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Il est aujourd’hui encore très difficile de faire un réel bilan humain de l’épidémie de chikungunya qui frappe depuis près d’un an l’île de la Réunion. Officiellement, nous en sommes à 52 décès ; et 110 000 personnes sur une population totale d’environ 700 000 habitants auraient été touchées ([1]). Soit plus d’un habitant sur sept !
Mais en réalité l’horreur va certainement bien au-delà. Durant l’année 2005, les statistiques notent une augmentation significative de la mortalité sur l’île. Un communiqué publié par le ministère de la santé précise ainsi "On compte [...] en 2005, 396 décès de plus qu‘en 2004, 258 de plus qu’en 2003" (Libération du 17 février). De plus, les scientifiques n’ont pour l’instant aucune idée des conséquences sur les enfants nés de mères infectées. Ils constatent néanmoins d’ores et déjà des pathologies d’encéphalites chez ces bébés.
Et le pire reste encore à venir. Alors que durant toute l’année 2005, ‘seulement’ 10 000 cas avaient été recensés, nous en somme déjà à plus de 100 000 depuis le début 2006. Le rythme de contagion ne cesse de s’accélérer : elle est aujourd’hui de 22 000 nouveaux cas par semaine !
Sous le capitalisme, une vie humaine ne vaut pas grand chose
Comment une situation aussi désastreuse a pu voir le jour ? Le chikungunya est-elle une maladie si virulente et si incontrôlable ? Absolument pas.
Si une cinquantaine de personnes sont mortes au cours de ces derniers mois, c’est tout simplement parce que l’Etat français n’a strictement rien fait pour lutter contre la maladie. Qu’on en juge ! Lors de la déclaration des premiers cas en février 2005, aucune précaution n'a été prise pour procéder à l'isolement réel (hospitalisation) ou seulement virtuel (protection à domicile des porteurs de la maladie). Pourtant, les Aedes (l'espèce de moustiques vecteur de la maladie) devient porteur en piquant un être malade. Une simple mesure de quarantaine aurait donc pu suffire dès le départ à enrayer la propagation. Quand les cas ont commencé à se multiplier, l'Etat a réagi en… attendant l'hiver austral, spéculant sur une extinction spontanée des Aedes. En novembre 2005, alors que les autorités reconnaissent enfin officiellement au Sénat une "véritable catastrophe sanitaire" qui "ravage l'île", le ministère de la santé attend encore un mois pour réagir. Et pour faire quoi ? Pour débloquer la somme de 52 000 Euros et un renfort de 20 personnes pour poursuivre la démoustication. A l'aune de ces quelques deniers, la déclaration de Xavier Bertrand du 30 janvier affirmant sur le sol réunionnais qu'il lance une "stratégie globale de lutte pour ne pas se faire prendre de vitesse" apparaît aussi ridicule que révoltante.
A partir de février 2006, le nombre de morts commence à inquiéter. L'Etat bombe le torse, se veut protecteur et rassurant. Il prend les choses en main en le clamant haut et fort. Le quotidien Libération titre ainsi "La France accentue son effort" (le 9 février 2006). Seulement, encore une fois, la réalité des moyens débloqués est dérisoire. Le 8 février, le ministre Xavier Bertrand annonce que la situation s’est aggravée puis annonce triomphalement une série de nouvelles mesures : augmentation de la capacité d'accueil des hôpitaux de 65 lits et envoi de 30 infirmiers et 20 médecins (Libération du 9 février). Il faut le lire et le relire encore pour le croire : contre 20 000 nouveaux malades chaque semaine, l'Etat 'offre' 65 lits, 30 infirmiers et 20 médecins !
Sous le capitalisme, la recherche médicale est un secteur économique comme un autre
La lenteur de la réaction et la médiocrité des moyens mis en place révèlent quelle valeur a la vie humaine pour la bourgeoisie et son Etat : moins que rien.
Mais le cynisme n'a pas de limite. Les responsables et les médias aux ordres avancent comme excuse la méconnaissance de la maladie. Un communiqué du ministère délégué à la recherche indique ainsi qu'il s'agit maintenant de "mieux comprendre, connaître et surtout mieux combattre cette maladie émergente". Le chikungunya, une maladie émergente, une maladie nouvelle et méconnue ? De qui se moque t-on ? Ce virus est connu de longue date. Il a été identifié la première fois en Ouganda en 1953 ! Il y a plus de 50 ans ! Depuis, il circule en permanence en Afrique de l'Est, en Asie du Sud-Est et dans le sous-continent indien. Et il ne faut pas croire que la recherche scientifique s'est désintéressée depuis tout ce temps de ce virus. Au contraire, des centaines de millions de dollars lui ont été consacrés pour… en faire une arme de guerre. Le 24 septembre 2001, 13 jours après l'attaque des Twin Towers, l'OMS avait établi une liste concernant les agents biologiques susceptibles d'être utilisés à des fins terroristes. Parmi eux figurait en septième position l’inoculation du virus du chikungunya. Plus loin dans le temps, dans les années 1980, l'armée américaine s'était intéressée à en faire une arme bactériologique. Et par contre pas un sou pour la recherche médicale. Aucun vaccin, pas le moindre médicament. Il n’y a aucune rentabilité économique à investir pour soigner des populations misérables.
La mortalité est un produit de la misère
Ce qui surprend le plus le corps médical est la nature mortelle de certaines contaminations. Jusqu' alors, le chikungunya était considérée comme une maladie grave, entraînant des troubles importants et parfois des séquelles mais nullement mortelle. Chikungunya signifie littéralement "marcher courbé". Pourquoi aujourd'hui ce virus tue-t-il ? Les 52 décès officiellement reconnus sur l'île de la Réunion concernaient des patients déjà fragilisés par d'autres pathologies. En d'autres termes, si le chikungunya fait aujourd'hui des ravages, c'est qu'il touche des populations affaiblies. Comme toute les maladies, ce virus trouve dans la misère le terreau le plus fertile à son développement et à sa virulence.
Ce n'est donc pas un hasard si cette épidémie dépasse largement les frontières de la petite île et commence à toucher toutes les régions bordant l’océan Indien : aux Seychelles, à Mayotte, sur l'île Maurice, à Madagascar… Et cette liste ne fait que s'allonger.
La façon dont la maladie touche l’île de Madagascar est particulièrement caractéristique du développement des maladies au fur et à mesure que la capitalisme pourrit sur pied. Dans les hôpitaux, les médecins sont incapables d'établir un quelconque diagnostic quand les malades débarquent aux urgences. Pourquoi ? Tout simplement parce que le nombre de maladies répandues dans la population est considérable. Les symptômes du chikungunya peuvent être ainsi confondus avec ceux du paludisme, de la dengue ou autre arbovirose. Et les médecins en viennent à espérer que le malade soit touché par le chikungunya car c'est la maladie la moins mortelle du lot !
L'avenir du capitalisme, c'est plus de misère et plus d'épidémies
Face au chikungunya, la bourgeoisie a encore une fois montré toute son incurie 3 ans après les 15000 morts de la canicule en France méropolitaine. Cette classe domine un système qui est incapable de protéger la population. Pire, en développant la misère, elle livre sans soin une population affaiblie aux ravages de tous les virus qui passent.
C'est pourquoi tous les discours sur le sacro-saint principe de précaution, sur les mesures préparatoires afin de faire face à la grippe aviaire ne sont que de grossiers mensonges.
Chikungunya, paludisme, sida, retour de la lèpre et de la tuberculose pour des pans entiers du globe, voilà la seule promesse d'avenir que le capitalisme sera capable de tenir !
Pawel (20 février)
[1] Une semaine après l'écriture de cet article, il faut noter que le décompte des victimes est déjà passé à 150 000 malades et 77 morts.