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Le CCI a tenu récemment une conférence internationale extraordinaire dédiée principalement aux questions d'organisation. Dans notre presse territoriale et dans le prochain numéro de la Revue internationale nous reviendrons sur les travaux de cette conférence. Cela dit, dans la mesure où les questions que celle-ci a abordées avaient de fortes similitudes avec celles que nous avons eu à traiter par le passé, nous avons estimé utile de publier des extraits d'un document interne (adopté unanimement par le CCI) qui avait servi de base au combat pour la défense de l'organisation que nous avons mené en 1993-95 et dont rend compte la Revue internationale n° 82 à propos du 11e congrès du CCI.
Le rapport d'activités présenté au BI plénier ([1]) d'octobre 1993 fait état de l'existence ou de la persistance au sein du CCI de difficultés organisationnelles dans un grand nombre de sections. Le rapport pour le 10e congrès international avait déjà traité amplement de ces difficultés. Il avait en particulier insisté sur la nécessité d'une plus grande unité internationale de l'organisation, d'une centralisation plus vivante et rigoureuse de celle-ci. Les difficultés présentes font la preuve que l'effort réalisé par ce rapport et les débats du 10e congrès, tout en étant indispensables, étaient encore insuffisants. Les dysfonctionnements qui se sont exprimés au cours de la dernière période manifestent l'existence au sein du CCI de retards, de lacunes dans la compréhension des questions, d'une perte de vue du cadre de nos principes en matière d'organisation. Une telle situation nous donne la responsabilité d'aller encore plus au fond des questions qui avaient été soulevées lors du 10e congrès. Il importe en particulier que l'organisation, les sections et tous les militants se penchent une nouvelle fois sur des questions de base et en particulier sur les principes qui fondent une organisation qui lutte pour le communisme (...)
Une réflexion de ce type a été menée en 1981-82 à la suite de la crise qui avait auparavant secoué le CCI (perte de la moitié de la section en Grande-Bretagne, hémorragie d'une quarantaine de membres de l'organisation). La base de cette réflexion avait été donnée par le rapport sur «La structure et le fonctionnement de l'organisation» adopté par la conférence extraordinaire de janvier 1982 (Cf Revue internationale n°33). En ce sens, ce document reste toujours une référence pour l'ensemble de l'organisation ([2]). Le texte qui suit se conçoit comme un complément, une illustration, une actualisation (suite à l'expérience acquise depuis) du texte de 1982. En particulier, il se propose d'attirer l'attention de l'organisation et des militants sur l'expérience vécue, non seulement par le CCI, mais aussi par d'autres organisations révolutionnaires dans l'histoire.
1. L'importance du problème dans l'histoire
La question de la structure et du fonctionnement de l'organisation s'est posée à toutes les étapes du mouvement ouvrier. A chaque fois, les implications d'un tel questionnement ont revêtu la plus haute importance. Ce n'est nullement le fait du hasard. Dans la question d'organisation se trouve concentrée toute une série d'aspects essentiels de ce qui fonde la perspective révolutionnaire du prolétariat :
- caractéristiques fondamentales de la société communiste et des rapports qui s'établissent entre les membres de celle-ci ;
- être du prolétariat comme classe porteuse du communisme ;
- nature de la conscience de classe, caractéristiques de son développement et de son approfondissement, de son extension au sein de la classe ;
- rôle de l'organisation communiste dans le processus de prise de conscience du prolétariat .
Les conséquences du développement de désaccords sur les questions organisationnelles se sont souvent révélées dramatiques, voire catastrophiques pour la vie des organisations politiques du prolétariat. Il en est ainsi pour les raisons suivantes :
- de tels désaccords sont, en dernier ressort, le révélateur de la pénétration au sein de l'organisation d'influences idéologiques étrangères au prolétariat, provenant de la bourgeoisie ou de la petite bourgeoisie ;
- beaucoup plus que les désaccords sur d'autres questions, ils se répercutent nécessairement sur le fonctionnement de l'organisation, peuvent même affecter son unité, voire son existence :
- en particulier, ils tendent à prendre un tour plus personnalisé et donc plus émotionnel.
Parmi de multiples exemples historiques d'un tel phénomène, on peut en prendre deux parmi les plus célèbres :
- le conflit entre le Conseil Général de l'AIT et les «Alliancistes» ;
- la scission entre Bolcheviks et Mencheviks au cours et à la suite du 2e Congrès du POSDR en 1903.
Dans le premier exemple, il est clair que la constitution au sein de l'AIT de l'«Alliance internationale de la démocratie socialiste» était une manifestation de l'influence de l'idéologie petite bourgeoise à laquelle était régulièrement confronté le mouvement ouvrier au cours de ses premiers pas. Ce n'est donc pas un hasard si l'Alliance recrutait principalement auprès des professions proches de l'artisanat (les horlogers du Jura suisse, par exemple) et dans des régions où le prolétariat était encore faiblement développé (comme en Italie et, particulièrement, en Espagne).
De même, la constitution de l'Alliance présentait un danger particulièrement grave pour l'ensemble de l'AIT dans la mesure où :
- elle était une «Internationale dans l 'Internationale » (Marx), existant « en dedans et en dehors» de celle-ci, ce qui, en soi, était déjà une remise en cause de son unité ;
- elle était, de plus, clandestine, y compris aux yeux de l'AIT, puisqu'elle avait proclamé sa dissolution tout en continuant à fonctionner ;
- elle s'opposait aux conceptions de l'AIT en matière d'organisation et notamment à sa centralisation (défense du «fédéralisme»), tout en étant d'ailleurs elle-même ultra-centralisée autour d'un «Comité central» dirigé d'une main de fer par Bakounine et en imposant à ses membres la discipline la plus sévère et fondée sur une abnégation totale et le don de soi de tous et de chacun» (Bakounine) .
De fait, l'Alliance constituait une négation vivante des bases sur lesquelles s'était fondée l'Internationale. C'est justement pour que cette dernière ne tombe pas entre les mains de l'Alliance, qui l'aurait à coup sûr dénaturée, que Marx et Engels, au Congrès de La Haye de 1872, ont proposé et obtenu le transfert à New York du Conseil Général. Ils savaient pertinemment que ce transfert devait conduire l'AIT vers une extinction progressive (effective en 1876), mais, dans la mesure où elle était de toutes façons condamnée à la suite de l'écrasement de la Commune de Paris (qui avait provoqué un profond recul dans la classe), ils ont préféré cette fin à une dégénérescence qui aurait discrédité toute l'oeuvre positive qu'elle avait accomplie entre 1864 et 1872.
Enfin, il faut noter que le conflit entre l'AIT et l'Alliance a pris un tour très personnalisé autour de Marx et Bakounine. Ce dernier, qui n'avait rejoint l'AIT qu'en 1868 (à la suite de l'échec de sa tentative de coopération avec les démocrates bourgeois au sein de la «Ligue de la paix et de la liberté»), accusait Marx d'être le «dictateur» du Conseil général et donc de l'ensemble de l'AIT ([3]). Autant dire que c'était tout à fait faux (il suffit pour s'en convaincre de lire les procès-verbaux des réunions du Conseil général et des congrès de l'Internationale). D'un autre côté, Marx (avec raison) dénonçait les intrigues du chef indiscuté de l'Alliance, intrigues qui étaient facilitées par le caractère secret de cette dernière et par les conceptions sectaires héritées d'une époque révolue du mouvement ouvrier. II faut noter en plus que ces conceptions sectaires et conspiratives, de même que le côté charismatique de la personnalité de Bakounine, favorisaient son influence personnelle sur ses adeptes et l'exercice de son autorité de "gourou". Enfin, la persécution dont il prétendait être victime était un des moyens par lesquels il semait le trouble et se gagnait des partisans parmi un certain nombre d'ouvriers mal informés ou sensibles aux idéologies petites-bourgeoises.
On retrouve le même type de caractéristiques dans la scission entre bolcheviks et mencheviks qui s'est faite, au départ, autour de questions organisationnelles.
D'une façon qui s'est confirmée par la suite, la démarche des mencheviks était déterminée par la pénétration, dans la social-démocratie russe, de l'influence des idéologies bourgeoises et petites-bourgeoises (même si certaines conceptions des bolcheviks étaient elles-mêmes tributaires d'une vision jacobiniste bourgeoise). En particulier, comme le note Lénine (Un pas, en avant, deux pas en arrière, (Euvres, Tome 7) : «Le gros de l'opposition [les mencheviks] a été formé par les éléments intellectuels de notre Parti» qui ont donc constitué un des véhicules des conceptions petites bourgeoises en matière d'organisation.
En deuxième lieu, la conception de l'organisation qui était celle des mencheviks lors du 2e congrès, et que Trotsky a partagée pendant longtemps (alors qu'il s'était très clairement éloigné d'eux, notamment sur la question de la nature de la révolution qui se préparait en Russie et des tâches du prolétariat en son sein), tournait le dos aux nécessités de la lutte révolutionnaire du prolétariat et portait avec elle la destruction de l'organisation. D'une part, elle était incapable de faire une distinction claire entre membres du parti et sympathisants comme l'a montré le désaccord entre Lénine et Martov, le chef de file des mencheviks, sur le point l des statuts ([4]). D'autre part, et surtout, elle était tributaire d'une période révolue du mouvement (comme les "alliancistes" étaient encore marqués par la période sectaire du mouvement ouvrier) : "Sous le nom de `minorité' se sont groupés dans le Parti, des éléments hétérogènes qu'unit le désir conscient ou non, de maintenir les rapports de cercle, les formes d'organisation antérieures au Parti. Certains militants éminents des anciens cercles les plus influents, n 'ayant pas l'habitude des restrictions en matière d'organisation, que l'on doit s'imposer en raison de la discipline du Parti, sont enclins à confondre machinalement les intérêts généraux du Parti et leurs intérêts de cercle qui, effectivement, dans la période des cercles, pouvaient coïncider. " (Lénine, Un pas en avant, deux pas en arrière). En particulier, du fait de leur approche petite bourgeoise, ces éléments "... lèvent naturellement l'étendard de la révolte contre les restrictions indispensables qu'exige l'organisation, et ils érigent leur anarchisme spontané en principe de lutte qualifiant à tort cet anarchisme... de revendication en faveur de la 'tolérance ', etc. " (Ibid. )
En troisième lieu, l'esprit de cercle et l'individualisme des mencheviks les ont conduits à la personnalisation des questions politiques. Le point le plus dramatique du Congrès, qui a provoqué une cassure irréparable entre les deux groupes, est celui de la nomination dans les différentes instances responsables du Parti, et en particulier dans la rédaction de l' Iskra, qui était considérée comme la véritable direction politique de celui-ci (le Comité Central ayant essentiellement une responsabilité dans les questions organisationnelles). Avant le congrès, cette rédaction était composée de 6 membres : Plekhanov, Lénine, Martov, Axelrod, Starover (Potressov) et Vera Zassoulitch. Mais seuls les trois premiers faisaient un réel travail de rédaction, les trois derniers ne faisaient pratiquement rien, ou se contentaient d'envoyer des articles ([5]). Afin de dépasser "l'esprit de cercle" qui animait la vieille rédaction, et particulièrement ses trois membres les moins impliqués, Lénine propose au congrès une formule permettant de nommer une rédaction plus adaptée sans que cela apparaisse comme une motion de défiance envers ces trois militants : le Congrès élit une rédaction plus restreinte de trois membres qui peut, ultérieurement coopter d'autres militants en accord avec le Comité central. Alors que cette formule avait été acceptée dans un premier temps par Martov et les autres rédacteurs, ce dernier change d'avis à la suite du débat qui l'a opposé à Lénine sur la question des statuts (et qui a mis en évidence le fait que ses anciens camarades risquaient de ne pas retrouver leur poste) : il demande (en fait c'est à Trotsky que revient de proposer une résolution en ce sens) que l'ancienne rédaction de 6 membres soit "confirmée" par le Congrès. C'est finalement la proposition de Lénine qui l'emporte ce qui provoque la colère et les lamentations de ceux qui vont devenir les "mencheviks" (minoritaires). Martov, "au nom de la majorité de l'ancienne rédaction" déclare :"Puisque l’on a décidé d’élire un comité de trois, je déclare au nom de mes trois camarades et au mien, que personne parmi nous n'accepterait d'y entrer. En ce qui me concerne personnellement, j'ajoute que je tiendrais pour une injure le fait d'être porté comme candidat à cette fonction, et que la simple supposition que je consentirais à y travailler serait considérée par moi comme une tâche à ma réputation politique. " La défense sentimentale de ses vieux compagnons victimes de "l'état de siège qui règne dans le Parti ", la défense de l’honneur bafoué" se substituent chez Martov aux considérations politiques. Pour sa part, le menchevik Tsarev déclare : "Comment les membres non élus de la rédaction doivent-ils se comporter à l'égard du fait que le congrès ne veut plus les voir faire partie de la rédaction ?" Les bolcheviks dénoncent cette façon non politique de présenter les questions ([6]). Par la suite, les mencheviks refusent et sabotent les décisions du Congrès, boycottent les organes centraux élus par ce dernier et se lancent dans des attaques personnelles systématiques contre Lénine. Par exemple, Trotsky l'appelle "Maximilien Lénine", il l'accuse de vouloir "prendre sur lui le rôle de l'incorruptible " et d'instituer une "République de la Vertu et de la Terreur". (Rapport de la délégation sibérienne). On est frappé par la ressemblance entre les accusations lancées par les mencheviks contre Lénine et celles des alliancistes contre Marx et sa "dictature". Face à l'attitude des mencheviks, à la personnalisation des questions politiques, aux attaques qui le prennent pour cible et à la subjectivité qui a envahi Martov et ses amis, Lénine répond : "Lorsque je considère la conduite des amis de Martov après le congrés , (...) je puis dire seulement que c'est la une tentative insensée, indigne de membres du parti, de déchirer le Parti... Et pourquoi ? Uniquement parce qu'on est mecontent de la composition des organismes centraux, car objectivement, c'est uniquement cette question qui nous a séparés, les appréciations subjectives (comme offense, insulte, expulsion, mise à l'écart, flétrissure, etc.) n'étant que le fruit d'un amour-propre blessé et d'une imagination malade. Cette imagination malade et cet amour-propre blessé mènent tout droit aux commérages les plus honteux : sans avoir pris connaissance de l'activité des nouveaux centres, ni les avoir encore vus à l'oeuvre, on va répandant des bruits sur leur "carence ", sur le "gant de fer" d'Ivan Ivanovitch, sur la "poigne" d'Ivan Nikiforovitch, etc. (...) Il reste à la social-démocratie russe une dernière et difficile étape à franchir, de l'esprit de cercle à l'esprit de parti ; de la mentalité petite-bourgeoise à la conscience de son devoir révolutionnaire ; des commérages et de la pression des cercles, considérés comme moyens d'action, à la discipline. " (Relation du IIe Congrès du POSDR, (Euvres, Tome 7)
2. Les problèmes organisationnels dans l'histoire du CCI
Comme toutes les autres organisations du prolétariat, (...) des difficultés organisationnelles similaires à celles qu'on vient d'évoquer ont affecté également le CCI. Parmi ces difficultés, on peut relever les moments suivants :
- 1974 : débat sur la centralisation dans le groupe Révolution internationale (future section du CCI en France), formation et départ de la «tendance Bérard» ;
- 1978 : formation de la «tendance S-M» qui allait fonder le GCI en 1979 ;
- 1981 : crise du CCI, formation et départ de la «tendance Chénier» ;
- 1984 : apparition de la minorité qui, en 1985, allait se constituer en «tendance» puis quitter le CCI pour former la FECCI ;
- 1987-88 : difficultés dans la section en Espagne conduisant à la perte de la section du Nord,
- 1988 : dynamique de contestation et de démobilisation au sein de la section de Paris ; mise en évidence, par le 8e congrès de RI (Révolution internationale, section du CCI en France) du poids de la décomposition dans nos rangs.
(... ) De ces moments de difficultés on peut retenir, malgré leurs différences, une série de caractéristiques communes qui les rapprochent des problèmes rencontrés antérieurement dans l'histoire du mouvement ouvrier :
- poids de l'idéologie petite-bourgeoise, et notamment de l'individualisme ;
- remise en cause du cadre unitaire et centralisé de l'organisation ;
- importance prise par les questions personnelles et de subjectivité.
Il serait trop long de passer en revue tous ces moments de difficultés. On peut se contenter de mettre en évidence comment ces caractéristiques (qui ont toujours été présentes, mais à des degrés divers) se sont manifestées à certains de ces moments.
a) Le poids de l'idéologie petite bourgeoise
Ce poids est évident lorsqu'on examine ce qu'est devenue la tendance de 1978 : le GCI a sombré dans une sorte d'anarcho-bordiguisme, exaltant les actions terroristes et méprisant les luttes du prolétariat dans les pays avancés alors qu'il montait en épingle des luttes prolétariennes imaginaires dans le Tiers-Monde. De même, dans la dynamique du groupe de camarades qui allait former la FECCI, nous avons identifié des similitudes frappantes avec celle qui avait animé les mencheviks en 1903 (voir notamment l'article «La Fraction externe du CCI» dans la Revue internationale 45) et en particulier le poids de l'élément intellectuel. Enfin, dans la dynamique de contestation et de démobilisation (...) qui avait affecté la section de Paris en 1988, nous avions mis en évidence l'importance du poids de la décomposition comme facteur favorisant la pénétration de l'idéologie petite bourgeoise dans nos rangs, particulièrement sous la forme du «démocratisme» (... ).
b) La remise en cause du cadre unitaire et centralisé de l'organisation
C'est un phénomène que nous avons rencontré de façon systématique et marquée lors des différents moments de difficultés organisationnelles dans le CCI :
- Le point de départ de la dynamique qui devait aboutir à la «tendance Bérard» est la décision de la section de Paris de se doter d'une Commission d'organisation (CO). Un certain nombre de camarades, particulièrement la grande majorité de ceux qui avaient milité dans le groupe trotskiste «Lutte Ouvrière» (LO), voyait dans cet embryon d'organe central une «grave menace de bureaucratisation» pour l'organisation. Bérard n'avait de cesse de comparer la CO au Comité central de LO (organisation dont Bérard avait été membre pendant plusieurs années), d'identifier RI à cette organisation trotskiste, argument qui avait un fort impact sur les autres camarades de sa «tendance» dans la mesure où tous (sauf un) venaient de LO.
- Lors de la crise de 1981, il s'était développé (avec la contribution de l'élément trouble Chénier, mais pas seulement) une vision qui considérait que chaque section locale pouvait avoir sa propre politique en matière d'intervention, qui contestait violemment le Bureau international (BI) et son Secrétariat (SI) (auxquels on reprochait notamment leur position sur la gauche dans l'opposition et de provoquer une dégénérescence stalinienne) et qui, tout en se réclamant de la nécessité des organes centraux, leur attribuait un rôle de simple boîte au lettres (...)
- Dans toute la dynamique qui allait conduire à la formation de la FECCI, l'aspect remise en cause de la centralisation s'est fait sentir également mais sous une forme différente, notamment dans la mesure où 5 membres sur 10 de la «tendance» appartenaient au BI. C'est essentiellement par les actes répétés d'indiscipline vis-à-vis de ce dernier, mais aussi des autres instances de l'organisation, que s'est faite sentir cette remise en cause : d'une façon quelque peu aristocratique, certains membres de la «tendance» considéraient qu'ils étaient «au dessus des lois». Confrontés à la nécessaire discipline de l'organisation, ces militants y voyaient une «dégénérescence stalinienne» reprenant à leur compte les arguments de la «tendance Chénier» qu'ils avaient pourtant combattus trois ans auparavant.
- Les difficultés rencontrées par la section en Espagne en 1987-88 sont directement liées au problème de la centralisation : les nouveaux militants de la section de San Sebastian entrent dans une dynamique de contestation de la section de Valence qui joue le rôle d'organe central. Il existe au sein de la section «basque» un certain nombre de désaccords et confusions politiques, notamment sur la question des comités de chômeurs, confusions qui relèvent pour une bonne part des origines gauchistes de certains éléments de cette section. Mais au lieu que ces désaccords puissent être discutés dans le cadre organisationnel, ils sont l'occasion de la mise en avant d'une politique de «bougnat est maître chez soi», d'un rejet de principe des orientations et consignes provenant de Valence. Suite à cette dynamique, la section en Espagne perd la moitié de ses effectifs ( ... ).
- Dans la dynamique de contestation et de démobilisation qui s'était développée en 1988 dans la section en France, et particulièrement à Paris, la remise en cause de la centralisation s'exprimait essentiellement contre l'organe central de cette section. La forme la plus «élaborée» de cette remise en cause avait été exprimée par un membre de l'organisation qui avait développé dans ses textes, et dans son comportement, une démarche voisine de l'anarcho-conseillisme. En particulier, une de ses premières contributions... portait sur une critique des organes centraux et défendait l'idée d'une rotativité dans la nomination des militants au sein de ces organes.
Le rejet ou la contestation de la centralisation n'ont pas été les seules formes de remise en cause du caractère unitaire de l'organisation lors des différents moments de difficultés qu'on vient d'évoquer. Il faut y ajouter les manifestations d'une dynamique qu'on pourrait appeler, comme Lénine en 1903, «de cercle» ou bien «de clan». C'est-à-dire le regroupement, même informel, entre un certain nombre de camarades sur la base, non pas d'un accord politique, mais sur des critères hétéroclites comme les affinités personnelles, le mécontentement vis-à-vis de telle orientation de l'organisation ou la contestation d'un organe central.
En fait, toutes les «tendances» qui, à ce jour, se sont formées dans le CCI obéissaient, peu ou prou, à une telle dynamique. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'elles ont toutes mené à des scissions. C'est quelque chose que nous avions relevé à chaque fois : les tendances se formaient non pas sur la base de la mise en avant d'une orientation positive alternative à une position prise par l'organisation mais comme rassemblement de «mécontents» qui mettaient dans un pot commun leurs divergences et essayaient, par la suite de leur donner une certaine cohérence. Sur de telles bases, une tendance ne pouvait donner rien de positif dans la mesure où sa dynamique ne consistait pas dans la recherche d'un renforcement de l'organisation à travers la plus grande clarté possible mais exprimait au contraire une démarche (souvent inconsciente) de destruction de l'organisation. De telles tendances n'étaient pas un produit organique de la vie du CCI et du prolétariat mais exprimaient au contraire la pénétration en son sein d'influences étrangères : en général l'idéologie petite bourgeoise. En conséquence, ces tendances apparaissaient d'emblée comme des corps étrangers au CCI ; c'est pour cela qu'elles étaient un danger pour l'organisation et que leur destin leur était pratiquement tracé d'avance : la scission. ([7])
D'une certaine façon, la tendance Bérard fut celle qui témoigna le plus d'homogénéité. Mais cette dernière n'avait pas pour origine une véritable compréhension commune des questions soulevées. Cette «homogénéité» se basait essentiellement sur :
- l'origine commune (LO) des membres de la tendance qui les ont fait converger spontanément vers des démarches similaires et notamment le rejet de la centralisation ;
- le charisme de Bérard, qui était un élément très brillant, et dont les «contributions» en ont «mis plein la vue» à des éléments peu formés qui, dans l'ensemble, n'y comprenaient pas grand chose et qui ont adhéré «les yeux fermés» à sa démarche.
C'est pour cette dernière raison qu'on trouvait dans cette «tendance» à la fois des éléments très académistes (...) et des éléments plutôt activistes (...). Autant dire que la «Tendance communiste» qui s'est constituée après la scission n'a pas survécu au premier numéro de sa publication.
Concernant les autres «tendances» qu'on a connues dans le CCI, chacun garde en tête le bric-à-brac de positions qui s'y retrouvaient :
- Tendance S-M : baisse tendancielle du taux de profit comme explication de la crise économique (S) plus nature prolétarienne de l'État de la période de transition (S) plus vision bordiguisante du rôle de l'organisation (M) plus surestimation des luttes ouvrières dans le tiers monde (R) ;
- Tendance Chénier : rejet de l'analyse de la gauche dans l'opposition plus assimilation d'organismes syndicaux à des organes de la lutte de classe plus «dégénérescence stalinienne» du CCI (plus des manœuvres occultes d'un individu peut être au service de l'État bourgeois) (...) ;
- Tendance FECCI : vision non marxiste de la conscience de classe (ML) plus faiblesses conseillistes (JA et Sander) plus désaccords sur l'intervention du CCI dans les actions menées par les syndicats pour immobiliser la classe ouvrière (Rose) plus rejet de la notion de centrisme et d'opportunisme (Mc.lntosh).
Considérant le caractère hétéroclite de ces tendances, la question qu'on peut se poser est donc : sur quoi était fondée leur démarche et leur «unité» ?
A la base, il y avait incontestablement des incompréhensions et des confusions tant sur des questions politiques générales que sur des questions d'organisation.
Mais tous les camarades qui avaient des désaccords sur ces questions n'ont pas adhéré à ces tendances. A l'inverse, certains camarades qui, au départ, n'avaient aucun désaccord s'en sont «découvert» en cours de route pour adhérer au processus de formation des «tendances» (...). C'est pour cela qu'il nous faut faire appel, comme l'avait fait Lénine en 1903, à un autre aspect de la vie organisationnelle : l'importance des questions «personnelles» et de subjectivité.
c) L'importance des questions «personnelles» et de subjectivité
Les questions concernant l'attitude, le comportement, les réactions émotionnelles et subjectives des militants de même que la personnalisation de certains débats ne sont pas de nature «psychologique» mais éminemment politiques. La personnalité, l'histoire individuelle, l'enfance, les problèmes affectifs, etc. ne permettent pas à eux seuls, ni fondamentalement, d'expliquer les attitudes et comportements aberrants que peuvent adopter certains membres de l'organisation à tel ou tel moment. Derrière de tels comportements on retrouve toujours, directement ou indirectement, l'individualisme ou le sentimentalisme, c'est-à-dire des manifestations de l'idéologie de classes étrangères au prolétariat : bourgeoisie ou petite bourgeoisie. Ce qu'on peut dire tout au plus c'est que certaines personnalités sont plus fragiles que d'autres face à la pression de telles influences idéologiques.
Cela n'enlève rien au fait que des aspects «personnels» peuvent jouer un rôle important dans la vie organisationnelle comme on a pu le voir en de nombreuses reprises :
- Tendance Bérard : Il suffit de signaler le fait que, quelques jours après le vote instaurant la Commission d'organisation, auquel Bérard s'était opposé, le même Bérard est allé trouver MC ([8]) pour lui proposer le marché suivant : `je change mon vote en , laveur de la CO si tu me proposes pour en faire partie, sinon je la combattrai ' . Autant dire que Bérard s'est fait envoyer sur les roses, MC s'étant seulement engagé à ne pas faire état de cette proposition afin de ne pas "enfoncer" Bérard publiquement et de permettre au débat d'être mené sur le fond. Ainsi, la CO ne présentait de "danger de bureaucratisation" que parce que Bérard n'en faisait pas partie... Sans commentaires !
- Tendance S-M : Elle est constituée de trois groupes (en partie familiaux) dont les «leaders» ont des préoccupations différentes mais qui se retrouvent dans la contestation des organes centraux (...)
Comme «il n'y a pas de place pour plusieurs crocodiles mâles dans le même marigot» (proverbe africain) les trois petits crocodiles se sont séparés par la suite : S a scissionné le premier du GCI pour fonder l'éphémère «Fraction communiste internationaliste», plus tard M a également quitté le GCI pour former le «Mouvement communiste».
- Tendance Chénier : Les conflits de personnes et de personnalités ne sont pas étrangers à la division de la section en Grande-Bretagne en deux groupes qui ne s'adressent plus la parole et qui, par exemple, vont manger dans des restaurants différents lors des réunions générales de la section. Les militants de l'étranger qui viennent à ces réunions sont accaparés par l'un ou l'autre clan et ils ont droit à toutes sortes de commérages (...)Enfin, la crise est encore aggravée par toutes les manœuvres de Chénier qui met systématiquement de l'huile sur le feu des conflits ([9]).
- Tendance FECCI : A côté des divergences politiques (mais qui étaient disparates), un des aliments majeurs de la démarche du groupe de camarades qui allait fonder la FECCI, et explique en particulier l'incroyable mauvaise foi dont ils ont fait preuve, est l'orgueil blessé de certains (notamment JA et ML) peu habitués à être critiqués (notamment par MC) et la «solidarité» que leurs amis de vieille date ont voulu leur témoigner (...). En fait, quand on se penche sur l'histoire du 2e congrès du POSDR et qu'on a vécu l'affaire de la «tendance FECCI» on ne peut être que frappé par toutes les similitudes entre les deux événements. Mais comme le disait Marx, «si l'histoire se répète, c'est la première fois comme tragédie et la seconde fois comme farce».
Ce n'est pas seulement lors de la formation de «tendances» que les questions de personnes ont joué, de différentes façons, un rôle très important.
Ainsi, lors des difficultés de la section en Espagne en 87-88, il se développe parmi les camarades de San Sebastian, qui ont été intégrés sur des bases politiques insuffisamment solides et avec une part importante de subjectivité, une animosité très forte à l'égard de certains camarades de Valence. Cette démarche personnalisée est notamment accentuée par l'état d'esprit retord et malsain d'un des éléments de San Sébastien et surtout par les agissements de Albar, animateur du noyau de Lugo, dont le comportement est assez proche de celui de Chénier : correspondances et contacts clandestins, dénigrements et calomnies, utilisation de sympathisantes pour «travailler» le camarade de Barcelone qui a finalement quitté le CCI (...)
L'examen, nécessairement trop rapide et superficiel des difficultés organisationnelles rencontrées par le CCI au cours de son histoire fait apparaître deux faits essentiels :
- ces difficultés ne lui sont pas propres, on les rencontre tout au long de l'histoire du mouvement ouvrier ;
- c'est de façon répétée et fréquente qu'il est confronté à ce type de difficultés.
Ce dernier élément doit inciter l'ensemble de l'organisation et tous les camarades à se pencher à nouveau, et de façon approfondie, sur les principes d'organisation qui ont été précisés lors de la conférence extraordinaire de 1982 dans le «Rapport sur la structure et le fonctionnement de l'organisation» et dans les statuts.
3. Les points principaux du rapport de 1982 et des statuts
L'idée maîtresse du rapport de 1982 est l'unité de l'organisation. Dans ce document, cette idée est d'abord traitée sous l'angle de la centralisation avant que d'être traité sous celui des rapports entre militants et organisation. Le choix de cet ordre correspondait aux problèmes rencontrés par le CCI en 1981 ( où les faiblesses s'étaient surtout manifestées par une remise en cause des organes centraux et de la centralisation. A l'heure actuelle, la plupart des difficultés affrontées par les sections ne sont pas directement liées à la question de la centralisation mais bien plus à la question du tissu organisationnel, à la place et aux responsabilités des militants au sein de l'organisation. Et même lorsque les difficultés concernent des problèmes de centralisation, comme dans la section en France, elles renvoient au problème précédent. C'est pour cela que, dans l'examen des différents aspects du rapport de 1982, il est préférable de commencer par la dernière partie (le point 12) qui touche justement les rapports entre organisation et militants.
3.1. Les rapports entre organisation et militants
a) Le poids de l'individualisme
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«Une condition fondamentale de l'aptitude d'une organisation à remplir ses tâches dans la classe est une compréhension correcte en son sein des rapports qui s'établissent entre les militants et l'organisation. C'est là une question particulièrement difficile à comprendre à notre époque, compte tenu du poids de la rupture organique avec les fractions du passé et de l'influence de l'élément estudiantin dans les organisations révolutionnaires après 68 qui ont favorisé la résurgence d'un des boulets du mouvement ouvrier du 19e siècle : l'individualisme.» (Rapport de 1982, point 12)
Il est clair qu'à ces causes, depuis longtemps identifiées, de la pénétration de l'individualisme dans nos rangs, il est nécessaire d'ajouter aujourd'hui le poids de la décomposition qui favorise en particulier l'atomisation et le «chacun pour soi». Il importe que toute l'organisation soit bien consciente de cette pression constante que le capitalisme pourrissant exerce sur les têtes des militants, une pression qui ne pourra aller, tant que ne sera pas ouverte une période révolutionnaire, qu'en augmentant. En ce sens, les points qui suivent, et qui répondent à des difficultés et dangers déjà rencontrés dans l'organisation par le passé, gardent toute leur validité, et sont même encore plus valables, aujourd'hui. Cela ne doit pas évidemment nous décourager mais au contraire nous encourager à une vigilance encore accrue à l'égard de ces difficultés et de ces dangers.
b) La «réalisation» des militants
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Le même rapport qui existe entre un organisme particulier (groupe ou parti) et la classe existe entre l'organisation et le militant. Et de même que la classe n 'existe pas pour répondre aux besoins des organisations communistes, de même celles-ci n'existent pas pour résoudre les problèmes de l'individu militant. L'organisation n'est pas le produit des besoins des militants. On est militant dans la mesure où on a compris et adhéré aux tâches et à la fonction de l'organisation. «Dans cet ordre d'idées, la répartition des tâches et des responsabilités dans l'organisation ne vise pas une «réalisation» des individus-militants. Les tâches doivent être réparties de sorte que l'organisation comme un tout puisse fonctionner de façon optimale. Si l'organisation veille, autant que possible au bon état de chacun de ses membres, c'est avant tout dans l'intérêt de l'organisation. Cela ne veut pas dire que soient ignorés l'individualité du militant et ses problèmes, mais signifie que le point de départ et le point d'arrivée sont l'aptitude de l'organisation à accomplir sa tâche dans la lutte de classe.»
C'est un point que nous ne devons jamais oublier. Nous sommes au service de l'organisation et non le contraire. En particulier, celle-ci n'est pas une sorte de clinique chargée de guérir les maladies, notamment psychiques, dont peuvent souffrir ceux qui y adhèrent. Cela ne veut pas dire que le fait de devenir militant révolutionnaire ne puisse pas contribuer à relativiser, sinon dépasser, des difficultés personnelles que chacun traîne dans ses bagages. Bien au contraire, devenir un combattant du communisme signifie qu'on a donné un sens profond à son existence, un sens bien supérieur à tout ce qui peut être apporté par d'autres aspects de la vie (réussite «professionnelle» ou «familiale», procréation et éducation d'un enfant, création scientifique ou artistique, toutes satisfactions dont chaque humain peut être privé et qui est interdite, de toutes façons, à la plus grande partie de l'humanité). La plus grande satisfaction que puisse éprouver un être humain dans sa vie est d'apporter une contribution positive au bien de ses semblables, de la société et de l'humanité. Ce qui distingue le militant communiste, et donne un sens à sa vie, c'est qu'il est un maillon de la chaîne qui va jusqu'à l'émancipation de l'humanité, son accession au «règne de la liberté», une chaîne qui subsiste après sa propre disparition. De fait, ce que chaque militant peut aujourd'hui accomplir est incomparablement plus important que ce que peut réaliser le plus grand savant, que celui qui découvrira le remède au cancer ou une source inépuisable d'énergie non polluante. En ce sens, la passion qu'il apporte à son engagement est celle qui doit le mieux lui permettre de dépasser et surmonter les difficultés que chaque être humain est susceptible de rencontrer.
C'est pour cela que, face aux difficultés particulières que peuvent rencontrer des membres de l'organisation, l'attitude que celle-ci doit adopter est avant tout politique et non psychologique. Il est clair que les données psychologiques peuvent être prises en compte pour affronter tel ou tel problème pouvant affecter un militant. Mais cela doit se faire dans le cadre d'une démarche organisationnelle et non l'inverse. Ainsi, lorsqu'un membre de l'organisation est sujet à des défaillances fréquentes dans l'accomplissement de ses tâches, il est nécessaire que celle-ci se comporte à son égard fondamentalement de façon politique et en accord avec ses principes de fonctionnement, même si, évidemment. elle se doit de savoir reconnaître les spécificités de la situation dans laquelle se trouve le militant en question. Par exemple, lorsque l'organisation se trouve confrontée au cas d'un militant qui se laisse aller à l'alcoolisme, son rôle spécifique n'est pas de jouer au psychothérapeute (rôle pour lequel elle n'a d'ailleurs aucune qualification particulière et dans lequel elle risque de se comporter en «apprenti sorcier») mais de réagir sur le terrain qui est le sien :
- mise en évidence et discussion du problème en son sein et avec le militant concerné ;
- interdiction d'utiliser des boissons alcoolisées dans les réunions et activités de l'organisation ;
- obligation pour chaque militant d'arriver serein à celles-ci.
L'expérience a amplement montré que c'est le meilleur moyen de surmonter ce type de problème.
C'est aussi pour les raisons évoquées plus haut que l'engagement militant n'a pas à être vécu comme une routine comme celle que l'on rencontre sur son lieu de travail, même si certaines des tâches qu'il est nécessaire d'accomplir ne sont pas enthousiasmantes en soi. En particulier, s'il est nécessaire que l'organisation veille à répartir ces tâches, comme toutes les tâches en général, de la façon la plus équitable possible, afin que certains ne soient pas accablés de travail alors que d'autres n'ont pratiquement rien à faire, il importe aussi que chaque militant bannisse de sa pensée et de son comportement toute attitude de «victime», de lamentation envers les «mauvais traitements» ou la «surcharge de travail» que lui infligerait l'organisation. Le grand silence qui, bien souvent, dans certaines sections, fait suite à la demande de volontaires pour accomplir telle ou telle tâche est quelque chose de choquant et de démoralisant, notamment pour les jeunes militants ([10]).
c) Les différents types de tâches et le travail dans les organes centraux
- «Il n’existe pas dans l'organisation des lâches «nobles» et des taches «secondaires» ou «moins nobles». Le travail d'élaboration théorique comme la réalisation de tâches pratiques, le travail au sein des organes centraux comme le travail spécifique des sections locales, sont tous aussi importants pour l'organisation et ne sauraient, de ce fait, être hiérarchisés (c'est le capitalisme qui établit de telles hiérarchies). C'est pour cela qu'est parfaitement à rejeter, comme bourgeoise, l'idée suivant laquelle la nomination d'un militant dans un organe central constituerait pour lui une «ascension», l'accession à un «honneur» ou à un privilège. L'esprit de carriérisme doit être résolument banni de l'organisation comme totalement opposé au dévouement désintéressé qui est l'une des caractéristiques dominantes du militantisme communiste.»
Cette affirmation ne s' applique pas seulement à la situation que vivait le CCI en 1981 mais est d'une portée générale, valable en permanence ([11]). D'une certaine façon, les phénomènes de contestation auxquels est confronté le CCI de façon régulière sont souvent liés à une conception "pyramidale", "hiérarchique" de l'organisation qui est la même que celle qui voit dans l'accession à des responsabilités dans les organes centraux une sorte de "but à atteindre" pour chaque militant (l'expérience a montré que les anarchistes font très souvent d'excellents - si l'on peut dire - bureaucrates). De même, il n'est que de voir la répugnance qui existe dans l'organisation à dégager un militant de ses responsabilités au sein d'un organe central, ou du traumatisme qu'une telle mesure provoque lorsqu'elle est adoptée, pour se rendre compte qu'il ne s'agit pas d'un faux problème. Il est clair que de tels traumatismes sont un tribut direct payé à l'idéologie bourgeoise. Mais il ne suffit pas d'en être parfaitement convaincu pour être en mesure d'y échapper totalement. Face à une telle situation, il importe que l'organisation et ses militants veillent à combattre tout ce qui peut favoriser la pénétration d'une telle idéologie :
- les membres des organes centraux ne doivent bénéficier, ni accepter, aucun «privilège» particulier, notamment de se soustraire aux tâches et à la discipline valables pour les autres membres de l'organisation ;
- il leur appartient, dans leur comportement, leurs attitudes, leur façon de s'exprimer, de veiller à ne pas «faire sentir» aux autres militants leur appartenance à tel ou tel organe central : cette appartenance n'est pas un galon qu'on arbore de façon ostentatoire et arrogante mais une tâche spécifique qu'il s'agit d'assumer avec le même sens des responsabilités et la même modestie que toutes les autres ;
- il n'existe pas une «promotion à l'ancienneté» au sein des organes centraux, une sorte de «plan de carrière» comme dans les entreprises ou administrations bourgeoises où l'employé est convié à gravir, l'un après l'autre, tous les échelons de la hiérarchie ; au contraire, l'organisation, afin de préparer son avenir, doit se préoccuper de confier des responsabilités, même au niveau le plus global, à de jeunes militants dès lors qu'a été identifiée leur capacité à assumer de telles responsabilités (on peut rappeler que Lénine avait proposé d'intégrer Trotsky, alors âgé de 22 ans, à la rédaction de l'Iskra, ce dont n'a pas voulu le «vieux» Plekhanov» : on sait ce que sont devenus les uns et les autres) ;
- si, pour les besoins de l'organisation, il est nécessaire ou utile de remplacer un militant dans un organe central, cela ne doit pas être vécu ou présenté comme une sanction contre ce militant, comme une sorte de «dégradation» ou de perte de confiance à son égard : le CCI ne se revendique pas, à l'instar des anarchistes, de la rotativité des charges ; il ne préconise pas non plus le maintien à vie des personnes aux mêmes responsabilités, comme à l'Académie française ou à la direction du parti communiste chinois.
d) Les inégalités entre militants
«S'il existe effectivement, surtout entretenues et renforcées par la société de classes, des inégalités d'aptitudes entre individus et entre militants, le rôle de l'organisation n'est pas, à l'image des communautés utopistes, de prétendre les abolir. L'organisation se doit de renforcer au maximum la formation et les aptitudes politiques de ses militants comme condition de son propre renforcement, mais elle ne pose jamais le problème en terme d'une formation scolaire individuelle de ses membres, ni d'une égalisation de ces formations.
La véritable égalité qui peut exister entre militants est celle qui consiste, pour chacun d'eux, à donner le maximum de ce qu'ils peuvent donner pour la vie de l'organisation («de chacun selon ses moyens», formule de Saint-Simon reprise par Marx). La véritable «réalisation» des militants, en tant que militants, consiste à tout faire de ce qui est de leur ressort pour que l'organisation puisse réaliser les tâches pour lesquelles la classe l'a faite surgir. »
Les sentiments de jalousie, de rivalité, de concurrence ou bien de "complexes d'infériorité" qui peuvent apparaître entre militants, et liés à leurs inégalités, sont typiquement des manifestations de la pénétration de l'idéologie dominante dans les rangs de l'organisation communiste ([12]). Même s'il est illusoire de penser qu'on pourrait chasser complètement de tels sentiments de la tête de tous les membres de l'organisation, il importe cependant que chaque militant ait en permanence le souci de ne pas se laisser dominer ou conduire par de tels sentiments dans son comportement et il appartient à l'organisation de veiller à ce qu'il en soit ainsi.
Les démarches contestataires sont souvent le résultat de tels sentiments et frustrations. En effet, la contestation, qu'elle s'applique aux organes centraux ou à certains militants supposés avoir «plus de poids» que d'autres (comme justement les membres de ces organes) est typiquement la démarche de militants ou de parties de l'organisation qui se sentent «complexés» vis-à-vis des autres. C'est pour cela qu'elle prend en général la forme d'une critique pour la critique (et non pas en fonction de ce qui est dit ou fait), à l'égard de ce qui peut représenter "l'autorité" (c'est le comportement classique de l'adolescent qui fait sa «révolte contre le père»). Comme manifestation de l'individualisme, la contestation est l'exact symétrique de cet autre manifestation de l'individualisme que constitue l'autoritarisme, le «goût du pouvoir» ([13]). II faut noter que la contestation peut également prendre des formes "muettes", qui ne sont pas moins dangereuses que les autres, au contraire, puisque plus difficiles à mettre en évidence. Elle peut également s'exprimer dans une démarche visant à prendre la place de celui (militant ou organe central) qu'on conteste : en se substituant à lui on espère mettre fin aux complexes qu'on avait à son égard.
Un autre aspect auquel il sera important de veiller dans une période où vont arriver de nouveaux camarades, c'est les témoignages d'hostilité de la part des anciens militants craignant que les nouveaux venus ne leur «fassent de l'ombre», surtout si ces derniers manifestent d'emblée des capacités politiques importantes. Ce n'est pas un faux problème : il est clair qu'une des raisons majeures de l'hostilité de Plekhanov à l'entrée de Trotsky dans la rédaction de l' Iskra, était la crainte que son propre prestige ne soit affecté par l'arrivée de cet élément extrêmement brillant ([14]). Ce qui était valable au début du siècle l'est encore plus dans la période actuelle. Si l'organisation (et ses militants) n'est pas capables de chasser, ou au moins neutraliser, ce type d'attitudes, elle ne sera pas capable de préparer son futur et celui du combat révolutionnaire.
Enfin, concernant la question de la «formation scolaire individuelle» évoquée dans le rapport de 1982, il importe également de préciser que l'entrée dans un organe central ne saurait être en aucune façon considérée comme un moyen de «formation» des militants. Le lieu où se forment les militants est leur activité au sein de ce qui constitue «l'unité de base de l'organisation» (statuts), la section locale. C'est fondamentalement dans ce cadre qu'ils acquièrent et perfectionnent, en vue d'une meilleure contribution à la vie de l'organisation, leurs capacités en tant que militants (que ces capacités concernent les questions théoriques, organisationnelles ou pratiques, le sens des responsabilités, etc.). Si les sections locales ne sont pas en mesure de jouer ce rôle, c'est que leur fonctionnement, les activités et discussions qui s'y mènent ne sont pas à la hauteur de ce qu'ils devraient être. S'il est nécessaire que l'organisation puisse régulièrement former de nouveaux militants aux tâches spécifiques qui sont celles des organes centraux ou des commissions spécialisées (par exemple pour être en mesure de faire face à des situations de neutralisation de ces organes du fait de la répression), ce n'est nullement dans le but de satisfaire un quelconque «besoin de formation» des militants concernés mais bien pour lui permettre à elle, comme un tout, de faire face à ses responsabilités.
e) Les rapports entre militants
- «Les rapports qui se nouent entre les militants de l'organisation, s'ils portent nécessairement les stigmates de la société capitaliste... ne peuvent être en contradiction flagrante avec le but poursuivi par les révolutionnaires... Ils s'appuient sur une solidarité et une confiance mutuelles qui sont une des marques de l'appartenance de l'organisation à la classe porteuse du communisme» (Extrait de la plate forme du CCI repris dans le rapport)
Cela signifie en particulier que l'attitude des militants les uns envers les autres doit être marquée par la fraternité et non l'hostilité. En particulier :
- l'application d'une démarche non pas «psychologique» mais politique et organisationnelle envers un militant qui éprouve des difficultés ne doit nullement être comprise comme le fonctionnement d'une mécanique impersonnelle ou administrative ; l'organisation et les militants doivent savoir faire preuve, dans de telles circonstances, de leur solidarité, tout en sachant que fraternité ne signifie pas complaisance ;
- le développement de sentiments d'hostilité de tel militant envers tel autre au point qu'il en vienne à le considérer comme un ennemi est le témoignage qu'a été perdu de vue ce qui fait la raison d'être de l'organisation, la lutte pour le communisme ; c'est le signe qu'il est nécessaire de se réapproprier ce fondement de base de l'engagement militant.
En dehors de ce cas extrême, qui n'a pas sa place dans l'organisation, il est clair que les inimitiés ne peuvent jamais disparaître totalement du sein de celle-ci. Dans ce dernier cas, i1 convient de faire en sorte que le fonctionnement de l'organisation ne favorise pas, mais au contraire tende à atténuer ou neutraliser, de telles inimitiés. En particulier, la nécessaire franchise qui doit exister entre camarades de combat, n'est nullement synonyme de rudesse ou de manque d'égards. De même, les injures doivent être proscrites absolument dans les relations entre militants.
Cela dit, l'organisation ne doit pas se concevoir comme un «groupe d'amis», ou comme un rassemblement de tels groupes ([15]).
En effet, un des graves dangers qui menacent en permanence l'organisation, qui remettent en cause son unité et risquent de la détruire, est la constitution, même si elle n'est pas délibérée ou consciente, de «clans». Dans une dynamique de clan, les démarches communes ne partent pas d'un réel accord politique mais de liens d'amitié, de fidélité, de la convergence d'intérêts «personnels» spécifiques ou de frustrations partagées. Souvent, une telle dynamique, dans la mesure où elle ne se fonde pas sur une réelle convergence politique, s'accompagne de l'existence de «gourous», de «chefs de bande», garants de l'unité du clan, et qui peuvent tirer leur pouvoir soit d'un charisme particulier, pouvant même étouffer les capacités politiques et de jugement d'autres militants, soit du fait qu'ils sont présentés, ou qu'ils se présentent, comme des «victimes» de telle ou telle politique de l'organisation. Lorsqu’une telle dynamique apparaît, les membres ou sympathisants du clan ne se déterminent plus, dans leur comportement ou les décisions qu'ils prennent, en fonction d'un choix conscient et raisonné basé sur les intérêts généraux de l'organisation, mais en fonction du point de vue et des intérêts du clan qui tendent à se poser comme contradictoires avec ceux du reste de l'organisation ([16]). En particulier, toute intervention, prise de position mettant en cause un membre du clan (dans ce qu'il dit ou fait) est ressentie comme un "règlement de compte personnel" avec lui ou avec l'ensemble du clan. De même, dans une telle dynamique, le clan tend souvent à présenter un visage monolithique (il préfère "laver son linge sale en famille") ce qui s'accompagne d'une discipline aveugle, un ralliement sans discussion aux orientations du "chef de bande".
Il est un fait que certains membres de l'organisation peuvent acquérir, à cause de leur expérience, de leurs capacités politiques ou de la justesse, vérifiée par la pratique, de leurs jugements, une autorité plus importante que celle d'autres militants. La confiance que les autres militants leur accordent spontanément, même s'ils ne sont pas immédiatement sûrs de partager leur point de vue, fait partie des choses «normales» et courantes de la vie de l'organisation. Il peut même arriver que des organes centraux, ou même des militants, demandent qu'on leur fasse momentanément confiance alors qu'ils ne peuvent immédiatement produire tous les éléments permettant d'étayer fermement une conviction ou lorsque les conditions d'un clair débat n'existent pas encore dans l'organisation. Ce qui est en revanche «anormal», c'est qu'on soit définitivement en accord avec telle position parce que c'est X qui l'a mise en avant. Même les plus grands noms du mouvement ouvrier ont commis des erreurs. En ce sens, l'adhésion à une position ne peut se baser que sur un accord véritable dont la qualité et la profondeur des débats sont les conditions indispensables. C' est aussi la meilleure garantie de la solidité et de la pérennité d'une position au sein de l'organisation qui ne saurait être remise en cause parce que X a changé d'avis. Les militants n'ont pas à «croire» une fois pour toutes et sans discussion ce qui leur est dit par tel ou tel ou même par un organe central. Leur pensée critique doit être en éveil de façon permanente (ce qui ne veut pas dire qu'ils aient à faire des critiques de façon permanente). Cela confère aussi la responsabilité aux organes centraux, de même qu'aux militants qui ont le plus de «poids», de ne pas utiliser à tout bout de champ et n'importe comment les «arguments d'autorité», Au contraire, il leur appartient de combattre toute tendance au «suivisme», aux accords superficiels, sans conviction et sans réflexion.
Une dynamique de clan peut s'accompagner d'une démarche, qui n'est pas, là on plus, forcément volontaire, de «noyautage», c'est-à-dire de désignation à des positions clés de l'organisation (comme les organes centraux, par exemple, mais pas seulement) de membres du clan ou de personnes qu'on veut gagner à lui. C'est une pratique courante et souvent systématisée au sein des partis bourgeois que l'organisation communiste, pour sa part, doit rejeter fermement. Elle se doit d'être particulièrement vigilante à ce sujet. En particulier si, dans la nomination des organes centraux «il est nécessaire de prendre en compte (...) la capacité [des candidats] à travailler de façon collective» (statuts), il importe aussi de veiller, dans le choix des militants devant travailler dans de tels organes, à favoriser le moins possible l'apparition en leur sein d'une dynamique de clan du fait des affinités particulières ou de liens personnels pouvant exister entre les militants concernés. C'est notamment pour cela que l'organisation évite, autant que possible, de nommer les deux membres d'un couple au sein de la même commission. Un manque de vigilance dans ce domaine peut avoir des conséquences particulièrement nocives, et cela quelles que soient les capacités politiques des militants ou de l'organe comme un tout. Au mieux, l'organe en question, quelle que soit la qualité de son travail, peut être ressenti par le reste de l'organisation comme une simple «bande d'amis», ce qui est un facteur de perte d'autorité non négligeable. Au pire, cet organe peut aboutir à se comporter effectivement comme un clan particulier, avec tous les dangers que cela comporte, ou bien à être totalement paralysé du fait des conflits entre clans en son sein. Dans les deux cas, c'est l'existence même de l'organisation qui peut en être affectée.
Enfin, une dynamique de clan constitue un des terrains sur lesquels peuvent se développer des pratiques plus proches du jeu électoral bourgeois que du militantisme communiste :
- campagnes de séduction auprès de ceux qu'on veut gagner au clan ou dont on sollicite les suffrages ou l'appui pour telle ou telle nomination à des responsabilités spécifiques ([17]) ;
- campagnes de dénigrement à l'encontre de ceux qui peuvent porter ombrage au clan, soit qu'ils occupent des «postes» convoités par des membres de celui-ci, soit simplement qu'ils puissent faire obstacle à ses visées.
La mise en garde contre le danger, au sein des organisations révolutionnaires, de comportements aussi étrangers au militantisme communiste ne saurait être considérée comme un combat contre des moulins à vent. En fait, tout au long de son existence, le mouvement ouvrier a été confronté fréquemment à ce type de comportements, témoignage de la pression dans ses rangs de l'idéologie dominante. Le CCI lui-même n'y a évidemment pas échappé. Croire qu'il serait désormais immunisé contre de telles dérives est du domaine des vœux pieux et non de la clairvoyance politique. Au contraire, le poids croissant de la décomposition, dans la mesure où celle-ci renforce l'atomisation (et, de ce fait, la recherche d'un «cocon»), les démarches irrationnelles, les approches émotionnelles, la démoralisation, ne pourra qu'accroître la menace de tels comportements. Et cela doit nous inciter à être toujours plus vigilants face au danger qu'ils représentent.
Cela ne veut pas dire que doive se développer au sein de l'organisation une méfiance permanente entre les camarades. C'est bien du contraire qu'il s'agit : le meilleur antidote contre la méfiance est justement la vigilance qui permet que ne se développent pas des dérives et des situations qui, elles, sont le meilleur aliment de la méfiance. Cette vigilance doit s'exercer face à tout élément de comportement, à toute attitude qui pourrait aboutir à de telles dérives. En particulier, la pratique des discussions informelles entre camarades, notamment sur des questions touchant à la vie de l'organisation, si elle est inévitable dans une certaine mesure, doit être limitée le plus possible et en tout cas exercée de façon responsable. Alors que le cadre formel des différentes instances de l'organisation, à commencer par la section locale, est celui qui se prête le mieux tant à des agissements et propos responsables qu'à une réflexion consciente et réellement politique, le cadre «informel» est celui qui laisse le plus de place aux attitudes et propos irresponsables de même que marqués par la subjectivité. En particulier, il importe de façon expresse de fermer la porte à toute campagne de dénigrement d'un membre de l'organisation (comme d'un organe central, évidemment). Et une telle vigilance contre des dérapages de ce type doit s'exercer autant envers soi-même qu'envers autrui. Dans ce domaine, comme dans beaucoup d'autres mais plus encore, les militants les plus expérimentés, et particulièrement les membres des organes centraux, se doivent de se comporter de façon exemplaire du fait de l'impact que leurs propos peuvent provoquer. Et c'est encore plus important et grave lorsqu'ils s'adressent à de nouveaux camarades :
- qui, ne connaissant pas bien les militants victimes de dénigrements, peuvent plus facilement prendre ces derniers à la lettre ;
- qui risquent de se mouler dans ce type de comportements ou bien encore d'être écœurés et démoralisés par l'image qu'ils donnent de l'organisation.
Pour conclure cette partie sur les rapports entre l'organisation et les militants, il faut rappeler et souligner que l'organisation n'est pas une somme de militants. Dans sa lutte historique pour le communisme, l'être collectif du prolétariat fait surgir, comme partie de lui-même, un autre être collectif, l'organisation révolutionnaire. Sont des militants communistes ceux qui consacrent leur vie à faire vivre et progresser, à défendre cet être collectif et unitaire que la classe leur a confié. Toute autre vision, notamment celle le l'organisation comme une somme de militants, participe de l'influence de l'idéologie bourgeoise et constitue une menace de mort pour l'organisation.
C'est uniquement à partir de cette vision collective et unitaire de l' organisation qu'on peut comprendre la question de la centralisation.
3.2. La centralisation de l'organisation
Cette question se trouvait au centre du rapport d'activités présenté au 10e congrès international. De plus, les difficultés auxquelles sont confrontées la plupart des sections ne concernent pas directement la question de la centralisation. Enfin, lorsqu'on a compris clairement la question des rapports entre l'organisation et ses militants, il est beaucoup plus facile de comprendre celle de la centralisation. C'est pour cela que cette partie du texte sera moins développée que les précédentes et se composera, en grande partie, d'extraits des textes fondamentaux auxquels seront apportés les commentaires rendus nécessaires par les incompréhensions qui se sont développées ces derniers temps.
a) Unité de l'organisation et centralisation
- «Le centralisme n'est pas un principe abstrait ou facultatif de la structure de l'organisation. C'est la concrétisation de son caractère unitaire. Il exprime le fait que c'est une seule et même organisation qui prend position et agit dans la classe. » (Rapport de 1982, point 3 )
- «Dans les rapports entre les différentes parties de l'organisation et le tout, c'est toujours le tout qui prime. (...) La conception selon laquelle telle ou telle partie de l'organisation peut adopter face à la classe ou à l'organisation des positions ou des attitudes qui lui semblent correctes au lieu de celles de l'organisation qu'elle estime erronées est à proscrire absolument( ...) si l'organisation fait fausse route, la responsabilité des membres qui estiment défendre une position correcte n'est pas de se sauver eux-mêmes dans leur coin, mais de mener une lutte au sein de l'organisation afin de contribuer à la remettre dans `le droit chemin'» (Ibid., point 3)
- «Dans l'organisation, le tout n'est pas la somme des parties. Celles-ci reçoivent délégation pour l'accomplissement de telle activité particulière (publications territoriales, interventions locales, etc.) et sont donc responsables devant l'ensemble de ce mandat qu'elles ont reçu. » (Ibid., point 4)
Ces brefs rappels du rapport de 1982 mettent en évidence toute l'insistance sur la question de l'unité de l'organisation qui constitue l'axe principal de ce document. Les différentes parties de l'organisation ne peuvent se concevoir autrement que comme parties d'un tout, comme délégations et instruments de ce tout. Est-il besoin de répéter une fois encore que cette conception doit être présente en permanence dans toutes les parties de l'organisation ?
Ce n'est qu'à partir de cette insistance sur l'unité de l'organisation que le rapport introduit la question des congrès (sur laquelle il est inutile de revenir ici) et des organes centraux.
- «L'organe central est une partie de l'organisation et, comme tel, il es responsable devant elle lorsqu'elle est réunie en Congrès. Cependant, c'est une partie qui a comme spécificité d'exprimer et de représenter le tout et, de ce fait, les positions et décisions de l'organe central priment toujours sur celles des autres parties de l'organisation prises séparément.» (Ibid.. point 4)
- «... l'organe central est un instrument de l'organisation et non le contraire. Il n'est pas le sommet d'une pyramide suivant une vision hiérarchique et militaire... L'organisation n'est pas formée d'un organe central plus les militants, mais constitue un tissu serré et uni au sein duquel s'imbriquent et vivent toutes ses composantes. Il faut donc plutôt voir l'organe central comme le noyau de la cellule qui coordonne le métabolisme d'une entité vivante.» (Ibid., point 5)
Cette dernière image est fondamentale dans la compréhension de la centralisation. Elle seule, en particulier, permet de comprendre pleinement qu'au sein d'une organisation unitaire il puisse y avoir plusieurs organes centraux ayant des échelles de responsabilité différentes. Si l'on considère l'organisation comme une pyramide, dont l'organe central serait le sommet, nous sommes confrontés à une figure géométrique impossible : une pyramide ayant un sommet et composée par un ensemble de pyramides ayant chacune son propre sommet. Dans la pratique, une telle organisation serait aussi aberrante que cette figure géométrique et ne pourrait pas fonctionner. Ce sont les administrations ou les entreprises bourgeoises qui ont une architecture pyramidale : pour que celles-ci puissent fonctionner, les différentes responsabilités sont nécessairement attribuées de haut en bas. Or ce n'est nullement le cas du CCI qui dispose d'organes centraux élus à différents niveaux territoriaux. Un tel mode de fonctionnement correspond justement au fait que le CCI est une entité vivante (comme une cellule ou un organisme) dans lequel les différentes instances organisationnelles sont des relais d'une totalité unitaire.
Dans une telle conception, qui s'exprime de façon détaillée dans les statuts, il ne doit pas y avoir de conflits, d'oppositions entre les différentes structures de l'organisation. Des désaccords peuvent évidemment surgir, comme partout ailleurs dans celle-ci, mais cela fait partie de sa vie normale. Si ces désaccords débouchent sur des conflits, c'est que, quelque part, cette conception de l'organisation a été perdue, qu'il s'est introduit, notamment, une vision pyramidale laquelle ne peut que conduire à des oppositions entre différents «sommets». Dans une telle dynamique, qui conduit à l'apparition de plusieurs «centres», et donc à une opposition entre eux, c'est l'unité de l'organisation qui est remise en cause, et donc son existence même.
Si elles sont de la plus haute importance, les questions d'organisation et de fonctionnement sont aussi les plus difficiles à comprendre ([18]). Beaucoup plus que pour les autres questions, leur compréhension est tributaire de la subjectivité des militants et elles peuvent constituer, de ce fait, un canal privilégié de pénétration d'idéologies étrangères au prolétariat. Comme telles ce sont des questions qui, par excellence, ne sont jamais acquises définitivement. Il importe donc qu'elles fassent l'objet d'une attention et d'une vigilance soutenues de la part de l'organisation et de tous les militants.( ... )
(14/10/1993)
[1] A l'image de la 2° Internationale et de l'Internationale communiste, le CCI s'est doté d'un organe central international composé de militants de différentes sections territoriales, le Bureau international (BI). Celui-ci se réunit en session plénière régulièrement (BI plénier) et entre ses réunions, c'est une commission permanente, le Secrétariat international (SI), qui assure la continuité de son travail.
[2] «Moins encore que les autres textes fondamentaux du CCI, ceux de la conférence extraordinaire ne sont faits pour être enterrés au fond d'un tiroir ou sous un amas de papiers. Ils devraient constituer une référence constante pour la vie de l'organisation.» (Résolution d'activités du 5e congrès du CCI)
[3] Il ne se privait pas, non plus, de l'épingler fréquemment comme Juif et Allemand deux caractéristiques qu'il détestait : « c’est un recueil (...) de tous les contes absurdes et sales que la méchanceté plus perverse que spirituelle des Juifs allemands et russes, ses amis, ses agents, ses disciples [de Marx]... a propagés et colportés contre nous tous, mais surtout contre moi... (...) Vous rappelez-vous l'article du Juif allemand M. Hess dans le Réveil (...), reproduit et développé par les Borkheim et autres Juifs allemands du Volksstaat ? » (Réponse de Bakounine à la circulaire du Conseil général de mars 1872 sur «Les prétendues scissions dans l'Internationale»). Il faut également noter que Bakounine, que les anarchistes présentent comme une sorte de «héros sans peur et sans reproche», savait faire preuve d'une bonne dose d'hypocrisie et de duplicité. Ainsi, au moment même où il commençait a tisser ses intrigues contre le Conseil général et contre Marx, il écrivait à ce dernier : «Je fais maintenant ce qui, tu as commencé, toi, il v a vingt ans. (...) Ma patrie maintenant c'est l'Internationale, dont tu es l'un des principaux fondateurs. Tu vois donc, cher ami, que je suis ton disciple et que je suis fier de l'étre » (22/12/1868).
[4] Formulation défendue par Lénine : «Est membre du parti quiconque reconnaît son programme et soutient le parti tant matériellement qu'en militant personnellement dans l'une de ses organisations». Formulation proposée par Martov (et adoptée par le Congrès grâce aux voix du Bund) :«Est membre du parti quiconque reconnaît son programme et soutient le parti tant matériellement qu'en travaillant sous le contrôle et la direction d'une de ses organisations»
[5] Il est significatif que ces trois militant, de même d'ailleurs que Plekhanov qui a rejoint les mencheviks quelques mois après le Congrès, ont été des social-chauvins au cours de la guerre et se sont opposés à la révolution en 1917. Seul Martov a adopté une position internationaliste mais il a, par la suite, pris position contre le pouvoir des sovicts.
[6] Voici la réponse du bolchevik Roussov (citée et saluée par Lénine dans «Un pas en avant, deux pas en arrière») : «Dans la bouche des révolutionnaires on entend des discours singuliers qui se trouvent en désaccord bien net avec la notion du travail du Parti, de l'éthique du Parti . (...) En nous plaçant à ce point de vue étranger au Parti, à ce point de vue petit-bourgeois, nous nous trouverons à chaque élection devant la question de savoir si Petrov ne se formaliserait pas de voir qu'à sa place a été élu lvanov (...) Où donc, camarades, cela va-t-il nous mener ? Si nous nous sommes réunis là, non pas pour nous adresser mutuellement d'agréables discours, ou échanger d'affables politesses mais pour créer un parti, nous ne pouvons aucunement accepter ce point de vue. Nous avons à élire des responsables et il ne peut être question ici de manque de confiance en tel ou tel non élu ; la question est de savoir seulement si c'est dans l'intérêt de la cause et si la personne élue convient au poste pour lequel elle est désignée». Dans la méme brochure, Lénine résume ainsi les enjeux de ce débat : «La lutte de l'esprit petit bourgeois contre l'esprit de parti, des pires «considérations personnelles» contre des vues politiques, des paroles pitoyables contre les notions élémentaires du devoir révolutionnaire, voilà ce que fu la lutte autour des six et des trois à la trentième séance de notre congrès.» (les soulignés sont de Léninc)
[7] A plusieurs reprises, certains camarades en désaccord avec les orientations du CCI en matière d'organisation ont affirmé que ce destin systématiquement «tragique» des tendances que nous avions connues révélait une faiblesse de notre organisation, et notamment une politique erronée des organes centraux. Sur cette question, il convient d'apporter les éléments suivants :
- l'apparition d'une tendance (nous parlons d'une vraie tendance basée «sur des positions positives et cohérentes clairement exprimées et non sur une collection de points d'opposition et de récriminations» comme disent les statuts) n'est pas en soi un phénomène «positif» : un tel phénomène est au mieux «la manifestation d'une immaturité de l'organisation» comme le disent également les statuts ;
- le seul caractère positif d'une tendance est de permettre l'élaboration la plus claire et cohérente possible d'une orientation alternative à celle de la majorité de l'organisation lorsqu'il est apparu, au cours des débats dans celle-ci, qu'une telle orientation était en train de se dégager : c'est pour cela que, en général, les tendances se constituent a l'approche des congrès en vue de présenter, sur un ou plusieurs points à l'ordre du jour, des textes ou amendements défendant une orientation différente de celle qui figure dans les documents soumis au congrès par l'organe central ;
- en ce sens, une tendance est d'autant plus nécessaire que l'orientation donnée par l'organe central est erronée ou insuffisante. Or, jusqu'à présent, si les organes centraux du CCI (et notamment le BI) ont pu commettre des erreurs, celles-ci ont été, en général, assez limitées et/ou corrigées par les organes centraux eux-mêmes assez rapidement ;
- ce dernier constat, qui s'applique au passé, ne doit pas être compris comme la garantie d'une sorte «d'infaillibilité» de ces organes centraux pour le futur : il est au contraire de la responsabilité de l'ensemble de l'organisation et de tous les militants d'exercer en permanence leur vigilance à l'égard des orientations, prises de positions et activités des organes centraux ;
- en conséquence, on ne peut dire que ce soit une preuve de faiblesse spécifique des organes centraux si l'organisation n'a pas connu jusqu'à présent de tendance digne de ce nom ;
- cependant, ce fait révèle effectivement l'existence dans l'ensemble de l'organisation d'un certain nombre d'incompréhensions et de faiblesses, et notamment une certaine superficialité dans l'accord donné aux orientations élaborées par le CCI lors de ses congrès et réunions territoriales ; c'est un problème qui a été souvent soulevé par les organes centraux dans leurs rapports d'activités, mais il n'est pas dans leur capacité de le résoudre par eux-mêmes ; c'est à l'ensemble de l'organisation et à tous les militant qu'il appartient de le faire.
[8] MC était un camarade qui était militant depuis la vague révolutionnaire qui a suivi la première guerre mondiale. Il avait été exclu du parti communiste français à la fin des années 20 comme oppositionnel de gauche et avait milité dans différentes organisations de la Gauche communiste, notamment la Fraction italienne de celle-ci à partir de 1938. II était le principal fondateur de la Gauche communiste de France, ancêtre politique du CCI. Il est mort en décembre 1990 (voir à son sujet l'article que nous avons publié dans la Revue internationale n' 65 et n° 66).
[9] «Ce n'est pas Chénier qui fonde la tendance et la crise, mais c'est la crise latente dans le CCI qui permi à Chénier de là catalyser et manipuler pour des motivations qui, si elles n'ont pu être pleinement mises à jour, tiennent, à la rigueur, plus d'une question de nature pathologique et d'ambition arriviste que de politique. La commission ne peut répondre ni dans un sens ni dans l'autre à la question de savoir- si ses agissements obéissaient à des ordres extérieurs - comme le suggèrent certains témoignages - mais elle peut affirmer fermement que c'est un élément profondément trouble, lâche et hypocrite, parfaitement susceptible de servir n'importe quelle cause visant a détruire de l'intérieur route organisation dans laquelle il parvient à s'infiltrer » (Rapport de la commission d'enquête) Pour les camarades qui n'ont pas connu cette période de la vie du CCI, on peut donner quelques illustrations assez significatives du comportement et de la personnalité de Chénier :
- en coulisse et dans ses correspondances secrètes, il montait la tête des camarades et les poussait à «aller au feu» dans les réunions de l'organisation alors que lui-même était particulièrement modéré et conciliant dans ces mêmes réunions, avec les membres de l'organisation il se montrait toujours très fraternel, charmant même, soit parce qu'il voulait les enrôler dans sa tendance, soit parce qu'il tentait de dissiper toute méfiance de la part de ceux sur qui, en coulisse, il faisait courir les pires calomnies ;
- il «utilisait» les femmes comme instruments de ses manœuvres : il a poussé sa compagne K dans les bras de JM, membre fondateur de WR et ayant une grosse influence parmi les camarades de la section ; jouant sur la fibre affective, il a envoyé des consignes à K pour qu'elle se fasse le relais de ses manœuvres ; de même, il a séduit Jo, excompagne de JM, qui est venue le rejoindre à Lille, qu'il a mise a contribution (notamment pour traduire en anglais ses documents publics ou secrets et comme «agent d'influence» auprès de ses amis en Grande-Bretagne) et qu'il a jetée immédiatement à la rue dès qu'il n'a plus eu besoin d'elle, c'est-à-dire lorsqu'a été déjouée sa tentative de «putsch» dans la section en Grande-Bretagne.
Voilà quel genre de personnage le CCI avait eu la faiblesse, par manque de vigilance, de laisser entrer dans ses rangs. Il faut noter que cet élément était devenu membre de la CE de RI et il n'est pas absurde de penser que, s'il ne s'était pas démasqué aussi rapidement, il aurait même pu devenir membre du BI.
[10] Dans un texte écrit en 1980 le camarade MC soulevait déjà cette question :«Je ne voudrais pas m'attarder sur ce type de récrimination, car plus que navrant je le trouve indécent. Quand un connait un tant soit peu ce qu'était la vie des militants révolutionnaires, non seulement dans des moments comme la guerre ou la révolution, mais la vie contrainte, « normale », quand on pense par exemple ce qu'était la vie des militants de la Fraction Italienne dans les années 30, tous des émigrés dont une bonne partie, expulsés, illégaux, ouvriers non qualifiés, chômeurs et toujours sans travail et résidence instables, avec des enfants (sans pouvoir trouver aucun appui et soutien de la famille au loin), qui, souvent ne mangeaient pas à leur faim, ces militants qui poursuivaient dans ces conditions 20-30-40 ans leur activité... on ne peut entendre les plaintes et récriminations de certaines « critiques », que les trouver purement et simplement indécentes. Au lieu de jérémiades, nous devrions plutôt prendre conscience que le groupe et les militants vivent actuellement dans des conditions exceptionnellement favorables. Nous n'avons, jusqu'à présent, connu ni la répression, ni l'illégalité, ni le chômage, ni des difficultés matérielles majeures. C’est pour cela qu'aujourd'hui plus encore que dans d'autres conditions le militant n'a pas à présenter de réclamations de caractère personnel, mais d'avoir toujours à cœur d'offrir le maximum de ce qu'il peut donner, sans même attendre d'y être invité.» (MC, «L'organisation révolutionnaire et les militants», 1980)
[11] «Il est insensé de voir dans la nomination de camarades à des commissions on ne sait quelle «ascension » et de la considérer comme un honneur et un privilège. Etre nommé dans une commission est une charge et des responsabilités supplémentaires, et nombreux sont les camarades qui souhaiteraient s'en libérer. Et tant que celu n'est pas possible, il importe qu'ils les accomplissent le plus consciencieusement possible. Il est trés important de veiller à ne pas laisser remplacer la vraie question de savoir «s'ils accomplissent bien les tâches qui leur ont été confiées» par cette autre fausse question, typiquement gauchiste : « la course aux postes honorifiques» (MC, 1980)
[12] «la vision prolétarienne est tout autre. Parce qu'elle est une classe historique et la dernière classe de l'histoire, sa vision tend d'emblée à être globale et dans celle-ci les divers phénomènes ne sont que des aspects, des moments d'un tout. C’est pourquoi la militance prolétarienne n'est pas conditionnée par : «quelle place j'occupe moi», ni motivée par l'ambition individuelle qu'elle soit légitime ou non. Qu'il soit en train d'écrire ou de se creuser les méninges sur une question théorique, ou qu'il soit en train de taper à la machine, ou tirer un tract, ou manifester dans la rue, ou diffuser le journal que d'autres camarades ont écrit, il est toujours le même militant, parce que l'action à laquelle il participe est toujours politique et quelle que soit la pratique particulière, elle relève d'une option politique et exprime sort appartenance à cette unité, à ce corps politique : le groupe politique.» (MC, 1980)
[13] «Ce n'est pas seulement la division de fait entre travail théorique et travail pratique, entre théorie et pratique, entre direction qui décide et base qui exécute, qui est la maniféstation de la division de la société en classes antagonistes, mais également l'obsession qui fait de ce fait un axe central de la préoccupation, exprime qu'on n'est pas parvenu à dépasser ce plan, qu'on se situe encore sur le même terrain en retournant simplement la médaille à l'envers, mais en la conservant.» (MC, 1980)
[14] C'était la preuve que Plekhanov commençait a être gagné par l'idéologie bourgeoise (lui qui avait écrit un livre excellent sur «Le rôle de l'individu dans l'histoire») : en fin de compte, la différence d'attitude de Lénine et de Plekhanov sur cette question préfigurait, d'une certaine façon, l'attitude qu'ils auraient, par la suite, face à la révolution du prolétariat.
[15] «C’est dans la dernière moitié des années 60 que se constituent de petits noyaux, de petits cercles d'amis, dont les éléments sont pour la plupart très jeunes, sans aucune expérience politique, vivant dans le milieu estudiantin. Sur le plan individuel leur rencontre semble relever d'un pur hasard. Sur le plan objectif - le seul où l'on peut trouver une explication réelle - ces noyaux correspondent à la fin de la reconstruction de l'après-guerre, et des premiers signes que le capitalisme rentre à nouveau dans une phase aiguë de sa crise permanente, faisant resurgir la lutte de classes. En dépit de ce que pouvaient penser les individus composant ces noyaux, s'imaginant que ce qui les unissait était leur affinité objéctive, l'amitié, l'envie de réaliser ensemble leur vie quotidienne, ces noyaux ne survivront que dans la mesure où ils se politiseront, où ils deviendront des groupes politiques, ce qui ne peut se faire qu'en accomplissant et assumant consciemment leur destinée. Les noyaux qui ne parviendront pas à cette conscience seront engloutis et se décomposeront dans le marais gauchiste, moderniste ou se disperseront dans la nature. Telle est notre propre histoire. Et c'est non sans difficultés que nous avons suivi ce processus de transformation d'un cercle d'amis en groupe politique, où l'unité basée sur l'affectivité, les sympathies personnelles, le même mode de vie quotidienne doit laisser la place à une cohésion politique et une solidarité basée sur une conviction que l'on est engagé dans un même combat historique : la révolution prolétarienne.» (...) «On ne doit pas confondre l'organisation politique que nous sommes avec les « communautés» si chéries dans le mouvement étudiant, dont la seule raison d'être est l'illusion que quelques individus, mal dans leur peau, peuvent, ensemble, se soustraire aux contraintes que la société décadente impose, et « réaliser » ainsi mutuellement leur vie personnelle.» (MC, 1981)
[16] «... dans une organisation bourgeoise, l'existence de divergences est basée sur la défense de telle on telle orientation de gestion du capitalisme, ou plus simplement sur la défense de tel ou tel secteur de la classe dominante ou de telle ou telle clique, orientations ou intérêts qui se maintiennent de façon durable et qu'il s'agit de concilier par une «répartition équitable» des postes entre représentants. Rien de tel dans une organisation communiste ou les divergences n'expriment nullement la défense d'intérêts matériels, personnels ou de groupes de pression particuliers, mais sont la traduction d'un processus vivant et dynamique de clarification des problèmes qui se posent à la classe et sont destinés, comme tels, à être résorbés avec l'approfondissement de la discussion et à la lumière de l'expérience.» (Rapport de 1982, point 6)
[17] Sur cette question, il importe que la pratique des invitations à des repas ou à des rencontres «privées» soit mise en oeuvre avec sens des responsabilités. Se réunir entre camarades autour d'un bon repas peut constituer une bonne occasion de renforcer les liens entre membres de l'organisation, de développer les sentiments de fraternité entre eux, de surmonter l'atomisation que la société d'aujourd'hui engendre (notamment parmi les camarades plus isolés). Cependant, il est nécessaire de veiller a ce que cette pratique ne se transforme pas en une «politique de clan» :
- par des invitations sélectives ayant comme objectif de gagner l'amitié et la confiance de ceux qu'on veut l'aire venir dans son clan ou «groupe d'influence» ;
- par des discussions participant à aggraver les clivages au sein de l'organisation, a saper la confiance entre militants ou groupes de militants.
[18] Un révolutionnaire de la taille de Trotsky a, en de nombreuses occasions, montré qu'il ne comprenait pas bien ces questions. C’est tour dire !