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Depuis 1989, le prolétariat mondial a traversé une longue période de recul de sa conscience de classe et de sa combativité. La chute des régimes prétendument "communistes" et la campagne de la bourgeoisie sur l’"impossibilité" d’une alternative à la société capitaliste, l’ont profondément affecté dans sa capacité à se concevoir en tant que classe capable de jouer un rôle historique, celui du renversement du capitalisme et de l'édification d'une nouvelle société. Il en est résulté que les vieilles rengaines de Marcuse, de l’Ecole de Francfort, etc., qui proclament la disparition du prolétariat et son remplacement par de nouveaux "sujets révolutionnaires", ont connu un regain de succès chez des camarades qui se posent la question de "comment lutter" contre ce monde de barbarie et de misère. Cependant, sous l'effet de l'aggravation accélérée des contradictions du capitalisme, en particulier au niveau de sa crise économique, cette situation est en voie de dépassement. Le prolétariat international retrouve sa combativité1 et développe sa conscience, ce dont témoigne l’émergence de minorités qui ne se posent pas simplement la question de savoir "qui est le sujet révolutionnaire ?", mais également celle-ci : "quels objectifs et moyens le prolétariat doit-il se donner pour assumer sa nature révolutionnaire ?"2
Face à un tel questionnement, l’intervention du Groupe Communiste Internationaliste (GCI) sème une grande confusion. D’un côté, il se revendique comme étant "révolutionnaire des plus extrêmes" (il condamne le parlementarisme et le nationalisme, il dénonce la gauche et l’extrême gauche du capitalisme et attaque la propriété privée, etc.) mais, d’un autre côté, il soutient "de façon critique", comme le fait l’extrême gauche du capital, certaines prises de position les plus réactionnaires de la bourgeoisie et attaque furieusement les positions de classe du prolétariat et ses vraies organisations communistes. Ainsi, la trajectoire du GCI au cours des vingt cinq dernières années se réduit à un soutien à peine dissimulé à des causes ouvertement bourgeoises, sous prétexte que derrière celles-ci se cacheraient des "mouvements prolétaires de masse". Cet article se donne pour objectif de dénoncer une telle imposture.
La trajectoire du GCI
Né d'une scission du CCI en 1979, le GCI n'a cessé depuis lors d'apporter son soutien à toutes les causes bourgeoises :
- au début des années 1980, il prit parti de façon détournée pour le Bloc Populaire Révolutionnaire du Salvador dans la guerre qui secoua le pays pendant cette décennie (et qui opposait les impérialismes américain et russe par pions interposés). Le GCI dénonçait la direction du BPR comme bourgeoise mais considérait que, "derrière elle", se cachait un "mouvement de masse révolutionnaire" qui devait être soutenu ;3
- à partir du milieu des années 1980, dans la guerre entre fractions de la bourgeoisie qui opposa le Sentier Lumineux 4 aux fractions dominantes de la bourgeoisie péruvienne, le GCI prit aussi parti, indirectement, pour les sendéristes. Le prétexte en était le "soutien aux prolétaires prisonniers, victimes du terrorisme de l’Etat bourgeois"5 ;
- à la fin des années 1980 et au début des années 1990, face à la lutte du mouvement nationaliste de la Kabylie algérienne (1988) ou à celle qui se développait au Kurdistan irakien (1991), le GCI invoqua les prétextes les plus sophistiqués pour apporter son soutien à ces mouvements : il parla de la création "par les masses" de "conseils ouvriers" alors que, comme lui-même est contraint de le reconnaître dans le cas de la Kabylie, ces "conseils ouvriers" étaient en réalité des organismes interclassistes de hameaux ou de quartiers mis en place par des chefs tribaux ou des leaders de partis nationalistes ou opposants, appelés dans bien des cas des "Comités de Tribu" !6 Face aux conflits impérialistes récents, le GCI a maintenu la même démarche. En plus du positionnement décidé en faveur de l'insurrection irakienne (sur lequel nous reviendrons dans la suite de cet article), il convient de souligner comment, dans le conflit entre Israël et la Palestine, il s'est précipité sur des expressions de l'idéologie pacifiste au sein des secteurs de gauche de la bourgeoisie israélienne pour les présenter, même si c'est de façon critique, comme rien de moins qu'un "premier pas" vers le "défaitisme révolutionnaire". C'est ainsi qu'il cite le passage suivant de la lettre d’un objecteur, qui a certainement pris des risques en exprimant sa révolte contre la guerre, laquelle ne sort néanmoins pas du terrain nationaliste : "Votre armée qui se nomme elle-même "Israeli Defence Force" (Force de Défense d’Israël) n’est rien de plus que le bras armé du mouvement des colonies. Cette armée n’existe pas pour apporter la sécurité aux citoyens israéliens, elle n’existe que pour garantir la poursuite du vol de la terre palestinienne. En tant que juif, les crimes que commet cette milice à l’encontre du peuple palestinien me répugnent. Il est de mon devoir comme juif et comme être humain de refuser catégoriquement de jouer quelque rôle que ce soit dans cette armée. En tant que fils d’un peuple victime de pogromes et de destructions, je refuse de jouer un rôle dans votre politique insensée. Comme être humain, il est de mon devoir de refuser de participer à toute institution qui commet des crimes contre l’humanité." (Lettre citée dans l'article "Nous ne sommes ni israéliens, ni palestiniens, ni juifs, ni musulmans, … nous sommes le prolétariat !" dans Communisme n°54, avril 2003). En effet, au delà des intentions de son auteur, cette lettre pourrait être signée par des fractions du capital israélien qui, percevant le mécontentement croissant parmi les ouvriers et la population face à une guerre sans fin, émettent une critique publique contre la manière de conduire celle-ci. La lettre invoque "la défense de la sécurité des citoyens d’Israël", qui n'est autre qu'une forme sophistiquée pour parler de la sécurité du capital israélien. Elle ne pose pas le problème des intérêts des travailleurs et des masses exploitées mais bien celui de la nation israélienne. C'est-à-dire qu'elle contient tous les ingrédients – défense de la nation et du capital national - servant de base à la guerre impérialiste.
La vénération de tout ce qui bouge contre les principes révolutionnaires
Les "apports" du GCI se résument à un cocktail de positions "radicales" et de prises de position typiques du tiers-mondisme et du gauchisme bourgeois. Comment le GCI concilie-t-il l’eau et le feu ? Son chantage est le suivant : pourquoi mépriser un mouvement prolétarien pour la seule raison que sa direction est bourgeoise ? La révolution russe de 1905 n’eut-t-elle pas son origine dans une manifestation menée par le pope Gapone ?
Cet "argument" s’appuie sur un sophisme qui, comme nous allons le voir, constitue le sable mouvant sur lequel s’élève tout l’édifice "théorique" du GCI. Un sophisme est une affirmation fausse qui se déduit de prémisses correctes. Une illustration en est l’exemple célèbre suivant : "Socrate est mortel, tous les hommes sont mortels, tous les hommes sont Socrate". Il s’agit donc d’une affirmation absurde, d’un pur jeu intellectuel consistant à enchaîner des syllogismes.
"1905" fut un authentique mouvement prolétarien mettant en mouvement de grandes masses qui gagnèrent la rue et qui, au début, furent l’objet de tentatives de manipulation par la police tsariste. Mais ceci n’implique pas que tout mouvement présentant de "grandes faiblesses" et "dirigé par la bourgeoisie" soit prolétarien. C’est ici que réside le grossier sophisme de ces messieurs du GCI ! Nombreux sont les "mouvements de masse" qui ont été organisés par des fractions de la bourgeoisie pour le bénéfice de ces dernières. Ces mouvements ont mené à de violents affrontements, ont conduit à de spectaculaires changements de gouvernement, appelés fréquemment "révolutions". Mais rien de tout cela ne faisait d’eux des mouvements prolétariens comparables à la révolution de 19057.
Un exemple de la méthode de l’amalgame pratiquée par le GCI nous est donné par son analyse des événements de Bolivie en 2003. Il y avait les masses dans la rue, des attaques de banque ou d’institutions bourgeoises, des routes coupées, des supermarchés pillés, des lynchages, des présidents renversés…, nous avons là tous les ingrédients pour que le GCI, parlant "d’affirmation prolétarienne", s’exclame : "Cela faisait longtemps que l’on n’avait pas proclamé ouvertement qu’il faut détruire le pouvoir bourgeois, le parlement bourgeois avec toute sa démocratie représentative (y compris la fameuse Constituante) et construire le pouvoir prolétarien pour faire la révolution sociale!" ("Quelques lignes de force dans la lutte du prolétariat en Bolivie" in Communisme n° 56, octobre 2004).
Quiconque analysant un peu sérieusement les événements boliviens ne verra rien qui ressemble à une "destruction" du pouvoir bourgeois ni à la "construction du pouvoir prolétarien". Le mouvement fut dominé du début à la fin par les revendications bourgeoises (nationalisation des hydrocarbures, assemblée constituante, reconnaissance de la nationalité aymara etc.) et ses objectifs généraux gravitèrent autour de thèmes aussi "révolutionnaires" que "en finir avec le modèle néo-libéral", "mettre en place une autre forme de gouvernement", "lutter contre l’impérialisme yankee"8.
Le GCI est bien obligé de le reconnaître mais immédiatement il sort de sa manche l’argument "inattaquable" : cela fait partie des "faiblesses" du mouvement ! En suivant cette logique irréfutable, une lutte pour des revendications bourgeoises, du début à la fin, est à même de connaître une merveilleuse mutation qui portera le prolétariat au pouvoir afin de réaliser la révolution sociale. Cette version "ultra radicale" des vieux contes de fées, permet au GCI d’opérer une monstrueuse défiguration de la lutte prolétarienne.
Toute société en crise et en décomposition, comme c’est actuellement le cas du capitalisme, subit des convulsions de plus en plus fortes qui vont de la rébellion, des émeutes, assauts, désordres, aux violations répétées des règles les plus élémentaires de la vie en société. Mais ce chaos manifeste n’a rien à voir avec une révolution sociale. Celle-ci, qui plus est lorsqu’il s’agit de la révolution prolétarienne, celle d’une classe à la fois exploitée et révolutionnaire, désagrège effectivement l’ordre établi, le met cul par dessus tête, mais elle le fait de manière consciente et organisée, dans une perspective de transformation sociale. "Sans doute, quand les champions de l'opportunisme en Allemagne entendent parler de révolution, ils pensent tout de suite au sang versé, aux batailles de rue, à la poudre et au plomb, et ils en déduisent en toute logique que la grève de masse conduit inévitablement à la révolution – ils en concluent qu'il faut s'en abstenir. Et en fait nous constatons en Russie que presque chaque grève de masse aboutit à un affrontement sanglant avec les forces de l'ordre tsaristes ; ceci est aussi vrai des grèves prétendument politiques que des conflits économiques. Mais la révolution est autre chose, est davantage qu'un simple bain de sang. A la différence de la police qui par révolution entend simplement la bataille de rue et la bagarre, c'est-à-dire le "désordre", le socialisme scientifique voit d'abord dans la révolution un bouleversement interne profond des rapports de classe." (Rosa Luxemburg : Grève de masses, parti et syndicats). Il est certain que la révolution prolétarienne est violente, passe par des combats sanglants, mais ceux-ci ne sont que des moyens consciemment contrôlés par les masses prolétariennes, en cohérence avec le but révolutionnaire auquel elles aspirent. Le GCI, dans un de ses habituels exercices de sophisme, isole et abstrait du phénomène vivant qu’est une révolution, l'unique élément "désordre", "altération de l’ordre public" et, avec une logique imparable, il en déduit que toute convulsion qui altère la société bourgeoise est "révolutionnaire".
L’activisme aveugle des "masses en révolte" est utilisé par le GCI pour faire passer en contrebande la thèse selon laquelle celles-ci rejetteraient l’électoralisme et seraient en voie de dépasser les illusions démocratiques. Il nous apprend ainsi que le slogan "Qu’ils partent tous", tant agité en Argentine par la petite bourgeoisie au cours des convulsions de 2001, va plus loin que la Russie de 1917 : "Le mot d’ordre "Qu’ils s’en aillent tous, qu’il n’en reste plus un seul!" constitue, cependant, un mot d’ordre qui va bien au-delà de la politique, notamment comme critique de la démocratie ; il est bien plus clair que les mots d’ordre que l’on peut retrouver dans des mouvements insurrectionnels nettement plus puissants, y compris celui d’Octobre 1917 en Russie où "Pain et Paix" représentaient les mots d’ordre centraux." ("A propos des luttes ouvrières en Argentine", Communisme n° 56, octobre 2004)
Ces messieurs du GCI falsifient scandaleusement les faits historiques. En effet, les mots d'ordre d’Octobre étaient "Tout le pouvoir aux soviets", c’est-à-dire qu’ils posaient la seule question qui permet la critique en acte de la démocratie en abattant l’Etat bourgeois et en imposant sur ses ruines la dictature du prolétariat. En revanche, le "qu’ils partent tous" contient le rêve utopique de la "régénération démocratique" au moyen de la "participation populaire directe", sans "politiciens professionnels". Il ne s’est produit en Argentine aucune "rupture" avec la démocratie mais au contraire un resserrement de ses chaînes, la preuve en est donnée par un fait que rapporte le GCI lui-même : "Lors des élections, le vote majoritaire sera le vote dit "vote de la colère" ou "vote de la rage", un vote non valide, à annuler. Des groupes de prolétaires impriment des bulletins électoraux sur le mode du pamphlet avec pour légende "Aucun parti. Je ne vote pour personne. Vote de la rage"." ("A propos des luttes ouvrières en Argentine", Communisme n° 54, avril 2003). C’est cela la rupture avec l’électoralisme ! Il s’agit au contraire de son affirmation, car ces actions renforcent la participation au cirque électoral en incitant à voter alors même qu'on ne fait pas confiance aux "politiciens actuels", à exprimer sa méfiance envers eux et sa confiance en la participation électorale !
Le GCI ramène par la porte de derrière, en la camouflant derrière un brouillard activiste, la défense de la démocratie qu’il avait rejetée solennellement par la porte de devant. Ainsi, encore en Argentine, il apporte son soutien aux "escraches", qui sont des actions de protestation devant les domiciles de militaires impliqués dans les crimes barbares de la sale guerre (1976-83). Ces actions, impulsées par "l'ultra démocrate" Kirschner constituent actuellement une manœuvre de l’Etat argentin, pour faire diversion à des attaques de plus en plus cruelles contre les conditions de vie du prolétariat et de la majeure partie de la population. Quelques galonnés argentins sont utilisés comme boucs émissaires afin de défouler la colère des masses mécontentes. Loin d’affaiblir le prolétariat dans sa conscience, pour le GCI, "Par cette condamnation sociale, le prolétariat développe sa force, en mobilisant un grand nombre de personnes (quartiers, voisins, amis…)" (Ibid.) Derrière ces paroles pompeuses, il y a la réalité de mobilisations anti-répression typiques de collectifs citadins (voisins, amis, quartiers) destinées à refaire une façade démocratique à l'Etat.9
Les moyens de la "lutte prolétarienne" du GCI
Ce que prône le GCI comme méthode de combat du prolétariat n’est rien d’autre qu’une démarche syndicaliste, et même carrément social-démocrate, qui ne se différencie du gauchisme classique que par son radicalisme verbal, son exaltation de la violence et sa façon de tout étiqueter comme "prolétarien".
Dans une thèse sur l’autonomie prolétarienne et ses limites (Communisme n° 54, avril 2003), en référence aux événements d’Argentine en 2001, le GCI nous expose ce que pourrait être la quintessence de l’organisation combattante des travailleurs et de ses méthodes de lutte : "Au cours de ce processus d’affirmation comme classe, le prolétariat se dote de structures massives d’association comme les assemblées de quartier. Celles-ci, à leur tour, ont été précédées, rendues possibles et engendrées par des structures ayant une plus grande permanence et une plus grande organisation : celles des piqueteros telles que décrites ci-dessus et d’autres structures qui, depuis des années, luttent contre l’impunité des bourreaux et des assassins de l’Etat argentin (Mères de la Place de Mai, Hijos,...), celles des associations de travailleurs en lutte (usines occupées) ou celui du mouvement des pensionnés. La corrélation entre les différents types de structures, la continuité relative de certaines d’entre elles et les formes d’action directe qu’elles ont adoptées ont permis cette affirmation de l’autonomie du prolétariat en Argentine et constituent un exemple qui tend à s’étendre à l’Amérique et au monde : piquets, escraches, pillage organisé et organisation du quartier autour d’une énorme marmite afin que tous aient à manger chaque jour,… " ("A propos des luttes ouvrières en Argentine", Communisme n° 54, avril 2003)
Allons donc ! Les assemblées de quartier qui, dans les révoltes de 2001 en Argentine, étaient pour la plupart des expressions de la petite bourgeoisie désespérée se transforment en "structures massives d’associations ouvrières"10.
En revanche, ce qui exprime le mieux la vision du GCI sur les "associations ouvrières" est sa thèse selon laquelle cette "auto-organisation du prolétariat" serait "précédée, rendue possible et potentialisée" par des "structures permanentes" comme les piqueteros, les associations d’usines occupées, et jusqu’aux Mères de la Place de Mai !
Une fois de plus, une telle prise de position s’aligne sur ce que proposent la gauche et l’extrême gauche du Capital : si vous voulez lutter, vous devez avoir une organisation de masse préalable qui vous encadre de façon sectorielle (organisations syndicales, coopératives ; organisations anti-répression, de retraités, de jeunes, de chômeurs, de quartiers, etc.). Et quelles leçons tirent justement les éléments prolétariens de leur passage par ces structures ? Simplement qu’elles ne servent aucunement de levier pour l'organisation, la conscience et la force de la classe ouvrière, mais qu’elles se présentent au contraire comme des outils de l’Etat bourgeois pour désorganiser, atomiser, démobiliser et enfermer les ouvriers qui tombent dans leurs filets, sur le terrain de la bourgeoisie. Ce ne sont pas des moyens d'action du prolétariat contre l’Etat bourgeois mais des armes de celui-ci contre le prolétariat.
Il en est ainsi parce que, dans le capitalisme décadent, il ne peut exister une organisation de masse permanente qui se propose uniquement de limiter tel ou tel aspect de l’exploitation et de l’oppression capitalistes. Ce type d’organisation, du fait même qu'il est incapable de remettre en question l’Etat bourgeois, est irrémédiablement absorbé par celui-ci. Il s’intègre ainsi nécessairement dans ses mécanismes démocratiques de contrôle totalitaire de la société et tout particulièrement de la classe ouvrière. Dans le capitalisme décadent, l'existence d'organisations unitaires de défense économique et politique de la classe ouvrière est conditionnée par la mobilisation massive des ouvriers.
Nous avons assisté en Argentine à une prolifération d’organisations "de base" : mouvement des piqueteros, entreprises autogérées, réseaux de troc appelés "économie solidaire", syndicats autoconvoqués, réfectoires populaires… Ces organisations sont généralement nées dans le feu de l’action de ripostes ouvrières ou de la population contre une exploitation et une misère de plus en plus exaspérantes, et ces ripostes se sont faites en marge et, de nombreuses fois, contre les syndicats et les institutions officielles. Cependant, la tentative de les rendre permanentes a conduit inévitablement à leur absorption par l’Etat bourgeois, grâce en particulier à l’intervention rapide d’organismes d’aide (comme les ONG de l’église catholique ou issues du péronisme lui-même) et surtout d’un essaim d’organisations gauchistes (essentiellement trotskistes).
Le cas le plus clair de la fonction anti-ouvrière de ces organisations permanentes est le mouvement des piqueteros. En 1996-97, il y eut, dans diverses régions d’Argentine, des routes coupées par des chômeurs qui luttaient pour obtenir des moyens de subsistance. Ces premières actions exprimaient une authentique lutte prolétarienne. Elles ne purent cependant pas s’étendre du fait de la situation de recul de la classe ouvrière au niveau mondial, à la fois sur le plan de sa conscience et sur celui de sa combativité. Alors qu'il s'avérait qu’elles étaient incapables d’établir contre l’Etat bourgeois un rapport de force qui leur soit favorable, elles furent peu à peu conçues comme des moyens de pression sur celui-ci. Les chômeurs furent progressivement "organisés" par des syndicalistes radicaux, par des groupes d’extrême gauche (trotskistes surtout), donnant lieu au mouvement des piqueteros qui dégénéra en un authentique mouvement d’assistanat (l’Etat distribuait des sacs de provisions aux multiples organisations de piqueteros en échange de leur contrôle sur les ouvriers).
Mais, à l'encontre de cette conclusion donnée par des éléments en Argentine même11 et des intérêts de la classe ouvrière, le GCI contribue de toutes ses forces au mythe anti-prolétarien du mouvement des piqueteros en le présentant - carrément !- comme l’expression de la renaissance du prolétariat en Argentine : "L’affirmation prolétarienne en Argentine n’aurait pas été possible sans le développement du mouvement piquetero, fer de lance de l’associationnisme prolétarien durant ces cinq dernières années. Les piquets en Argentine, la paralysation de camions, de routes, d’autoroutes et leur extension à d’autres pays ont montré au monde entier que le prolétariat comme sujet historique n’était pas mort et que le transport constituait le talon d’Achille du capital dans sa phase actuelle."12 ("A propos des luttes ouvrières en Argentine", Communisme n° 54, avril 2003)
Et quand la réalité lui permet difficilement de continuer à soutenir son analyse, le GCI s'en tire à nouveau en invoquant une faiblesse du mouvement des piqueteros, son "institutionnalisation", pour éviter de parler de son intégration pure et simple dans l’Etat bourgeois. Ainsi, faisant référence à un congrès d’associations de piqueteros qui s’est tenu en 2000, il concède : "Cependant, ce congrès pendant lequel sera mis sur pied un plan de lutte signifiant l’intensification des barrages routiers pour le mois à venir va être l’objet d’une tentative de contrôle de la part d’une tendance qui cherche à institutionnaliser le mouvement. Au sein de cette tendance se retrouvent, la CTA (Centrale des Travailleurs Argentins) à laquelle adhère l’importante Fédération Terre et Logement, le CCC (Courant Classiste et Combatif) et le Pôle Ouvrier-Parti Ouvrier. Mélange de différentes idéologies politicistes et gauchistes (populisme radical, trotskisme, maoïsme) cette tendance cherche, dans sa pratique, à officialiser le mouvement piquetero, à en faire un interlocuteur valable, avec des représentants permanents et des formulations de revendications claires auxquelles l’Etat puisse répondre ("liberté pour les combattants sociaux prisonniers, Planes Trabajar et fin des politiques de conciliation neolibérales") ce qui mène les tenants de cette tendance à accepter un ensemble de conditions qui dénaturent la force du mouvement et tend à sa liquidation." ("A propos des luttes ouvrières en Argentine", Communisme n° 54, avril 2003)
Mais, pour le CGI, ce n'est pas cela qui signifie la perte de son caractère prolétarien par le mouvement comme en témoigne le fait que "des masses de piqueteros ignorent ces consignes, rompent avec la légalité qu’on veut leur imposer et refusent d’abandonner leurs méthodes de lutte : l’utilisation de la cagoule (élément que le mouvement avait affirmé comme aspect élémentaire de sécurité et de défense), le barrage total des routes et même la prise d’agences bancaires, de sièges du gouvernement continueront à se développer" ("A propos des luttes ouvrières en Argentine", Communisme n° 54, avril 2003).
En définitive, le GCI suit les mêmes schémas que le gauchisme bourgeois : celui-ci aussi parle "d'institutionnalisation" des organisations de masses pour ajouter ensuite qu'il existe une "base" qui contrebalance la direction et prend des initiatives de "lutte". Quels moyens de lutte ? Le port de la cagoule ou le radicalisme stérile consistant en "coupures totales des routes", comme les syndicalistes savent très bien les préconiser lorsqu’ils craignent quelque débordement.
L’attaque de la propriété et la société "future" selon le GCI
L’objectif du prolétariat consisterait en la "réappropriation généralisée des moyens de vie, par l’attaque de la bourgeoisie et de son Etat". Un tel objectif de "réappropriation généralisée" aurait déjà pris forme, en Argentine toujours : "A partir du 18 décembre aux quatre coins d’Argentine, le prolétariat assaille supermarchés, camions de livraison, commerces, banques, usines,... partage des marchandises expropriées entre les prolétaires et approvisionne les cantines "populaires" avec le produit des récupérations" ("A propos des luttes ouvrières en Argentine", Communisme n° 54, avril 2003). Le programme "communiste" du GCI se résume en ce que "les prolétaires exproprient directement la propriété bourgeoise pour satisfaire leurs besoins immédiats."
Le propos peut, comme de façon plus générale le radicalisme verbal et braillard du GCI, apeurer quelque bourgeois idiot. Il peut même impressionner des éléments en révolte mais ignorants. Mais, si on l’analyse sérieusement, il se révèle être des plus réactionnaires. Le prolétariat n’a pas pour objectif la distribution "directe" des biens et des richesses existantes pour la simple raison que, comme le démontra Marx face aux théories de Proudhon, la racine de l’exploitation capitaliste ne réside pas dans la façon de répartir la production, mais dans les rapports sociaux à travers lesquels s’organise la production.13
Appeler un "saqueo" (expropriation de marchandises) une "expropriation directe de la propriété bourgeoise" n’est qu’une entourloupe enrobée de terminologie "marxiste". Dans un "saqueo" la propriété n’est pas attaquée, elle change simplement de mains. Le GCI ne fait que se situer dans la continuité directe de la doctrine de Bakounine qui considérait les bandits comme les "révolutionnaires les plus conséquents". Que les uns exproprient les autres ne participe d’aucune dynamique "révolutionnaire", mais constitue au contraire une reproduction de la logique même de la société bourgeoise : la bourgeoisie a exproprié les paysans et les artisans pour les transformer en prolétaires, et les bourgeois s’exproprient entre eux dans la féroce concurrence qui caractérise leur système. Le vol de biens de consommation fait partie, sous diverses formes, du jeu des rapports capitalistes de production (les voleurs qui s’approprient des biens d’autrui, le commerçant qui escroque à plus ou moins grande échelle ; le petit ou le grand capitaliste qui arnaque les consommateurs ou ses propres concurrents, etc.). Si nous voulons imaginer une société où la consigne serait "expropriez-vous les uns les autres", nous n’avons qu’à regarder le capitalisme : "les degrés qui séparaient les hausses de prix abusives, les fraudes des hobereaux polonais, les affaires fictives, les falsifications de produits alimentaires, l'escroquerie, les malversations de fonctionnaires, du vol, de l'effraction et du gangstérisme ont disparu au point que la frontière entre les citoyens honorables et les bandits s'est évanouie. Ici se répète le phénomène de la dépravation constante et rapide des vertus bourgeoises lorsqu'elles sont trans-plantées outre-mer sur un terrain social étranger, dans les conditions de la colonisation. En se débarrassant des barrières et des soutiens conventionnels de la morale et du droit, la société bourgeoise, dont la loi vitale profonde est l'immoralité, est la proie d'un encanaillement pur et simple : exploitation effrénée et directe de l'homme par l'homme" (Rosa Luxemburg in "La révolution russe").
"Attaquer la propriété" est en fin de compte une formule aussi tapageuse que vide de sens. Dans le meilleur des cas, elle va aux conséquences sans même effleurer les causes. Dans sa polémique avec Proudhon, Marx réfute ces radicalismes grandiloquents : "A chaque époque historique la propriété s'est développée différemment et dans une série de rapports sociaux entièrement différents. Ainsi définir la propriété bourgeoise n'est autre chose que faire l'exposé de tous les rapports sociaux de la production bourgeoise. Vouloir donner une définition de la propriété, comme d'un rapport indépendant, d'une catégorie à part, d'une idée abstraite et éternelle, ce ne peut être qu'une illusion de métaphysique ou de jurisprudence."14
Comment doit être la future société selon la doctrine du GCI ? Il nous dit très doctement que "l’objectif invariant de la révolution prolétarienne est de travailler le moins possible et vivre le mieux possible, objectif qui, en fin de compte, est exactement le même que celui pour lequel luttait l’esclave quand il s’opposait à l’esclavagisme il y a 500 ou 3000 ans. La révolution prolétarienne n’est pas autre chose que la généralisation historique de la lutte pour les intérêts matériels de toutes les classes exploitées de l’antiquité." ("Pouvoir et Révolution", Communisme nº 56, octobre 2004)
Typique de l'idéal de la révolte petite bourgeoise estudiantine, l'audacieuse tirade du GCI en faveur de la "réduction du temps de travail" n'est pas capable d'aller au-delà d'une vision réduisant le travail à cette activité aliénante qu'elle est dans les sociétés de classe et sous le capitalisme en particulier. Elle est à cent lieues de pouvoir prendre en compte que, dans une société libérée de l'exploitation, le travail cessera d'être un facteur d'abrutissement pour devenir un facteur d'épanouissement de l'être humain.
Proclamer que "l’objectif invariant" (sic) de la "révolution prolétarienne" est "travailler le moins possible et vivre le mieux possible", c'est réduire le programme du prolétariat à une lapalissade ridicule. Mis à part quelques cadres "drogués du travail", tout le monde a cet "objectif invariant", à commencer par monsieur Bush qui, bien qu’il soit président des Etats-Unis, fait la sieste chaque jour, part se reposer en fin de semaine, fait le paresseux autant qu’il peut, mettant rigoureusement en œuvre le principe "révolutionnaire" du GCI.
L’objectif est si "invariant" que, effectivement, il peut être élevé au rang d’aspiration universelle de tout le genre humain, passé et futur et, du coup, on peut avec un principe si démocratique mettre sur le même plan esclaves, serfs, prolétaires… Une telle égalité signifie la négation de tout ce qui caractérise la société communiste, laquelle est le produit spécifique de l’être et du devenir historiques du prolétariat. Le prolétariat est l’héritier de toutes les classes exploitées qui l’ont précédé tout au long de l’histoire, en revanche, cela ne signifie pas qu’il soit de même nature ni qu’il ait les mêmes objectifs qu’elles, ni la même perspective historique. Cette vérité élémentaire du matérialisme historique est jetée à la poubelle par le GCI et remplacée par ses sophismes à trois sous.
Dans les Principes du Communisme, Engels rappelle que "Les classes laborieuses ont, selon les différentes phases de développement de la société, vécu dans des conditions différentes et occupé des positions différentes vis-à-vis des classes possédantes et dominantes." Il y démontre les différences existant en premier lieu entre l’esclave et le prolétariat moderne, et notamment que : " L'esclave est considéré comme une chose, non pas comme un membre de la société civile. Le prolétaire est reconnu en tant que personne, en tant que membre de la société civile. L'esclave peut donc avoir une existence meilleure que le prolétaire, mais ce dernier appartient à une étape supérieure du développement de la société, et il se trouve lui-même à un niveau plus élevé que l'esclave.". Quel est l’objectif de l’esclave ? "Ce dernier - répond Engels – se libère en supprimant, seulement de tous les rapports de la propriété privée, le rapport de l'esclavage, grâce à quoi il devient seulement un prolétaire. Le prolétaire, lui, ne peut se libérer qu'en supprimant la propriété privée elle-même." La libération de l’esclave ne consiste pas à abolir l’exploitation mais à passer à une autre forme supérieure d’exploitation : celle de "travailleur libre", soumis au travail salarié capitaliste, comme cela se produisit par exemple aux Etats-Unis avec la Guerre de Sécession. De même il examine les différences entre le serf et le prolétaire : " Le serf se libère, soit en se réfugiant dans les villes et en y devenant artisan, soit en donnant à son maître de l'argent au lieu de travail et de produits, et en devenant un fermier libre, soit en chassant son seigneur féodal et en devenant lui-même propriétaire, bref, en entrant d'une façon ou de l'autre dans la classe possédante, et dans la concurrence. Le prolétaire se libère en supprimant la concurrence elle-même, la propriété privée et toutes les différences de classe."
Ces différences font du prolétariat la classe révolutionnaire de l’actuelle société et constituent les fondements matériels de sa lutte historique.
Le GCI veut effacer tout cela d’un trait de plume pour offrir, à qui veut l’entendre, une "révolution" de pacotille qui incarne le désordre et l’anarchie que provoque chaque fois plus l’évolution du capitalisme.
La démagogie délirante du GCI pour justifier son soutien aux bandes impérialistes en Irak
Nous avons mis en évidence que toute la doctrine du GCI se base sur des sophismes grossiers. Son soutien scandaleux à l’insurrection dans la criminelle et chaotique guerre impérialiste qui secoue l’Irak se fonde sur deux d’entre eux.
1° La guerre impérialiste ferait partie de la lutte de classe du capitalisme contre le prolétariat
La lutte de classe est le moteur de l’histoire. L’antagonisme fondamental du capitalisme est la lutte de classe entre le prolétariat et la bourgeoisie. Mais devons-nous déduire de cela le dogme stupide que tout conflit relève de cet antagonisme bourgeoisie/prolétariat ? Le GCI n’éprouve aucune gêne à l’affirmer. Pour lui, "La guerre est devenue toujours plus ouvertement une guerre civile, une guerre sociale directement contre l’ennemi de classe : le prolétaire." ("Haïti : le prolétariat affronte la bourgeoisie mondiale", Communisme nº 56, octobre 2004). Ainsi, "Cette terreur se concrétise par la lutte contre l’agitation sociale, par les occupations militaires permanentes (Irak, Afghanistan, ex-Yougoslavie, Tchétchénie, la majorité des pays africains,...), par la guerre contre la subversion, par les prisons et les centres de détention, les tortures, etc. (…) Il devient de plus en plus difficile de faire passer ces opérations internationales de police contre le prolétariat pour des guerres entre gouvernements". ("Et Aguila III n’est pas passé !", Communisme n° 56, octobre 2004)
On ne peut imaginer plus grand radicalisme ! Mais où mène ce radicalisme d’apparat ? A mettre dans le même sac la lutte de la classe ouvrière, les guerres impérialistes, les agitations sociales de tout type … Ceci constitue concrètement un appel à soutenir aussi bien les combattants islamistes (actuellement les principaux occupants des camps de torture comme Guantanamo) qui seraient les victimes visibles de la guerre sociale "contre le prolétariat", que les bandes informelles qui opèrent en Irak, sous prétexte qu’elles s’opposeraient aux "opération internationales de police contre le prolétariat".
2°Pour assumer sa guerre contre le prolétariat mondial, la bourgeoisie se serait dotée d'un Etat mondial.
Selon le GCI, toutes les fractions de la bourgeoisie mondiale ont resserré les rangs derrière les Etats-Unis pour effectuer une opération de police contre le prolétariat en Irak. Le GCI nous informe que, là-bas au Moyen-Orient, existerait une lutte de classe si dangereuse qu’elle obligerait le gendarme mondial à intervenir. Les pauvres aveugles qui ne voient pas cette "lumineuse réalité" et éludent ainsi la question sont décriés par le GCI : "mais où donc se trouve le prolétariat dans tout ce bordel ? Qu'est-ce qu'il fait ? Quelles sont les idéologies qu'il affronte dans sa tentative de s'autonomiser de toutes les forces bourgeoises pour les abattre ? C'est de cela que devraient discuter aujourd'hui les quelques noyaux de prolétaires qui, contre vents et marées, dans l'ambiance nauséabonde de paix sociale qui nous étreint, essayent de maintenir haut le drapeau de la révolution sociale. Et au lieu de cela, la plupart, sinon tous, restent englués dans la problématique de savoir si telle ou telle contradiction inter-bourgeoise est la plus fondamentale." ("De quelques considérations sur les événements qui secouent actuellement l'Irak" in Communisme nº 55, février 2004).
Sur sa lancée, le GCI parvient à la conclusion que le capitalisme possède un gouvernement mondial unique, niant ce que le marxisme a toujours défendu, à savoir la division du capital en Etats nationaux concurrents qui se battent à mort sur l'arène internationale : "à travers le monde, un nombre croissant de territoires se trouve ainsi directement administré par les instances mondiales des capitalistes réunis dans ces repaires de voleurs et de brigands que sont l’ONU, le FMI et la Banque mondiale (…) Régulièrement, l’Etat mondial du Capital prend des aspects chaque fois plus perceptibles dans l’imposition terroriste de son ordre" ("Haïti: le prolétariat affronte la bourgeoisie mondiale", Communisme nº 56, octobre 2004). L’ultra radical GCI nous sert ainsi une vieille théorie de Kautsky, que Lénine combattit énergiquement, selon laquelle le capital s’unifierait en un super impérialisme. Cette théorie est régulièrement défendue par la Gauche et l’extrême gauche du capital pour mieux attacher les ouvriers à "leur" Etat national ; ils parlent d’un capital "mondialement unifié" en instances "apatrides" comme l’ONU, le FMI, la Banque Mondiale, les multinationales, etc. Le GCI va dans le même sens qu'eux en suggérant (mais sans le dire ouvertement, ce qui est encore pire) que l'ennemi principal c'est l'impérialisme américain, le super impérialisme qui fédère derrière lui l'essentiel du capitalisme mondial. C'est tout à fait cohérent avec son rôle de sergent recruteur pour la guerre impérialiste en Irak (même si c'est de loin dans son fauteuil !) que le GCI assume avec le soutien qu'il apporte au mouvement bourgeois de l’insurrection irakienne, avec l'excuse de la faire passer pour prolétarienne : "c'est tout l'appareil, les services, les organes, les représentants sur place de l'Etat mondial qui sont systématiquement pris pour cible. Loin d'être aveugles, ces actes de résistance armée ont une logique si nous prenons la peine de sortir un peu des stéréotypes et du bourrage de crâne idéologique que les bourgeois nous proposent pour seule explication de ce qui se passe en Irak. Derrière les objectifs, ainsi que dans la guérilla quotidienne qui est menée contre les forces d'occupation, on peut deviner les contours d'un prolétariat qui essaye de lutter, de s'organiser contre toutes les fractions bourgeoises qui ont décidé d'apporter l'ordre et la sécurité capitalistes dans la région, même s'il est encore extrêmement difficile de juger de l'autonomie de notre classe par rapport aux forces bourgeoises qui essayent d'encadrer la colère, la rage de notre classe contre tout ce qui représente de près ou de loin l'Etat mondial. Les actes de sabotages, attentats, manifestations, occupations, grèves... ne sont pas le fait d'islamistes ou de nationalistes panarabes, cela serait trop facile et irait dans le sens du discours dominant qui veut absolument enfermer notre compréhension dans une lutte entre "le bien et le mal", entre les "bons et les méchants", un peu comme dans un western, évacuant une fois encore la contradiction mortelle du capitalisme : le prolétariat." ("De quelques considérations sur les événements qui secouent actuellement l'Irak" in Communisme nº 55, février 2004)
Dans quel camp se situe le GCI ?
La scission du CCI dont le GCI est issu a pour origine toute une série de divergences au sein de la section du CCI en Belgique qui surgirent en 1978-79 au sujet de l’explication de la crise économique, du rôle du parti et de ses rapports avec la classe, de la nature du terrorisme, du poids des luttes du prolétariat dans les pays de la périphérie du capitalisme… Rapidement les éléments en désaccord, dont chacun avait une position différente, se regroupèrent dans une Tendance et ensuite quittèrent l'organisation en donnant naissance au GCI sans établir clairement les désaccords fondant cette scission. Ainsi, le GCI ne se constitua pas sur la base d’un ensemble de positions politiques cohérentes comme alternative à celles du CCI, mais sur un amalgame de divergences insuffisamment élaborées et, surtout, sur la base de sentiments négatifs, d’ambitions personnelles déçues et de rancœurs 15. La conséquence en fut que les leaders du groupe s’affrontèrent rapidement entre eux produisant deux nouvelles scissions 16, et il resta à la tête du GCI l’élément ayant le plus de penchants pour le gauchisme et qui, depuis, n’a cessé d’appuyer toute sorte de causes bourgeoises.
Un groupe comme le GCI n’est pas typiquement gauchiste, comme le sont les trotskistes ou les maoïstes car, contrairement à eux, il n’affiche pas un programme défendant ouvertement l’Etat bourgeois. Il les dénonce même de façon très radicale. Néanmoins, comme nous l'avons mis en évidence tout au long de cet article, derrière son radicalisme vis-à-vis des forces politiques et institutions de la bourgeoisie, ses analyses et mots d'ordre ont pour conséquence essentielle, non pas d'armer politiquement et théoriquement les éléments qui tentent de poser en termes et perspective politiques la révolte légitime que leur inspire le monde actuel, mais bien de la canaliser vers les impasses du gauchisme ou de l'anarchisme17. C'est tout particulièrement vrai concernant des éléments qui, tentant de se dégager de l'anarchisme, peuvent être séduits par la formule du "marxisme" que leur propose le GCI, et ainsi abandonner en cours de route le processus de clarification entamé.
Mais la contribution du GCI ne se limite pas à cet aspect pourtant déjà important. La virulence de ses attaques n'épargne pas les révolutionnaires authentiques et notre organisation en particulier. Toujours avec la même méthode du sophisme que nous avons mise en évidence, et sans aucune argumentation sérieuse, il nous gratifie au passage de "sociaux-démocrates", de "pacifistes", de "kautskistes", "d'auxiliaires de la police"18… En ce sens, il ne fait qu'apporter sa petite contribution à l'effort général de la bourgeoisie pour discréditer tout combat s'inscrivant authentiquement dans une perspective révolutionnaire. Enfin nous rappellerons ici, sans pour autant le développer à nouveau, que le GCI a poussé son radicalisme au service d'une cause qui n'est certainement pas l'émancipation du prolétariat, jusqu'à l’appel au meurtre de militants de la section du CCI au Mexique 19. Cet appel du GCI s'est par la suite trouvé relayé, sous une autre forme et dirigé cette fois contre les militants du CCI en Espagne, par un groupe proche du GCI (ARDE)20.
Ainsi donc, si le programme du GCI n'en fait pas une pièce de l'appareil politique de la bourgeoisie, il n'en demeure pas moins que ce groupe n'appartient pas pour autant au camp du prolétariat étant donné que sa vocation est de l’attaquer et de le détruire. En ce sens, il est un représentant de ce que le CCI caractérise comme étant le parasitisme politique. Pour conclure notre article, nous reproduisons un extrait de nos "Thèses sur le parasitisme" (Revue Internationale n°94) particulièrement adapté à la situation que nous avons examinée : " …la notion de parasitisme politique n’est nullement "une invention du CCI". C’est l’AIT qui la première a été confrontée à cette menace contre le mouvement prolétarien, qui l’a identifiée et combattue. C’est elle, à commencer par Marx et Engels, qui caractérisait déjà de parasites ces éléments politisés qui, tout en prétendant adhérer au programme et aux organisations du prolétariat, concentrent leurs efforts sur le combat, non pas contre la classe dominante, mais contre les organisations de la classe révolutionnaire. L'essence de leur activité est de dénigrer et de manœuvrer contre le camp communiste, même s'ils prétendent lui appartenir et le servir" (Point 9).
C.Mir 06-11-05.
1 Voir la Revue Internationale n°119 "Résolution sur la lutte de classes".
2 On peut lire une évaluation de cette maturation de minorités au sein du prolétariat international et de notre activité vis-à-vis d’elles dans le bilan du 16ème Congrès du CCI paru dans la Revue Internationale n° 122.
3 Voir "Lutte de classe au Salvador", Communisme n° 12, février 1981. Le schéma de l’argumentation se différencie à peine de celui utilisé par le trotskisme. Celui-ci aussi justifie son soutien à des luttes bourgeoises en parlant de "mouvements révolutionnaires de masses" cachés derrière la "façade" des "dirigeants bourgeois".
4 Guérilla péruvienne d'inspiration maoïste visant à faire tomber les villes par leur encerclement depuis les campagnes où sont recruté les effectifs de la Guérilla. C'est en fait la population, des campagnes en particulier, qui a fait les frais du régime de terreur leur étant imposé par les deux camps bourgeois, celui au pouvoir et Sentier Lumineux.
5 Voir "Solidarité internationale avec le prolétariat et ses prisonniers au Pérou" in Communisme n° 25, novembre 1986 et "L'éternel pacifisme euroraciste de la social-démocratie (le CCI dans sa version mexicaine)" in Communisme n° 43, mai 1996. Dans ces publications, le GCI justifie de la sorte sa défense des prisonniers politiques au Pérou : "Mais le fait de se situer franchement du côté du prolétariat en affrontant et en dénonçant le terrorisme d’Etat n’a rien à voir avec un appui critique à telle ou telle organisation formelle". Il faut remarquer que, mis à part le subterfuge consistant à invoquer "l'organisation formelle" (c'est-à-dire une couverture sans importance) d'une force bourgeoise dotée des moyens de son action, il s'agit d'un argument qui a déjà été utilisé mille fois par les "antifascistes". Dans les luttes entre fractions de la bourgeoisie, celle qui est dans l’opposition ou la clandestinité a l’habitude d’utiliser comme chair à canon, pour ses actions, des éléments d’origine prolétaire. Lorsqu’ils tombent entre les mains de la fraction rivale, ces éléments sont cruellement torturés par ses sbires. Cependant ce n’est pas une raison pour prendre partie pour la cause étrangère au prolétariat au service de laquelle ils sont embrigadés, à travers la "solidarité" avec les prisonniers politiques. Dans les guerres impérialistes, les soldats sont la chair à canon de semblables bandes. En revanche, la lutte contre la guerre ne consiste pas à soutenir une des bandes sous prétexte de "défendre les soldats", mais à défendre l’internationalisme prolétarien contre toutes les bandes, quelles qu’elles soient.
6 Citation d’une source journalistique reproduite par le GCI: "La référence aux liens du sang constitutifs de la Arch permet de regrouper les hameaux appartenant à la même lignée, mais dispersés en différentes communes et sous-préfectures". Le programme pour une Coordination des Arch de Kabylie (2000 délégués) est nationaliste et démocratique, bien que concocté avec quelques revendications accrocheuses pour les travailleurs : "Ils réclament, dans le désordre, le retrait immédiat de la gendarmerie, la prise en charge par l’Etat des victimes de la répression, l’annulation des jugements contre les manifestants, la consécration du tamazight comme langue nationale officielle, des avantages de liberté et de justice, l’adoption d’un plan d’urgence pour la Kabylie et le paiement d’une indemnité pour tous les chômeurs." ("Prolétaires de tous les pays, La lutte des classes en Algérie est la nôtre!" Communisme n°52).
7 Voir la série d’articles sur ce mouvement de notre classe qui a débuté dans la Revue Internationale n°120.
8 Comme vient de l'illustrer la victoire électorale du nouveau président Evo Morales qui vient grossir les rangs de la "gauche latina" (Castro, Lula, Chavez), ces présidents de gauche en Amérique Latine qui, en plus de poursuivre les attaques contre la classe ouvrière comme le ferait n'importe quel gouvernement de droite, est capable de lui "vendre" des illusions.
9 Ceci est corroboré par l’affirmation du GCI dans un article sur "l’autonomie prolétarienne en Argentine" selon lequel les organisations des Mères de Mai auraient contribué à l’autoorganisation du prolétariat !
10 Voir notre article dans la Revue Internationale n°109 sur la révolte sociale de 2001 en Argentine.
11 Voir l’article "La mystification des piqueteros" écrit par un groupe argentin, le NCI, que nous avons publié dans la Revue Internationale n° 119.
12 Par ailleurs, affirmer que les "transports sont le talon d’Achille du Capital" n’est qu’une ingénieuse constatation sociologique qui sert à masquer le désir du GCI d’enfermer le prolétariat dans une vision syndicaliste de sa lutte. Dans la période ascendante du capitalisme (19ème siècle), la force du prolétariat, organisé dans ses syndicats, résidait dans sa capacité à paralyser une partie de la production capitaliste. Ce ne sont plus de telles conditions qui prévalent actuellement dans le capitalisme décadent caractérisé par la forte solidarité, derrière l'Etat, de tous les capitalistes contre le prolétariat. La pression économique sur un capitaliste en particulier ou même un ensemble d'entre eux ne peut avoir qu'un impact très limité. C’est pourquoi, ce type de lutte emprunté aux méthodes syndicales du 19ème siècle fait aujourd'hui le jeu de la classe capitaliste. Mais ceci ne signifie pas pour autant que les ouvriers aient perdu la capacité de constituer une force contre le capital. Avec des méthodes de lutte différentes, ils y parviennent encore comme le démontre l'histoire de ce siècle : en s’unissant à travers le développement d’une ferme solidarité entre toutes les couches du prolétariat brisant les divisions du secteur, de l’entreprise, de la région, de l'ethnie ou de la nation, en s'organisant comme classe autonome dans la société, pour la défense de ses propres revendications contre l’exploitation capitaliste et qui assume consciemment la confrontation avec l’Etat capitaliste. C’est seulement de cette façon que le prolétariat développe réellement sa force et peut opposer un rapport de force face à l'Etat.
13 La consigne des prolétaires de Rome, qui fut popularisée par le christianisme, était la répartition des richesses. Mais eux pouvaient se poser le problème car ils ne jouaient aucun rôle dans la production, qui était entièrement le fruit du travail des esclaves : "les prolétaires romains ne vivaient pas du travail, mais des aumônes que leur donnait le gouvernement. En cela la demande de propriété collective des chrétiens ne se référait pas aux moyens de production, mais aux biens de consommation. Ils ne demandaient pas que la terre, les ateliers et les outils et instruments de travail soient propriété collective, mais que l’on distribue tout entre eux, maisons, vêtements, nourriture et autres produits nécessaires pour vivre. Les communautés chrétiennes prenaient bien soin de ne pas chercher à connaître l’origine de ces richesses. Le travail productif était toujours dû aux esclaves." (Rosa Luxemburg : "Le socialisme et les églises", article en anglais provenant des Archives d’auteurs marxistes d’Internet (marxist.org) et traduit par nos soins).
14 Marx : La misère de la philosophie.
15 Ainsi, la raison première de cette scission ne se situe pas au niveau des divergences évoquées, bien réelles par ailleurs, mais dans la manière dont elles n'ont pas été assumées de façon responsable. En effet, les divergences sont normales au sein d'une organisation révolutionnaire et le débat rigoureux et patient auxquelles elles doivent donner lieu constitue une source de clarification et de renforcement. Cependant, les principaux protagonistes adoptèrent à l'époque toute une série d’attitudes et de comportements anti-organisationnels (ambitions personnelles, contestation des organes centraux, diffamation de camarades, ressentiments…), qui étaient en partie le résultat de conceptions gauchistes qu'ils n'avaient pas réellement dépassées, entravant ainsi la discussion. Pour davantage d'informations, voir dans la Revue Internationale n°109 le "Texte sur le fonctionnement de l’organisation dans le CCI".
16 Qui donnèrent lieu à deux groupes: le Mouvement Communiste et la Fraction Communiste Internationale, ce dernier ayant eu une existence éphémère.
17 Le CCI a déjà critiqué l'interprétation anarchiste que fait le GCI du matérialisme historique dans les n° 48, 49 et 50 de la Revue Internationale, au sein de la série "Comprendre la Décadence du Capitalisme".
18 Voir en particulier l'article du GCI, "Une fois de plus... le CCI du côté des flics contre les révolutionnaires !", in Communisme n° 26, février 1988, et notre réponse "Les délires paranoïaques de l'anarcho-bordiguisme punk", in Révolution internationale n° 168, mai 1988.
19 Voir à ce sujet, notre prise de position "Les parasites du GCI appellent au meurtre de nos militants au Mexique", publiée dans toute la presse territoriale du CCI et notamment Révolution Internationale n°262, novembre 1996. L'appel en question se trouve dans l'article du GCI "L'éternel pacifisme euroraciste de la social-démocratie (le CCI dans sa version mexicaine") in Communisme n° 43, mai 1996.
20 Voir à ce sujet, notre prise de position "Menaces de mort contre le CCI : Solidarité avec nos militants menacés !" publiée dans toute la presse territoriale du CCI et notamment Révolution Internationale n°355, mars 2005.