Il y a 120 ans le surgissement des soviets en Russie

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Le CCI a jugé important de marquer le 120e anniversaire de ce moment historique de la lutte de la classe ouvrière en organisant une réunion publique en ligne en anglais (ainsi que dans d'autres langues) sur ce thème, afin de mettre en évidence sa pertinence pour la lutte des classes dans la période actuelle.

Nous ne pouvons que déplorer que, une fois de plus, à part Internationalist Voice[1], aucun des autres groupes du milieu politique prolétarien, pourtant invités à participer, n'était présent. En fait, la CWO a programmé sa réunion publique à Londres en même temps que la nôtre, ce qui est particulièrement regrettable alors que la coopération entre les organisations communistes est nécessaire  (dans cet esprit, le CCI a d’ailleurs envoyé  une délégation à cette réunion de la CWO).

Nous rendons compte des discussions de cette réunion, de l’intérêt qu’elles représentent mais aussi des difficultés qu’elles ont rencontrées.

Certains des jeunes camarades présents à la réunion, peu familiers avec les événements discutés, tendaient à se limiter à poser des questions au CCI. Ce n'est pas un problème en soi, dès lors que de telles réunions ne sont pas comprises comme de purs exercices «pédagogiques» mais des moments permettant de stimuler la discussion collective, l’expression des doutes et des désaccords dans le but de clarifier les questions politiques qui se posent à la classe ouvrière. Suite à la tenue de notre réunion, un participant -qui est aussi un proche sympathisant du CCI- nous a fait parvenir une courte contribution écrite mettant en évidence toute l’importance des événements de 1905 en Russie pour la lutte de classe passée, présente et future du prolétariat mondial. Nous en citerons quelques extraits appropriés.

La discussion a permis de clarifier un certain nombre de questions soulevées par notre présentation initiale.

Quelles questions ont été au cœur de la discussion ?

Une nouvelle période dans l'histoire du capitalisme

Un large consensus s’est exprimé sur l’importance historique des événements de 1905 qui ont marqué le début d'une nouvelle période dans l'histoire du capitalisme, celle de la fin de son ascendance, l’amorce de sa décadence, exigeant de nouvelles formes de lutte et d'organisation de la classe ouvrière, en particulier les assemblées générales et surtout le surgissement des conseils ouvrier[2]. Cette période se caractérise par la fusion des dimensions économiques et politiques du mouvement et par l'adoption du programme maximal comme principe de la révolution prolétarienne.

Comme le souligne la contribution qu’un proche contact du CCI ayant participé à la RP nous a transmise par la suite : «La grève générale s'inscrit dans le développement de la lutte historique de la classe ouvrière contre le capitalisme. Il ne s'agissait pas de la «grève générale» prônée par l'anarchisme ou de la lutte pacifique pour des réformes de Kautsky, ni d'une «répétition» de la révolution d'octobre 1917, mais d'une partie du développement politique de la lutte des classes, issue de la maturation souterraine de la conscience de classe face à la transition du capitalisme de sa phase ascendante, généralement progressiste, à celle de sa décadence : «Les choses ont atteint un tel point que l'humanité est aujourd'hui confrontée à deux alternatives : elle peut périr dans le chaos ou trouver le salut dans le socialisme » (Discours de Rosa Luxemburg sur le programme lors du congrès fondateur du KPD)». Certaines questions ont été posées pour savoir si le mouvement de 1905 était, au moins dans une certaine mesure, le produit de conditions spécifiques à la Russie. La même contribution de notre contact rapporte : «Les décennies qui ont précédé les événements de 1905 en Russie ont vu s'accélérer et s'aiguiser les questions concernant le séisme politique qui se préparait : l'Afrique a été entièrement colonisée et morcelée par l'impérialisme en l'espace de vingt ans seulement. Juste avant les années 1900, les tensions entre la Grande-Bretagne et la France au sujet de Fachoda ont failli dégénérer en une guerre majeure entre les deux pays». Si certaines spécificités étaient effectivement présentes telles que la nature arriérée du régime tsariste, le poids des masses paysannes, etc... ce qu’il est important de retenir à propos de 1905, c’est avant tout que ce mouvement a préfiguré les méthodes de lutte et la forme d'organisation appropriées à la lutte des classes dans la phase historique de décadence du capitalisme qui allait suivre, et ce à l'échelle mondiale : à savoir la grève de masse et les soviets. Cela a d'ailleurs été confirmé par de nombreuses luttes ultérieures, durant la première vague révolutionnaire mondiale en particulier en Russie de nouveau en1917 et en Allemagne en 1918-19 notamment, mais également depuis 1968, avec la grève de masse en Pologne en 1980 et le surgissement  d’assemblées générales massives, de comités de grève élus et révocables, les MKS.

Une perspective concrète, celle de la révolution prolétarienne

La nouvelle période historique de la vie du capitalisme ainsi ouverte par les événements de 1905 pose, dans la pratique, la perspective concrète du combat pour la révolution prolétarienne, désormais à l’ordre du jour de l’histoire avec des implications très importantes notamment concernant l’organisation des révolutionnaires.

Comme un camarade l’a alors souligné dans la réunion publique, la scission de 1903 dans la social-démocratie russe met justement en relief la validité de la vision des bolcheviks sur la question de l'organisation politique d’avant-garde du prolétariat, composée de révolutionnaires convaincus et fondée sur des critères stricts d'adhésion et de participation. Celle-ci correspondait aux besoins  et conditions nouvelles de la lutte de la classe ouvrière  à une époque où la révolution prolétarienne devenait partout à l'ordre du jour de l’histoire. Ainsi posée dans la pratique par les événements de 1905, cette question de l’avant-garde révolutionnaire allait devenir une question en débat donnant lieu à un combat politique dans le milieu révolutionnaire.

Un autre camarade a rappelé que l'aile opportuniste de la social-démocratie, incarnée par Kautsky, avait rejeté l'importance de la grève de masse en Russie, précisément en la caractérisant comme étant un produit du retard russe plutôt que comme un précurseur de l'avenir. Face à une telle vision, un autre camarade s’appuyait sur «L'Idéologie allemande» de Marx, citations à l’appui, pour souligner que des développements dans un pays –ici la grève de masse de 1905- peuvent préfigurer une tendance plus générale. Ainsi, si la montée du capitalisme en Grande-Bretagne  préfigurait celle du capitalisme mondial, la grève de masse de 1905 en Russie préfigurait les caractéristiques de la lutte révolutionnaire du prolétariat mondial, comme l’illustra la révolution de 1917 en Russie et 1918-19 en Allemagne[3].

 Le terrain de classe de la lutte du prolétariat

Dans la dernière partie de la réunion, la discussion a bien mis en évidence les liens entre les leçons tirées des évènements de 1905 et la situation présente. Ainsi, en lien avec la discussion sur les mouvements récents de grève en France, il a été posé la question de la distinction entre les caractéristiques des luttes ouvrières et celles des luttes interclassistes[4]. La discussion a permis de clarifier ce qui constitue le terrain de classe de la classe ouvrière avec la défense de revendications économiques, propices au développement de l'identité de classe, à travers des méthodes de lutte propres à la classe ouvrière tendant vers son auto-organisation. À ce propos, la contribution de notre contact souligne : «Au cours de la discussion lors de la réunion, il a été question que les travailleurs devraient s'impliquer davantage dans des mouvements plus larges aujourd'hui afin de faire valoir leurs propres perspectives et d'élargir le mouvement. Mais ce serait une grave erreur qui irait complètement dans la mauvaise direction. Nous avons de bons exemples récents qui montrent que cela est néfaste pour la lutte des classes. Récemment, dans le cadre de la guerre menée par Israël contre Gaza, on a vu des exemples aux États-Unis où les travailleurs ont été dilués dans des mouvements hétérogènes. Plus frappant encore est le cas de l'Italie aujourd'hui, où les travailleurs ont été mobilisés à grande échelle pour soutenir le nationalisme palestinien. Le slogan communiste « les travailleurs n'ont pas de patrie » ne s'applique pas seulement au pays dans lequel ils vivent, mais au poison du nationalisme dans son ensemble.» La discussion a également été claire sur le fait que, dans la période actuelle, la récupération de son identité de classe par le prolétariat était cruciale pour impulser la nécessaire politisation de la lutte.[5]

Concernant le rôle des révolutionnaires dans le mouvement, un camarade a posé une question sur le danger du substitutionnisme tel qu'il s'est manifesté lors de la dégénérescence de la révolution russe. Nous avons souligné que la Gauche communiste, en particulier, avait clarifié cette question à travers ses réflexions sur la révolution russe, et que nos objectifs actuels par rapport aux conseils ouvriers sont fondamentalement les mêmes dans la période actuelle que dans le passé : Défendre la nécessité absolue pour les travailleurs de prendre le contrôle direct de leurs propres luttes dans les assemblées, en tant que classe distincte et seule classe révolutionnaire de la société.

Nous avons également souligné que la bourgeoisie avait beaucoup appris de l'histoire et serait bien mieux armée que la classe dirigeante russe en 1905 pour entraver dans le futur l'émergence d'organes de classe véritablement autonomes, notamment à travers l’encadrement des luttes par ces organes d’État que sont les syndicats et les organisations gauchistes. Une telle situation requiert plus que jamais l’intervention  active de l'organisation révolutionnaire pour orienter l’action politique du prolétariat et favoriser le développement de la conscience dans la classe ouvrière.

Enfin, plusieurs camarades sont intervenus pour exprimer leur accord avec le CCI sur le fait que les luttes qui ont émergé en Grande-Bretagne en 2022 et se sont depuis étendues à plusieurs autres pays -marquant ainsi une rupture avec une longue période de passivité de la classe ouvrière[6]- constituent la base indispensable pour de futures confrontations de classe qui pourront permettre la réappropriation des leçons les plus importantes des luttes passées et ouvrir la voie vers les grèves de masse de l'avenir.

Amos, Décembre 2025


[2] « Une nouvelle époque est née : l’époque de la désagrégation du capitalisme, de son effondrement intérieur. L’époque de la révolution communiste du prolétariat ». Plateforme de l’Internationale Communiste. (Centenaire de la fondation de l’IC: l'internationale de l'action révolutionnaire de la classe ouvrière. Revue internationale 162.)

[4] À propos des luttes interclassistes lire Rapport sur la lutte de classe internationale au 24ème Congrès du CCI; Revue internationale 167.

[5] À propos de la politisation des luttes, lire notre article : Après la rupture dans la lutte de classe, la nécessité de la politisation des luttes ; Revue internationale 171.

[6] Idem

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Rubrique: 

Réunion publique du CCI en anglais le 27 septembre 2025