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PRESENTE AU 4EME CONGRES DE REVOLUTION INTERNATIONALE, SECTION DU C.C.I. EN FRANCE, LE RAPPORT QUE NOUS PUBLIONS ICI TENTE DE CERNER LES PREMIERS PAS DU PROLETARIAT DANS LA REPRISE INTERNATIONALE DES LUTTES OUVRIERES.
CE RAPPORT EST CONCU EN TROIS PARTIES :
LA PREMIERE TRAITE DU DEVELOPPEMENT DES CONDITIONS GENERALES, ECONOMIQUES, POLITIQUES ET SOCIA, LES DANS LESQUELLES SE DEROULE LA LUTTE DE CLASSE ET QUI LA CONDITIONNENT.
DANS LA DEUXIEME SONT EVOQUEES RAPIDEMENT LES CARACTERISTIQUES GENERALES DE LA LUTTE DE CLASSES A NOTRE EPOQUE.
LA TROISIEME PARTIE S'ATTACHE A DEGAGER QUELQUES PROBLEMES AUXQUELS SONT CONFRONTEES LES DERNIERES LUTTES OUVRIERES.
SI CE RAPPORT A ETE CONCU DE CETTE MANIERE, C'EST QU'IL NOUS SEMBLAIT QU'ELLE PERMETTAIT UNE APPROCHE A LA FOIS GLOBALE ET DYNAMIQUE DE LA LUTTE DE CLASSES ET DES PROBLEMES QU'ELLE SOULEVE.
LE DEVELOPPEMENT DES LUTTES OUVRIERES EN POLOGNE SEMBLE CONFIRMER CETTE METHODE D'ANALYSE ET LE CONTENU DU RAPPORT. EN EFFET :
- LE DEVELOPPEMENT DES CONDITIONS GENERALES, A L'ECHELLE INTERNATIONALE, CONFERE AUX LUTTES EN POLOGNE UN IMPACT ET UNE IMPORTANCE BIEN PLUS GRANDS QUE NE POUVAIENT EN AVOIR LES LUTTES DE 70-71 ET DE 76 ;
- D'AUTRE PART, CES LUTTES DEMONTRENT UNE FOIS DE PLUS A QUEL POINT LA LUTTE DE CLASSES SE DEVELOPPE PAR DE BRUSQUES BONDS EN AVANT DANS LA PERIODE ACTUELLE, ET NON DE FACON PROGRESSIVE, OBEISSANT A UNE DYNAMIQUE DIFFERENTE DE CELLE OU SIECLE PASSE ;
- ENFIN, CES LUTTES MONTRENT L'UNITE DES PROBLEMES ET DES QUESTIONS QUE RENCONTRE LA CLASSE OUVRIERE DANS SA LUTTE, DANS QUELQUE PAYS QUE CE SOIT. MAIS CE QUI CARACTERISE LES LUTTES EN POLOGNE PAR RAPPORT A CELLES QUI les ONT PRECEDEES, CE QUI FAIT QU'ELLES REALISENT UN BOND EN AVANT DU MOUVEMENT OUVRIER INTERNATIONAL, C'EST QUE LES OUVRIERS EN POLOGNE ONT COMMENCE A REPONDRE DANS LA PRATIQUE A CES PROBLEMES ET A CES QUESTIONS; que CE SOIT L'EXTENSION, L'UNIFICATION DE LA LUTTE, L'AUTONOMIE, L'AUTO-ORGANISATION ET LA SOLIDARITE DE LA CLASSE.
AVANT DE LAISSER LE LECTEUR JUGER PAR LUI-MEME, IL FAUT ENCORE PRECISER QUE CE RAPPORT S'EST SURTOUT DONNE POUR TACHE DE METTRE EN AVANT L'ASPECT DYNAMIQUE ET POSITIF DE LA REPRISE A L'HEURE ACTUELLE, SANS S'ATTACHER A ANALYSER LA MANIERE DONT LA BOURGEOISIE TENTE DE S'Y OPPOSER (EN PARTICULIER AVEC L'ATTITUDE OPPOSITIONNELLE DE LA GAUCHE).
L'évolution de la lutte de classes, dans ses formes et dans son contenu, est toujours l'expression des changements et de l'évolution des conditions dans lesquelles elle se déroule. Chaque évènement qui met aux prises le monde du travail contre le capital peut révéler, selon la situation, tel ou tel aspect prometteur d'un mouvement souterrain qui mûrit, ou, au contraire, les derniers soubresauts d'un mouvement qui s'épuise. Aussi ne peut-on traiter de la lutte de classes et de son évolution sans considérer les conditions qui y président.
Pour ces raisons, il est nécessaire d'examiner, dans un premier temps, l'évolution des conditions sociales générales par rapport à la lutte de classes avant de se pencher, dans une seconde partie, sur les aspects marquants de son évolution, et de sa dynamique depuis deux ans et des perspectives qu'elle ouvre.
L’EVOLUTION DES CONDITIONS DE LA LUTTE DE CLASSE A L'HEURE ACTUELLE
Il nous faut considérer les déterminations sociales de la situation; aujourd'hui sous ses différents angles : économique, politique, et de l'ensemble de la société.
AU NIVEAU ECONOMIQUE
L'accentuation et la généralisation de la crise économique développe les conditions de la lutte de classes aujourd'hui. La tendance à l'égalisation dans la descente et la stagnation qui caractérise le sort des nations bourgeoises dans la période de décadence s'exacerbe dans cette période de crise aiguë. Par rapport à il y a dix ans, tous les pays sont frappés par la crise et les "modèles de développement" allemand, japonais, américain pour les pays développés, coréen, iranien, brésilien pour les pays sous développés/sont ramenés au rang des autres.
Au sein de chaque économie nationale également, il y a de moins en moins de secteurs industriels "locomotives". Les espoirs que la bourgeoisie pouvait mettre dans le développement des uns au détriment des autres trop anachroniques et peu rentables, s'effondrent. Tous les secteurs de la production tendent à être touchés.
Tous les ouvriers aussi. Le spectre des licenciements et du chômage, la baisse du niveau de vie, la perspective de l'aggravation de conditions d'existence de plus en plus intolérables ne soit plus l'apanage de certains secteurs. Les difficultés des uns deviennent les difficultés de tous. CETTE TENDANCE A L'UNIFICATION, PAR LA CRISE, DES CONDITIONS D'EXISTENCE DU PROLETARIAT DEVELOPPE LE LES CONDITIONS POUR LA GENERALISATION DE SES LUTTES.
L'approfondissement et la généralisation de la crise économique constituent un aspect fondamental des conditions nécessaires à la généralisation des luttes dans la période actuelle.
Mais un autre aspect de cette réalité, non moins fondamental pour le développement de ces conditions, réside dans le fait que la crise économique se présente aujourd'hui SANS PERSPECTIVES, sans autre issue que la guerre, à la conscience des différentes classes.
Au langage de "restructuration", de "participation", d'"auto-gestion" que nous a tenu depuis dix ans la bourgeoisie, a fait place un langage d'austérité. On ne parle plus du "bout du tunnel". Le bout du tunnel pour la bourgeoisie aujourd'hui, c'est la guerre et elle le dit.
Aussi nous tient-elle un "langage de vérité". Mais la vérité bourgeoise n'est pas toujours bonne à dire, surtout aux exploités.
QUE LA BOURGEOISIE INDIQUE OUVERTEMENT QUE SON SYSTEME EST EN FAILLITE, QU'ELLE N'A RIEN D'AUTRE A PROPOSER QUE LA BOUCHERIE IMPERIALISTE, CONTRIBUE A CREER LES CONDITIONS POUR QUE LE PROLETARIAT TROUVE LE CHEMIN DE SON ALTERNATIVE HISTORIQUE AU SYSTEME CAPITALISTE. AU NIVEAU POLITIQUE
Toutes les perspectives illusoires mises en avant depuis dix ans, et que la bourgeoisie croyait elle-même être des solutions, tendent à s'évanouir.
Ainsi, la situation économique catastrophique du capitalisme, la conscience qu'en ont les différentes classes et les réactions qu'elle détermine dans la classe ouvrière se retrouvent et se traduisent sur le plan politique, non seulement au niveau de la lutte entre les différentes fractions de la bourgeoisie (crise politique), mais surtout PAR L'ABSENCE D'ALTERNATIVE HISTORIQUE FACE A LA LUTTE DE CLASSE.
L'usure de la "gauche au pouvoir", qui avait dominé la perspective sociale pendant les années précédentes, est un élément déterminant de cette absence d'alternative. C'est pourquoi on a assisté à la réorientation de la gauche dans l'opposition, dans les principaux pays européens, face et contre le développement de la lutte de classe.
Cependant, sur le plan politique, la gauche ne peut pas présenter à l'heure actuelle de perspective propre. Sa fonction consiste surtout à minimiser les enjeux de la situation. Face au langage de "vérité" des gouvernements en place, elle brouille les cartes. Elle dit que cette vérité -la perspective de guerre- est un mensonge, mais elle a peu de mensonges à proposer en guise de vérité. Aussi, ce n'est pas tant sur le terrain de la perspective politique que la gauche va remplir actuellement sa fonction anti-ouvrière mais directement sur le terrain de la lutte de classe.
ESSENTIELLEMENT ET FONDAMENTALEMENT, CETTE ABSENCE D'ALTERNATIVE POLITIQUE SE TROUVE AUJOURD'HUI AU COEUR DE LA CRISE POLITIQUE DE LA BOURGEOISIE; DE CE POINT DE VUE, LA POSITION DE LA GAUCHE DANS L'OPPOSITION TRADUIT UNE POSITION ET UNE SITUATION DE FAIBLESSE POUR ELLE-MEME ET POUR L'ENSEMBLE DE LA BOURGEOISIE.
AU NIVEAU SOCIAL
Sur le plan social, le développement des conditions dans lesquelles se déroule la lutte de classes S'EXPRIME ET SE TROUVE RESUME DANS LA POSITION DE L'ETAT DANS ET FACE A LA SOCIETE. Et cela d'autant plus que l'Etat tend, dans la période de décadence, à régir l'ensemble de la vie sociale et à établir son emprise sur toutes ses expressions.
Si l'on examine rapidement la situation de l'Etat aujourd'hui, on s'aperçoit (lut les effets de la crise et les différents plans économiques de ces dernières années pour y faire face ont eu des conséquences très graves sur l'état de ses finances dont les déficits atteignent des proportions de plus en plus importantes et sont d'ailleurs une des sources principales d'inflation. Il n'y a guère que le budget de l'armée et de la police qui soient augmentés ; pour le reste, ce que la bourgeoisie appelle les "budgets sociaux" et qui sont en réalité une partie des salaires dont l'Etat a la charge, ils ont tous été fortement diminués en même temps qu'augmentaient les charges sociales.
Au moment même où il est obligé de développer la répression et la militarisation de la vie sociale, l'ébranlement économique de l'Etat affaiblit son emprise idéologique et l'apparence "sociale" de l'Etat du capitalisme d'Etat tend à disparaître pour laisser de plus en plus au grand jour sa réalité de gardien de l'ordre capitaliste.
La position dans laquelle se retrouve aujourd'hui l'Etat laisse la porte ouverte à l'expression des contradictions qui rongent la société, celles qui divisent les classes sociales et s'expriment dans la désobéissance à l'Etat, la révolte et la lutte du prolétariat.
Face à ce processus, l'Etat tend à renforcer de plus en plus son caractère répressif pour empêcher les contradictions d'éclater au grand jour. Sans parler des pays sous développés où la réponse de l'Etat à ces contradictions se traduit par des massacres de plus en plus grands des populations, ouvriers, paysans (massacre des ouvriers aux Indes, massacres en Iran, meurtres à répétition en Turquie, en Tunisie, en Equateur, etc...), dans les pays développés et jusqu'ici au visage "démocratique", l'Etat est de plus en plus acculé à ne proposer que sa police et sa "justice" de classe comme réponse à toute expression sociale.
Les lois que nous concoctent tous les gouvernements d'Europe à l'heure actuelle, "anti-terroristes" en Italie, "anti-autonomes", "anticasseurs" en France, les pratiques judiciaires des "flagrants délits", les morts dans les affrontements comme en Corse, à Jussieu, à Miami, les blessés à Bristol, à Plogoff, les blindés dans les rues d'Amsterdam contre les "squatters", voilà la réponse des Etats "démocratiques" aux contradictions dans la société.
Dans cette situation, les illusions qui avaient subsisté sur la possibilité de changement dans le cadre des institutions existantes et dans la "légalité" tendent à disparaître elles-aussi.
Mais le renforcement de la répression étatique n'est pas une expression de la force de l'Etat mais un renforcement formel. En l'absence de perspectives économiques et politiques, en l'absence d'un embrigadement idéologique des populations derrière les buts de l'Etat, l'exacerbation de sa répression exprime sa faiblesse.
D'autre part, la faillite du système non seulement empire les conditions de vie de la classe ouvrière, mais encore accélère le développement des milliers de sans-travail exclus de la vie économique, jette sur le pavé des milliers de paysans, appauvrit toutes les couches et classes sociales intermédiaires et détermine une révolte grandissante des couches non-exploiteuses contre l'ordre social existant. On a vu se développer, de façon accélérée depuis les derniers deux ans, des révoltes de populations entières (Iran, Nicaragua, Salvador), des mouvements des paysans, des émeutes dans les pays développés (Bristol, Miami, Plogoff), des révoltes des étudiants (Jussieu en France, Corée, Afrique du Sud).
Le développement du mécontentement social et de la révolte dans la société est l'une des conditions dans lesquelles se développe la lutte de la classe ouvrière, une condition de la révolution prolétarienne. En effet, les mouvements contre l'ordre social existant participent d'une part au processus d'isolement de l'Etat et constituent, d'autre part, le contexte social au sein et vis à vis duquel le prolétariat se dégage et trouve sa voie propre comme seule force capable de présenter une alternative.
Ce n'est pas seulement contre la bourgeoisie que le prolétariat fait la révolution, mais c'est face à l'ensemble de la société qu'il peut ouvrir un chemin nouveau et c'est face à elle qu'il développe sa prise de conscience.
Ainsi, avec le développement de ces facteurs :
1) approfondissement important de la crise économique qui ne présente d'autre perspective que la guerre;
2) absence de perspective politique immédiate et de grands thèmes idéologiques qui canalisent, sinon "l'espoir", du moins la révolte ;
3) affaiblissement de la position et de l'emprise des Etats qui tendent à être de plus en plus isolés face à la révolte des couches et classes sociales non exploiteuses dans l'ensemble du monde ; se développent les conditions pour que le prolétariat trouve le chemin d'un processus révolutionnaire international.
Mais au sein des conditions générales, le passage de la gauche dans l'opposition répond au besoin pour la bourgeoisie d'empêcher qu'un tel processus ne s'enclenche. Avant même que la reprise des luttes ne se soient clairement dessinée, la bourgeoisie armée de ses thermomètres syndicaux et de ses "experts du travail" a compris la situation. En ce sens, et contrairement à la période précédente de luttes où le prolétariat avait surpris le monde par son resurgissement sur la scène historique, la bourgeoisie connaît aujourd'hui le danger de la lutte de classes et s'y est préparée.
Du point de vue de la bourgeoisie, le passage de la gauche dans l'opposition ne correspond pas à un plan machiavélique et prévu d'avance. L'emprise et l'audience des partis de gauche et surtout des syndicats s'affaiblissant dangereusement tout au long de cette période de course au pouvoir ou de "responsabilité" vis à vis des pouvoirs établis (désyndicalisation, perte d'influence et hémorragie des militants sont les signes révélateurs de cet affaiblissement), ceux-ci ont été contraints d'adopter une autre position pour ne pas perdre ce qui est le fondement de leur réalité et de leur force, le contrôle de la classe ouvrière.
Même s'ils font tout et ils vont tout faire pour "redorer leur blason" dans l'opposition en prenant la "tête" des luttes, ils s'usent également dans l'opposition car la lutte de classes n'est pas leur terrain véritable. C'est pourquoi nous disions plus haut que la position d'opposition de la gauche était une position de faiblesse; c'est la poussée de la lutte de classes qui détermine sa position actuelle d'opposition et de "radicalisation verbal".
Dans notre travail au sein de la lutte du prolétariat et donc en butte au problème de la gauche dans l'opposition, nous devons garder à l'esprit ce double aspect que revêt la position de la gauche dans l'opposition. D'un côté entrave au développement de la lutte de classes, et de l'autre, position de faiblesse due elle-même à la faiblesse de l'encadrement idéologique de la bourgeoisie. Da toutes façons, la gauche devra, elle, vivre et travailler au sabotage de la lutte de classes avec cette contradiction qui se développera nécessairement avec le développement des luttes et qui l'usera d'une manière plus radicale que la course au pouvoir.
Après avoir examiné les conditions objectives de la lutte de classe à l'heure actuelle, il faut chercher à évaluer le contenu des luttes qu'on a vu se développer. Mais il est encore nécessaire de rappeler rapidement les caractéristiques générales des luttes dans la période de décadence, la dynamique qui les anime et que l'expérience du prolétariat nous a enseignée.
LE PROCESSUS DE LA LUTTE DE CLASSES
1- Contrairement au 19ème siècle, le prolétariat ne peut plus se constituer en force face à la société sans remettre directement en cause la société elle-même. Alors qu'à l'époque, le prolétariat pouvait développer ses luttes de façon limitée et faire céder le capital sans ébranler toute la société, le caractère obsolescent et décadent du capitalisme et l'exacerbation de ses contradictions dans les périodes de crise aiguë ne peuvent plus supporter la constitution d'une force antagonique en son sein. Les luttes du prolétariat ne peuvent qu'accentuer la crise de la société et poser la question de la société elle-même.
Les buts du mouvement, de remise en cause des conditions d'existence s'étendent à la remise en cause de cette existence elle-même ; les formes de lutte, de résistance partielle et localisée de fractions de la classe ouvrière, s'étendent à la classe ouvrière dans son ensemble. Le développement de la lutte nécessite la participation massive de la classe ouvrière.
2- Contrairement au mouvement ouvrier du siècle dernier qui, malgré le caractère toujours heurté de la lutte de classes, pouvait se développer de façon progressive au sein de la société, où chaque lutte partielle de la classe venait renforcer la prise de conscience et l'union grandissante des travailleurs dans leurs organisations de masse, les luttes d'aujourd'hui ont un caractère explosif, préparé et imprévu.
Malgré son caractère heurté et explosif, le développement de mouvements de masse est un processus et obéit à une logique qui constitue la dynamique de la lutte de classes, qui se développe au travers de plusieurs moments de lutte, même si ceux-ci ne se relient pas forcément entre eux, de façon apparente, par un lien évident.
"Il est absolument faux d'imaginer la grève de masse coffre une action unique. La grève de masse est bien plutôt un terme qui désigne collectivement toute une période de lutte de classes s'étendant sur plusieurs années, parfois sur des décennies." (R. Luxembourg. Grèves de masses, parti et syndicats, p.128. Ed Maspero 1969).
C'est dans un tel cadre, en gardant â l'esprit les lois générales et les caractéristiques du mouvement révolutionnaire à l'heure actuelle, que nous pouvons et devons nous pencher sur les éléments que nous a apportés la pratique de la classe dans ses derniers combats.
Aujourd'hui, nous sommes au tout début d'un processus qui va mener vers le développement des grèves de masses; un processus durant lequel la classe va trouver le chemin pour constituer une force qui régénérera la société en la débarrassant de ses entraves capitalistes.
C'est pourquoi, c'est avec beaucoup d'attention que nous devons chercher à voir, dès maintenant, dans les luttes, les éléments dynamiques, porteurs de possibilités immédiates, pour participer de toutes nos forces et capacités à la marche historique du prolétariat vers l'avenir.
CERTAINS ASPECTS DE LA LUTTE DE CLASSES AUJOURD' HUI
Au cours de ces dernières luttes, aussi embryonnaires soient-elles, l'activité de la classe ouvrière a déjà soulevé beaucoup de problèmes, beaucoup plus qu'elle n'en a résolus et ne peut en résoudre dans l'immédiat. Mais le .fait qu'ils aient été posés dans la pratique constitue déjà un pas en avant du mouvement. On peut en énumérer en vrac un certain nombre qui, s'ils sont tous liés dans et par le processus d'affirmation révolutionnaire de la classe, apparaissent encore connes des éléments isolés, sans dégager nécessairement une orientation claire, se présentant ponctuellement dans les luttes à l'heure actuelle :
- les affrontements avec l'Etat ont eu lieu dans toutes les luttes principales en Europe (Longwy, Denain, Paris, Grande-Bretagne, mineurs du Limbourg, Rotterdam ...);
- l'auto-organisation (comité de coordination de la Sonacotra, comité de grève de Rotterdam);
- la solidarité active (Grande-Bretagne, France); - l'occupation de l'usine (Denain, Longwy) ;
- l'information et ses moyens de diffusion par la presse, la radio, la TV (Espagne, France) ;
- la répression et la lutte contre la répression (emprisonnés de Denain, de Longwy, du 23 mars).
Dans toutes ces questions, les ouvriers ont rencontré les manigances syndicales, sous ses multiples formes, de la base au sommet, et avec l'esprit syndicaliste qui pèse encore lourdement sur leur conscience ; ils ont dû les déborder, les contourner, les affronter, et bien souvent s'y sont laissés prendre.
Si tous ces aspects, ces questions, surgis de la lutte, trouveront leur réponse dans la lutte elle-même, on ne peut se contenter de généralités en attendant leur résolution. Contrairement à "Pour une Intervention Communiste" qui , à Longwy et Denain, demandait à la classe ouvrière d'inscrire l'"abolition du salariat" sur son drapeau ; contrairement au "Groupe Communiste Internationaliste" pour qui la question de l'heure (et à toute heure!) à laquelle les luttes doivent se consacrer est "l'affrontement" ; contrairement au "Ferment Ouvrier Révolutionnaire" qui préconise "l'insurrection", et à la "Communist Workers Organisation" qui "attend" que les masses rompent avec les syndicats (et rejoignent le parti ?) pour s'y intéresser , nous devons examiner concrètement les nécessités et les possibilités de la lutte actuelle, comme les dangers actuels qui les guettent, si nous voulons participer activement à leur développement. A la veille de l'insurrection, les problèmes cruciaux immédiats ne seront pas les mêmes qu'aujourd'hui. Mais aujourd'hui, au tout début d'un processus fragile, nous devons nous pencher avec attention sur les différents aspects des luttes, si faibles et si petits soient-ils, pour comprendre à chaque moment où en est le processus, comment il se développe, où réside l'avenir immédiat du mouvement, quelles sont ses potentialités, et y apporter notre contribution.
Nous nous limiterons à étudier certains points parmi ceux mentionnés ci-dessus, qui nous semblent dominants à l'heure actuelle.
LES MOYENS ET L'EXTENSION DES LUTTES
Une des premières questions que pose la lutte, c'est celle de son efficacité immédiate par rapport à la bourgeoisie et à son Etat. Si l'on prend l'exemple de trois situations différentes dans lesquelles se trouvent Tes ouvriers dans la production on voit qu'ils sont tous confrontés à ce problème.
- En Grande-Bretagne, la grève de trois mois qu'ont menée les sidérurgistes et qu'ils ont étendue en partie à la sidérurgie privée, n'a eu quasiment aucun effet sur la vie économique du pays. En Hollande, malgré un mois de grève des dockers, 80% de l'activité du port de Rotterdam a été assurée.
- D'autre part, un grand nombre de luttes a été engagé contre les licenciements. Dans ce cas, encore plus que dans les autres, la pression économique que les ouvriers voudraient exercer sur la bourgeoisie est rendue impossible de fait.
- D'autre part encore, dans des secteurs vitaux pour le fonctionnement de l'économie et celui de l'Etat (secteurs de pointe, mais surtout énergie, armement, transports, etc.), les ouvriers ont été
et sont soumis, dès qu'ils veulent entrer en lutte, à une pression très forte de l'Etat et à des diktats de plus en plus totalitaires. En France, par exemple, on a pu assister tout au long de ces derniers mois, à une campagne de la bourgeoisie contre les grèves dans les secteurs publics, et tout dernièrement la bourgeoisie cherche à imposer des mesures antigrèves dans la production d'électricité.
Aussi, dans les mouvements que la classe ouvrière a menés ces derniers mois, elle a à nouveau fait l'expérience de la difficulté à imposer une pression économique qui rende sa lutte efficace. La quantité de stocks dont dispose la bourgeoisie, la haute technicité du capital et son corollaire, une main d’œuvre limitée, l'organisation mondiale du capital, le contrôle et la centralisation économique par l'Etat, bref la puissance du capital par rapport au travail sur le terrain économique, font que les grèves dans une usine, ou même dans une branche d'industrie ont un effet des plus limités.
Tout cela n'est pas nouveau et est l'expression du capitalisme d'Etat et de la militarisation de la vie économique qu'impose la décadence du système et que renforce la crise aiguë actuelle. Mais ce qui est "nouveau" par contre, dans les luttes de ces derniers mois, c'est que la prise de conscience de cette situation a été l'aiguillon, la force principale qui a poussé les ouvriers à chercher d'autres voies, à étendre leurs luttes.
En Grande-Bretagne, les ouvriers ont vite réalisé que le blocage du trafic de l'acier dans les ports, les lieux de stockage etc., était pratiquement impossible à réaliser et qu'il fallait trouver une autre voie pour s'imposer. C'est alors qu'ils ont cherché à orienter leur mouvement vers la recherche de la solidarité active des autres ouvriers.
En France, la lutte des ouvriers de la sidérurgie avait lieu contre les licenciements. Dans ce cas, encore plus que dans les autres, la pression économique ne pouvait avoir de poids sur la bourgeoisie, et les ouvriers s'en sont rendu compte dès le début. A aucun moment ils ne se sont mis en grève et c'est dans la rue qu'ils ont engagé la lutte. Lorsque la CGT, à Denain, a proposé l'occupation de l'usine, elle s'est fait huer par les ouvriers.
A Rotterdam, le problème de l'extension du mouvement s'est posé dès le début de la grève. Les ouvriers se sont orientés dans différentes tentatives d'extension (appeler les autres dockers à la grève) et lorsqu'au bout de trois semaines de grève, ils ont voulu aller chercher les autres ouvriers du port, c'est alors que l'Etat a envoyé sa police, exprimant ainsi clairement que c'est là que résidait pour lui le danger de cette lutte.
Dans ces luttes, la classe ouvrière a commencé à se rendre compte de la limitation objective du terrain catégoriel et strictement économique, terrain où le rapport de forces ne peut qu'être favorable à la bourgeoisie. Si le prolétariat ne fait que commencer à entrevoir la question, l'accentuation de la crise économique et avec elle, d'un côté, l'augmentation des licenciements, et de l'autre l'effort de rentabilisation et de militarisation des secteurs-clés de l'économie, vont pousser de plus en plus la classe ouvrière à trouver de nouvelles voies, et , en attaquant la force du capital de tous côtés, à la transformer en faiblesse.
LA QUESTION DU CHOMAGE ET LES LICENCIDENTS DU LES LUTTES ACTUELLES
Dans la résolution que le CCI avait adopté sur les questions du chômage et de la lutte de classe, nous mettions en avant que "si les chômeurs avaient perdu le terrain de l'usine, ils gagnaient du même coup celui de la rue". Les luttes de l'an dernier contre les licenciements dans la sidérurgie sont venues confirmer cette thèse.
Ces luttes nous ont montré que la lutte contre les licenciements sur le "terrain de la rue" constituait un TERRAIN TRES PROPICE AU DEVELOPPEMENT GENERAL DE LA LUTTE, A SON EXTENSION ET A SON UNIFICATION, et cela en particulier parce que le terrain de la rue déborde le cadre de l'usine et de la corporation, terrain privilégié du travail syndical.
Cette expérience doit aujourd'hui nous servir de guide et d'illustration sur la place que peut occuper demain la lutte des chômeurs. En effet, dans une situation générale de développement des luttes, la lutte des chômeurs, parce qu'elle est de fait débarrassée des entraves corporatives et sectorielles, et ne peut se dérouler que sur le "terrain de la rue", jouera nécessairement un rôle important dans l'extension et l'unification de la lutte ouvrière et sera bien plus difficile à contrôler et à encadrer par les syndicats.
Depuis que nous avons eu nos discussions sur les questions du chômage et de la lutte de classe, le développement lent de la crise ne nous a pas donné l'occasion de voir une lutte de chômeurs se développer, à part en Iran. Malgré le peu d'informations auxquelles nous pourrions nous référer nous pouvons tout de même avancer que la question du chômage a été premièrement une question centrale dans la lutte des ouvriers en Iran et deuxièmement qu'elle en a été une force motrice et unificatrice.
Pour toutes ces raisons, nous devons donc dans la situation actuelle de développement extrêmement grave de la crise et du chômage qui va en résulter, ne pas relâcher notre attention sur cette question. Au contraire:, nous devons accorder une attention particulière à son développement, aux réactions qu'il provoque dans la classe ouvrière et à la manière dont la gauche et Les syndicats tentent et tenteront de désamorcer la bombé sociale qu'il constitue.
EXTENSION ET SOLIDARITE.
Dès que la classe ouvrière entre en lutte, dans un secteur ou dans un autre, se pose la question de la solidarité, comme besoin et nécessité de la lutte.
En France, dans les premières attaques des ouvriers à Longwy et Denain, contre les préfectures, les caisses d'impôts, les banques, les chambres patronales, et surtout dans les premières attaques de commissariats en réponse aux actes de répression de la police, UNE SOLIDARITE DIRECTE ET SPONTANÉE DES AUTRES OUVRIERS, DES CHOMEURS ET MEME DE LA POPULATION S'EST REALISEE DANS L'ACTION.
En Grande-Bretagne, malgré le cadre strict imposé au départ par les syndicats à la grève et aux formes de la lutte des sidérurgistes (piquets de grève pour bloquer le trafic de l'acier), les ouvriers ont exprimé leur combativité et leur orientation propres dans les tentatives qu'ils ont faites pour orienter la lutte vers les autres ouvriers, pour aller chercher leur solidarité active. Même si et bien que les syndicats aient réussi à garder le contrôle de l'extension en la limitant au cadre corporatiste qu'ils dominent, c'est sous la pression ouvrière à la recherche de son chemin propre qu'ils l'ont fait, contre l'opposition au départ des bureaucraties syndicales, et C'EST LA QU'ONT RESIDE LE POIDS ET LA FORCE DU MOUVEMENT EN GRANDE-BRETAGNE, en dépit de tous les pièges que lui avait soigneusement tendus la bourgeoisie.
Dans les deux luttes qui se sont dotées d'une organisation propre, en dehors des syndicats, à Rotterdam et à la Sonacotra en France, le problème de la solidarité a été constamment posé. Dés le début, comme on l'a dit plus haut, le comité de grève de Rotterdam était préoccupé de l'extension du mouvement et de la solidarité des autres ouvriers, qui s'est posée, de façon embryonnaire, à Amsterdam. Durant toute la lutte de la Sonacotra, la question de la solidarité des ouvriers français était au cœur des préoccupations du comité de coordination. Les slogans dominants de toutes les manifestations d'immigrés étaient : "français, immigrés, mêmes patrons, même combat ! ; "ouvriers français, immigrés : solidarité!"
Cet effort de la recherche de la solidarité par la classe ouvrière est une manifestation très positive des luttes à l'heure actuelle et des pas qu'elle commence à faire dans la prise de conscience de sa nature fondamentalement unie par les mêmes intérêts.
Mais cet effort encore fragile rencontre face à lui beaucoup d'entraves. La première est bien sûr le niveau général de la lutte de classes. Bien que la solidarité soit un acte volontaire, conscient, elle n'en nécessite pas moins un développement général de la combativité et des luttes ouvrières. Les travailleurs immigrés, en France, en ont d'ailleurs fait l'amère expérience durant toute la période du reflux de la lutte de classe. Cela dit, une autre entrave au développement de la solidarité ouvrière est une conception confuse de la solidarité, conception qui pèse d'autant plus sur la conscience du prolétariat qu'elle se réfère à la "solidarité ouvrière" telle qu'elle pouvait se réaliser dans les luttes du siècle passé.
Alors qu'au 19ème siècle, la solidarité de la classe ouvrière pouvait s'exprimer dans le soutien matériel et financier des grèves, au travers des caisses de grève organisées par les syndicats et qui permettaient aux ouvriers de tenir jusqu’a ce que le patronat cède, aujourd'hui, comme on l'a vu plus haut, la pression économique de la classe ne peut plus s'exercer dans le cadre d'une usine ou même d'une branche d'industrie. Les ouvriers sont nombreux aujourd'hui à avoir fait l'expérience de longues grèves qui, malgré le soutien matériel et la "popularisation" organisée par les syndicats, non seulement n'ont pas fait céder la bourgeoisie, mais encore ont abouti à la démoralisation dans l'isolement.
Alors que fondamentalement, la recherche de la solidarité par la classe ouvrière en lutte aujourd'hui s'impose à travers la nécessité de BRISER L'ISOLEMENT, la bourgeoisie essaie de dévoyer cette orientation, lorsque la lutte contient trop de dangers, de potentialités à l'égard de son pouvoir, en utilisant le besoin de solidarité à son profit. C'est ainsi qu'au Brésil, les ouvriers ont payé le prix du "soutien" que leur ont apporté les bourgeois et les curés qui ont réussi, au nom de ce soutien, à les enfermer dans leurs églises, et à dévoyer le mouvement sur leur propre terrain, celui de la "démocratie" (syndicalisme libre) et de la nation. De même en France, rares sont les grèves qui ont connu un "soutien" aussi massif et aussi "large" de tous les pouvoirs établis, depuis Chirac jusqu'à la presse, comme celle des nettoyeurs du métro : tout le monde y a mis du sien pour aboutir au nom de la solidarité à l'isolement complet des ouvriers.
La conception bourgeoise de la solidarité, c'est la solidarité DES classes, l'union de tous les citoyens derrière un seul drapeau, une "cause" au nom de laquelle on sacrifie un moment ses intérêts particuliers et divergents. La solidarité de la classe ouvrière, elle, est une solidarité DE classe : ce sont leurs intérêts communs que les ouvriers réalisent dans toute action de solidarité. Pour la bourgeoisie, la solidarité est une notion morale; pour la classe ouvrière, elle est sa pratique.
De par les caractéristiques de la lutte de classe dans la période de décadence, LA SOLIDARITE DE LA CLASSE OUVRIERE AUJOURD'HUI, LA SEULE VOIE PAR LAQUELLE ELLE PEUT ARRIVER A S'EXPRIMER, C'EST A TRAVERS LA SOLIDARITE ACTIVE qui veut dire, essentiellement, la participation des autres secteurs à la lutte, L'EXTENSION DE LA LUTTE. La solidarité est à la fois un agent et un produit de l'unification des luttes.
LA QUESTION SYNDICALE
La question syndicale est la pierre de touche de l'avenir de la lutte de classe aujourd'hui. Plus que la répression directe et brutale, c'est dans la mystification et le dévoiement syndicaux que résidera l'offensive bourgeoise contre la classe ouvrière, préparatoire à la répression ultérieure. C'est sur tous les fronts que gauche et syndicats vont attaquer la lutte de classe : isolement, dévoiement, provocation, etc.
Le dégagement du carcan syndical est loin, pour le moment, de s'être exprimé clairement, surtout dans les pays où ils ont une longue tradition historique, comme en Grande-Bretagne. Si en France, le mouvement de Longwy et Denain a commencé par des débordements syndicaux, si, en Italie, la CGIL, par toutes ses actions ouvertement anti ouvrières est particulièrement déconsidérée et les mouvements, comme celui des hospitaliers ont eu lieu directement contre elle, la clarification de la question syndicale dans la conscience ouvrière nécessite un développement plus poussé des luttes.
Il est fondamentalement juste de dire que la question syndicale est une question cruciale, le bras armé de la bourgeoisie dans les rangs du prolétariat et que tant que les syndicats organisent les luttes et les maintiennent dans leur giron, ils constituent l'entrave la plus puissante à tout développement ultérieur.
Cette vérité générale est indispensable à reconnaître pour pouvoir vraiment contribuer au développement de la lutte de classe et à la prise de conscience du prolétariat, et en ce sens, les résistances de nombres de groupes révolutionnaires pour reconnaître cette question est une entrave à l'accomplissement de leur fonction.
Mais cette reconnaissance générale ne suffit pas. Les ouvriers ne répondront pas à la question syndicale en suivant un raisonnement théorique, général, mais en s'y confrontant dans la pratique. Et c'est dans cette pratique qu'il nous faut examiner comment elle se pose et comment nous pouvons contribuer à son éclaircissement véritable. Répéter, comme le font le CWO, le FOR et le PIC que les syndicats sont anti-ouvriers et que ceux-ci doivent s'en débarrasser, ne nous éclaire pas tellement sur la façon concrète par laquelle la classe ouvrière va y aboutir. On peut toujours magnifier l'avenir et exorciser les syndicats en imagination, cela ne nous explique pas le présent, et le chemin qui mène du présent à cet avenir.
La présence des syndicats dans une lutte ne signifie pas que cette lutte est fichue d'avance. Contrairement à ce que peuvent penser le FOR, le PIC ou le CWO, derrière la marche sur Paris appelée par la CGT, dans les mouvements de grève en Grande-Bretagne et malgré le contrôle syndical sur le mouvement, la classe ouvrière a pu exercer une poussée réelle de classe et la lutte contenir des potentialités sans avoir ENCORE rompu avec le cadre syndical. Mais cette poussée s'exprime, de façon positive, AILLEURS, et c'est ça qu'il faut savoir reconnaître.
La rupture avec le terrain syndical est une condition constante d'un réel développement de la lutte, mais elle n'est pas un "but" de la lutte. Son but, c'est son renforcement qui obéit à ses propres nécessités :
1) que la classe ouvrière prenne ses luttes en main (cela veut dire assemblées générales et discussions, auto-organisation)
2) que le combat s'élargisse (l'extension de la lutte).
Et c'est justement lorsqu'elle cherche à répondre à ces nécessités propres que la lutte peut réellement poser la question de la rupture syndicale.
Au cœur de la dynamique de la lutte de classe, la question de l'extension du mouvement à toutes les couches du prolétariat par delà les catégories et les corporations, ainsi que la question de l'autonomie et de l'auto-organisation sont indissolublement liées.
Qu'une classe exploitée, dominée économiquement et idéologiquement, brimée et humiliée quotidiennement, prenne sa lutte en main, l'organise et la dirige collectivement constitue justement le premier acte révolutionnaire, mais celui-ci est irréalisable sans l'unité de la classe par delà les divisions que détermine le capitalisme.
Des premiers surgissements qui annonçaient la période révolutionnaire de 1905, Rosa Luxembourg mettait en avant les caractéristiques de masse de ces mouvements et tirait la conclusion que "ce n'est pas la grève de masse qui produit la révolution, mais la révolution qui produit la grève de masse." Lénine, lui, tirait l'autre facette des enseignements de cette période en disant des Conseils Ouvriers, surgis de ces mouvements, qu'ils étaient "la forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat."
En nous basant sur l'expérience passée, nous devons, nous, mettre en avant dans les luttes actuelles l'unité de ces deux aspects que constituent l'auto-organisation et l'extension des luttes. Dans la mesure où les syndicats peuvent et pourront de moins en moins s'opposer ouvertement aux luttes ouvrières dans tous leurs aspects, et même pourront de moins en moins garder l'initiative et la tête de toutes luttes qui vont surgir brusquement, l'un des aspects essentiels de leur travail de sabotage sera de s'attaquer et de CONTRECARRER LA CLASSE OUVRIERE SUR LES ASPECTS LES PLUS FAIBLES DES MOUVEMENTS. Ainsi, dans un cas, ce sera tout faire pour empêcher l'extension et l'unification des luttes ; dans un autre, pour empêcher l'auto-organisation, le pouvoir souverain des assemblées générales, et cela car seule L'UNITE de ces deux aspects de la lutte permettra à la classe ouvrière de plonger des racines profondes dans le terrain de sa pratique révolutionnaire.
Dans ce travail de sabotage, le "syndicalisme de base" va être l'arme des syndicats dans les luttes à venir. Et cette arme est d'autant, plus pernicieuse qu'elle semble s'adapter, à chaque moment, aux besoins du mouvement, répondre à ses initiatives, et, en fin de compte, exprimer le mouvement lui-même. Sa souplesse, sa capacité d'adaptation peuvent lui faire prendre des formes nouvelles auxquelles on ne s'attendait pas, et dans lesquelles ne sera pas inscrit le mot "syndicat".
Le danger du syndicalisme ne réside pas seulement dans la forme syndicale, mais également dans son esprit. L'ESPRIT SYNDICAL pèse sur la conscience ouvrière, à la fois comme poids du passé et comme mystification actuelle. Aussi doit-on être particulièrement vigilant par • rapport à ce danger et déceler comment, sous des formes d'apparence ouvrière, il s'exprime. Les conférences des dockers extra-syndicaux ou les tentatives du comité de grève de Rotterdam d'appel à la solidarité financière nous ont montré comment l'esprit, les conceptions syndicales peuvent peser sur des expressions vivantes des luttes actuelles.
LA GAUCHE ET LES SYNDICATS DANS L'OPPOSITION
Le "vide social" laissé par la fin de la perspective électorale et de la "gauche au pouvoir", face au mécontentement profond de la classe ouvrière, exacerbé par l'application des plans d'austérité, explique en grande partie que de toutes les luttes que nous avons vu se dérouler, durant ces deux dernières années, les luttes de Longwy et Denain sont celles qui sont allé le plus loin et ont le mieux POSE les problèmes de la lutte.
La radicalité de ces luttes a à la fois été le produit de la fin de la perspective électorale et a, en réaction, accéléré le passage de la gauche et des syndicats dans l'opposition.
Depuis lors et dans différents pays, nous nous sommes rendus compte du frein et du poids que représentent pour le développement de la lutte (et d'ailleurs pour notre intervention aussi) la gauche et les syndicats dans l'opposition.
Mais la situation actuelle que semblent en apparence bien contrôler la gauche et les syndicats ne doit pas nous amener, malgré' les difficultés que rencontrent les ouvriers dans leurs luttes, à assimiler la période actuelle à la période de recul des années passées. Nous sommes à l'heure actuelle dans une phase où, après avoir repris le chemin de la lutte, la classe ouvrière digère, en quelque sorte, et fait l'expérience de la gauche dans l'opposition.
CONCLUSION
La lutte de classe a repris à l'échelle mondiale ; de l'Iran à l'Amérique, du Brésil à la Corée, de la Suède aux Indes, de l'Espagne à la Turquie, les luttes du prolétariat se sont multipliées depuis les deux dernières années.
Dans les pays sous-développés, avec l'approfondissement terrible de la crise, l'embrigadement de la "libération nationale" tend à diminuer. A peine la Rhodésie (Zimbabwe) accédait-elle à son "indépendance" et à son "auto-détermination noire" que des grèves éclataient pour des augmentations de salaires. Aux yeux de toute l'Amérique Latine, le mythe de "l'homme nouveau de Cuba" vient de subir un dernier coup mortel avec l'exode des populations. Les illusions sur la libération nationale qui ont fait les beaux jours des gauchistes et mobilisé la révolte de la jeunesse des années 60 dans les pays avancés aux cris de "Castro, Ho Chi Min et Che Guevara" sont terminées.
Dans les pays sous-développés on a vu se développer des mouvements qui contiennent la rupture avec l'idéologie nationaliste de la guerre. En Iran, l'énorme mouvement qui a amené à la chute du Shah et au sein duquel le prolétariat a pris une place déterminante, n'a pas été embrigadé derrière l'étendard nationaliste de Khomeiny et de Bani Sadr. Les manifestations où les slogans disaient : "Gardiens de la révolution Savak" en sont une expression très claire. En Corée, ce verrou inter-impérialiste entre les deux blocs, les mouvements des étudiants et surtout des ouvriers tournent le dos à "l'intérêt national" qu'on veut leur imposer.
Le non-embrigadement du prolétariat derrière le char de la nation et de la guerre s'exprime dans des zones où justement la guerre n'a pas cessé depuis trente ans.
Dans un tel contexte mondial, et en l'absence de fractions de la bourgeoisie dans les pays développés qui mobilisent la population et obtiennent un consensus' national, le battage des gouvernements sur la troisième guerre mondiale peut se tourner en son contraire.
En effet, la bourgeoisie dans le, passé n'a pas mobilisé le prolétariat pour la guerre en lui annonçant simplement la guerre. Au contraire, la social-démocratie, avant la première guerre mondiale l'a désarmée derrière les bannières du pacifisme. Avant la seconde, le consensus national s'est fait autour de l'antifascisme, et la classe ouvrière n'était pas consciente que la guerre d’Ethiopie, puis celle d'Espagne étaient des moments préparatoires à la guerre mondiale.
Aujourd'hui, la bourgeoisie qui n'a rien d'autre à proposer, cherche à présenter la guerre comme un fait inéluctable, inscrit dans l'histoire de l'humanité, espérant la faire accepter en habituant les populations à cette idée. Tout le monde sait que l'Afghanistan est un pas en avant vers une troisième guerre mondiale.
Le niveau et le développement de la lutte de classes s'expriment dans les luttes elles-mêmes, et également dans les groupes qui surgissent et manifestent l'effort de prise de conscience de la classe.
Aujourd'hui, la reprise est encore lente et difficile. Contrairement à la première vague de luttes, il y a dix ans, qui a fait revivre l'idée de la révolution dans la société, cette perspective est, aujourd'hui, encore sous-jacente et ne s'exprime pas aussi ouvertement qu'à l'époque, où l'on avait vu surgir une multitude de groupes qui défendaient une orientation révolutionnaire. Mais le mouvement révolutionnaire était alors fortement marqué par les inférences petite-bourgeoises de la révolte estudiantine, ce qui s'est exprimé dans toutes les variations d'activisme, d'ouvriérisme, de modernisme, qu'on a connu et qui avaient en commun une conception facile de la révolution.
De telles influences et illusions ont de moins en moins de place aujourd'hui dans le mouvement prolétarien qui se dessine. La réflexion qui commence à se faire dans la classe ouvrière s'exprime en partie dans les groupes et cercles qu'on tonnait déjà en Italie et qui vont se développer des profondeurs de la classe ouvrière elle-même.
Le processus de développement d'un milieu révolutionnaire sera plus lent et plus dur qu'il y a dix ans, à l'image du mouvement lui-même, mais il sera également plus profond et plus enraciné dans la pratique de la classe ouvrière. C'est pourquoi une de nos orientations essentielles est d'être attentifs et ouverts à ses premières manifestations, quelles que soient leurs confusions.
JUIN 1980.