’il est impossible d’appliquer la théorie de la sélection naturelle de manière schématique : elle relève plus d’une dialectique de la nature que d’une loi immuable. Certains spécialistes aujourd’hui, comme Patrick Tort, vont plus loin et parlent d’un “effet réversif de la sélection naturelle” qui peut se résumer par cette simple phrase : la sélection naturelle sélectionne des instincts sociaux excluant des comportements éliminatoires. La sélection naturelle par la voie des instincts sociaux a sélectionné la civilisation, qui s’oppose à la sélection naturelle. Selon P. Tort, Darwin réconcilie donc nature et culture. Je ne détaille pas plus nous aurons l’occasion d’y revenir dans le débat.
Alors au regard de ces lectures de Darwin, qu’en est-il de la nature humaine ?
La question de la nature humaine
Au regard des différents ouvrages cités jusqu’à maintenant, on peut se demander s’il y a une nature humaine, une faculté propre à l’homme et à lui seul. N’est-il pas vain d’entamer une telle entreprise ?
Une vision bourgeoise à combattre
Quand on pose cette question, on pose en fait une question relativement compliquée. La bourgeoisie nous enfonce dans la tête depuis notre plus jeune âge que l’homme est par nature violent, guerrier, individualiste, opportuniste pour justifier idéologiquement ses échecs et les horreurs que son système a engendrés ainsi que pour inhiber la confiance de la classe ouvrière dans le fait qu’elle est capable de s’unir pour lutter contre ce système d’exploitation de l’homme par l’homme. Mais je pense qu’il ne faut pas tomber dans l’excès inverse et vouloir démontrer à tout prix que l’homme est par nature solidaire, altruiste, bon et pacifique car cette démarche n’est pas scientifique mais doctrinale et ne permet pas de comprendre l’homme. Cette démarche mène inéluctablement à une mauvaise compréhension du monde et de la nature dans son ensemble. Il est nécessaire de détruire cette pensée dans les rangs de la classe ouvrière car elle est un obstacle réel aux luttes prolétariennes en sapant la confiance de la classe ouvrière en elle-même et banalisant les pensées “no future” : puisque l’homme est naturellement mauvais, il ne s’en sortira jamais et devra supporter ce système éternellement.
La fin de ce concept
En ce qui me concerne, je pense qu’il n’y a pas de nature humaine. L’homme n’est rien par nature, ni bon ni mauvais. L’homme s’explique par le matérialisme historique et la théorie de l’évolution des espèces. P. Tort écrit page 154 de son livre L’effet Darwin : « Entre les facultés humaines et les ébauches animales dont elles dérivent par le jeu des avantages sélectifs, il ne peut y avoir, suivant la formule consacrée, qu’une différence de degré et non de nature. » L’homme est un animal comme les autres : il diffère de la girafe comme celle-ci diffère du singe. À vouloir chercher le propre de l’homme, on adopte une démarche vouée à l’échec dans la compréhension de l’homme car on le prive de ses origines. Il n’y pas de rupture entre nature et culture mais bien une dialectique : la morale, le langage ne sont que le résultat de la sélection naturelle qui a sélectionné les instincts sociaux qui ont amené l’homme a développé le langage, la morale base des civilisations. L’homme n’est pas par nature solidaire, simplement dans sa lutte pour l’existence la protection des plus faibles et l’entraide fut un avantage et donc sélectionné. Il ne s’agit pas de trouver en quoi l’homme est unique mais en quoi dans son origine animale il développe des différences qui le mènent à cette condition d’homme contemporain.
Les différences humaines
L’homme se distingue par l’ampleur de ses facultés qui se trouvent développées de manière beaucoup plus importantes que chez les animaux sociaux. A quoi cela tient-il ? Est-ce comme le dit Pannekoek le fait que l’homme fortement démuni dans ses facultés physiques a développé des instincts sociaux beaucoup plus complexes pour être mieux armé et ainsi des outils, prolongement des organes animaux remplissant cette fonction, absents chez l’homme ? Est-ce la nécessité d’un langage élaboré pour communiquer dans des groupes comptant de plus en plus de membres fonction nécessaire pour faire face aux éventuels prédateurs et qui aurait conduit l’homme à un niveau de cognition très élevé menant à une conscience très élaborée de lui-même et des autres ?
Conclusion
Développer la question qui je pense favorisera le débat : comment comprendre que des études récentes démontrent que la sélection naturelle a favorisé au sein de l’espèce humaine le développement de comportements d’entraide et d’altruisme, alors qu’on assiste aujourd’hui à un développement puissant de comportements individualistes ? A la sélection naturelle ne superpose-t-il pas une sélection sociétale ?
Synthèse de la discussion par le camarade R.
La discussion qui a suivi la présentation a abordé les sujets suivants :
1) L’apport de la théorie de Darwin
2) Darwinisme et marxisme
3) L’interprétation de la théorie de Darwin par la bourgeoisie
4) Qu’est ce que la sélection naturelle ?
5) Peut-on parler d’une nature humaine ?
6) Concurrence et altruisme
7) Intérêt de la discussion
1) L’apport de la théorie de Darwin
De nombreuses interventions ont souligné le caractère novateur, pour son époque, de cette théorie. En effet, elle est révolutionnaire (même si avant Darwin d’autres scientifiques avaient commencé à appréhender la question) parce qu’elle remet totalement en cause les croyances, les principes donnés jusque-là comme intangibles et imposés à l’ensemble de la société comme une vérité indiscutable.
Quelles étaient ces vérités ? Le monde vivant, plantes, animaux, est fixe, ne se transforme pas. Il est le produit de la volonté d’un créateur. La théorie de l’évolution va donc constituer une rupture totale et complète avec les théories fixistes, créationnistes, téléologiques dominantes à l’époque. Elle met en évidence qu’il existe un mécanisme, celui de la sélection naturelle, pour expliquer comment des espèces nouvelles peuvent être issues d’autres espèces. Avec la théorie de Darwin, une première explication scientifique du monde qui nous entoure est exposée : Le monde évolue sous l’action conjuguée de plusieurs facteurs.
2) Darwinisme et marxisme
Cette théorie est du point de vue de la méthode proche du marxisme parce que l’une comme l’autre, en ayant une démarche scientifique fondée sur aucun a priori, aucun préjugé, emploie une méthode matérialiste. Peut-on en conclure que Darwin est marxiste et que le darwinisme est une conception prolétarienne ?
La théorie de Darwin n’est pas dirigée contre la bourgeoisie. Elle n’a pas de but politique car son dessein n’est pas de chercher à établir des frontières de classe entre le prolétariat et la bourgeoisie. Lorsque Darwin expose sa théorie, la bourgeoisie applaudit des deux mains parce qu’elle comprend qu’elle peut s’en servir contre les anciennes classes. Ainsi la classe montante va s’approprier cette théorie, comme d’autres théories scientifiques à l’époque, et va s’en servir pour saper les bases idéologiques de l’ancien régime. Ces bases politiques étant assises sur la notion de “droit divin” n’ont aucun fondement, le pouvoir qui en découle n’a donc aucune légitimité.
La discussion a par ailleurs réaffirmé qu’il n’y a pas de science bourgeoise ou prolétarienne. Il y a une classe sociale, le prolétariat, qui se nourrit des travaux des scientifiques afin d’enrichir sa compréhension du monde pour pouvoir se donner les moyens de le transformer.
3) L’interprétation de la théorie de Darwin par la bourgeoisie
Comme toutes les classes exploiteuses qui l’ont précédée, la bourgeoisie, pour maintenir sa domination, s’est forgée sa propre idéologie. Ce fut le deuxième aspect développé par la discussion. La bourgeoisie a dévoyé l’interprétation faite par Darwin de l’évolution et l’a réduit à l’échelle de la seule compétition entre les individus. La compétition pour la bourgeoisie est liée de manière intime et nécessaire à la nature humaine. Ainsi elle brouille les consciences et fait de l’homme, un être violent, guerrier, un assoiffé de pouvoir, etc,…
La conception de l’évolution sera utilisée sur le plan politique, en la vidant totalement de son contenu, par les défenseurs du « darwinisme social ». Selon cette théorie, la sélection est l’état naturel des relations sociales et le moteur de l’évolution humaine. Ainsi on justifie la hiérarchisation de la société et l’on peut aller jusqu’à prôner l’élimination des plus faibles.
Pour le marxisme, il n’y a aucune cause naturelle, mais des causes matérielles que l’on trouve au sein des rapports de production. Ce sont ces rapports qui conditionnent les rapports sociaux et qui engendrent des rapports de concurrence. En ce sens ces formes ne sont pas immuables comme voudrait nous le faire croire la bourgeoisie, elles peuvent être dépassées seulement par l’instauration d’une société communiste.
4) Qu’est-ce que la sélection naturelle ?
L’évolution ne s’est pas opérée grâce à l’usage et à l’utilisation intense de certains organes. Ainsi la girafe n’a pas développé un long cou parce qu’elle devait chercher de la nourriture sur les plus hautes branches. Son cou s’est développé par sélection, en éliminant dans la population des girafes celles dont le cou n’était pas adapté, et conservant et étendant à l’ensemble de la population des girafes le trait, le caractère d’un long cou nécessaire à la survie de l’espèce. L’évolution ne se fonde donc pas seulement sur le hasard, elle se manifeste aussi par une sélection des caractères favorables qui s’étendent au groupe entier.
La transmission se fait via les individus, les parents transmettent à leurs enfants, leurs particularités, mais en même temps ces enfants ne sont pas “une copie conforme de leurs parents”, ils divergent de leurs ascendants. Sans cette variation, il serait totalement impossible qu’il puisse y avoir un processus évolutif par lequel, grâce à des divergences grandissantes, une nouvelle espèce apparaîtrait.
La théorie de Darwin de la descendance modifiée par la sélection naturelle fait de l’homme non pas un être à part, mais un être qui se rattache au monde animal. Bon nombre de capacités considérées comme propres à l’homme ont été démontrées chez les animaux. La fabrication d’outils, la notion du beau, des formes de compassion sont quelques exemples parmi d’autres du lien qui unit l’homme aux animaux.
5) Peut-on parler de l’existence d’une nature humaine ?
Peut-on défendre la pertinence d’une classification du monde vivant ? La discussion a montré qu’il y avait des nuances ou des divergences sur ces questions.
a) Le premier point de vue a défendu l’idée selon laquelle il n’y a pas de nature humaine. Cela n’implique pas qu’il n’y a pas de différences entre les hommes et les animaux. Il n’y a qu’une différence de degré, et dire qu’il y a une nature humaine, c’est rechercher une faculté qui serait propre à l’homme et à lui seul. Comme l’expose Patrick Tort dans son livre, L’effet Darwin : « À vouloir chercher le propre de l’homme, on adopte une démarche vouée à l’échec dans la compréhension de l’homme, car on le prive de ses origines. »
b) Une deuxième intervention a insisté sur l’idée selon laquelle les espèces, les classifications, sont une réalité en tant que concept mais n’ont pas de réalité scientifique. Il y un caractère arbitraire dans les notions de race et d’espèce dont il faut se débarrasser. Ainsi catégoriser divers groupes humains sur la base de la race, c’est scientifiquement aberrant. Les progrès de la génétique aujourd’hui conduisent à rejeter toute classification raciale et doivent servir à pourfendre tout le contenu inégalitaire contenu dans les théories racistes.
c) Un troisième point de vue s’est exprimé au cours de la discussion et a défendu l’existence d’une nature humaine. L’homme s’est extrait du monde animal et s’en est distingué. Au cours de son évolution, il a développé des facultés propres. Ainsi il a eu la capacité de développer des outils d’une très haute technicité, il a eu la capacité d’exprimer et de communiquer sa pensée aux moyens de signes vocaux ou graphiques ou bien encore la capacité de prendre conscience de sa propre existence. Il a effectué au cours de son évolution un pas qualitatif très important qui ne fait pas de lui l’être suprême mais l’être qui a une responsabilité sur ce qui l’entoure.
d) Autre insistance présente dans la discussion : l’une des bases essentielles contenue dans la théorie de la transformation, c’est l’idée qu’il y a un processus continu qui s’oppose donc à toute idée de rupture. Ainsi l’homme et l’animal ont des caractères communs. Le processus a donc été continu, il n’y a pas eu de rupture entre le point de départ constitué par l’apparition de la cellule et le stade actuel celui de l’homme.
e) La notion d’espèce a une réalité. L’espèce se définit par l’ensemble des individus, animaux ou végétaux semblables par leur aspect, leur habitat, féconds entre eux mais stériles avec tout autre individu d’une autre espèce. La science tient des principes jusqu’au moment ou la réalité décrite jusque là est remise en cause par de nouvelles découvertes. Les notions d’espèce et de race ne sont évidemment pas des critères absolus, leurs frontières peuvent avoir un certain flou ; elles ont un sens pratique et efficient pour définir un état, une chose.
6) Concurrence et altruisme
Pour essayer de comprendre la question, il faut la poser en n’omettant pas de faire le lien entre la biologie évolutive (analyse du monde vivant et de son évolution) et l’étude de la dimension sociale de l’homme (l’anthropologie). En effet la sélection naturelle ne se limite pas à sélectionner des variations organiques. Elle sélectionne aussi des instincts individuels et collectifs qui sont fondamentaux pour expliquer le processus qui conduit à la civilisation.
Ainsi l’évolution se caractérise par le passage d’un “état de nature” régi essentiellement par la loi de la sélection naturelle à un état “civilisé” dans lequel se développent des conduites s’opposant aux lois de la sélection naturelle. La disposition de caractère qui pousse à s’intéresser aux autres, à se montrer généreux et désintéressé est l’essence même de l’homme. Mais elle n’est pas seulement innée, elle est aussi le produit de la structure sociale, des règles qu’il se donne et qui conduisent à respecter les autres hommes. Au vu de toutes les expériences scientifiques qui ont été menées (tests sur de jeunes enfants, études sur des peuplades), il est démontré qu’il existe à la base, des sentiments altruistes, des comportements sociaux chez l’homme.
7) Intérêt de la discussion
Le débat avait au XIXe siècle une fonction essentielle, celle de lutter contre toutes les interprétations religieuses du monde. Il y avait une véritable guerre entre les tenants d’une vision idéaliste du monde et les tenants d’une vision matérialiste. Aujourd’hui avec la crise du capitalisme, la bourgeoisie a besoin de lancer des campagnes idéologiques notamment sur la théorie de Darwin. Marx et les marxistes ont à l’époque répondu à toutes ces questions, il faut donc recentrer le débat par rapport à cette question.
Conclusion : Du débat, il est bien ressorti que la théorie de Darwin était novatrice. Elle pose pour principe, un principe dynamique, un principe d’évolution du vivant en montrant quel est le moteur de cette évolution. La question de la nature humaine (existante ou pas) est une question importante, elle doit nous permettre de mieux appréhender quels seront les enjeux qui détermineront les rapports entre l’individu et la société communiste. La discussion n’a malheureusement pas suffisamment abordé les questions des instincts sociaux et de la morale.