La suppression de l'histoire-géographie en Terminale S est une attaque économique et idéologique

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Le 23 novembre, Luc Chatel a annoncé la suppression pure et simple des cours d’Histoire et de Géographie en Terminale scientifique.

Il s’agit là d’une attaque de plus qui vise à la réduction drastique du nombre de fonctionnaires. La suppression de cette discipline n’est que le fruit d’une logique visant à réduire les horaires d’enseignement de ces matières sur l’ensemble du cursus Seconde, Première et Terminale au lycée. Il y aura donc automatiquement besoin de moins d’enseignants.

L’État avait déjà porté la même attaque lors de la réforme précédente contre les Mathématiques, l’Informatique, les ‘Sciences de la Vie et de la Terre’ et la Physique-Chimie. Toutes ces matières ont été supprimées du programme des Terminales “Littéraire” et ‘Economique et Sociale’.

En démantelant ainsi peu à peu l’enseignement, matière par matière, l’État parvient à atteindre son objectif : diminuer considérablement le nombre de fonctionnaires. Année après année, c’est de plus en plus de postes qui sont supprimés à l’Education Nationale : 3500 en 2005, 1607 en 2006, 8700 en 2007, 11 200 en 2008, 13 500 en 2009 et… 16 000 en 2010 ! Soit 54 507 en 6 ans !

Ces chiffres éclairent les vrais motifs de ces réformes successives de “modernisation” de l’enseignement.

Résultat : les conditions de travail et d’apprentissage dans les écoles sont en train de se dégrader à toute vitesse. Enseignants, surveillants, conseillers d’éducation, mais aussi les élèves, tous sont confrontés à des classes et des salles de permanence surchargées, à des programmes dénués d’intérêt, à un climat tendu et parfois violent.

L’école n’a jamais été un lieu où la “jeunesse” (en fait, majoritairement les enfants d’ouvriers) pouvait s’épanouir et développer un esprit critique, libre. Elle a toujours été essentiellement une école de formation des futurs travailleurs, formatés idéologiquement autant que possible. Mais, ces dernières années, cette réalité s’est accentuée, elle a été mise à vif. En supprimant toutes ces matières, l’État appauvrit encore l’enseignement, il enferme encore un peu plus dans la spécialisation, il montre que son seul intérêt est de faire de ces élèves des travailleurs qualifiés dans leur branche, point barre.

Le Parti socialiste soulagé que les jeunes ne fouillent pas dans son histoire ?

Le Parti socialiste a une nouvelle fois brillé dans cette affaire par… son absence. Seul, le MoDem a jugé cette réforme “inacceptable”. Au Parti socialiste, une seule voix a porté, celle de Bruno Julliard, l’ex-président de l’UNEF et actuel secrétaire national du PS à l’éducation. En voici un échantillon. A la question du journaliste : “La réforme du lycée est-elle une bonne réforme ?”, il répond : “Je dirais non, moins parce qu’elle porte en elle des dangers que parce qu’elle manque d’ambition. […] On avait besoin d’une réforme en profondeur qui réponde à la question essentielle des missions du lycée. Le gouvernement n’a pas engagé ce débat. Il y a des éléments positifs (re-sic !), mais ils restent nettement insuffisants” .

Si c’est pour proférer de telles platitudes, on comprend que les autres ténors préfèrent se taire. Il faut dire que le PS n’est pas des mieux placés pour protester de façon crédible contre toutes ces attaques, lui qui a participé “allègrement” à la réduction des effectifs des surveillants sous Jospin entre 1997 et 2007 et qui s’était donné comme objectif de “dégraisser le mammouth Education Nationale”. Tel est le sens réel de la critique sur le “manque d’ambition” de cette réforme formulée par Bruno Julliard.

Le piège du corporatisme et de la citoyenneté

Si le PS s’est fait tout petit, le “monde de gauche”, lui, s’est naturellement scandalisé de cette suppression de l’Histoire-Géographie. Mais en y regardant de plus près, ces protestations masquent un piège, le poison du corporatisme, et une idéologie putréfiée, la citoyenneté.

Dans les déclarations suivantes, les mots n’ont en effet pas été choisis par hasard : “Ce nouvel épisode […] laisse anéanti et scandalisé. […] Dans la formation du citoyen, ces disciplines ont un rôle absolument fondamental. La compréhension du monde contemporain, de ses crises économiques ou géostratégiques, des rapports de force qui se nouent et se dénouent en permanence entre les nations, implique la maîtrise de l’Histoire et de la Géographie.” (2)

Ces matières ont une fonction citoyenne, développent l’esprit critique par rapport à l’émotionnel.” (3)

D’abord, le “monde de gauche” se focalise ici sur l’Histoire-Géographie et passe sous silence l’ensemble des attaques. Il fait de la suppression de cette matière un problème particulier. Ce faisant, il isole les enseignants de cette matière des autres enseignants, des surveillants… eux aussi touchés par la réduction des effectifs. C’est répandre insidieusement le poison du particularisme… au sein même du corporatisme.

Ensuite, il fait croire que le rôle de l’école serait de former des personnes lucides, capables de réflexion éclairée sur le monde, capables d’analyser le présent par la connaissance des faits historiques et les expériences du passé. L’histoire enseignée tiendrait donc une place prépondérante pour comprendre la société capitaliste. Rien n’est plus faux !

Les enseignants et les jeunes générations ont à défendre leurs conditions de travail et d’étude, et à se sentir indignés quand le minimum éducatif est remis en cause, mais certainement pas à défendre la “citoyenneté” !

Les programmes d’Histoire ont toujours été construits pour et par la propagande d’Etat. Et ces dernières années, la bourgeoisie a même accentué cette réalité. Les multiples réformes des programmes permettent de moins en moins une analyse claire des faits historiques et la construction d’une réflexion critique chez les nouvelles générations. Tout est mis en place pour que la nouvelle génération ne puisse pas comprendre la faillite criante du capitalisme, pour qu’elle ne voit pas un éléphant dans un couloir ! Par exemple, l’étude de la crise de 1929 a purement et simplement “disparu” des programmes du lycée. L’année n’appartient même pas aux dates importantes à connaître à la sortie du collège ! (4) La bourgeoisie gomme ainsi tout parallèle possible dans la tête de la nouvelle génération ouvrière avec la crise économique qui sévit actuellement. La période de l’entre-deux guerres a elle aussi “disparu” des programmes des séries scientifiques, pas un mot sur les insurrections écrasées dans le sang par le Parti socialiste en Allemagne en 1919, 1921 et 1923, évidemment. Comment prétendre alors à une analyse non tronquée des causes de la Seconde Guerre mondiale ? Sans compter une remontée de l’obscurantisme au travers de l’apparition de l’étude des religions au collège. Tandis qu’il est demandé aux enseignants de passer au moins 20 % du temps d’enseignement de l’histoire (5) dessus, Régis Debray (6), lors d’une réunion proposée par le centre pédagogique de Paris7, a précisé qu’il fallait “mettre dans la tête des élèves de l’école maternelle ce patrimoine religieux et mettre en évidence le croisement du croire et du savoir, et ne pas éliminer la vérité religieuse” ! (8)

L’école laïque est un outil de la bourgeoisie pour la bourgeoisie. Historiquement, elle a été créée suite à l’expérience de la Commune de Paris dans le but d’encadrer idéologiquement la classe ouvrière. Jules Ferry, dans ses diverses interventions pour défendre l’école “gratuite” et “laïque” l’exprime d’ailleurs fort bien : “Non, certes, l’État n’est point docteur en mathématiques, docteur en lettres ni en chimie. […] S’il lui convient de rétribuer des professeurs, ce n’est pas pour créer ni répandre des vérités scientifiques ; ce n’est pas pour cela qu’il s’occupe de l’éducation : il s’en occupe pour y maintenir une certaine morale d’État, une certaine doctrine d’État, indispensable à sa conservation.” (9) “[…] Alors ne craignez pas d’exercer cet apostolat de la science, de la droiture et de la vérité, qu’il faut opposer résolument, de toutes parts, à cet autre apostolat, à cette rhétorique violente et mensongère, […] cette utopie criminelle et rétrograde qu’ils appellent la guerre de classe !” (10)

Le rôle réel de l’école est peu à peu de plus en plus visible : former techniquement les futurs travailleurs afin qu’ils soient efficaces et productifs et les formater idéologiquement pour en faire de bons (c’est-à-dire dociles) citoyens.

La suppression de l’Histoire-Géographie est une attaque réelle, mais pour lutter contre elle, il faut lutter contre toutes les attaques, ne pas se laisser isoler par le corporatisme et dévoyer par l’idéologie citoyenne, autrement dit nationaliste et contre la lutte des classes.

Frida (19 décembre)

 

2)  Jacques Sapir – Professeur à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales – in du 29 novembre.

3) Entretien avec Hubert Tison, secrétaire général de l’Association des professeurs d’histoire-géographie. www.humanite.fr/Entretien-avec-Hubert-Tison-secretaire-general-de-l-Asso...

4Bulletin officiel spécial n° 6 du 28 août 2008.

5Idem.

6) Actuel président de l’IESR (institut européen en sciences et religions) et ancien doyen de l’inspection générale d’histoire et géographie.

7) Réunion tenue le 2 avril 2008.

8) Cité dans les Cahiers du mouvement ouvrier, no 43.

9) Jules Ferry à la Chambre, 26 juin 1879.

10) Jules Ferry à la Sorbonne, lors de la séance d’ouverture des cours de formation des professeurs, le 20 novembre 1892.

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