Submitted by Revue Internationale on
La situation internationale en cette année 2000 confirme la tendance, déjà analysée par le CCI au début de la décennie passée, à un écart grandissant entre l'aggravation de la crise ouverte de l'économie capitaliste et l'accélération brutale des antagonismes impérialistes d'une part et un recul des luttes ouvrières et de la conscience dans la classe d'autre part.
Le marxisme n'a jamais prétendu ou supposé qu'il y aurait un rapport mathématique entre ces phénomènes qui caractérisent "l'ère des guerres et des révolutions" (comme la qualifiait l'Internationale communiste), qu'un degré X de la crise impliquerait un degré Y de la lutte de classe. Sa tâche est au contraire de comprendre la perspective de la révolution prolétarienne en évaluant les tendances inhérentes à chacun de ces trois facteurs et à leur action réciproque, et au sein desquels le facteur économique est le facteur dominant en dernière instance.
La crise ouverte qui a débuté à la fin des années 1960 a mis un terme à la période de reconstruction de l’après seconde guerre mondiale. La lutte de classe a resurgi après 40 ans de contre-révolution comme conséquence de cette crise, avec la perspective d'affrontements de classe décisifs contre la bourgeoisie menant soit à la révolution communiste du prolétariat, ou (comme l'énonçait le Manifeste Communiste) à "la destruction des classes ennemies" (dans la guerre impérialiste ou autre catastrophe).
Le marxisme n'est pas remis en cause par le fait que cette tendance historique aux affrontements de classe semble ne pas se vérifier si on considère la passivité relative du prolétariat à l'heure actuelle. La méthode marxiste va au delà de la surface des choses pour comprendre pleinement la réalité sociale.
1) La crise historique du capitalisme épuise progressivement les palliatifs destinés à la surmonter. La solution keynésienne expansionniste aux problèmes de l'économie mondiale s'est essoufflée à la fin des années 1970. L'austérité néo-libérale a été principalement une formule des années 1980, bien que l'idéologie de la mondialisation après l'effondrement de l'URSS, ait étendu sa durée dans les années 1990. Cependant, la seconde moitié de cette décennie et la période actuelle sont principalement caractérisées par l'effondrement de ces modèles économiques et leur remplacement par une réponse pragmatique à l'enfoncement inexorable de la crise, une réponse qui oscille entre une intervention étatique manifeste et le laisser-faire de la "sanction du marché".
Le capitalisme d'Etat, forme caractéristique du capitalisme décadent, n'a aucunement l'intention d'abandonner sa capacité d'intervention vis-à-vis de la crise économique, mais il ne peut surmonter cette dernière de par l'insuffisance des marchés solvables entraînant une crise permanente de surproduction.
2) Les nouveaux marchés annoncés en 1989 ne se sont pas matérialisés.
Après l'effondrement du bloc de l'Est et la dislocation du Stalinisme, la victoire mondiale du capitalisme n'est pas parvenue à créer les pseudo-possibilités de vente miraculeuse de ses produits, prévues par les architectes du "nouvel ordre mondial".
Les pays d'Europe de l'Est n'ont pas réussi à fournir les opportunités attendues pour l'expansion capitaliste. Au lieu de cela, on a constaté un effondrement de la production en Russie et dans la plupart de ses ex-satellites. La pauvreté de leur population, l'absence de tout cadre légal pour les affaires ont entraîné un afflux de richesse en direction opposée, vers les banques occidentales, et un désinvestissement dans l'industrie russe.
Toutes les guerres de la décennie, du Golfe au Kosovo, en dépit de leurs destructions massives, n'ont été aucunement en mesure de créer les opportunités attendues de reconstruction. Au contraire, le massacre des populations, la destruction et la dislocation de 1 ' économie n'ont fait que contracter encore plus le marché.
3) Les différentes locomotives de l'économie mondiale ont déraillé.
La réunification de l'Allemagne a finalement mis un terme au "miracle" économique : chômage de masse, croissance léthargique et endettement massif en sont le témoignage. L'Allemagne de l'Est s'est révélée un lourd fardeau et non un nouveau champ d'accumulation du capital.
Le Japon, le plus important fournisseur de liquidités pour l'économie mondiale et la deuxième plus grande économie du monde, n'a pas réussi à ré-émerger de la stagnation tout au long de la décennie notamment à cause de la contraction et ensuite de l'effondrement des économies du sud-est asiatique en 1997.
Après l'effondrement de ces "tigres" et "dragons" économiques orientaux, affaiblissant le "dynamisme économique" émergeant de la Chine, d'autres locomotives en expansion du tiers-monde, le Mexique et le Brésil, sont tombées en rade.
Seuls les Etats-Unis ont apparemment renversé cette tendance, avec la plus longue période d'expansion économique de leur histoire récente. Mais au lieu de ranimer les braises de l'économie mondiale, l'expansion de l'économie américaine les a seulement empêchées de s'éteindre totalement et cela à un coût exorbitant. Il s'est produit une nouvelle explosion du déficit commercial américain et de nouveaux records d'endettement.
4) Les gadgets de l'innovation technologique ne peuvent venir à bout des contradictions inhérentes au capitalisme.
Dans le capitalisme décadent, la principale force motrice derrière le changement technologique, la croissance des forces productives, est représentée par les besoins du secteur militaire, les moyens de destruction.
La "révolution" de l'ordinateur et maintenant la "révolution" de l'Internet sont toutes deux des tentatives de greffer ces sous-produits de la guerre (le Pentagone a toujours été le premier utilisateur mondial d'ordinateurs et Internet a été créé d'abord pour les besoins militaires) sur l'économie capitaliste dans son ensemble pour lui donner un second souffle.
La ruée vers l'or que constitue Internet, est encore en plein boom comme le montrent les valeurs fantastiques attribuées aux "actions technologiques" par le Dow Jones, à des compagnies qui n'ont parfois fait aucun profit mais qui sont entièrement évaluées sur la base d'une hypothétique richesse future. De fait, la plus grande part de la croissance de la spéculation boursière aujourd'hui est mue par le cyber-commerce. Des investissements énormes et des fusions record comme celle entre AOL et Warner Communications s'effectuent dans l'espoir d'un nouvel Eldorado.
Les développements technologiques peuvent certainement accélérer la production, abaisser les coûts de distribution et fournir de nouvelles sources de revenus publicitaires, mieux exploiter les marchés existants. Mais, à moins que l'expansion de la production qui en résulte puisse trouver de nouveaux marchés solvables, le développement des forces productives que la nouvelle technologie promet restera de la fiction. Ses bienfaits ne peuvent être que partiellement utilisés par le capitalisme pour centraliser et rationaliser certains secteurs de l'économie - la plupart du temps ceux du tertiaire.
Il importe enfin de souligner que la frénésie qui a saisi les investisseurs en faveur de la "nouvelle économie" n'est elle-même qu'une manifestation de l'impasse économique du capitalisme. Marx l'avait déjà démontré à son époque : la spéculation boursière ne révèle pas la bonne santé de l'économie mais le fait qu'elle s'achemine vers la banqueroute.
5) L'impasse de l'économie capitaliste est beaucoup plus aiguë que dans les années 1930 mais elle est masquée et prolongée par un certain nombre de facteurs. Dans les années 1930, la crise a frappé en premier et le plus gravement les deux nations capitalistes les plus fortes, les Etats-Unis et l'Allemagne, et a conduit à 1'effondrement du commerce mondial et à la dépression. Depuis 1968 cependant, la bourgeoisie a tiré les leçons de cette expérience en se confrontant à la ré-émergence de la crise, leçons qui n'ont pas été oubliées dans les années 1990. La bourgeoisie mondiale sous la férule des Etats-Unis n'a pas eu recours au protectionnisme à l'échelle des années 1930.
En utilisant des mesures de coordination internationale du capitalisme d'Etat- le FMI, la Banque Mondiale, l'OMC, etc. ainsi que de nouvelles zones monétaires - il a été possible d'éviter cette issue et au contraire de repousser la crise vers les régions les plus faibles et les plus périphériques de l'économie mondiale.
6) Pour comprendre où on en est de la décadence du capitalisme, on doit distinguer ses cycles historiques de crise, guerre, reconstruction, nouvelle crise et les fluctuations qui ponctuent encore la vie de l'économie capitaliste au cours de sa période de crise ouverte. Ce sont ces récessions et ces reprises (4 depuis 1968) qui permettent à la bourgeoisie de prétendre que l'économie est encore saine en insistant sur la croissance continue ou renouvelée. La bourgeoisie peut de cette façon masquer la nature maladive de cette croissance du fait qu'elle repose sur un surendettement massif et qu'elle inclut l'expansion parasitaire de diverses industries de gaspillage (armement, publicité, etc.). Elle est ainsi en mesure de cacher la nature plus faible de chaque reprise et la force croissante de chaque récession sous une masse de statistiques mensongères (sur la croissance véritable, sur le chômage, etc.).
Pour les révolutionnaires, la preuve de la banqueroute du capitalisme ne réside pas seulement dans les baisses reconnues de la production qui sont de plus en plus graves mais temporaires au cours de récessions ou dans les "corrections" boursières, mais dans les manifestations aggravées d'une crise permanente et insoluble de surproduction prise comme un tout historique. C'est la crise ouverte au sein de la décadence capitaliste qui propulse le prolétariat sur la route qui mène à la prise du pouvoir, ou s'il échoue, rendra la tendance vers la barbarie militariste irréversible.
7) C'est seulement selon les préceptes moraux du matérialisme vulgaire que la lutte de classe devrait inévitablement répondre à l'approfondissement de la crise économique avec une force équivalente.
Pour le marxisme, c'est bien sûr la crise économique qui révèle au prolétariat la nature de ses tâches historiques dans leur globalité. Cependant le tempo de la lutte de classe, tout en ayant ses propres "lois de marche", est aussi profondément influencé par les développements dans les domaines "superstructurels" de la société : aux niveaux social, politique et culturel.
La non-identité entre le rythme de la crise économique et celui de la lutte de classe était déjà apparente dans la période entre 1968 et 1989. Les vagues de luttes successives par exemple ne correspondaient pas directement aux variations de la crise économique. La capacité du capitalisme d'Etat à ralentir le rythme de la crise a souvent interrompu celui de la lutte de classe.
Mais, plus important, à la différence de la période 1917-1923, les luttes de classe ne se sont pas développées ouvertement au niveau politique. La rupture fondamentale d'avec la contre-révolution effectuée par le prolétariat après 1968 en France s'est manifestée essentiellement en une défense déterminée par la classe ouvrière au niveau économique quand elle a commencé à réapprendre beaucoup des leçons sur le rôle anti-ouvrier des syndicats. Mais le poids des partis qui, à différents moments, étaient passés à la contre-révolution au cours du siècle qui s'achève - les variétés social-démocrate, stalinienne et trotskiste - d'une part et la minuscule influence de la tradition de la Gauche communiste d'autre part ont empêché la "politisation" des luttes.
L'impasse dans les luttes de classe qui en a résulté - une bourgeoisie incapable de déclencher une autre guerre mondiale (à cause de la résistance permanente de la classe ouvrière face aux injonctions du capitalisme en crise), une classe ouvrière incapable d'en finir avec la bourgeoisie, a abouti à la période de décomposition du capitalisme mondial.
8) Pour certaines conceptions restrictives du marxisme, l'évolution de la superstructure de la société peut seulement être un effet et non une cause. Mais la décomposition de la société capitaliste au niveau social, politique et militaire a de façon significative retardée l'évolution de la lutte de classe. Tandis que le matérialisme mécanique cherche la cause de la paix entre les classes dans une prétendue restructuration du capitalisme, le marxisme montre comment l'absence de perspective qui caractérise la période actuelle retarde et obscurcit le développement de la conscience de classe.
Les campagnes sur la mort du communisme et la victoire de la démocratie capitaliste qui ont fleuri sur les ruines de l'URSS, ont désorienté le prolétariat mondial.
La classe ouvrière a ressenti son impuissance face à la succession de conflits impérialistes sanglants dont les véritables motifs ont été obscurcis derrière la propagande humanitaire ou démocratique et une unité de façade des principales puissances.
Le déclin progressif de l'infrastructure de la société, dans l'éducation, le logement, les transports, la santé, l'environnement et l'alimentation, a créé un climat de désespoir qui affecte la conscience prolétarienne.
De la même façon, la corruption de l'appareil politique et économique et le déclin de la culture artistique renforcent le cynisme partout.
Le développement du chômage de masse particulièrement parmi la jeunesse, aboutissant à la lumpénisation et la normalisation de la "culture" de la drogue, commence à ronger la solidarité du prolétariat.
9) Au lieu du langage brutal, de "la vérité" des gouvernements de droite des années 1980, la bourgeoisie parle dorénavant un dialecte néo réformiste et populiste afin d'étouffer 1'identité de classe du prolétariat. L'arrivée de la gauche de la bourgeoisie au pouvoir s'est révélée le moyen idéal à l'heure actuelle pour désorienter au maximum le prolétariat. Ne parlant plus le langage de la lutte comme ils le faisaient dans l'opposition durant les années 1980, les partis de gauche au pouvoir sont bien armés pour mener de façon soft les attaques contre les conditions de vie de la classe ouvrière. Ils sont également en meilleure position pour occulter la barbarie militariste derrière une rhétorique humanitaire. Et ils sont plus à même de corriger les échecs des politiques économiques néolibérales par une intervention plus directe de l'Etat.
10) Cela dit, la classe ouvrière n'a pas subi une défaite décisive en 1989 remettant en cause le cours historique général. Ainsi, depuis 1992, elle a repris le chemin de la lutte pour défendre ses intérêts.
Le prolétariat reprend lentement et inégalement confiance dans ses capacités. A travers le développement de sa combativité, on peut s'attendre aune méfiance grandissante à l'égard des syndicats qui, de concert avec les gouvernements de gauche, tentent d'isoler et de fragmenter les luttes et de leur imposer les exigences politiques de la classe dominante.
Cependant, on ne peut s'attendre, au moins dans le court et moyen terme, à un tournant décisif à l'avantage du prolétariat qui mettrait en question la stratégie actuelle de la bourgeoisie.
11) Dans le plus long terme, le potentiel du prolétariat de se renforcer politiquement et de réduire l'écart vis-à-vis de l'ennemi de classe reste présent :
- la progression de la crise économique va pousser la réflexion prolétarienne en avant sur la nécessité d'affronter et de dépasser le système ;
- le caractère de plus en plus massif, simultané et généralisé des attaques va poser la nécessité d'une réponse de classe généralisée ;
- l'augmentation de la répression d'Etat ;
- l'omniprésence de la guerre, détruisant les illusions dans la possibilité d'un capitalisme pacifique ;
- la possibilité d'une combativité grandissante ;
- l'entrée en lutte d'une deuxième génération invaincue d'ouvriers.
(cf. point 17, Résolution sur la situation internationale du 13 e Congrès du CCI, Revue Internationale n° 97).
21) Même s'il est indéniable qu'il y a eu au cours de la dernière décennie un recul important de la conscience de classe au sein du prolétariat comme un tout, les événements de ces années ont provoqué, d'un autre côté, un questionnement et une réflexion en profondeur dans les secteurs les plus avancés de la classe ouvrière (constituant encore de minuscules minorités) qui les ont conduits à s'intéresser aux positions et à l'histoire de la Gauche communiste. Le développement international actuel des cercles de discussion confirme ce phénomène.
Evidemment, aujourd'hui, la bourgeoisie peut officiellement ignorer ces développements et présenter les organisations révolutionnaires actuelles comme totalement insignifiantes.
Mais les campagnes idéologiques sur la prétendue "mort du communisme", la "disparition de la classe ouvrière" et de son histoire, la tentative de mettre un trait d'égalité entre l'internationalisme prolétarien et le négationisme, la tentative d'infiltrer et de détruire les organisations révolutionnaires, tout cela montre la préoccupation qu'a la bourgeoisie envers la maturation à long terme de la conscience révolutionnaire de la classe ouvrière. En tant que classe historique, le prolétariat représente beaucoup plus que le simple niveau de ses luttes à tel ou tel moment.
Dans les années 1930, dans une autre période, la Gauche italienne se colleta avec les leçons de la défaite de la révolution russe, alors que le prolétariat avait été mobilisé derrière la bourgeoisie. Les minorités révolutionnaires actuelles doivent compléter les fondations du futur parti, en particulier en accélérant le processus d'unification du milieu politique prolétarien actuel.
Dans les futures insurrections du prolétariat, le parti révolutionnaire sera aussi décisif qu'il le fut en 1917.
13)Le cours historique est toujours à des affrontements de classe décisifs mais la disparition de l'ordre impérialiste bipolaire en 1989, plutôt que d'inaugurer une nouvelle époque de paix, a rendu plus évident qu'auparavant que la balance de l'histoire peut pencher en faveur de 1'aboutissement bourgeois de la crise économique - la destruction de l'humanité via les guerres impérialistes ou une catastrophe environnementale. Une guerre mondiale entre blocs impérialistes requérait l'adhésion du prolétariat à l'un ou l'autre des camps en présence et, de ce fait, une défaite historique préalable de la classe ouvrière. Le chacun pour soi impérialiste qui se développe depuis 1989 et la décomposition grandissante de la société, signifient qu'une barbarie irréversible peut advenir sans une telle défaite historique et un tel embrigadement.
14) La tendance à la reformation des blocs impérialistes reste un facteur important de la situation mondiale. Mais l'effondrement du vieux bloc de l'Est met sur le devant de la scène les tendances centrifuges de l'impérialisme mondial. Le contrepoids au bloc américain ayant disparu, il en résulte que les anciens satellites des deux constellations de l'après-Yalta s'engagent dans des directions différentes et poursuivent leurs intérêts conflictuels de façon autonome. Et pour cette raison, les Etats-Unis sont obligés de résister en permanence à la menace pesant sur leur hégémonie. La faiblesse militaire de l'Allemagne ou du Japon, en particulier leur non possession d'armes nucléaires et leur difficulté politique pour les développer, signifie que ces puissances sont pour l'heure incapables de servir d'aimant à la formation d'un bloc rival.
15) En conséquence, les tensions impérialistes explosent de manière la plus chaotique qui soit sous l'impulsion de l'impasse économique du capitalisme décadent qui accentue la concurrence entre chaque nation. Ceux qui s'attendent à tort à une période de paix relative au sein de laquelle les blocs capitalistes pourraient se reformer, sous-estiment gravement le danger de la guerre impérialiste qui se développe à la fois au niveau qualitatif et quantitatif.
La guerre de l'OTAN au Kosovo en 1999 a en particulier marqué une nette accélération des tensions et conflits impérialistes dans le monde. On a assisté au premier bombardement d'une ville européenne et à la première intervention armée de l'impérialisme allemand depuis la seconde guerre mondiale. Le déclenchement immédiat par la Russie d'une seconde guerre en Tchétchénie a montré que la terreur impérialiste a acquis une nouvelle respectabilité.
On assiste a une extension progressive des conflits impérialistes à toutes les zones stratégiques de la planète de façon simultanée :
- en Europe où 1'ex-Yougoslavie est devenue une arène permanente de luttes entre les principales puissances qui alimentent continuellement les bains de sang locaux et menacent d'entraîner dans cette spirale guerrière les voisins de la région ;
- en Afrique où la guerre impérialiste est devenue la norme plutôt que 1'exception ;
- en Asie du Sud-Est, dans le sous-continent indien ("l'endroit le plus dangereux du monde " d'après le président Clinton), au Timor et entre la Chine et Taiwan, sans oublier l'antagonisme croissant entre la Chine et l'Inde et la réaffirmation des ambitions japonaises ;
- au Moyen-Orient où la Pax americana est continuellement contrecarrée - du fait de l'interférence des puissances européennes et de la mise en avant par les impérialismes locaux de leurs intérêts spécifiques ;
- en Amérique Latine également où Washington a perdu ses droits exclusifs sur sa chasse gardée impérialiste.
Si la guerre impérialiste est encore principalement confinée aux aires périphériques du capitalisme mondial, la participation croissante des grandes puissances indique que sa logique ultime est de consumer la plupart des principaux centres industriels et des populations du globe.
16) Aussi sanglants que soient déjà les conflits actuels, le développement récent d'une nouvelle course aux armements signifie que les puissances impérialistes se préparent à de nouvelles guerres de destruction véritablement massive. La brève pause dans la croissance des dépenses militaires après 1989 est en train de prendre fin. Lord Robertson, le nouveau secrétaire général de l'OTAN, a alerté les puissances européennes sur le fait qu'elles devaient augmenter leurs dépenses militaires pour être capables de soutenir toute guerre pouvant durer "au moins une année". Les nouveaux membres de l'OTAN d'Europe centrale, la Pologne, la république tchèque et la Hongrie se doivent de moderniser leur aviation militaire obsolète.
Les Etats-Unis donnent une impulsion importante à cette spirale mortifère. Leur décision de faire avancer leur système de "défense anti-missile" a déjà provoqué une politique nucléaire plus agressive de la part de la Russie qui menace d'annuler les accords SALT 1 et 2. Et les Etats-Unis dépensent déjà 50 milliards de dollars par an pour entretenir leur arsenal nucléaire existant.
La signification de l'armement nucléaire de l'Inde et du Pakistan, dans la mesure où de nouvelles guerres entre les deux rivales sont prévisibles, se passe de commentaires.
17) On cherchera en vain une rationalité économique sérieuse dans le chaos militaire croissant actuel. La décadence du capitalisme signifie que les appétits grandissants des puissances impérialistes industrialisées ne peuvent désormais être satisfaits que par une re division du marché mondial via une concurrence entre rivaux de force comparable. Les guerres pour ouvrir de nouveaux marchés contre les empires pré-capitalistes ont été remplacées par des guerres pour la survie. Ainsi, les motifs stratégiques ont pris les devants sur les objectifs directement économiques dans le déclenchement de la guerre impérialiste. La guerre est devenue le mode de vie du capitalisme, renforçant sa banqueroute économique à une échelle globale.
Cela dit les guerres mondiales du 20e siècle et leur préparation avaient encore une logique : la formation de blocs et de sphères d'influence afin de réorganiser et de reconstruire le monde après la défaite militaire de l'ennemi. Par conséquent, en dépit de la tendance à une destruction mutuelle, il y avait encore une certaine logique économique dans le positionnement militaire des puissances rivales.
C'étaient les nations "démunies" qui avaient le plus d'intérêt à rompre le statu quo et les nations favorisées qui optaient pour une stratégie défensive.
18) Aujourd'hui, cette visée rationnelle stratégique à long terme a été remplacée par un instinct de survie au jour le jour et dominé par les intérêts particuliers de chaque Etat.
La puissance américaine ne peut plus jouer le rôle qu'elle avait entre 1914-17 et 1939-43, d'attendre que ses rivaux et alliés s'épuisent d'eux-mêmes avant d'entrer en lice. Ainsi, le principal bénéfice économique des deux guerres mondiales s'épuisera lui-même de plus en plus dans un effort militaire pour préserver son hégémonie mondiale sans aucun espoir de recréer un bloc stable autour d'elle.
Le principal concurrent à rivaliser avec les Etats-Unis, l'Allemagne, est fort économiquement mais n'a aucun espoir réaliste de constituer, dans un avenir prévisible, un pôle militaire rival.
Les puissances impérialistes secondaires n'ont aucune possibilité de compenser leur faiblesse en s'unissant autour de superpuissances rivales. Au contraire, chacune doit poursuivre son propre chemin - essayant de porter des coups au-dessus de ses capacités -dans l'espoir de contrecarrer les alliances des rivaux plutôt que de forger les siennes, ce qui peut même la conduire à entrer en guerre contre ses alliés afin de rester dans le j eu impérialiste - comme la Grande-Bretagne et la France ont dû le faire contre la Serbie dans la guerre du Kosovo.
19) Dans ce contexte, la guerre aujourd'hui apparaît de plus en plus sans but précis, comme guerre en soi - la destruction de villes et de villages, la dévastation de régions, l'épuration ethnique, la transformation de populations entières en réfugiés ou le massacre direct de civils sans défense, tout cela semble être l'objectif de la guerre impérialiste plutôt que la conséquence de réels buts militaires, sinon économiques. Il n'y a pas de vainqueurs durables ou nets mais un statu quo temporaire avant de nouvelles batailles encore plus destructrices.
La reconstruction de pays dévastés par la guerre qui constituait le seul bénéfice possible et provisoire de celle-ci, est aujourd'hui une fiction. Les anciennes zones de guerre resteront en ruines.
Mais en fin de compte, cette situation est la seule issue logique d'un système économique dont les tendances à l'autodestruction sont devenues dominantes.
Tel est le sens de l'irrationalité de la guerre dans la décadence du capitalisme. La période de décomposition n'a fait que la porter à sa conclusion anarchique finale. La guerre n'est plus entreprise pour des raisons économiques ni même pour des objectifs stratégiques organisés mais comme tentatives de survie à court terme, localisées et fragmentées aux dépens des autres.
Cependant, la fin de l'humanité n'a pas encore sonné. Le prolétariat mondial n'a pas subi de défaite décisive dans les principales concentrations des pays capitalistes avancés et il ne peut être utilisé comme chair à canon par la bourgeoisie de ces pays. Malgré le recul qu'il a subi en 1989, il lui est toujours possible d'être au rendez-vous de l'histoire. Avec l'aggravation inéluctable de la crise économique se développeront les facteurs d'une montée de sa combativité et de sa prise de conscience de la faillite historique du mode de production capitaliste, conditions de sa capacité à réaliser la révolution communiste.
Avril 2000.