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Après de nombreux refus, suite à un harcèlement des autorités de l'Etat, Lazare Ponticelli, le dernier "poilu", a fini par accepter (1) au dernier moment des "obsèques nationales" . Mais "sans tapage important ni grand défilé, au nom de tous ceux qui sont morts, hommes et femmes". Si Lazare Ponticelli avait fini par autoriser ces funérailles, qui ont eu lieu lundi 17 mars, c'était clairement au nom du rejet de "cette guerre injuste et horrible".
En revanche, pour tous les dignitaires et politiciens de l'Etat bourgeois, ce cérémonial avait une toute autre fonction : celle de la récupération politique dans l'union sacrée. Nostalgiques d'un temps où la population avait été embrigadée derrière le drapeau tricolore, il s'agissait de revenir à la charge pour nous dire "qu'il faut aimer sa patrie" (Sarkozy). Le message est clair pour les nouvelles générations : il faut savoir se mettre à genoux devant le drapeau national et accepter de se sacrifier pour la nation ! Selon les dires officiels de la bourgeoisie, tous les poilus seraient morts, certes atrocement, mais "utilement", en "héros", pour défendre les "valeurs de la nation", celle de la "paix". Mensonges odieux ! Ce sont bien les ancêtres politiques de toutes ces cliques gouvernementales et politiciennes, de droite comme de gauche, qui au nom de "la patrie" et du drapeau tricolore ont envoyé des millions de prolétaires (la plupart entre 18 et 25 ans !) se faire trouer la peau. Une boucherie organisée par les soins de cette classe sociale dominante avide de rapines, de croisades militaires destinées à défendre de sordides intérêts impérialistes ! Les faiseurs de cérémonies sont les mêmes que ceux qui mobilisent et recrutent pour les tranchées !
Le comble du cynisme, c'est bien de nous faire croire que les poilus rescapés, que l'on a tardivement cherché à consoler par des colifichets ridicules distribués par des huiles, cautionnaient cette guerre par "patriotisme" et étaient prêts à se faire étriper pour le capital national. Les témoignages des derniers "poilus", qui montrent l'horreur atroce des combats, soulignent tous l'absurdité de descendre dans les tranchées et de tirer sur "l'ennemi". En 1914-1918, les soldats avaient d'ailleurs rapidement pris conscience de l'absurdité de cette boucherie et du "bourrage de crâne": "Vous tirez sur des pères de familles, c'est complètement idiot la guerre." C'est cette prise de conscience qui explique des gestes d'humanité envers "l'ennemi", comme celui de Lazare Ponticelli en Argonne : "Je tombe sur un Allemand qui avait le bras en bandoulière. Il m'a fait signe avec ses deux doigts comme ça. Quand il m'a fait signe, j'ai compris qu'il avait deux enfants. Alors je me suis dit s'il a deux enfants, vaut mieux qu'il rentre en Allemagne. Et je l'ai ramené vers la tranchée allemande (...)". Est-ce ce geste de solidarité, qui fait fi de la nationalité et des frontières, que les bourgeois honorent ? Sûrement pas ! Autant dire qu'une telle conduite était passible du peloton d'exécution !
Et que dire alors des fraternisations dont la bourgeoisie fait bien peu de publicité ? Pour Lazare Ponticelli, les Autrichiens et les Allemands "étaient des gens comme nous", qui partageaient les mêmes souffrances et davantage même : "Ils nous donnaient du tabac et nous des boules de pain. Personne ne tirait plus."
Après avoir été mobilisé dans l'armée française et intégré ensuite de force dans l'armée italienne par les gendarmes, Lazare Ponticelli a en effet participé activement aux mouvements de fraternisation dans le Tyrol. Laissons-lui la parole : "On avait fait amitié avec la tranchée autrichienne sur le front de l'est (...) On s'est dit : "Si on essayait d'envoyer des pierres avec des bouts de papiers pour leur faire comprendre qu'on se tire dessus et qu'on n'est pas coupables". (...) Quand je suis monté debout (hors de la tranchée, NDLR) et comme je n'avais pas de fusil, je l'avais laissé dans la tranchée, ils ont vu que je ne voulais pas tirer. Alors là ils ont accepté de s'arrêter de tirer. Avec les gens qui connaissaient bien l'autrichien (les Italiens qui faisaient partie de sa compagnie, NDLR), on a parlementé et on s'est mis d'accord. On a fait une patrouille mélangée d'Italiens de chez nous et d'Autrichiens et on passait au long des lignes en faisant de la propagande. Alors tout le monde arrêtait, personne ne tirait plus. Et quand ils se sont aperçus que cela s'étendait, les officiers autrichiens et les officiers italiens se sont réunis et la compagnie a été déclarée au conseil de guerre. On devait être fusillés. Mais quand le bataillon a su qu'on allait passer au conseil de guerre, il a protesté en disant qu'on avait raison, qu'on n'avait pas besoin de se battre pour rien. (...) Ils ne nous ont pas passé au conseil de guerre mais ils nous ont envoyés dans un autre endroit où il y avait une compagnie d'élite autrichienne. Et là, ils (les soldats italiens de sa compagnie, NDLR) sont tous morts" (2).
Ce témoignage vivant se rattache à des centaines d'épisodes semblables qui se sont déroulés sur tous les fronts et dans toutes les armées à l'époque. Il s'agissait là du prélude à une vague révolutionnaire et à la révolution prolétarienne en Allemagne qui a débuté par la mutinerie des marins de Kiel, en novembre 1918, obligeant la bourgeoisie des deux camps à s'unir pour faire front contre les ouvriers encore en uniforme. C'est cet événement, fortement réprimé dans le sang, qui a mis fin à la première boucherie mondiale et non les "valeurs" des politiciens !
L'hommage rendu par la bourgeoisie au dernier des "poilus" montre tout le cynisme dont cette classe de crapules est capable. Ce genre de cérémonie revient à cracher sur les tombes de tous ces prolétaires français, allemands, italiens, anglais... morts pour la cause du capital. Aujourd'hui, alors que le capitalisme en crise exprime sa faillite, la bourgeoisie cherche désespérément à brouiller les consciences avec son patriotisme et son esprit de concurrence. Face à cela, le prolétariat doit rejeter la logique et l'idéologie nationaliste de la bourgeoisie. Il doit développer ses luttes, sa solidarité de classe et en même temps dénoncer le "bourrage de crâne" déjà combattu par ses aïeux.
WH (19 mars)
1)
On imagine les très fortes pressions qui ont pu être
exercées. Il faut se souvenir par exemple qu'un précédent
"poilu" avait refusé la Légion d'honneur en
disant à son fils : "Tu peux te la mettre où je
pense". Il avait fini, lassé, par "l'accepter"
(révolté par l'attitude de l'Etat qui avait refusé
de lui reverser la pension de retraite de sa femme). Lazare
Ponticelli a malgré tout maintenu fermement son refus d'être
enterré au Panthéon.
2) Retranscription d'un témoignage oral datant de 2005 rapporté à la journaliste Johanna Sabroux pour Libération.