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COMPRENDRE LES CONSÉQUENCES POLITIQUES DE LA DÉCADENCE DU CAPITALISME
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Le syndicalisme, le parlementarisme, les partis de masse, la lutte pour des réformes sociales, l'appui aux luttes pour la formation de nouveaux Etats... ce ne sont plus là des formes de lutte valables pour la classe ouvrière. La réalité de la crise ouverte qui secoue le capitalisme, l'expérience des luttes sociales que cette crise a engendrées, rendent cela de plus en plus clair pour des centaines de millions de travailleurs dans le monde entier.
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Mais pourquoi ces formes de lutte qui ont été si importantes au siècle dernier pour le mouvement ouvrier ont-elles pu être transformées en ce qu'elles sont aujourd'hui ?
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Il ne suffit pas d'être contre. Pour avoir une intervention solide dans la lutte de classe, capable de combattre le déboussolement que distille l'idéologie bourgeoise, encore faut-il savoir pourquoi on est contre.
Aujourd'hui, soit par ignorance, soit par facilité, certains groupes qui sont parvenus à la conclusion de la nature bourgeoise du syndicalisme, parlementarisme, etc., tentent de répondre à ces questions en ayant recours à des conceptions anarchistes ou utopistes, formulées en langage marxiste pour faire « plus sérieux ». Parmi eux, le Groupe Communiste Internationaliste (GCI)[1].
Pour le GCI, le capitalisme n'a pas changé depuis ses origines. Les formes de lutte du prolétariat non plus. Quant au programme formulé par les organisations révolutionnaires, pourquoi aurait-il changé ? C'est la théorie de l'Invariance.
Pour ces chantres de la « révolte éternelle », la lutte de type syndical, parlementaire, la lutte pour des réformes ont toujours été, depuis leur apparition, ce qu'elles sont aujourd'hui, des moyens d'intégrer le prolétariat dans le capitalisme.
L'analyse de l'existence de deux phases dans l'histoire du capitalisme auxquelles correspondent des formes de lutte différentes ne serait qu'une invention des années 30 pour mieux « trahir le programme historique », programme qui lui se résumerait à une vérité quasi-éternelle : « révolution violente et mondiale ».
Voici comment ils formulent tout cela :
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« Cette théorisation de l'ouverture d'une nouvelle phase capitaliste : celle de son déclin, permit ainsi à posteriori de maintenir une cohérence formelle entre les "acquis du mouvement ouvrier du siècle précédent" (il s'agit bien entendu ici des "acquis" bourgeois de la social-démocratie : le syndicalisme, le parlementarisme, le nationalisme, le pacifisme, la "lutte pour des réformes", la lutte pour la conquête de l'Etat, le rejet de l'action révolutionnaire...) et, du fait du "changement de période" (argumentation classique pour justifier toutes les révisions-trahisons du programme historique), l'apparition de "nouvelles tactiques" propres à cette "nouvelle phase"; cela allant de la défense de la "patrie socialiste" pour les staliniens au "programme de transition" de Trotsky, au rejet de la forme syndicale au profit de celle des conseils "ultra-gauches" » (cf. Pannekoek : Les Conseils Ouvriers). Tous entérinent ainsi, de façon a-critique l'histoire passée et principalement le réformisme social-démocrate justifié en un tour de main puisqu'il se situait "dans la phase ascendante du capitalisme...".
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(...) « Et, les communistes d'être encore une fois des “iguanodons[2] de l'histoire”, ceux pour qui rien n'a fondamentalement changé, ceux pour qui les “vieilles méthodes” de lutte directe, classe contre classe, la révolution violente et mondiale, l'internationalisme, la dictature du prolétariat... restent toujours -hier, aujourd'hui, demain- valables ». “Le Communiste” n° 23, p. 17-18.
Le GCI précise :
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« L'origine même des théories décadentistes (théories du "changement de période" et de "l'ouverture d'une nouvelle phase capitaliste" : celle de son "déclin"...) se retrouve bizarrement" dans les années 30, théorisées tant par les staliniens (Varga) que par les trotskystes (Trotsky lui-même) que par certains sociaux démocrates (Hilferding, Sternberg...) et universitaires (Grossmann). C'est donc à la suite de la défaite de la vague révolutionnaire de 1917-23 que certains produits de la victoire de la contre-révolution commencèrent à théoriser une longue période de "stagnation" et de "déclin" ».
Difficile de dire autant d'absurdités en si peu de lignes. Laissons de côté les amalgames auxquels recourt fréquemment le GCI, qui n'apportent rien au débat sinon de démontrer la superficialité de son propre raisonnement. Mettre dans un même sac la gauche communiste internationaliste (Pannekoek) et le stalinisme (Varga) parce qu'ils ont parlé de décadence du capitalisme est aussi stupide que d'identifier révolution et contre-révolution parce que les deux traitent de lutte des classes.
LES ORIGINES DE LA THÉORIE DE LA DÉCADENCE
Commençons par ce qui est un vulgaire mensonge, ou dans le meilleur des cas, l'expression de la plus crasse ignorance de l'histoire du mouvement ouvrier : d'après le GCI, c'est dans les années 30, “a postériori”, qu'aurait été “bizarrement” inventée l'analyse de la décadence du capitalisme. Quiconque connaît un tant soit peu de l'histoire du mouvement ouvrier, et en particulier du combat contre le réformisme que mena la gauche révolutionnaire au sein de la social-démocratie et de la seconde Internationale, sait qu'il n'en est rien.
Dans l'article “Comprendre la décadence du capitalisme” nous avons longuement montré comment l'idée de l'existence de deux phases, l'une “ascendante” où les rapports capitalistes stimulent le développement économique et global de la société, l'autre “décadente” où ces rapports se transforment en « entrave » à ce développement, ouvrant une “ère de révolution”, nous avons indiqué comment cette vision est au coeur de la conception matérialiste de l'histoire, telle qu'elle fut définie par Marx et Engels, dès le Manifeste Communiste de 1847. Nous avons montré le combat que durent mener les fondateurs du socialisme scientifique contre tous les courants utopistes, anarchistes qui ignoraient volontairement une telle distinction de phases historiques et ne voyaient dans la révolution communiste qu'un idéal éternel à réaliser à tout moment et non un bouleversement que seul pouvait rendre possible et historiquement nécessaire l'évolution même des forces productives et leur contradiction avec les rapports sociaux de production capitalistes.
Mais Marx et Engels durent surtout combattre ceux qui ne voyaient pas que le capitalisme était encore dans sa phase ascendante. Dès la fin du siècle, la gauche de la seconde Internationale -en particulier à travers Rosa Luxembourg- dut combattre la tendance inverse, celle des réformistes qui consistait à nier que le capitalisme approchait sa phase de décadence. C'est ainsi qu'en 1898, Rosa Luxembourg écrivait dans Réforme ou Révolution :
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« Une fois que 1e développement de l'industrie aura atteint son apogée et que sur le marché mondial, commencera pour le capital la phase descendante, la lutte syndicale deviendra doublement difficile : premièrement parce que les conjonctures objectives du marché s'aggraveront pour la force du travail, la demande de force de travail augmentant plus lentement et l'offre plus rapidement que ce n'est maintenant le cas ; deuxièmement, parce que le capital lui-même, pour se, dédommager des pertes subies sur le marché mondial, s'efforcera d'autant plus énergiquement de réduire la part du produit revenant aux ouvriers (...). L'Angleterre nous offre déjà le tableau du début du deuxième stade du mouvement syndical. Ce dernier se réduit nécessairement de plus en plus à la simple défense des conquêtes déjà réalisées, et même celle-ci devient de plus en plus difficile » (souligné par nous), Réforme ou Révolution (1ère partie, point 3).
Ce n'est pas “a posteriori” -comme le prétend le GCI-, ce n'est pas après que la première boucherie impérialiste mondiale eut apporté la preuve irréfutable que le capitalisme était définitivement entré dans sa phase décadente, que ces lignes furent écrites. C'est quinze ans auparavant. Et Rosa Luxembourg commence à voir nettement les conséquences politiques -ici au niveau de la possibilité du syndicalisme- qu'entraîne pour le mouvement ouvrier un tel changement de “phase”.
Le GCI affirme que c'est « à la suite de la défaite de la vague révolutionnaire de 1917-23 que certains produits de la victoire de la contre-révolution commencent à théoriser une longue période de stagnation et de déclin ».
Le GCI ignore-t-il que, au cœur même de cette vague révolutionnaire, se fonde la troisième Internationale sur la base de l'analyse de l'entrée du capitalisme dans une nouvelle phase :
« Une nouvelle époque est née. Epoque de désagrégation du capitalisme, de son effondrement intérieur. Epoque de la révolution communiste du prolétariat » (Plate-forme de l'Internationale Communiste). Et c'est au sein de cette Internationale que la gauche communiste mènera à son tour le combat contre les tendances majoritaires qui ne voient pas toutes les conséquences politiques pour les formes de lutte du prolétariat de cette nouvelle période historique.
Voici, par exemple, comment s'exprimait le KAPD, la gauche communiste allemande en 1921, au troisième congrès de l'IC :
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« Pousser le prolétariat à prendre part aux élections dans la période de décadence du capitalisme revient à nourrir en son sein l'illusion que la crise peut être surmontée par des moyens parlementaires ».
Enfin dans les années 30, ce ne sont pas seulement les « produits de la victoire de la contre-révolution » mais les avant-gardes prolétariennes qui s'efforcent de tirer les enseignements de la vague révolutionnaire passée et qui « théorisent une longue période de stagnation et de déclin ». Ainsi la revue Bilan, qui regroupait des éléments de la gauche communiste d'Italie, Belgique et France, écrivait:
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« La société capitaliste, vu le caractère aigu des contradictions inhérentes à son mode de production, ne peut plus remplir sa mission historique : développer les forces productives et la productivité du travail humain de façon continue et progressive. Le choc entre les forces productives et leur appropriation privée, autrefois sporadique, est devenu permanent, le capitalisme est entré dans sa crise générale de décomposition » (Mitchell, Bilan n° 11, septembre 1934)[3].
Le GCI ignore ou falsifie l'histoire du mouvement révolutionnaire. Dans les deux cas ses affirmations sur « l'origine même des théories décadentistes » suffisent à démontrer la vacuité de son argumentation et le peu de sérieux de sa démarche.
L'INVARIANCE DU PROGRAMME OU LE “MARXISME DES DINOSAURES”
Venons en à l'argument du GCI selon lequel parler de changement pour les moyens de lutte du prolétariat serait « trahir le programme historique ».
Le programme d'un mouvement politique est constitué par la définition de l'ensemble des moyens et des buts que se propose ce mouvement. Le programme communiste contient en ce sens des éléments qui sont effectivement permanents depuis le Manifeste Communiste dont la rédaction correspond aux révolutions de 1848 qui virent la première apparition sur la scène de l'histoire du prolétariat comme force politique distincte. Il en est ainsi par exemple de la définition du but général : la révolution communiste mondiale ; ou du moyen fondamental pour atteindre ce but: la lutte de classe et la dictature du prolétariat.
Mais le programme communiste n'est pas que cela. Il contient aussi les buts immédiats et les moyens concrets, les formes d'organisation, les formes de la lutte nécessaires pour atteindre le but final.
Ces éléments concrets sont directement déterminés par la situation historique concrète dans laquelle se déroule la lutte du prolétariat.
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« Si notre programme formule une bonne fois l'évolution historique de 1a société du capitalisme en socialisme, il doit manifestement aussi formuler, dans leurs traits fondamentaux, toutes les phases transitoires de ce développement, et par conséquent, pouvoir indiquer, à chaque moment, au prolétariat, le comportement correspondant, dans le sens du rapprochement vers le socialisme » dit Rosa Luxemburg dans Réforme ou révolution (2e partie, point sur la conquête du pouvoir politique).
Pour le GCI, le programme communiste ignore tout cela, et se cantonne à un seul cri de guerre : « I1 faut faire la révolution mondiale toujours et partout ». Réduit à cela, le programme pourrait être considéré invariant, mais il ne serait plus alors un programme, mais une déclaration d'intentions.
Quant à son application pratique, si ce « programme » pouvait en avoir une, elle se résumerait à envoyer des prolétaires à l'affrontement final quelles que soient les conditions historiques, les rapports de force. Autant dire c'est la voie au massacre.
Marx avait déjà combattu ce genre de tendances au sein de la Ligue des Communistes :
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« Tandis que nous disons aux ouvriers : vous avez à traverser quinze, vingt, cinquante ans de guerres civiles et de guerres internationales, non seulement pour transformer les conditions, mais pour vous transformer vous-mêmes, et pour vous rendre aptes au pouvoir politique, vous leur dites au contraire : il faut que nous parvenions tout de suite au pouvoir, ou bien nous pouvons aller nous coucher. » (Marx, contre la tendance de Willich et Schapper au sein de la Ligue des Communistes, procès-verbal de la séance du comité central de septembre 1850, cité par B.Nicolaïevski in « La vie de Karl Marx », chap. XV.).
Un programme qui ne s'attache pas à définir les spécificités de chaque situation historique et des comportements prolétariens qui correspondent, un tel programme ne sert à rien.
Par ailleurs, le Programme communiste trouve une source permanente d'enrichissement dans la pratique de la classe. Des questions aussi cruciales que 1 impossibilité pour le prolétariat de conquérir 1’appareil d'Etat bourgeois à son profit ou les formes de lutte et d'organisation du prolétariat pour la révolution ont entraîné des modifications dans le programme communiste à la suite d'expériences comme celles de la Commune de Paris de 1871 et de la révolution russe de 1905.
Refuser de modifier le programme, de l'enrichir en permanence, en fonction de l'évolution des conditions objectives et de l'expérience pratique de la classe, ce n'est pas « rester fidèle » au programme, mais le détruire en le transformant en des tables de la loi. Les communistes ne sont pas des dinosaures et leur programme n'est pas un fossile.
Savoir modifier, enrichir le programme communiste comme ont toujours su le faire les révolutionnaires les plus conséquents pour qu'il soit capable de répondre à chaque situation historique générale, pour qu'il intègre les résultats de la praxis révolutionnaire, ce n'est pas « trahir le programme », mais c'est la seule attitude conséquente qui fasse de celui ci un véritable outil pour la classe[4].
LE POINT DE VUE IDÉALISTE DE L'ANARCHISME ET LA MÉTHODE MARXISTE
Pour le GCI, le pire crime des “décadentistes” consiste à « théoriser une cohérence formelle avec 'les acquis du mouvement ouvrier du siècle précédent'». Et le GCI de préciser: « Il s'agit bien entendu ici des 'acquis' bourgeois de la social-démocratie ». Le danger fondamental de la théorie de la décadence serait « d'entériner de façon a-critique l'histoire passée et principalement le réformisme social-démocrate justifié en un tour de main puisqu'il se situait 'dans la phase ascendante du capitalisme'».
Pour le GCI, « La fonction historique de 1a Socialdémocratie a été directement, non pas d'organiser la lutte pour la destruction du système (ce qui est le point de vue invariant des communistes), mais d'organiser les masses d'ouvriers atomisés par la contre-révolution afin de les éduquer pour les faire participer au mieux au système d'esclavage salarié ». (Le Communiste n° 23, p. 18).
Nous reviendrons dans un prochain article de façon spécifique sur la nature de classe de la Socialdémocratie-2e Internationale de la période de l'entredeux siècles. Mais pour pouvoir en parler, il faut auparavant répondre au simplisme absurde du GCI selon lequel « rien n'a fondamentalement changé » pour la lutte ouvrière depuis ses origines.
Le GCI reproche à la Social-démocratie en effet de ne pas avoir organisé la lutte « pour la destruction du système (ce qui est le programme invariant des communistes) », mais le combat syndical, parlementaire, pour des réformes qui n'a jamais pu être autre chose qu'un moyen pour faire participer les prolétaires au système.
Mais rejeter le syndicalisme ou le parlementarisme uniquement parce qu'il s'agit là de formes de lutte qui ne se traduisent pas immédiatement par la « destruction du système », c'est les rejeter pour des raisons purement idéalistes, fondées sur le vent des idéaux éternels et non sur la réalité concrète des conditions objectives de la lutte de classe. Cela revient à ne voir la classe ouvrière que comme classe révolutionnaire, oubliant qu'au contraire de toutes les classes révolutionnaires du passé, elle est aussi une classe exploitée.
La lutte revendicative et la lutte révolutionnaire sont deux moments d'un même combat de la classe ouvrière contre le capital ; la lutte pour la destruction du capitalisme n'est autre que la lutte revendicative contre les attaques du capital portée à ses dernières conséquences. Ces deux moments de lutte n'en sont pas pour autant identiques. Et l'on a une vision totalement creuse de la lutte prolétarienne si l'on en ignore ce double caractère.
Ceux qui -tels les réformistes- ne voient dans la classe ouvrière que son caractère de classe exploitée et sa lutte comme seulement revendicative, ont une vision statique, a-historique bornée. Mais ceux qui ne voient la classe ouvrière que comme classe révolutionnaire ignorant sa nature d'exploitée et partant la nature revendicative de toute lutte ouvrière, parlent d'un fantôme.
Lorsque les révolutionnaires marxistes ont rejeté la forme de lutte syndicale ou parlementaire par le passé, ce ne fut jamais au nom du radicalisme creux et a-classiste propre aux anarchistes, et qui faisait écrire à Bakounine en 1869 dans le “Catéchisme révolutionnaire” que l'organisation doit consacrer « toutes ses forces et tous ses moyens à aggraver et à étendre les souffrances et les misères qui doivent finalement pousser le peuple à un soulèvement général ».
L'anarchisme se situe du point de vue d'un idéal de « révolte » abstrait. Pour les luttes revendicatives de la classe ouvrière, il n'éprouve qu'un « mépris transcendantal » comme le dénonce Marx à propos de Proudhon dans Misère de 1a philosophie. Le marxisme se situe du point de vue d'une classe et de ses intérêts, aussi bien historiques qu'immédiats. Lorsque les révolutionnaires marxistes parviennent à la conclusion que le syndicalisme, le parlementarisme, les luttes pour des réformes ne sont plus valables, ce n'est pas parce qu'ils abandonnent la lutte revendicative, mais parce qu'ils savent que celle-ci ne peut plus aboutir, ne peut plus être efficace en se servant des anciennes formes.
Telle est la démarche générale de Rosa Luxemburg lorsqu'elle envisage qu'avec l'entrée du capital dans “la phase descendante”, la lutte syndicale deviendra “doublement difficile”, lorsqu'elle constate à la fin du 19e siècle, que le mouvement syndical, dans le pays le plus avancé de l'époque, l'Angleterre, « se réduit nécessairement de plus en plus à la simple défense des conquêtes déjà réalisées, et même celle-ci devient de plus en plus difficile ».
Telle est la démarche du KAPD quand il rejette la participation aux élections non pas parce que « le vote c'est sale », mais parce que les moyens parlementaires ne servent plus pour faire face aux effets de la crise du capitalisme, c'est-à-dire pour faire face à la misère pour le prolétariat.
Tant que le développement du capitalisme a pu s'accompagner de façon durable d'une véritable amélioration des conditions d'existence de la classe ouvrière, tant que l'Etat n'était pas devenu une puissance totalitaire sur la vie sociale, la lutte revendicative devait et pouvait prendre les formes syndicales, parlementaires. Les conditions objectives où le capitalisme connaît son apogée historique créent une sorte de terrain économique et politique où les intérêts immédiats de la classe ouvrière peuvent coïncider avec les nécessités du développement d'un capital en pleine expansion mondiale, et y trouver un réel profit.
C'est l'illusion de croire qu'une telle situation pourrait se poursuivre indéfiniment qui fut la base du développement du réformisme -cette idéologie bourgeoise selon laquelle la révolution communiste est impossible et seul peut être réalisée une réforme progressiste du capitalisme au profit de la classe ouvrière- au sein du mouvement ouvrier.
Pour les marxistes, le rejet de la lutte pour des réformes dans le capitalisme a toujours reposé -en dernière instance- sur l'impossibilité de celles-ci. Rosa Luxembourg formulait cela dès 1898 en ces termes :
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« La protection ouvrière, par exemple, est autant dans l'intérêt immédiat des capitalistes en tant que classe, que de la société en général. Mais cette harmonie ne dure que jusqu'à un certain moment du développement capitaliste. Quand ce développement a atteint un certain niveau, les intérêts de la bourgeoisie en tant que classe, et ceux du progrès économique, même dans le sens capitaliste, commencent à se séparer » (Réforme ou Révolution, 1re partie, point 4).
Ce qui change pour la lutte ouvrière au niveau des conditions objectives avec l'entrée du capitalisme dans sa phase décadente c'est l'impossibilité d'obtenir de véritables améliorations durables. Mais cela ne se produit pas isolément. La décadence du capitalisme est aussi synonyme de capitalisme d'Etat, d'hypertrophie de l'appareil d'Etat, et cela bouleverse entièrement les conditions d'existence du prolétariat.
Nous ne pouvons ici développer tous les aspects du bouleversement qu'implique pour la vie sociale en général, et pour la lutte de classe en particulier, l'entrée du capitalisme dans une nouvelle phase historique. Nous renvoyons le lecteur à l'article « La lutte du prolétariat dans le capitalisme décadent » (Revue Internationale, n° 23).
Ce qui nous importe de souligner ici, c'est le fait que pour les marxistes, les formes de lutte du prolétariat dépendent des conditions objectives dans lesquelles celle-ci se déroule et non sur des principes abstraits de révolte éternelle.
C'est seulement en se fondant sur l'analyse objective du rapport de forces entre les classes envisagé dans sa dynamique historique que l'on peut fonder la validité ou non d'une stratégie, d'une forme de combat. En dehors de cette base matérialiste, toute prise de position sur les moyens de la lutte prolétarienne repose sur du sable mouvant ; c'est la porte ouverte au déboussolement dès que les formes superficielles de la « révolte éternelle » -la violence, l'anti-légalité- font leur apparition.
Le GCI en est une manifestation criante. Quand on ne comprend pas pourquoi certaines formes de lutte étaient valables dans le capitalisme ascendant, on ne peut pas comprendre pourquoi elles ne le sont plus dans le capitalisme décadent. A force de ne baser ses critères politiques que sur des “anti-tout-ce-qui ressemble-à-la-social-démocratie”, à force de croire que “l'anti-démocratie” peut être un critère en soi, suffisant, le GCI se retrouve à affirmer en novembre 1986 qu'une organisation comme celle des guérilleros nationaliste staliniens du Pérou, “Sentier Lumineux”, parce qu'elle est armée et a refusé de participer à des élections « apparaît de plus en plus » comme l'unique structure capable de donner une cohérence au nombre toujours croissant d'actions directes du prolétariat, « dans les villes et les campagnes, alors que tous les autres groupes de gauche s'unissent objectivement contre tous les intérêts ouvriers au nom de la condamnation du terrorisme en général et de la défense de la démocratie » (souligné par nous, Le Communiste n° 25, p. 48-49).
Le GCI constate que « tous les documents que 'SL' a rédigés sont basés sur le plus strict stalinomaoïsme », et que celui-ci considère qu'au Pérou la lutte est « dans l'époque actuelle anti-impérialiste et anti-féodale ». Mais cela n'empêche pas le GCI de conclure : « Nous n'avons pas d'éléments pour considérer 'SL' (ou le PCP comme il s'auto-définit) comme une organisation bourgeoise au service de la contre-révolution » (idem).
Ce qui manque au GCI pour apprécier la nature de classe d'une organisation politique, ou toute autre réalité de la lutte de classe, ce ne sont pas des “éléments d'information”, mais la méthode marxiste, la conception matérialiste de l'histoire -dont la notion de phases historiques d'un système (ascendante et décadente) est un élément indispensable.
RV.
[1] Cet article fait suite à celui paru dans le numéro précédent de la Revue Internationale: « Comprendre la décadence du capitalisme ».
[2] Iguanodon : “reptile dinosaurien fossile, qui vivait à l'époque crétacée”.
[3] Le GCI reconnaît dans une petite note de l'article cité qu'effectivement Luxemburg, Lénine, Boukharine ont partagé des «théories décadentistes ». Mais il prétend qu'il ne s'agissait pas pour eux de « définir une phase de plus de 70 années ». C’est encore une falsification: pour la gauche de la 2e Internationale, fondatrice de la 3e, le stade dans lequel était entré le capitalisme n'était pas une phase parmi d'autres à laquelle pourraient succéder de nouvelles phases ascendantes. Pour eux tous, la nouvelle période était « une phase ultime », un « stade suprême » du capitalisme, audelà duquel il n'y aurait plus d'autre issue pour la société que la barbarie ou le socialisme.
[4] Contre toute attitude religieuse à l'égard de ce qui est l'instrument vivant d'une classe vivante, nous nous revendiquons de l'attitude de Marx et Engels déclarant après la Commune de Paris qu'une partie du Manifeste Communiste était devenue périmée ; de celle de Lénine en 1917 dans Les thèses d'avril affirment la nécessité de re-rédiger une partie du programme du Parti.