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Ces derniers mois, on a vu paraître dans la presse du BIPR1 des articles qui concernent la nécessité du regroupement des forces révolutionnaires en vue de construire le parti communiste mondial du futur. Un de ces articles, Les révolutionnaires, les internationalistes face à la perspective de guerre et à la situation du prolétariat 2, est un document écrit à la suite de la guerre au Kosovo l'année dernière :
"Les récents événements guerriers dans les Balkans, du fait même qu'ils s'étaient déroulés en Europe (...) ont été la marque d'un pas en avant important dans le processus qui conduit à la guerre impérialiste généralisée (...)
La guerre elle même et le type d'opposition qui lui a été faite sont le terrain sur lequel se produisent déjà la décantation et la sélection des forces révolutionnaires capables de contribuer à la construction du parti.
Ces forces seront à l'intérieur du camp délimité par certaines positions établies que nous donnons pour base intangible de toute initiative politique tendant au renforcement du front révolutionnaire face au capital et à ses guerres."
A la suite de ce passage, se trouvent les "21 positions" 3 désignées par le BIPR comme positions discriminantes.
Ce sont justement ces "événements guerriers dans les Balkans" qui ont amené notre organisation à lancer, au début de la guerre elle même, un appel aux différentes organisations révolutionnaires présentes au niveau mondial pour que l'internationalisme prolétarien puisse s'exprimer d'une seule et forte voix. Et parallèlement à cet appel nous avions précisé :
"Il existe naturellement aussi des divergences qui concernent une approche différente de l’analyse de l'impérialisme dans la phase actuelle et du rapport de force entre les classes. Mais, sans sous-estimer ces divergences, nous considérons que les aspects qui les (nous) unissent sont de très loin plus importants et significatifs que ceux qui les distinguent par rapport aux enjeux du moment et c'est sur cette base que, le 29 Mars 1999, nous avons lancé un appel à l'ensemble de ces groupes pour prendre une initiative commune contre la guerre." 4
Comme cet appel, fait il y a plus d'un an, est complètement tombé dans le vide5, on peut se demander pourquoi le BIPR en arrive aujourd'hui seulement à ses "21 conditions" - avec lesquelles, hormis certaines réserves sur deux points seulement6, nous sommes en complet accord - et n'a pas répondu à notre appel à l'époque. La réponse se trouve vers la fin du document du BIPR ; réponse dans laquelle on trouve une partie qui concerne, de toute évidence, le CCI (sans jamais le nommer naturellement) et qui affirme que "à 23 ans de distance de la 1ère Conférence Internationale convoquée par Battaglia Comunista 7 pour amorcer une première confrontation entre les groupes politiques qui se réclament des principes généraux de classe et internationalistes défendus par la gauche communiste à partir de la moitié des années 20, il est possible - et donc nécessaire désormais – de faire un bilan de cette confrontation."
Un bilan ? Après 23 ans ? Et pourquoi seulement maintenant ? Selon le BIPR, dans les deux décennies suivantes, "le processus de décantation du «camp politique prolétarien» s'est accéléré, excluant toutes ces organisations qui, d'une manière ou d'une autre, sont tombées sur le terrain de la guerre en abandonnant le principe intangible du défaitisme révolutionnaire."
Mais la partie où il s'agit de nous (et des formations bordiguistes) vient juste après :
"D'autres composantes de ce camp, bien que n'étant pas tombées dans la tragique erreur de soutenir un front de guerre (...), se sont également éloignées de la méthode et des perspectives de travail qui conduisent à l'agrégation du futur parti révolutionnaire. Victimes irrécupérables de positions idéalistes ou mécanicistes (...)" (souligné par nous).
Comme nous pensons que les accusations que le BIPR nous adresse ne sont pas fondées - et que de plus, nous craignons qu'elles ne servent à masquer une pratique politique opportuniste - nous allons chercher à développer dans ce qui suit une réponse à ces accusations en montrant ce qu'a été l'attitude du courant marxiste du mouvement ouvrier en ce qui concerne "la méthode et les perspectives de travail qui conduisent à l'agrégation du futur parti révolutionnaire", pour vérifier concrètement si, et dans quelle mesure, le BIPR et les groupes qui l'ont créé ont été cohérents avec cette orientation. Pour ce faire, nous prendrons en considération deux questions qui sont l'expression, dans leur unité, des deux niveaux auxquels se pose le problème de l'organisation des révolutionnaires aujourd'hui :
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comment concevoir la future Internationale,
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quelle politique mener pour la construction de l'organisation et le regroupement des révolutionnaires.
1- Comment concevoir la future Internationale ? Parti Communiste International ou Internationale des partis communistes ?
Comment sera la future Internationale ? Une organisation conçue de manière unitaire depuis le début, c'est à dire un parti communiste international, ou bien une Internationale des partis communistes des différents pays ? Sur ce problème, la pensée et le combat d'Amadeo Bordiga et de la Gauche Italienne constituent une référence intangible. Dans la conception de Bordiga, l'Internationale Communiste devait déjà être, et c'est ainsi qu'il l’appelait, le parti mondial ; et en cohérence avec cette conception, Bordiga en était arrivé à renoncer à quelques points dits "tactiques" qu'il avait pourtant défendus jusque là avec la plus grande fermeté (abstentionnisme, regroupement sans le centre) afin d'affirmer et de faire vivre la prééminence de l'Internationale sur chaque parti national, afin de souligner que l'IC était une organisation unique et non une fédération de partis, une organisation qui devait avoir une politique unique partout dans le monde et non des politiques spécifiques pour chaque pays.
"Et alors, nous, nous affirmons que la plus haute assemblée internationale n'a pas seulement le droit d'établir ces formules qui sont en vigueur et doivent être en vigueur dans tous les pays sans exception, mais a aussi le droit de s'occuper de la situation dans un pays et donc, de pouvoir dire que l'Internationale pense que - par exemple - on doit faire et on doit agir de telle façon en Angleterre." (Amedeo Bordiga, discours au Congres de Livourne 1921, dans "La Gauche Communiste sur le chemin de la révolution", Edizioni Sociali, 1976)
Cette conception, Bordiga l'a défendue au nom de la gauche italienne et cela d'autant plus qu'il luttait contre la dégénérescence de l'Internationale elle même, quand la politique de celle-ci se confondait de plus en plus avec la politique et les intérêts de l'Etat russe.
"Il faut que le parti russe soit aidé, dans la résolution de ses problèmes par les partis frères. Il est vrai que ceux ci ne possèdent pas une expérience directe des problèmes de gouvernement, mais ils contribueront malgré cela à leur solution en apportant un coefficient classiste et révolutionnaire dérivant directement de la lutte de classe réelle qui se déroule dans leur pays respectifs." 8
Et c'est enfin dans la réponse de Bordiga à la lettre de Karl Korsch que ressort, avec plus de clarté encore, ce que devrait être l'Internationale et ce qu'elle n'a pas réussi à être :
"Je crois que l'un des défauts de l'Internationale actuelle a été d'être « un bloc d'oppositions » locales et nationales. Il faut réfléchir sur ce point, sans se laisser aller à des exagérations, mais pour mettre à profit ces enseignements. Lénine a arrêté beaucoup de travail d'élaboration « spontané » en comptant rassembler matériellement les différents groupes et ensuite seulement les fondre de façon homogène à la chaleur de la révolution russe. En grande partie, il n'a pas réussi." (extraits de la lettre de Bordiga à Korsch, publiée dans Programme Communiste n°68)
En d'autres termes, Bordiga regrette que l'Internationale se soit formée à partir des "oppositions" aux vieux partis sociaux démocrates, encore incohérentes politiquement entre elles ; et il déplore que le projet de Lénine d'homogénéiser les diverses composantes, sur le fond, n'ait pas réussi.
C'est à partir de cette vision que les organisations révolutionnaires qui ont existé pendant les années de la contre-révolution, malgré la conjoncture politique défavorable, se sont toujours conçues comme des organisations non seulement internationalistes mais aussi internationales. Ce n’est pas par hasard qu'un des procédés utilisés pour attaquer la fraction italienne au sein de l'Opposition Internationale de Trotsky a justement été de l'accuser de suivre une politique "nationale".9
Voyons, par contre, quelle est la conception du BIPR sur cette question :
"Le BIPR s'est constitué en tant qu'unique forme possible d'organisation et de coordination, intermédiaire entre l’œuvre isolée d'avant-gardes de différents pays et la présence d'un vrai Parti International (...). De nouvelles avant-gardes - dégagées des vieux schémas qui s'étaient révélés inefficaces pour expliquer le présent et donc pour prévoir le futur - se sont attelées à la tâche de construction du parti (...). Ces avant-gardes ont le devoir, qu'elles assument, de s'établir et de se développer sur la base d'un corps de thèses, une plate-forme et un cadre organisationnel qui soient cohérents entre eux et avec le Bureau qui, en ce sens, joue le rôle de point de référence de la nécessaire homogénéisation des forces du futur parti (...)."
Jusque là, le discours du BIPR, à part quelques redondances superflues, ne semble pas dans ses grandes lignes, être en contradiction avec la position que nous avons citée plus haut. Mais le passage suivant pose plus de problème :
"Pôle de référence ne veut pas dire structure imposée. Le BIPR n'entend pas accélérer les échéances de l'agrégation internationale des forces révolutionnaires plus que la durée « naturelle » du développement politique des avant-gardes communistes dans les différents pays." 10
Cela veut dire que le BIPR, en réalité les deux organisations qui en font partie, ne considère pas qu'il soit possible de constituer une unique organisation internationale avant la constitution du parti mondial. De plus, il est fait référence à d'étranges "durées naturelles de développement politique des avant-gardes politiques dans les différents pays", ce qui devient plus clair si on va voir de quelle vision le BIPR cherche à se démarquer, c'est-à-dire celle du CCI et de la gauche communiste italienne :
"Nous refusons par principe et sur la base des différentes résolutions de nos congrès, l'hypothèse de la création de sections nationales par bourgeonnement d'une organisation préexistante, serait-elle même la nôtre. On ne construit pas une section nationale du parti international du prolétariat en créant dans un pays, de façon plus ou moins artificielle, un centre de rédaction de publications rédigées ailleurs et de toute façon sans liens avec les réelles batailles politiques et sociales dans le pays lui même." (souligné par nous) 11
Ce passage mérite évidemment une réponse attentive parce qu'ici, ce qui est contenu, c'est la différence stratégique dans la politique de regroupement international mise en œuvre par le BIPR par rapport à celle du CCI. Naturellement, notre stratégie de regroupement international est volontairement ridiculisée quand il est parlé de "bourgeonnement d'une organisation préexistante", de création "dans un pays, de façon plus ou moins artificielle, d'un centre de rédaction de publications rédigées ailleurs", de façon à induire automatiquement chez le lecteur un sentiment de rejet vis-à-vis de la stratégie du CCI.
Mais regardons les choses concrètement, admettons la validité de telles assertions et vérifions la. Selon le BIPR, s'il surgit un nouveau groupe de camarades, disons au Canada, qui se rapproche des positions internationalistes, ce groupe peut bénéficier de la contribution critique fraternelle, même polémique, mais il doit grandir et se développer à partir du contexte politique de son propre pays, "en lien avec les réelles batailles politiques et sociales dans le pays lui même". Ce qui veut dire que, pour le BIPR, le contexte actuel et local d'un pays particulier est plus important que le cadre international et historique donné par l’expérience du mouvement ouvrier. Quelle est en revanche notre stratégie de construction de l'organisation au niveau international que le BIPR cherche volontairement à éclairer d'un mauvais jour quand il parle de "création de sections nationales par bourgeonnement d'une organisation préexistante" ? Qu'il y ait 1 ou 100 candidats à militer dans un nouveau pays, notre stratégie n'est pas de créer un groupe local qui doit évoluer sur place, "en lien avec les réelles batailles politiques et sociales du pays lui même", mais d'intégrer rapidement ces nouveaux militants dans le travail international d'organisation au sein duquel, de façon centrale, il y a l'intervention dans le pays des camarades qui s'y trouvent. C'est pour cela que, même avec de faibles forces, notre organisation cherche à être présente rapidement avec une publication locale sous la responsabilité du nouveau groupe de camarades parce que celle-ci, nous en sommes sûrs, représente le moyen le plus direct et le plus efficace pour, d'une part, élargir notre influence et, d'autre part, procéder directement à la construction de l'organisation révolutionnaire. Qu'est ce qui est artificiel là dedans et pourquoi parler de bourgeonnement des organisations préexistantes ? Cela reste encore à expliquer.
En réalité, ces confusions de BC et de la CWO sur le plan organisationnel trouvent leurs racines dans leur incompréhension plus profonde et plus générale de la différence qui existe entre la 2ème et la 3ème Internationale du fait du changement fondamental de période historique :
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la deuxième moitié du 19e siècle représente une période favorable aux luttes pour les réformes ; le capitalisme est en pleine expansion et l'Internationale est, dans cette période, une internationale de partis nationaux qui luttent dans leurs pays respectifs, avec des programmes différents (conquêtes démocratiques pour certains, question nationale pour d'autres, écrasement du tsarisme en Russie, lois "sociales" en faveur des ouvriers dans d'autres pays, et ainsi de suite) ;
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l'éclatement de la première guerre mondiale est l'expression de l'épuisement des potentialités du mode de production capitaliste, de son incapacité à se développer encore de façon à garantir un avenir à l'humanité. S'ouvre donc l'époque des guerres et des révolutions dans laquelle se pose objectivement l'alternative "communisme ou barbarie". Dans ce contexte, le problème de construire des partis nationaux particuliers avec des tâches locales spécifiques ne se pose plus, mais c'est celui de construire un seul parti mondial avec un seul programme et une unité d’action complète pour diriger l’action commune et simultanée du prolétariat mondial vers la révolution.12
Les restes de fédéralisme qui subsistent dans l'IC sont les vestiges de la période précédente (comme la question parlementaire, par exemple) qui pèsent encore sur la nouvelle internationale ("le poids des générations mortes pèse sur le cerveau des vivants", Marx dans Le 18 Brumaire).
On peut de plus ajouter que tout au long de son histoire (même quand il était compréhensible que l'Internationale ait une structure fédéraliste), la gauche marxiste a toujours lutté contre le fédéralisme. Rappelons nous les épisodes les plus significatifs :
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Marx et le Conseil Général de la 1ère Internationale (AIT) se battent contre le fédéralisme des anarchistes et contre leur tentative de construire une organisation secrète au sein de l'AIT elle même ;
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dans la 2ème Internationale, Rosa Luxemburg se bat pour que les décisions du congrès soient réellement appliquées dans les différents pays ;
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dans la 3ème Internationale (IC), il n'y a pas que la gauche qui se bat pour la centralisation, mais Lénine et Trotsky eux mêmes depuis le début contre les "particularismes" de certains partis qui cachent leur politique opportuniste (par exemple contre la présence des francs-maçons dans le parti français).
On pourrait encore ajouter que le processus de formation d'un parti au niveau mondial avant que ne se soient consolidées, ou même créées, ses composantes dans chaque pays a justement été le processus de formation de l'IC13. On sait qu'il existait un désaccord sur cette question entre Lénine et Rosa Luxemburg. Celle ci était contre la formation immédiate de l'IC - et elle avait en conséquence donné comme mandat au délégué allemand, Eberlein, de voter contre sa fondation - parce qu'elle considérait que les temps n'étaient pas mûrs du fait que la plupart des partis communistes ne s'étaient pas encore formés et que, de ce fait, le parti russe aurait un trop grand poids au sein de l'IC. Ses craintes sur le poids excessif qu'aurait le parti russe se sont révélées malheureusement justes avec le déclin de la phase révolutionnaire et la dégénérescence de l'IC ; en fait, il était déjà trop tard par rapport aux exigences de la classe, même si les communistes ne pouvaient pas faire mieux avec la guerre qui s'était terminée quelques mois auparavant.
Ce serait intéressant de savoir ce que le BIPR pense de cette controverse historique ; peut-être que le BIPR pense que Rosa avait raison contre Lénine en soutenant que les temps n'étaient pas mûrs pour la fondation de l'IC ?
Cette orientation fédéraliste sur le plan théorique se reflète naturellement dans la pratique quotidienne. Les deux organisations qui forment le BIPR ont eu pendant 13 ans, à partir de la constitution et jusqu'en 1997, deux plates-formes politiques distinctes ; elles n'ont pas de moments avec des assemblées plénières de l'ensemble de l'organisation (sinon celles de chaque organisation auxquelles participe une délégation de l'autre, ce qui est tout autre chose) ; elles n'ont pas un débat visible entre elles et elles ne semblent pas en ressentir le besoin, même si au cours des 16 années parcourues depuis la constitution du BIPR, on a souvent remarqué des différences criantes dans l'analyse de l'actualité, dans les positions sur le travail international, etc. La vérité est que ce modèle d'organisation, que le BIPR ose élever au rang de "seule forme possible d'organisation et de coordination" maintenant, est de fait la forme d'organisation opportuniste par excellence. C'est l'organisation qui permet d'attirer dans l'orbite du BIPR de nouvelles organisations en leur conférant l'étiquette de "gauche communiste" sans forcer outre mesure leur nature d'origine. Quand le BIPR parle du fait qu'il faut attendre "la maturation des temps naturels du développement politique des avant-gardes politiques dans les différents pays", il ne fait en réalité qu'exprimer sa conception opportuniste de ne pas trop pousser la critique des groupes avec qui il est en contact afin de ne pas perdre leur confiance.14
Tout cela, nous ne l'avons pas inventé, c'est simplement le bilan de 16 années d'existence du BIPR qui, malgré tout le triomphalisme qui ressort de sa presse, n'a pas eu jusqu'à maintenant de résultats significatifs : il y avait deux groupes à la formation du BIPR en 1984, il y a deux groupes qui en font encore partie aujourd'hui. Il pourrait être de quelque utilité pour BC et CWO de passer en revue les différents groupes qui se sont rapprochés du BIPR ou qui n'en ont fait partie que de façon transitoire et d'évaluer où ils ont fini par aller ou pourquoi ils ne sont pas restés liés au BIPR. Par exemple, comment ont fini les iraniens du SUCM-Komala ? Et les camarades indiens d'Al Pataka ? Et encore les camarades français qui ont vraiment constitué pour une brève période, une troisième composante du BIPR ?
Comme on le voit, une politique de regroupement opportuniste n'est pas seulement erronée politiquement, mais c'est aussi une politique vouée à l'échec.15
2. La politique de regroupement et de construction de l'organisation.
Sur cette question, on ne peut naturellement partir que de Lénine, grand forgeron du parti et premier promoteur de la création de l'Internationale communiste. La bataille qu'il a menée et gagnée ; au 2ème Congrès du POSDR en 1903, sur l’article 1 des statuts pour affirmer des critères stricts d'appartenance au parti, est probablement une des plus importantes contributions qu'il ait faite :
"Ce ne serait que se leurrer soi même, fermer les yeux sur l'immensité de nos tâches, restreindre ces tâches que d'oublier la différence entre le détachement d'avant-garde et les masses qui gravitent autour de lui, oublier l'obligation constante pour le détachement d'avant-garde d'élever des couches de plus en plus vastes à ce niveau avancé. Et c'est justement agir ainsi que d'effacer la différence entre les sympathisants et les adhérents, entre les éléments conscients et actifs, et ceux qui nous aident." (Lénine, Un pas en avant deux pas en arrière, 1904. EDI)
Cette bataille de Lénine, qui a conduit à la séparation du parti social-démocrate russe entre bolcheviks (majoritaires) et mencheviks (minoritaires), a une importance historique particulière parce que cela préfigurait, quelques années avant, ce qu'allait être le nouveau modèle de parti, le parti de cadres, plus strict, plus adapté à la nouvelle période historique de "guerres et révolutions", par rapport au vieux modèle de parti de masse, plus large et moins rigoureux sur les critères d'appartenance, qui était valable dans la phase historique d'expansion du capital.
En second lieu, se pose le problème de comment doit se comporter le parti (ou la fraction, ou un groupe politique quel qu'il soit) dans les confrontations avec les autres organisations prolétariennes existantes. En d'autres termes, comment répondre à la juste exigence de regroupement des forces révolutionnaires de la façon la plus efficace possible ? Ici encore, nous pouvons nous référer à l'expérience du mouvement ouvrier, avec le débat dans l'Internationale mené par la Gauche italienne sur la question de l'intégration des centristes dans la formation des partis communistes. La position de Bordiga est très claire et son apport est fondamental avec l'adoption par l'Internationale d'une 21ème condition qui disait que :
"Les adhérents au Parti qui rejettent les conditions et les thèses établies par l'Internationale Communiste doivent être exclus du Parti. Il en est de même des délégués au Congrès extraordinaire" 16 (Voir Les quatre premiers congrès de l'Internationale Communiste, Librairie du travail, Maspero 1972). Bordiga, en 1920, était préoccupé par le fait que quelques composantes centristes, qui ne s'étaient pas particulièrement salies les mains en 1914, puissent trouver pratique de travailler dans les nouveaux partis communistes plutôt que dans les vieux partis sociaux-démocrates notablement discrédités.
"Aujourd'hui, il est facile de dire que, dans une nouvelle guerre, on ne tombera plus dans les vieilles erreurs, celles de l'union sacrée et de la défense nationale. La révolution est encore lointaine, diront les centristes, ce n'est pas un problème immédiat. Et ils accepteront les thèses de l'Internationale Communiste : le pouvoir des soviets, la dictature du prolétariat, la terreur rouge (...). Les éléments de droite acceptent nos thèses, mais de façon insuffisante, avec quelques réserves. Nous, les communistes, nous devons exiger que cette acceptation soit totale et sans limites autant sur le plan de la théorie que sur le plan de l'action (...). Contre les réformistes, nous devons ériger une barrière insurmontable (...). Sur le programme, il n'y a pas de discipline : ou on l'accepte, ou on ne l'accepte pas et dans ce cas, on sort du parti." 17
Parmi les apports de Bordiga et de la Gauche italienne, cela a été une des questions clé. C'est sur la base de cette position que Bordiga se confrontera ensuite à une Internationale en pleine involution, en se battant contre la politique d'intégration des centristes au sein des partis communistes, corollaire de la place centrale qui est donnée à la défense de l'Etat russe par rapport à tout autre problème18. On sait en particulier que l'Internationale a cherché à obliger le PC d'Italie à intégrer l'aile maximaliste (de gauche) du PSI, ceux qu'on appelait les "terzinternationalisti" ou "terzini" de Serrati, dont ce dernier s'était séparé en 1921, l'année de sa constitution.
Cette rigueur dans les rapports avec les courants modérés, centristes, n'a cependant jamais signifié fermeture sectaire, refus de dialogue, de discussion, bien au contraire ! Ainsi, dès l'origine comme fraction abstentionniste du PSI, la gauche italienne a toujours travaillé dans le sens de reconquérir les énergies révolutionnaires restées sur des positions centristes, autant pour renforcer ses propres rangs que pour soustraire ces forces à l'ennemi de classe :
"Bien qu'organisée en fraction autonome à l'intérieur du PSI, avec son organe propre, la fraction abstentionniste cherchait avant tout à gagner la majorité du parti à son programme. Elle pensait encore que cela était possible, malgré l'écrasante victoire de la tendance parlementariste représentée par l'alliance de Lazzari et Serrati. La fraction ne pouvait devenir le parti que si elle oeuvrait de toutes ses forces à la conquête d'au moins une minorité significative. Ne pas abandonner le terrain avant d'avoir mené le combat jusqu'au bout sera toujours la préoccupation du mouvement « bordiguiste » ; et en cela, il ne fut jamais une secte, comme lui reprochèrent ses adversaires." 19
Nous pouvons donc résumer en disant qu'il existe deux aspects fondamentaux qui caractérisent la politique de la Gauche italienne (dans la tradition des bolcheviks) :
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la rigueur dans les critères d'appartenance au parti, basée sur :
- l'engagement militant (article 1 des statuts du POSDR) ;
- la clarté des bases programmatiques et la sélection des militants ;
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l'ouverture, dans sa politique de discussion avec les autres courant politiques du mouvement ouvrier (voir par exemple, toute la participation de la Gauche italienne aux conférences qui se sont tenues en France entre 1928 et 1933, ou ses discussions prolongées avec la Ligue des communistes internationalistes de Belgique avec la publication dans la revue Bilan d'articles écrits par des militants de la LCIB).
Il n'est pas inutile de souligner qu'il existe un lien entre la rigueur programmatique et organisationnelle de la Gauche italienne et son ouverture à la discussion : conformément à la tradition des gauches, la Gauche italienne a mis en œuvre une politique à long terme, basée sur la clarté et la solidité politique et a rejeté "les succès" immédiats basés sur les ambiguïtés qui, en ouvrant la porte à l'opportunisme, sont les prémisses des défaites futures ("L'impatience est la mère de l'opportunisme", Trotsky) ; la Gauche italienne n'a pas eu peur de discuter avec d'autres courants parce qu'elle avait confiance dans la solidité de ses positions.
De façon analogue, il existe un lien entre la confusion, l'ambiguïté des opportunistes et leur "sectarisme" qui, en général, est plutôt dirigé contre la gauche que contre la droite.
Quand on est conscient du peu de solidité de ses propres positions, on a évidemment peur de se confronter à celles de la Gauche (voir par exemple la politique de l'IC après le 2ème Congrès qui s'ouvre au centre mais qui devient "sectaire" dans les débats avec la Gauche, avec par exemple l'exclusion du KAPD ; voir également la politique de Trotsky qui exclut de manière bureaucratique la Gauche italienne de l'Opposition internationale pour pouvoir pratiquer l'entrisme dans la social-démocratie ; enfin, ne pas oublier la politique du PCInt en 1945 et après, qui a exclu la Gauche communiste de France pour pouvoir tranquillement regrouper toutes sortes d'éléments plus qu'opportunistes et qui refusaient de faire la critique de leurs erreurs passées).
Parmi les oppositions de gauche, la Fraction italienne nous donne une magnifique leçon de méthode et de responsabilité révolutionnaire en se battant pour le regroupement des révolutionnaires, mais aussi et surtout pour la clarté des positions politiques. La gauche italienne a toujours insisté sur le besoin d'un document programmatique contre les politiques manœuvrières qui ont d'ailleurs miné l'opposition de gauche. Ainsi, s'il devait y avoir une rupture, celle-ci ne pouvait s'accomplir que sur la base de textes.
Cette méthode, la gauche italienne l'avait faite sienne depuis sa naissance pendant la première guerre mondiale au sein de la 2ème Internationale ; elle l'avait appliquée de nouveau par la suite dans l'IC dégénérescente depuis 1924 jusqu'en 1928, date de sa constitution en fraction à Pantin. Trotsky lui-même a rendu hommage à cette honnêteté politique dans sa dernière lettre à la fraction en décembre 1932 :
"La séparation avec un groupe révolutionnaire honnête (souligné par nous) comme le vôtre ne doit pas être nécessairement accompagnée d'animosité, d'attaques personnelles ou de critiques venimeuses."
En revanche, la méthode de Trotsky au sein de l'opposition n'a rien à voir avec celle du mouvement ouvrier. L'exclusion de la Gauche italienne s'est faite avec les mêmes procédés qu'utilisait l'IC stalinisée, sans un débat clair qui motive la rupture. Ce n'était ni la première ni la dernière fois qu'existait un tel comportement : Trotsky a souvent soutenu des "aventuriers" qui avaient su lui inspirer confiance. Par contre, tous les groupes comme la Gauche belge, allemande, espagnole et tous les militants révolutionnaires de mérite comme Rosmer, Nin, Landau et Hennaut, ont été écartés ou expulsés les uns après les autres jusqu'à ce que l'Opposition internationale de gauche devienne un courant purement "trotskiste".20
C'est à travers ce chemin de croix de luttes pour la défense du patrimoine de l'expérience du marxisme et, ce faisant, de son identité politique que la Gauche italienne a fini par être, au niveau international, le courant politique qui a été la meilleure expression de la nécessité d'un parti cohérent, excluant les indécis et les centristes mais qui, en même temps, a développé la plus grande capacité à mettre en œuvre une politique de regroupement des forces révolutionnaires parce qu'elle a toujours pris comme base la clarté des positions et de la façon de travailler. Le BIPR (et avant lui le PCInt depuis 1943) - qui se considère comme étant le seul véritable héritier politique de la Gauche italienne - est-il vraiment à la hauteur de ses ancêtres politiques ? Ses critères d'adhésion sont-ils stricts comme Lénine prétendait à juste titre qu'ils devaient l'être ? Honnêtement, il ne nous semble pas : toute l'histoire de ce groupe est constellée d'épisodes "d'opportunisme sur les questions organisationnelles" et, plutôt que d'appliquer les orientations auxquelles il dit adhérer, le BIPR a en fait une pratique politique qui est beaucoup plus voisine de celle de l'IC dans sa phase de dégénérescence et de celle des trotskistes. Nous ne nous arrêterons que sur quelques exemples historiques symptomatiques pour démontrer ce que nous disons.
1943-1946
En 1943, se constitue dans le nord de l'Italie le Parti communiste internationaliste (PCInt). La nouvelle a suscité beaucoup d'espérances et la direction du nouveau parti s'est abondamment laissée aller à une pratique opportuniste. A commencer par l'entrée en masse dans le PCInt de divers éléments venant de la lutte partisane21 ou de différents groupes du sud, certains venant du PSI ou du PCI, d'autres encore du trotskisme, sans parler d'une série de militants qui avaient ouvertement rompu avec le cadre programmatique et organisationnel de la Gauche italienne pour se lancer dans des aventures proprement contre-révolutionnaires comme la minorité de la fraction du PCI à l'extérieur qui est allée "participer" à la guerre d'Espagne de 1936, comme Vercesi qui a participé à la "Coalition antifasciste" de Bruxelles en 1943.22
Naturellement on n'a jamais demandé à aucun de ces militants venus grossir les rangs du nouveau parti de rendre des comptes sur son activité politique précédente. Et, en terme d'adhésion à l'esprit et à la lettre de Lénine, que dire de Bordiga lui-même, qui a participé aux activités du parti jusqu'en 195223, en contribuant activement jusqu'à en inspirer la ligne politique et en écrivant même une plate-forme politique approuvée par le parti... sans en être néanmoins militant ?
Dans cette phase, c'est la Fraction française de la gauche communiste (FFGC, Internationalisme) qui a pris le relais de la ligne de gauche, en reprenant et en renforçant l'héritage politique de la Fraction italienne (Bilan). C'est justement la FFGC qui a posé au PCInt le problème de l'intégration de Vercesi et de la minorité de Bilan sans qu'à aucun moment ne soit prévu de leur demander des comptes sur leurs erreurs passées sur le plan politique ; elle a aussi posé le problème de la constitution du parti en Italie qui s'est effectuée en ignorant complètement le travail de "bilan" accompli pendant dix années par la Fraction.
En 1945, un Bureau international se constitua entre le PCInt, la Fraction belge et une Fraction française "doublon" par rapport à la FFGC. En fait, cette FFGC bis s'était constituée à partir d'une scission formée par deux éléments appartenant à la Commission Executive (CE) de la FFGC qui avaient pris contact avec Vercesi à Bruxelles et qui s'étaient probablement laissés convaincre par ses arguments, après qu'ils aient soutenu eux-mêmes la politique de son exclusion immédiate sans discussion au début 1945.24 Parmi ces deux éléments, l'un était très jeune et sans expérience (Suzanne) alors que l'autre venait du POUM espagnol (il est allé ensuite à Socialisme ou Barbarie). La FFGC bis s'est ensuite "renforcée" avec l'entrée d'éléments de la minorité de Bilan et de la vieille Union Communiste (Chazé, etc.) que la Fraction avait sévèrement critiqués pour leurs concessions à l'antifascisme pendant la guerre d'Espagne.
En fait, la création de cette Fraction doublon répondait au besoin d'enlever sa crédibilité à Internationalisme. Comme on le voit, l'histoire se répète, dans la mesure où le PCInt faisait refaire la manœuvre qui avait été effectuée en 1930, au sein de l'Opposition, contre la fraction italienne avec la constitution de la Nouvelle opposition italienne (NOI), groupe formé d'ex-staliniens qui, deux mois avant seulement, s'étaient salis les mains en expulsant Bordiga du PCI et dont la fonction politique ne pouvait être que celle de faire une concurrence politique provocatrice à la Fraction.
La GCF a écrit le 28 novembre 1946 au PCInt une lettre avec une annexe dans laquelle elle faisait la liste de toutes les questions à discuter et qui concernaient une série de manquements dont s'étaient rendus responsables diverses composantes de la Gauche communiste italienne pendant la période de guerre (Internationalisme n° 16). A cette lettre de 10 pages, le PCInt répond de manière lapidaire avec ces mots :
"Réunion du Bureau International - Paris - : Puisque votre lettre démontre une fois de plus la constante déformation des faits et des positions politiques prises, soit par le PCI d'Italie, soit par les Fractions belges et françaises ; que vous ne constituez pas une organisation politique révolutionnaire et que votre activité se borne à jeter de la confusion et de la boue sur nos camarades, nous avons exclu à l'unanimité la possibilité d'accepter votre demande de participation à la réunion internationale des organisations de la GCI."
II est bien vrai que l'histoire se répète mais comme une farce. La GCI a été exclue de façon bureaucratique de l'IC après 1926, elle a pareillement été exclue de l'Opposition de gauche en 1933 (voir notre brochure sur la Gauche communiste d'Italie) ; c'est finalement au tour de la GCI d'exclure bureaucratiquement la Fraction française de ses rangs pour éviter la confrontation politique.
Années 1950
L'éclectisme au niveau des positions fait qu'au niveau international cela aboutit à la méthode de "bougnat est maître chez soi". Avec l'éclatement de 1952, la position bordiguiste fut "l'intransigeance" de la gauche italienne mais poussée à la caricature, c'est-à-dire qu'on ne discute avec personne ; quant à l'autre partie, c'est l'ouverture tout azimut ; ainsi, à l'automne 1956, le PCInt (Battaglia Comunista) avec les GAAP25, les trotskistes des Groupes Communistes Révolutionnaires et Action Communiste26 ont constitué un Mouvement pour la Gauche Communiste dont le trait le plus saillant fut l'hétérogénéité et la confusion. Ces quatre groupes seront appelés ironiquement "le quadrifoglio" (le trèfle à quatre feuilles) par Bordiga.
Années 1970
Dans les premiers mois de 1976, Battaglia Comunista a lancé "une proposition pour commencer", adressée "aux groupes internationaux de la gauche Communiste" dans laquelle elle invitait :
-
à une conférence internationale pour faire le point sur l'état des groupes qui se réclament de la Gauche communiste internationale ;
-
à créer un centre de contacts et de discussion international.
Le CCI a adhéré de façon convaincue à la conférence, demandant cependant la définition de critères politiques minimum pour participer. BC, habituée à un autre style de conférences (voir ci-dessus), fut réticente à l'établissement de lignes de démarcation trop strictes à son goût : elle avait évidemment peur de fermer la porte à certains.
La première conférence s'est déroulée à Milan en mai 1977 avec deux groupes participants seulement, BC et le CCI. Mais BC s'est opposée à toute déclaration à l'extérieur, y compris à une critique des groupes invités qui n'avaient pas accepté d'adhérer à la conférence.
A la fin de 1978, se tint la 2ème Conférence à Paris aux travaux de laquelle ont participé finalement différents groupes. A la fin de la conférence on est revenu sur la question des critères d'adhésion et, cette fois, c'est BC qui a suggéré des critères plus stricts :
"Les critères doivent permettre d'exclure les conseillistes de ces Conférences et nous devons donc insister sur la reconnaissance de la nécessité historique du Parti comme critère essentiel." Ce à quoi nous avons répondu en rappelant ''notre insistance lors de la première conférence pour qu'il y ait des critères. Aujourd'hui, nous pensons que l'adjonction de critères supplémentaires n'est de pas opportune. Ce n'est pas par manque de clarté, tant sur la question des critères en elle-même que sur la question nationale ou syndicale, mais parce que c'est prématuré. Il pèse encore une grande confusion dans l'ensemble du mouvement révolutionnaire sur ces questions ; et le NCI a raison d'insister sur la vision dynamique des groupes politiques auxquels nous fermerions prématurément la porte." 27
Dans la première moitié de l'année 1980 se tient la 3ème et dernière Conférence Internationale28 dont l'atmosphère fut marquée, depuis le début, par l'épilogue qu'elle a eu. Au delà de l'intérêt de la discussion, il s'est manifesté dans cette conférence la volonté précise de la part de BC d'exclure le CCI d'autres conférences éventuelles. Comme dans la fable - dans laquelle le loup, ne réussissant pas à accuser l'agneau d'avoir souillé l'eau du ruisseau dans lequel ce dernier buvait, finit par en attribuer la faute au père de l'agneau et à trouver ainsi une justification pour le mettre en pièces -, BC, qui voyait de plus en plus le CCI non pas comme un groupe du même camp avec lequel il était possible d'aboutir à une clarification avantageuse pour tous les camarades et les nouveaux groupes en voie de formation mais comme un concurrent dangereux capable de s'accaparer tels camarades ou tels nouveaux groupes, a trouvé à la fin un expédient consistant à faire approuver par la Conférence un critère politique d'admission encore plus strict et plus sélectif pour exclure définitivement le CCI.
En conclusion, on est passé de la 1ère Conférence pour laquelle la question de critère politique d'adhésion non seulement n'était pas posée mais même mal vue, à la 3ème Conférence à la fin de laquelle on a imposé des critères crées à dessein pour éliminer le CCI, c'est-à-dire la composante de gauche au sein de la Conférence. La 3ème Conférence fut un remake de l'exclusion de la GCF en 1945 et, donc, le prolongement des épisodes précédents d'exclusion de la Sinistra comunista italiana de l'IC (1926) et de l'Opposition (1933).
La responsabilité politique assumée par BC (et la CWO) dans cette circonstance est énorme : quelques mois après seulement (août 1980) a éclaté la grève de masse en Pologne et le prolétariat mondial a perdu ainsi une occasion en or de bénéficier d'une intervention coordonnée de l'ensemble des groupes de la Gauche communiste.
Mais l'histoire ne finit pas là. Après quelques temps, BC et CWO, pour démontrer qu'ils n'avaient pas détruit un cycle de trois conférences et quatre années de travail international pour rien, ont organisé une quatrième conférence à laquelle, en dehors d'eux, a participé un soi-disant groupe révolutionnaire iraniens contre lequel nous avions par ailleurs mis en garde BC même. C'est seulement après quelques années que le BIPR a fini par faire son mea culpa, en reconnaissant que ce groupe d'iraniens n'était certainement pas révolutionnaire.
Années 1990
Nous en arrivons ainsi à la période récente, celle de ces dernières années dans laquelle nous avons signalé qu'apparaissait une ouverture, faible mais encourageante, au dialogue et à la confrontation au sein du camp politique prolétarien29. L'aspect le plus intéressant, sous un certain angle, fut le début d'un travail intégrant dans l'activité d'intervention le CCI et le BIPR (notamment sa composante anglaise, la CWO). Il s'agissait d'une intervention concertée (quand elle ne se faisait pas ensemble même), dans les débats, par exemple, des conférences sur Trotsky qui se sont tenues en Russie, ou pour une réunion publique sur la révolution de 1917 organisée et tenue en commun à Londres, ou pour une défense commune contre l'attaque de certaines formations parasitaires, etc. Nous avons toujours mené ces interventions sans arrière-pensée, sans la moindre intention de phagocyter qui que ce soit ou de créer des différends au sein du BIPR entre BC et la CWO. Il est vrai que la plus grande ouverture de la CWO et l'absence feutrée de BC nous ont toujours préoccupés. A la fin, quand BC a décidé que la mesure était comble, elle a mis des barrières et a appelé ses partenaires à respecter la discipline de parti, pardon du BIPR. A partir de ce moment, tout ce que la CWO tenait avant pour raisonnable et normal a commencé à être inacceptable. Plus aucune coordination dans le travail en Russie, plus de réunion publique commune, etc. C'est, encore une fois, une grave responsabilité qui retombe sur les épaules du BIPR qui, par son opportunisme de boutiquier, a fait que le prolétariat mondial a dû affronter un des épisodes les plus difficiles de la phase historique actuelle, la guerre du Kosovo, sans que son avant-garde ne réussisse à faire une prise de position commune.
Pour prendre toute la mesure de l'opportunisme du BIPR à propos de son refus à l'appel sur la guerre que nous avons fait, il est instructif de relire un article paru dans BC de novembre 1995 et intitulé "Equivoques sur la guerre dans les Balkans". BC y rapporte qu'elle a reçu de l'OCI (Organizzazione Comunista Intemazionalista) une lettre/invitation à une assemblée nationale contre la guerre qui devait se tenir à Milan. BC a considéré que "le contenu de la lettre est intéressant et fortement amélioré par rapport aux positions qu'avait prises l'OCI vis à vis de la guerre du Golfe, de « soutien au peuple irakien attaqué par l'impérialisme » et fortement polémique dans la discussion de notre prétendu indifférentisme." L'article poursuivait ainsi : "Il manque la référence à la crise du cycle d'accumulation (...) et l'analyse essentielle de ses conséquences sur la Fédération Yougoslave. (...) Mais cela ne semblait pas interdire une possibilité d'initiative en commun de ceux qui s'opposent à la guerre sur le terrain de classe" (souligné par nous). Il y a seulement quatre ans, comme on peut le voir, dans une situation moins grave que celle que nous avons vue avec la guerre du Kosovo, BC aurait été prête à prendre une initiative commune avec un groupe désormais clairement contre-révolutionnaire30 afin de satisfaire ses menées activistes alors qu'elle a eu le courage de dire non au CCI... sous prétexte que nos positions sont trop éloignées. C'est cela l'opportunisme.
Conclusions
Dans cet article, nous nous sommes efforcés de répondre à la thèse du BIPR selon laquelle des organisations comme la notre seraient "étrangères à la méthode et aux perspectives de travail qui conduiront à l'agrégation du futur parti révolutionnaire". Pour ce faire, nous avons pris en considération les deux niveaux auxquels se pose le problème de l'organisation ; et sur les deux niveaux nous avons démontré que c'est le BIPR, et non le CCI, qui sort de la tradition de la Gauche communiste italienne et internationale. En fait, l'éclectisme qui guide le BIPR dans sa politique de regroupement ressemble plus à celui d'un Trotsky aux prises avec l'édification de sa quatrième Internationale ; la vision du CCI est en revanche celle de la Fraction italienne qui a toujours combattu pour qu'un regroupement se fasse dans la clarté et sur la base duquel puissent être gagnés les éléments du centre, les hésitants.
N'en déplaise aux divers héritiers présumés, la continuité réelle de la Fraction italienne est représentée aujourd'hui par le CCI, organisation qui se réclame, parce qu'elle les a faites siennes, de toutes les batailles des années 1920, des années 1930 et des années 1940.
31 août 2000, Ezechiele
1 BIPR : Bureau International pour le Parti Révolutionnaire, organisation internationale qui réunit les deux organisations suivantes : Communist Workers Organisation (CWO) et le Partito Comunista internazionalista d'Italie (BC).
2 Publié dans Battaglia Comunista n° 1, janvier 2000, et dans Internationalist Communist n° 18, hiver 2000.
3 Il y avait aussi 21 conditions d'admission à l'IC.
4 Voir notre article A propos de l'appel lancé par le CCI sur la guerre en Serbie. L'offensive guerrière de la bourgeoisie exige une réponse unie des révolutionnaires, Revue Internationale n° 98, juillet 1999.
5 Voir aussi La méthode marxiste et l'appel du CCI sur la guerre en ex- Yougoslavie, Revue Internationale n° 99, octobre 1999.
6 Il s'agit des points 13 et 16 sur lesquels subsistent des divergences qui ne sont pas de fond mais concernent 1’analyse de 1’actualité.
7 Des comptes-rendus et des évaluations critiques de ces conférences peuvent être trouvés dans les différents articles de notre Revue Internationale et dans les brochures disponibles sur demande.
8 Thèses de la gauche pour le 3e Congrès du PC d'Italie, Lyon, janvier 1926, publiées dans Défense de la continuité du programme communiste. Editions "Le Programme Communiste", Milan 1970.
9 "Pendant toute cette période (1930), Trotsky est informé par les lettres de Rosmer. Ce dernier, défavorable à la gauche italienne « bloque toutes les discussions ». Il critique Prometeo qui voulait créer, initialement, des sections nationales avant l'Internationale et il donne l'exemple de Marx et Engels qui « ont fait naître en 1847 le mouvement communiste avec un document international et avec la création de la première Internationale ». Cet argumentation mérite d'être soulignée puisqu'elle sera souvent reprise, à tort, contre la fraction italienne." (CCI, Rapports entre la fraction de gauche du PC d'Italie et l'Opposition de la Gauche Internationale, 1923-1933}.
10 BIPR, Vers la nouvelle Internationale, Prometeo n°l, série VI, juin 2000.
11 BIPR, Vers la nouvelle Internationale, idem.
12 Pour une prise de position générale sur le problème, voir l'article Sur le Parti et ses rapports avec la classe. Texte du 5e Congres du CCI, Revue Internationale n° 35.
13 "Beaucoup (de délégués au Congrès de fondation de l'IC) sont en réalité des militants bolcheviks : les P.C. de Pologne à bien des égards, de Lettonie, d'Ukraine, de Lituanie, de Biélorussie, d'Arménie, le groupe unifié des peuples de la Russie orientale, les sections du Bureau central des peuples d'Orient, ne sont, à des titres divers. que des émanations du parti bolchevik lui même. (...) Seuls viennent réellement de l'étranger les deux délégués suisses, Fritz Platten et Katscher, l'allemand Eberlein (...), le norvégien Stange et le suédois Grimiund, le français Guilbeaux. Mais là encore, leur représentativité peut être discutée. (...) Il ne reste donc que deux délégués détenant un mandat incontestable, Grimiund le suédois et Eberlein".("Premier congrès de l'Internationale Communiste", Pierre Broué : Introduction, les origines de l'Internationale Communiste". EDI, Paris, pp. 35-36).
14 C'est cette critique que nous avons faite récemment à BC à propos de sa manière opportuniste d'entretenir les rapports avec les éléments du GLP, formation politique dont les composantes, en rupture avec l'autonomie, sont à mi-chemin d'une clarification, conservant néanmoins une bonne dose de leurs confusions originelles : "Une intervention qui, loin défavoriser la clarification de ces éléments et leur adhésion définitive à une cohérence révolutionnaire, en a au contraire bloqué l'évolution possible" (tiré de "I Gruppi di lotta proletaria : une tentative inachevée d'atteindre une cohérence révolutionnaire", Rivoluzione Intemazionale, n° 106)
15 Le BIPR nous démentira probablement en donnant l'exemple de groupes qui ont ces dernières années choisi de "travailler" avec lui ainsi que celui d'une relance de sa présence en France avec une nouvelle publication (Bilan et perspectives). Nous souhaitons que ces nouvelles forces soient capables de se maintenir, contrairement à leurs prédécesseurs, mais le BIPR devra être particulièrement vigilant sil ne veut pas connaître les mêmes déboires que par le passé.
16 Texte de la 21ème condition d'admission à l'Internationale communiste adoptée au second Congrès du Comintern, 6 août 1920 (Jane Degras, Storia dell'Internazionale Comunista, Feltrinelli, 1975).
17 Discours d'Amedeo Bordiga sur "Les conditions d'admission à l’IC", 1920, publié dans La Sinistra Comunista nel cammino della rivoluzione, Edizioni sociali, 1976.
18 Cette politique a conduit à l'isolement des énergies révolutionnaires au sein des partis et a favorisé leur exposition à la répression et au massacre, comme cela a été le cas en Chine.
19 CCI : La Gauche communiste d'Italie 1927-1952.
20 Tiré du livre du CCI ; Rapports entre la Fraction de gauche du PC d'Italie et l'Opposition de Gauche Internationale. 1923-1952. A paraître prochainement.
21 "Les ambiguïtés sur les 'partisans' dans la constitution du parti Communiste Internationaliste en Italie" ; Lettre de Battaglia Comunista. Réponse du CCI dans la Revue Internationale n° 8.
22 Voir les articles : A l'origine du CCI et du BIPR, dans la Revue Internationale n° 90 et 91, et l'article Parmi les ombres du bordiguisme et de ses épigones, dans la Revue Internationale n° 95.
23 Année de la scission entre l'actuelle Battaglia Comunista et les composantes "bordiguistes" du PCInt.
24 CCI : La Gauche communiste d'Italie, 1927-1952.
25 Quelques ex-partisans, parmi lesquels Cervetto, Massimi et Parodi adhèrent au mouvement anarchiste en cherchant à se former en tant que tendance de classe au sein de celui ci avec la constitution des Gruppi Anarchici di Azione Proletaria (GAAP) en Février 1951 ayant comme organe de presse : "L'impulso".
26 AC naît en 1954 comme tendance du PCI formée par Seniga, Raimondi, un ex-partisan, et Fortichiari, un des fondateurs du PC d'Italie en 1921, qui était rentré au PCI après en avoir été expulsé. Seniga était un collaborateur de Pietro Secchia, celui-là même qui avait qualifié les groupes à la gauche du PC d'Italie pendant la résistance de "marionnettes de la Gestapo" et qui invitait à les éliminer physiquement. C'est la fusion entre une partie d'AC et les GGAP qui formera en 1965 le groupe Lotta Comunista.
27 Le procès verbal de la Conférence est reproduit dans : "Textes préparatoires (suite), comptes-rendus, correspondance de la 2ème Conférence des Groupes de la Gauche Communiste", Paris, Novembre 78.
28 Revue Internationale n° 22, 3e trimestre 1980. "Troisième Conférence internationale des groupes de la Gauche Communiste" (Paris, Mai 1980). Le sectarisme, un héritage de la contre-révolution à dépasser. Voir aussi les procès verbaux de la 3ème Conférence publiés en français par le CCI sous forme de brochure, et en italien par BC (comme numéro spécial de Prometeo). Dans l'édition française, on trouvera aussi une prise de position politique du CCI sur les conclusions des Conférences.
29 Revue Internationale n°92 : 6e Congres du Partito Comunista Intemazionalista, Un pas en avant pour la Gauche Communiste. Revue Internationale n° 93 : Des débats entre groupes bordiguistes, Une évolution significative du milieu politique prolétarien. Revue Internationale n° 95 : Gauche Communiste d'Italie, A propos de la brochure "Parmi les ombres du bordiguisme et de ses épigones" (Battaglia Comunista).
30 Il faut vraiment la dose d'opportunisme de BC pour chercher, à l'automne 1995, à renouer des liens avec une organisation qui, au moins depuis 5 ans, depuis la guerre du Golfe, ne faisait qu'appuyer un front impérialiste contre un autre, participant ainsi à l'embrigadement du prolétariat dans les massacres impérialistes. Voir à ce propos les articles publiés dans Rivoluzione Intemazionale : L'OCI, la calunnia è un venticello (n°76, juin 1992) ; Les farneticazioni dell'OCI (n°69, avril 1991) ; Les poissons-chats du Golfe (n°67, décembre 1990).