Le capitalisme menace l'humanité : La révolution mondiale est la seule solution réaliste

Afficher une version adaptée à l'édition sur imprimante

Notre organisation, le Courant Communiste International, a été fondée en janvier 1975, il y a un peu plus d'un demi-siècle. Depuis cette date, le monde a subi d'importants bouleversements et il nous appartient de présenter face au prolétariat un bilan de cette période afin de pouvoir dégager les perspectives qui aujourd'hui se présentent à l’humanité. Ces perspectives sont particulièrement sombres. C'est une réalité qui est ressentie de plus en plus violemment dans les populations, ce qui explique notamment la croissance permanente de la consommation de drogues de toutes sortes et la hausse des suicides, y compris chez les enfants. Même les instances suprêmes de la bourgeoisie mondiale, de l'Organisation des Nations Unies jusqu'au Forum de Davos, qui tous les ans, en janvier, réunit les principaux dirigeants économiques de la planète, sont contraintes d'admettre la gravité des fléaux qui torturent l'humanité et qui menacent de plus en plus son avenir.

Les années 20 du 21e siècle se sont présentées comme celles d'une accélération brutale de la dégradation de la situation du monde avec une accumulation de catastrophes —inondations ou incendies— liées au changement climatique, une accélération de la destruction du vivant, une pandémie qui a tué plus de 20 millions d'êtres humains, le déchaînement de nouvelles guerres de plus en plus meurtrières comme en Ukraine, à Gaza ou en Afrique, particulièrement au Soudan, au Congo et en Éthiopie. Ce chaos mondial a connu une nouvelle étape en janvier 2025 avec la venue au pouvoir de la première puissance mondiale d'un bateleur de foire sinistre, Donald Trump, qui ambitionne de jouer avec le globe terrestre à l'image de Charlie Chaplin dans son film "Le Dictateur".

Ainsi, le présent manifeste ne se justifie pas seulement par le demi-siècle d'existence de notre organisation mais aussi parce que nous devons faire face aujourd'hui à une situation historique d’une extrême gravité : le système capitaliste qui domine la planète est en train de conduire inexorablement la société humaine vers sa destruction. Face à cette perspective abominable, il appartient à ceux qui combattent pour le renversement révolutionnaire de ce système, les communistes, de mettre en avant les arguments historiques, politiques et théoriques afin d'armer la seule force de la société capable de mener à bien cette révolution : le prolétariat mondial. Car, oui, une autre société est possible !

Révolution communiste mondiale ou destruction de l’humanité

La fin du monde ! Cette hantise a été présente pendant les quatre décennies de la "Guerre froide" qui opposait les États-Unis et l'Union "soviétique" et leurs alliés respectifs. Ces deux puissances avaient accumulé suffisamment d'armements nucléaires pour détruire plusieurs fois toute vie humaine sur la Terre et leurs conflits permanents au moyen de leurs vassaux faisaient craindre que ces conflits n'aboutissent à un affrontement direct entre les deux mastodontes avec, finalement, l'emploi de ces armements terrifiants. Pour représenter cette menace de mort qui pesait sur toute l’humanité, l’université de Chicago a d’ailleurs créé en 1947 une Horloge de l’Apocalypse sur laquelle minuit représente la fin du monde.

Mais après 1989, qui a vu s'effondrer un des deux blocs, celui qui se faisait appeler "socialiste", on a vu fleurir des discours sur la "paix" et la "prospérité" de la part des dirigeants de la planète, des journalistes et des "experts" qui tous les soirs viennent étaler sur les plateaux de la télévision leurs préjugés, leur incompétence et leurs mensonges. Menteur en chef, le président américain d’alors, George Bush père, promettait même en 1990 une ère de paix basée sur un "nouvel ordre mondial, où la règle de droit supplantera la loi de la jungle et où le fort respectera les droits des plus faibles". (Discours devant le Congrès des États-Unis, 11 septembre 1990)

Aujourd'hui, ces mêmes personnages nous servent des discours bien différents, conscients qu'ils se ridiculiseraient complètement s'ils continuaient à afficher leur optimisme des décennies précédentes. Car ce n'est plus un secret pour personne que le monde va très mal et l'idée qu'il ait pris le chemin de sa destruction est de nouveau de plus en plus présente dans la société, particulièrement chez les jeunes générations. Comme première cause de cette angoisse, il y a évidemment la destruction de l'environnement qui n'est pas une perspective pour demain mais déjà une réalité d'aujourd'hui. Cette destruction ne prend pas seulement la forme de la crise climatique avec ses "événements extrêmes" que sont les inondations, les tempêtes, les canicules, les sécheresses porteuses de désertification et d'incendies d'une ampleur jamais vue. C'est aussi le vivant qui est menacé d'extinction, avec la disparition accélérée d’espèces, notamment végétales et animales. C'est l'empoisonnement de l'air, de l'eau, des aliments et la menace croissante de pandémies résultant de la destruction des milieux naturels, des pandémies à côté desquelles celle de la Covid du début des années 2020 risque d'apparaître comme une broutille. Et, comme si ces catastrophes ne suffisaient pas à semer assez d’angoisse, s'ajoute maintenant la multiplication des guerres de plus en plus meurtrières dont nous parviennent les images abominables des champs de ruines et des enfants squelettiques de Gaza ou du Soudan. Des images qui rappellent aux plus anciens celles de la terrible famine connue par le Biafra en guerre à la fin des années 1960 et qui fit deux millions de morts.

La fin de la Guerre froide, il y a quatre décennies, n'a pas signifié la fin des guerres. Bien au contraire, la disparition de la discipline qu'imposaient à leurs vassaux les deux superpuissances a ouvert la porte à une multiplication d'affrontements particulièrement meurtriers (plusieurs centaines de milliers de morts en Irak lors des guerres de 1991 et 2003 par exemple). Mais ces affrontements ne s'inscrivaient plus dans le cadre de l'antagonisme entre les deux blocs Est-Ouest et on avait assisté pendant cette période à une réduction significative des dépenses militaires, notamment de la part des grandes puissances. Ce n'est plus le cas aujourd'hui : même s'il n'y a pas eu reconstitution de nouveaux blocs, prélude à une troisième guerre mondiale, les dépenses militaires sont reparties à la hausse de façon spectaculaire. Et les armes qui s'accumulent à nouveau sont faites pour être utilisées comme on le voit en ce moment même en Ukraine, au Liban, à Gaza et en Iran. La sentence bien connue "Si tu veux la paix, prépare la guerre", que les dirigeants du monde nous assènent aujourd'hui avec insistance, s'est toujours révélée fausse. Plus il y aura d'armements et plus les guerres, qui sont inévitables dans un système capitaliste aux abois, seront meurtrières, sèmeront à une échelle toujours croissante la misère, la destruction, la famine, la mort. Et une des caractéristiques de la situation mondiale depuis le début des années 2020 est que les calamités qui s'abattent sur le monde tendent à se combiner de plus en plus, à s'entretenir et à se stimuler les unes les autres en une sorte de tourbillon infernal. C'est ainsi, par exemple, que la fonte des glaciers résultant du réchauffement de la Terre accentue ce réchauffement en favorisant la transformation des rayons lumineux du soleil en chaleur. De même, ce changement climatique et les guerres engendrent de plus en plus de famines à l'origine d'une émigration croissante vers les pays les plus développés. Et cette immigration favorise la montée du populisme xénophobe dans ces pays et l'accession au pouvoir de forces politiques qui ne peuvent qu'aggraver encore plus la situation. C'est notamment le cas sur le plan économique, comme on peut le voir avec la politique de Trump dont les mesures douanières accentuent encore plus l'instabilité du marché mondial et de l'ensemble de l'économie capitaliste, y compris aux États-Unis. Et nous pourrions ainsi passer en revue toutes les crises et catastrophes qui s'abattent sur le monde pour voir à quel point celles-ci ne sont que différentes manifestations d'un chaos généralisé qui, de plus en plus, échappe au contrôle des dirigeants de la planète et entraîne l'humanité vers sa destruction. Depuis, le 28 janvier 2025, l'Horloge de l’Apocalypse de Chicago affiche 23h 58min 31s, le niveau le plus proche de minuit à ce jour.

Face à la catastrophe qui se déploie, face à la menace qui se précise d'une destruction de l'humanité, une partie de la population, particulièrement dans la jeunesse, ne veut pas se soumettre au désespoir général qui envahit la société. On assiste régulièrement à des mobilisations pour le climat, contre la destruction de l'environnement, contre la guerre, mais il est clair que les dirigeants du monde, même lorsqu'ils tiennent des discours écologistes ou pacifistes, s'abstiennent fondamentalement de s'opposer à ces fléaux. Ce qu'on voit aujourd'hui, c'est au contraire une remise en cause générale des petites mesures "vertes" annoncées hier par les gouvernants en même temps que sont démentis jour après jour leurs discours de paix. Et ce n'est pas une question de "bonne" ou de "mauvaise volonté" de ces dirigeants. Certains d'entre eux assument de façon ouverte et cynique leurs politiques criminelles : Poutine et Netanyahou justifient de façon obscène leurs bombardements des populations civiles, Trump se fait, en paroles et en actes, l'avocat du saccage de l'environnement. Cela dit, ce sont tous les gouvernements, quels que soient leurs discours et leur couleur politique, qui mettent en œuvre une augmentation massive des armements et qui amputent de façon répétée les politiques de protection de l'environnement en plus d'attaquer le niveau de vie des travailleurs. Et cela pour des raisons très simples. En premier lieu, face à un effondrement croissant de l'économie capitaliste, la concurrence entre les États ne peut que s'intensifier et ces derniers n'ont d'autre recours, en plus que de réduire le coût de la force de travail, que de s'attaquer aux politiques de protection de l'environnement afin d'être plus compétitifs sur le marché mondial. En second lieu, comme cela s'est toujours vérifié dans le passé, l'aggravation des contradictions économiques du capitalisme débouche sur une intensification des antagonismes militaires.

En fait, si ces mobilisations de la jeunesse contre la destruction de l'environnement et contre la guerre révèlent une préoccupation profonde face à des questions essentielles, elles ne peuvent avoir de poids réel face à la bourgeoisie qui dirige le monde, car elles ne se déterminent pas comme un combat frontal de la seule classe qui puisse menacer la classe dominante, le prolétariat. De ce fait, elles sont une proie toute désignée pour les campagnes démagogiques des partis bourgeois qui visent justement à détourner la classe ouvrière de son combat fondamental contre le capitalisme. Et c'est là le cœur de la situation historique.

En réalité, le système capitaliste est condamné par l'histoire tout comme le furent, en leur temps, le système esclavagiste de l'antiquité et le système féodal du moyen-âge. Comme la société féodale et, avant elle, la société esclavagiste, la société capitaliste est entrée dans une période de décadence. Cette décadence a commencé au début du 20e siècle et a connu sa première grande manifestation avec la Première Guerre mondiale. C'était la preuve que les lois économiques du système capitaliste, qui avaient permis un progrès considérable de la production matérielle au cours du 19e siècle, s'étaient désormais converties en de lourdes entraves qui s'exprimaient par des convulsions croissantes comme la Guerre mondiale ou la crise de 1929. Cette décadence s'est poursuivie tout au long du 20e siècle, notamment avec la Seconde Guerre mondiale, qui résultait de cette crise. Et si l'après-guerre a connu une période de prospérité coïncidant avec la reconstruction, les contradictions économiques du système capitaliste sont revenues à la charge à la fin des années 1960, plongeant le monde dans des convulsions croissantes, avec une succession de crises sur le plan économique, militaire, politique et climatique. Et ces crises ne pourront avoir de solution, car elles résultent des contradictions insurmontables qui affectent les lois économiques du capitalisme. Ainsi, la situation du monde ne pourra que s'aggraver avec un chaos croissant et une barbarie toujours plus effrayante. Voilà le seul futur que puisse nous proposer le système capitaliste.

Faut-il en conclure qu'il n'y a plus d'espoir, que rien, qu'aucune force dans la société ne sera en mesure de s'opposer à ce cours vers la destruction de l'humanité ? Une idée s'impose de plus en plus parmi ceux qui sont conscients de la gravité de la situation : il n'y a pas de solution au sein du système capitaliste, qui domine le monde. Mais alors comment sortir de ce système ? Comment renverser le pouvoir de ceux qui le dirigent ? Comment se frayer un chemin vers une société qui ne connaîtrait plus la barbarie du monde actuel, où les immenses progrès de la science et de la technologie ne seraient plus destinés à fabriquer des engins de mort toujours plus effroyables ou à rendre la terre de plus en plus inhabitable mais seraient, au contraire, mis au service de l'épanouissement des êtres humains ? Une société où seraient abolies les guerres, les injustices, la misère, l'exploitation, l'oppression. Une société où tous les êtres humains pourraient vivre en harmonie, dans la solidarité et non dans la concurrence et la violence. Une société qui n’opposerait plus l’Homme et la nature mais au contraire qui replacerait celui-ci comme une partie de celle-là.

Quand on envisage la possibilité d'une telle société, il ne manque pas d'esprits "réalistes" pour hausser les épaules et tenter de ridiculiser de telles pensées : "ce sont des songe-creux, des contes pour enfants, des utopies". Évidemment, c'est dans les secteurs privilégiés de la société et parmi ceux qui s'en font les défenseurs serviles qu'on trouve les plus fanatiques porte-parole de ce mépris pour ces "idées utopiques", mais il faut bien reconnaître que leur discours influence la grande majorité de la société.

Pour répondre à toutes ces questions concernant l'avenir, il est d'abord nécessaire de se pencher sur le passé.

Retrouver la mémoire de nos luttes passées pour préparer les luttes à venir

Les rêves d'une société idéale où seraient abolies les injustices, où les humains vivraient en harmonie existent depuis très longtemps. On les retrouve notamment dans le christianisme primitif, dans la guerre des paysans en Allemagne au 16e siècle (les anabaptistes autour du moine Thomas Müntzer), dans la révolution anglaise du 17e siècle (les "Diggers" ou "True Levellers") et la révolution française de la fin du 18e siècle (Babeuf et la "Conjuration des Égaux"). Ces rêves étaient utopiques, c'est vrai. Ils ne pouvaient pas se concrétiser car, à ces époques, il n'existait pas les conditions matérielles pour qu'ils puissent se réaliser. C'est le développement de la classe ouvrière en même temps que la révolution industrielle à la fin du 18e siècle et au début du 19e siècle qui fonde la possibilité d'une société communiste sur des bases matérielles solides.

Ces bases ce sont, d'une part, l'énorme abondance des richesses rendue possible par les lois du capitalisme, une abondance permettant potentiellement une pleine satisfaction des besoins humains et, d'autre part, la formidable croissance de la classe produisant l'essentiel de ces richesses, le prolétariat moderne. En effet, seule la classe ouvrière est en mesure de réaliser l'énorme bouleversement que représente l'abolition du capitalisme et l'instauration du communisme. Elle seule dans la société est réellement intéressée à s'attaquer radicalement aux fondements du capitalisme et, en premier lieu, à la production marchande, qui se trouve au cœur de la crise de ce système. Car c'est justement le marché, la domination de la marchandise dans la production capitaliste, qui est à la base de l'exploitation des salariés. Le propre de la classe ouvrière, contrairement à d'autres catégories de producteurs comme les propriétaires agricoles ou les artisans, c'est d'être privée des moyens de production et d'être obligée, pour vivre, de vendre sa force de travail aux détenteurs de ces moyens de production : les capitalistes privés ou bien l'État. C'est parce que, dans le système capitaliste, la force de travail elle-même est devenue une marchandise, et même la principale de toutes les marchandises, que les prolétaires sont exploités. C'est pour cela que la lutte du prolétariat contre l'exploitation capitaliste porte en elle l'abolition du salariat et, partant, l'abolition de toute forme de marchandise. En outre, cette classe produit, dès à présent, l'essentiel des richesses de la société. Elle le fait dans un cadre collectif, grâce au travail associé développé par le capitalisme lui-même. Mais ce système n'a pu poursuivre jusqu'au bout la socialisation de la production qu'il avait entreprise au détriment de la petite production individuelle.

C'est bien là une des contradictions essentielles du capitalisme : sous son règne, la production a acquis un caractère mondial, mais les moyens de production sont restés dispersés entre les mains de multiples propriétaires, patrons privés ou États nationaux, qui se vendent et s'achètent les marchandises produites, et qui sont en concurrence les uns contre les autres. L'abolition du marché passe donc par l'expropriation de tous les capitalistes, par la prise en main collective par la société de l'ensemble de ces moyens de production. Cette tâche, seule la classe qui ne possède aucun moyen de production, alors que c'est elle qui les met en œuvre de façon collective, peut la réaliser.

1917 : la révolution en Russie

À ceux qui continuent d’affirmer que cette lutte révolutionnaire du prolétariat n'est qu'un « doux rêve », il suffit de rappeler la réalité historique. En effet, au milieu du 19e siècle, notamment avec le mouvement chartiste en Angleterre, l'insurrection de juin 1848 à Paris, la fondation en 1864 à Londres de l'Association Internationale des Travailleurs (qui devient rapidement une "puissance" en Europe) et la Commune de 1871, le prolétariat a commencé à faire la preuve qu'il constitue une menace réelle pour la classe capitaliste. Et cette menace s'est ensuite pleinement confirmée avec la révolution de 1917 en Russie et de 1918-23 en Allemagne.

Ces révolutions constituaient une éclatante confirmation de la perspective du Manifeste communiste adopté par la Ligue des communistes en 1848 et rédigé par Karl Marx et Friedrich Engels. Ce document fondamental se concluait ainsi : "Les communistes ne s'abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l'ordre social passé. Que les classes dirigeantes tremblent à l'idée d'une révolution communiste ! Les prolétaires n'y ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à y gagner."

Et en effet, à partir de 1917, les classes dirigeantes, et particulièrement la bourgeoisie, se sont mises à trembler. La force de la vague révolutionnaire internationale, culminant en Russie et en Allemagne, est telle qu’elle contraint les gouvernements à arrêter la guerre. Les ouvriers prennent alors conscience de leur force, ils s’organisent en tant que classe, se rassemblent dans des assemblées générales permanentes, s'organisent en soviets ("conseils" en langue russe), discutent, décident et agissent ensemble. Ils voient naître sous leurs yeux les prémices d'un autre monde possible.

1920-1930-1940-1950 : la contre-révolution

Du côté de la bourgeoisie, face à la possibilité réelle de voir son système d’exploitation être renversé et donc de perdre ses privilèges, c’est l’effroi et la haine. En 1871, alors que le prolétariat de Paris avait pris le pouvoir depuis deux mois, la bourgeoisie française, avec la complicité des troupes prussiennes qui occupaient encore la France, avait déchaîné une répression terrible contre les "communards", une "semaine sanglante" faisant 20,000 morts. Face à la vague révolutionnaire de 1917, c'est la bourgeoisie mondiale et pas seulement celle d'un ou deux pays qui va déchaîner sa haine et sa barbarie. De façon unanime, les dirigeants de tous les pays, même les plus "démocratiques", apportent leur soutien aux armées blanches encadrées par les officiers du régime tsariste déchu, un des plus rétrogrades du monde. Pire, les partis "socialistes", qui avaient déjà trahi le principe prolétarien essentiel de l’internationalisme en participant activement à la Guerre mondiale, touchent le fond de l'ignominie en prenant la tête de la répression de la révolution en Allemagne, provoquant des milliers de morts et l'assassinat de sang-froid des deux figures les plus lumineuses du combat prolétarien : Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht. "Il faut que quelqu’un joue le rôle du chien sanglant. Je n’ai pas peur de la responsabilité" avait d’ailleurs déclaré Gustav Noske, un des dirigeants du Parti social-démocrate (SPD) et ministre de la Défense.

En Russie, les armées blanches ont finalement été vaincues par l'Armée rouge. Mais, en Allemagne, la bourgeoisie est parvenue à écraser dans le sang les tentatives d'insurrection ouvrière, en 1919, 1921 et 1923. La révolution russe s'est retrouvée alors isolée, ce qui ouvrait la voie à la contre-révolution.

Se joue alors le plus grand drame du 20e siècle : en Russie, la contre-révolution n’a pas triomphé de "l’extérieur", par les canons d’une armée étrangère, non, elle a œuvré de "l’intérieur", elle a su dévoyer, écraser, déporter, assassiner en portant un masque rouge, en faisant croire qu’elle était la révolution communiste. C'est en effet de l'État qui avait surgi après le renversement de l’État bourgeois qu'est venue la contre-révolution. Cet État a cessé d'être au service du prolétariat en Russie et dans le reste du monde pour se convertir en défenseur de la nouvelle bourgeoisie d'État qui a succédé à la bourgeoisie classique et qui avait désormais la tâche de poursuivre l'exploitation de la classe ouvrière. C'était une nouvelle confirmation de la perspective mise en avant par les révolutionnaires au milieu du 19e siècle : la révolution communiste ne pourra être que mondiale. Cette perspective était clairement affirmée dans le texte d'Engels "Principes du communisme" qui préparait le Manifeste communiste : "La révolution communiste (...) ne sera pas une révolution purement nationale ; elle se produira en même temps dans tous les pays civilisés (...) Elle exercera également sur tous les autres pays du globe une répercussion considérable et elle transformera complètement et accélérera le cours de leur développement. Elle est une révolution universelle ; elle aura, par conséquent, un terrain universel." C'est un principe qui a été défendu avec vigueur par tous les révolutionnaires du 20e siècle, notamment par Lénine à qui l'on doit cette affirmation on ne peut plus claire : "La révolution russe n'est qu'un détachement de l'armée socialiste mondiale, et le succès et le triomphe de la révolution que nous avons accomplie dépendent de l'action de cette armée. C'est un fait que personne parmi nous n'oublie (...). Le prolétariat russe a conscience de son isolement révolutionnaire, et il voit clairement que sa victoire a pour condition indispensable et prémisse fondamentale, l'intervention unie des ouvriers du monde entier". (23 juillet 1918)

C'est pour cela que la thèse de la "Construction du socialisme dans un seul pays", mise en avant par Staline à partir de 1924, révèle la trahison de celui-ci et du parti bolchevique dont il avait pris la direction. Cette trahison était le premier acte de la terrible contre-révolution qui s'est abattue sur le prolétariat en Russie et à l'échelle internationale. En Russie, nous avons vu Staline et ses complices éliminer les uns après les autres les meilleurs combattants de la révolution de 1917, notamment lors des sinistres "procès de Moscou" en 1936-38 où les prévenus, brisés par la torture et les menaces contre leur famille, s'accusaient eux-mêmes des pires crimes avant d'être abattus d'une balle dans la nuque. En même temps, des millions de travailleurs étaient assassinés ou déportés dans des camps de concentration sans le moindre motif afin d'entretenir un climat de terreur dans la population. En dehors de la Russie, les partis "communistes" stalinisés se sont retrouvés en première ligne du sabotage et même de la répression des luttes ouvrières comme ce fut le cas à Barcelone en mai 1937 alors que le prolétariat de cette ville s'était révolté contre la soumission que lui imposaient de façon croissante les staliniens.

En Allemagne, la part la plus importante de la défense du régime capitaliste avait été assumée par les partis "démocratiques" de la République de Weimar, et particulièrement par le Parti social-démocrate, mais il fallait pour la bourgeoisie infliger une "punition" d'une violence inouïe aux prolétaires de ce pays afin de leur enlever de façon définitive toute envie de se soulever contre l'ordre capitaliste. Et c'est le Parti nazi qui s'est chargé de cette tache immonde avec la cruauté monstrueuse que l'on sait.

Quant aux secteurs "démocratiques" de la bourgeoisie, notamment ceux qui dominaient en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis, ils ont pris leur part dans la contre-révolution d'une façon moins spectaculaire mais tout aussi efficace. Ces secteurs ne se sont pas contentés d'apporter leur soutien à la répression du prolétariat révolutionnaire en Russie et en Allemagne (ainsi la France victorieuse de l'Allemagne en 1918 lui a restitué 16,000 mitrailleuses pour assassiner les ouvriers insurgés). Ce sont les institutions "démocratiques" qui ont servi de marchepied à Hitler pour accéder au pouvoir et c'est la très démocratique Angleterre qui a favorisé en Espagne la victoire de Franco, l'allié d'Hitler et de Mussolini. C'est aussi au cours des années 1930 que les "démocraties" ont apporté une respectabilité au régime stalinien en l'acceptant en septembre 1934 dans la Société des Nations (SDN), un organisme bourgeois que Lénine avait qualifié de "repaire de brigands" lors de sa création en 1919. Une respectabilité qui a été renforcée par la signature en mai 1935 du "traité franco-soviétique d'assistance mutuelle" (dit pacte Laval-Staline).

Ainsi, l'horrible barbarie qui s'est développée au cours des années 1930 avec les régimes stalinien et hitlérien, et avec la complicité des régimes "démocratiques", nous avertit de la fureur sanguinaire qui saisit la classe exploiteuse lorsque sont menacés ses privilèges et son pouvoir sur la société.

Mais au cours des années 1930, le prolétariat, et l'ensemble de la société mondiale, n'avaient pas encore touché le fond. Ces années sont marquées par l'effondrement de l'économie mondiale avec de terribles attaques contre la classe ouvrière mais celle-ci, du fait de la profondeur de sa défaite, n'est pas en mesure de riposter à ces attaques en prenant à nouveau le chemin de la révolution. Bien au contraire, ces années débouchent sur la plus grande tragédie qu'ait vécue la société humaine : la Seconde Guerre mondiale avec ses 60 millions de morts, en majorité des civils, massacrés dans les camps de concentration nazis ou sous les tapis de bombes largués sur les villes des deux côtés. Il n'est pas nécessaire ici de donner une description de cette tragédie : huit décennies après son achèvement, on trouve encore de nombreux ouvrages, articles, programmes de télévision qui nous en fournissent des récits. C'est même tout récemment qu'un film à succès, Oppenheimer, a rappelé un épisode particulièrement atroce de cette période : les bombes atomiques larguées sur le Japon par la "grande démocratie américaine" en août 1945.

Un des aspects les plus terribles de cette guerre, c'est qu'elle n'a pas engendré une réponse du prolétariat comme ce fut le cas au cours de la Première Guerre mondiale. Au contraire, la victoire des Alliés en 1945, présentée comme le triomphe de la civilisation sur la barbarie, de la "démocratie" sur le fascisme, a permis le renforcement des illusions que la bourgeoisie entretient au sein de la classe ouvrière des principaux pays, et en particulier celles sur la "démocratie" présentée comme la forme idéale d'organisation de la société, une organisation qui, au-delà des discours de ses défenseurs, perpétue en réalité l'exploitation des travailleurs, les injustices, l'oppression et les guerres.

Ainsi, après la Seconde Guerre mondiale, la classe dominante a repris les méthodes qui, au cours des années 1930, lui avaient permis de paralyser le prolétariat et de l'embrigader dans la boucherie impérialiste. Avant et après la guerre, une des principales mystifications servies par la bourgeoisie aux prolétaires était de leur présenter leurs défaites comme autant de victoires. C'est sans doute le mythe frauduleux de "l'État socialiste" issu de la révolution en Russie et présenté comme bastion du prolétariat alors qu'il n'était devenu rien d'autre que le défenseur du capital national étatisé, qui a constitué l'arme essentielle, tant d'embrigadement que de démoralisation du prolétariat. Les prolétaires du monde entier en qui l'embrasement de 1917 avait fait naître un espoir immense étaient maintenant invités à soumettre inconditionnellement leurs luttes à la défense de la "patrie socialiste" et à ceux qui commençaient à deviner la nature anti-ouvrière de celle-ci, l'idéologie bourgeoise se chargeait d'inculquer l'idée que la révolution ne pouvait avoir d'autre aboutissement que celui qu'elle avait eu en Russie : l'apparition d'une nouvelle société d'exploitation et d'oppression encore pire que la société capitaliste.

De fait, le monde qui est sorti de la Seconde Guerre mondiale a vu un renforcement de la contre-révolution, non plus principalement sous la forme de la terreur, des assassinats de prolétaires, des camps de concentration, réservés désormais aux États "socialistes" (comme lors des répressions sanglantes en Allemagne de l'Est en 1953, en Hongrie en 1956, en Pologne en 1970) mais sous la forme beaucoup plus sournoise d'une emprise idéologique de la bourgeoisie sur les exploités, une emprise favorisée par l'amélioration momentanée de la situation économique lors de la reconstruction d'après-guerre.

Mais comme dit la chanson La semaine sanglante écrite après la répression de la Commune de Paris par le communard Jean-Baptiste Clément (également auteur du "Temps des cerises") : "Les mauvais jours finiront". Et les "mauvais jours" de la totale domination idéologique de la bourgeoisie se sont achevés en mai 1968.

1968 : la reprise du combat prolétarien

L'immense grève de Mai 68 en France (alors la plus grande grève de toute l'histoire du prolétariat mondial) est le symbole de la reprise des luttes ouvrières et de la fin de la contre-révolution. Car Mai 68 n'est pas une "affaire française", c'est la première réponse d'envergure apportée par le prolétariat mondial aux attaques de la bourgeoisie confrontée à une crise économique qui signe la fin du boom de l'après-guerre. Notre Manifeste adopté lors de notre premier congrès, affirme ainsi : "Aujourd'hui, la flamme prolétarienne s'est rallumée à travers le monde. De façon souvent confuse, hésitante, mais avec des soubresauts qui parfois étonnent même les révolutionnaires, le géant prolétarien a relevé la tête et revient faire trembler le vieil édifice capitaliste. De Paris à Cordoba [en Argentine], de Turin à Gdansk, de Lisbonne à Shanghai, du Caire à Barcelone les luttes ouvrières sont redevenues un cauchemar pour les capitalistes. En même temps, et comme part de cette reprise générale de la classe sont réapparus des groupes et courants révolutionnaires qui se sont attelés à l'immense tâche de la reconstitution théorique et pratique d'un des instruments les plus importants du prolétariat : son parti de classe."

Une nouvelle génération émerge, une génération qui n’a pas subi la contre-révolution, une génération qui se confronte au retour de la crise économique en exprimant tout un potentiel de lutte et de réflexion. C’est toute l’atmosphère sociale qui change : après les années de plomb, les ouvriers ont soif de discuter, de "refaire le monde", particulièrement parmi les jeunes générations. Le mot "révolution" se prononce partout. Les textes de Marx, Lénine, Luxemburg circulent et provoquent des débats incessants. La classe ouvrière essaie de se réapproprier son passé et ses expériences.

Mais un des aspects les plus fondamentaux de cette vague de combats ouvriers, c'est qu'elle signifie que la bourgeoisie n'a pas les mains libres pour apporter sa propre réponse à la crise de son système économique. Pour les communistes, mais aussi pour la grande majorité des historiens, il est clair que la Seconde Guerre mondiale résultait de la crise économique générale qui avait débuté en 1929. Cette guerre avait nécessité une profonde défaite préalable de la classe ouvrière, la seule force capable de s'opposer au déchaînement guerrier comme on l'avait vu en 1917 en Russie et en 1918 en Allemagne. Mais la capacité du prolétariat mondial de réagir de façon massive et déterminée face aux premières attaques de la crise à partir de 1968 signifiait que ses principaux secteurs n'étaient pas disposés à se laisser embrigader pour la "défense de la Patrie" contrairement à ce qui s'était passé au cours des années 1930. Et même s'il ne résultait pas directement de combats ouvriers, le retrait en 1973 des États-Unis du Vietnam a fait la preuve que la bourgeoisie de la première puissance mondiale n'était plus en mesure de mobiliser sa jeunesse ouvrière pour la guerre, que cette jeunesse refusait d'aller se faire trouer la peau ou de tuer des Vietnamiens au nom de la "défense du monde libre".

C'est fondamentalement pour cette raison que le développement des contradictions de l'économie capitaliste mondiale n'a pas débouché sur un affrontement généralisé entre les deux blocs, sur une troisième guerre mondiale.

Un autre aspect essentiel de cette reprise des combats de classe, c'est qu'elle a impulsé non seulement le retour dans la conscience de nombreux travailleurs de l'idée de la révolution, mais aussi le développement de petites minorités se réclamant de la Gauche communiste, ce courant qui, au sein et en dehors des partis communistes passés à l'ennemi, avait engagé dès le début des années 1920 le combat contre la dégénérescence de ces partis puis contre l'embrigadement des prolétaires dans la Seconde Guerre mondiale. Comme nous l'écrivions dans le Manifeste du 1er Congrès du CCI : "Pendant des années, les différentes fractions, plus particulièrement les gauches Allemande, Hollandaise et surtout Italienne, poursuivent une activité remarquable de réflexion et de dénonciation des trahisons des partis qui continuent à se dire prolétariens. Mais la contre-révolution est trop profonde et trop longue pour permettre la survie des fractions. Durement frappées par la Seconde Guerre mondiale et par le fait que celle-ci ne provoque aucun resurgissement de la classe, les dernières fractions qui ont survécu jusqu'alors disparaissent progressivement ou bien s'engagent dans un processus de dégénérescence, de sclérose ou de régression." Et justement, dans la foulée des luttes ouvrières à partir de Mai 1968, on a vu apparaître toute une série de groupes et de cercles de discussion qui se lancent à la redécouverte de la Gauche communiste, engagent des discussions entre eux et dont certains, après plusieurs conférences internationales au cours des années 1973-74 participent à la fondation du Courant Communiste International en janvier 1975.

1970-1980 : deux décennies d’expérience de lutte

La première vague de luttes inaugurée par Mai 1968 a sans aucun doute été la plus spectaculaire : "l’automne chaud italien" en 1969 (appelé aussi "Mai rampant"), le soulèvement violent à Cordoba en Argentine en mai de la même année et l’immense grève en Pologne durant l'hiver 1970, des mouvements importants en Espagne et en Grande-Bretagne en 1972... En Espagne en particulier, les travailleurs commencent à s'organiser à travers des assemblées de masse, alors que subsiste encore le régime franquiste, un processus qui atteint son point culminant à Vitoria en 1976. La dimension internationale de la vague de luttes porte ses échos jusqu’en Israël (1969 et 1972) et en Égypte (1972), une région pourtant dominée par les guerres et le nationalisme.

En partie, l'impétuosité de cette vague de luttes s'explique par la surprise qui a frappé la bourgeoisie mondiale en 1968 : après des dizaines d'années de contre-révolution, de domination idéologique et politique sur le prolétariat, cette classe avait fini par croire les discours de ceux qui annonçaient la disparition de toute perspective révolutionnaire, voire la fin de la lutte des classes. Mais la classe régnante est vite revenue de sa surprise et elle a engagé une contre-offensive afin de canaliser la colère ouvrière vers des objectifs bourgeois. C'est ainsi qu'au Royaume-Uni, la bourgeoisie la plus ancienne et expérimentée du monde a remplacé, à partir de mars 1974, à la suite de toute une série de grèves, le Premier ministre conservateur par Harold Wilson, chef d'un parti, le Labour, qui se présente comme le défenseur des travailleurs, notamment du fait de ses liens étroits avec les syndicats. Dans ce pays, comme dans de nombreux autres, les exploités ont été appelés à abandonner leurs luttes afin de ne pas gêner les gouvernements de gauche censés défendre leurs intérêts ou bien pour permettre une victoire de celle-ci aux élections.

Cette politique de la bourgeoisie dans les principaux pays développés a réussi à calmer momentanément la combativité ouvrière mais, à partir de 1974, l'aggravation considérable de la crise capitaliste et des attaques contre les prolétaires a provoqué une reprise importante de cette combativité : grèves des ouvriers du pétrole iranien, des aciéries en France en 1978, "l’hiver de la colère" de 1978-79 en Grande-Bretagne, des dockers à Rotterdam (menée par un comité de grève indépendant), des sidérurgistes au Brésil en 1979 (qui contestent également le contrôle des syndicats). Cette vague de luttes connaît son point culminant avec la grève de masse en Pologne en août 1980, dirigée par un comité de grève interentreprises indépendant (le MKS), certainement l’épisode le plus important de la lutte de classe depuis 1968. Et bien que la répression sévère des ouvriers polonais en décembre 1981 donne un coup d’arrêt à cette vague, il n’a pas fallu longtemps avant que ne s'exprime à nouveau la combativité ouvrière avec les luttes en Belgique en 1983 et 1986, la grève générale au Danemark en 1985, la grève des mineurs en Angleterre en 1984-85, les luttes des cheminots et des travailleurs de la santé en France en 1986 et 1988, de même le mouvement des employés de l’éducation en Italie en 1987. Les luttes en France et en Italie, en particulier – comme la grève de masse en Pologne – montrent une réelle capacité d’auto-organisation avec des assemblées générales et des comités de grève.

Ce n’est pas une simple liste de grèves. Ce mouvement en vagues de luttes ne tourne pas en rond, mais fait faire de réelles avancées dans la conscience de classe. Cette avancée est à l'origine des "coordinations" qui, dans plusieurs pays, notamment en France et en Italie, viennent concurrencer les syndicats officiels dont le rôle de pompiers au service de l'État bourgeois s'est révélé de plus en plus au cours des luttes. Ces coordinations, qui souvent avaient un caractère corporatiste, constituaient une tentative des appareils syndicaux et des organisations d'extrême gauche de perpétuer, sous de nouvelles formes, l'emprise du syndicalisme sur les travailleurs afin de faire obstacle à une politisation de leurs luttes, c'est-à-dire la conception de celles-ci non comme uniquement une forme de résistance aux attaques capitalistes mais aussi comme des préparatifs en vue du combat décisif contre le système capitaliste pour son renversement.

1990 : la décomposition

En réalité, les années 1980 commencent déjà à révéler les difficultés de la classe ouvrière à développer sa lutte plus avant, à porter son projet révolutionnaire.

La grève de masse en Pologne en 1980 est extraordinaire par son ampleur et par la capacité des ouvriers à s’auto-organiser dans la lutte. Mais elle indique aussi que, dans les pays de l'Est, les illusions dans la "démocratie" de l’Ouest sont immenses. Plus grave encore, face à la répression qui s’abat en décembre 1981 sur les ouvriers de Pologne, la solidarité du prolétariat des pays occidentaux se réduit aux déclarations platoniques, incapables de voir que, de chaque côté du rideau de fer, il s’agit en fait d’une seule et même lutte de la classe ouvrière contre le capitalisme. C’est là le premier indice de l’incapacité du prolétariat à politiser sa lutte, à développer plus avant sa conscience révolutionnaire.

Mais ces difficultés rencontrées par la classe ouvrière sont aggravées par la nouvelle politique mise en place par les secteurs dominants de la bourgeoisie. Dans la plupart des pays, "l'alternative de gauche" au pouvoir laisse la place à une autre formule pour affronter la classe ouvrière. La droite revient au pouvoir et se charge de porter des attaques d'une violence inédite contre les travailleurs alors que la gauche dans l'opposition se charge de saboter les luttes de l'intérieur. Ainsi, en 1981, le président américain Ronald Reagan licencie 11,000 contrôleurs aériens au motif que leur grève est illégale. En 1984, la Première ministre britannique Margaret Thatcher va aller encore beaucoup plus loin que son ami Reagan. La classe ouvrière de Grande-Bretagne est à cette période la plus combative du monde, elle établit année après année le record du nombre de jours de grève. Pour la bourgeoisie de ce pays, et aussi des autres pays, il faut lui casser les reins. En mars 1984, la "Dame de fer" provoque les mineurs en annonçant la fermeture de nombreux puits et, main dans la main avec les syndicats, elle les isole du reste de leurs frères de classe. Pendant un an, les mineurs vont ainsi lutter seuls, jusqu’à épuisement (Thatcher et son gouvernement avaient préparé leur coup, en accumulant en secret des stocks de charbon). Les manifestations sont réprimées dans le sang (trois morts, 20,000 blessés, 11,300 arrestations). Il faudra quatre décennies aux ouvriers de Grande-Bretagne pour surmonter la démoralisation et la paralysie engendrées par cette défaite. Celle-ci fait la preuve de la capacité de la classe bourgeoise, en Grande-Bretagne et ailleurs dans le monde, à réagir de façon intelligente et efficace contre le développement des luttes ouvrières, à empêcher celles-ci de déboucher sur une politisation du prolétariat et même à lui ôter dans un certain nombre de pays son sentiment d'appartenance à une classe à travers notamment la destruction de sa combativité dans des secteurs emblématiques comme les mines, les chantiers navals, la sidérurgie ou l'automobile.

Une petite phrase d’un de nos articles de 1988 résume le problème crucial affronté par la classe ouvrière à l’époque : "On parle peut-être moins facilement de révolution en 1988 qu'en 1968."

Cette absence temporaire de perspective commence à marquer toute la société. Le nihilisme se répand. Deux petits mots contenus dans une chanson du groupe punk les Sex Pistols sont tagués sur les murs de Londres : "No future".

C’est dans ce contexte où commencent à poindre l'épuisement de la génération de 1968 et le pourrissement de la société qu’un terrible coup va être porté à notre classe : l’effondrement du bloc de l’Est puis de l'Union "soviétique" en 1989-91 déclenche une assourdissante campagne sur "la mort du communisme". Le grand mensonge "stalinisme=communisme" est exploité une nouvelle fois à fond ; tous les crimes abominables de ce régime, en réalité capitaliste, vont être attribués à la classe ouvrière et à "son" système. Pire, il va être claironné jour et nuit : "Voilà où mène la lutte ouvrière : à la barbarie et à la faillite ! Voilà où mène ce rêve de révolution : au cauchemar !" En septembre 1989 nous écrivions : "Même dans sa mort, le stalinisme rend un dernier service à la domination capitaliste : en se décomposant, son cadavre continue encore à polluer l'atmosphère que respire le prolétariat." (Thèses sur la crise économique et politique en URSS et dans les pays de l'Est, Revue Internationale n° 60) Et cela s'est vérifié de façon dramatique. Ce changement historique majeur dans la situation mondiale aggrave un phénomène qui a commencé à se développer au cours des années 1980, et qui a contribué à l'effondrement des régimes staliniens : la décomposition générale de la société capitaliste. La décomposition n’est pas un moment passager et superficiel, il s’agit d’une dynamique profonde qui imprime sa marque sur toute la société. C'est la phase ultime de la décadence du capitalisme, une phase d’agonie qui se terminera par la destruction de l’humanité ou par la révolution communiste mondiale. Comme nous l'écrivions en 1990 : "… la crise actuelle s'est développée à un moment où la classe ouvrière ne subissait plus la chape de plomb de la contre-révolution. De ce fait, par son resurgissement historique à partir de 1968, elle a fait la preuve que la bourgeoisie n'avait pas les mains libres pour déchaîner une troisième guerre mondiale. En même temps, si le prolétariat avait déjà la force d'empêcher un tel aboutissement, il n'a pas encore trouvé celle de renverser le capitalisme (…). Dans une telle situation où les deux classes fondamentales et antagoniques de la société s'affrontent sans parvenir à imposer leur propre réponse décisive, l'histoire ne saurait pourtant s'arrêter. Encore moins que pour les autres modes de production qui l'ont précédé, il ne peut exister pour le capitalisme de "gel", de "stagnation" de la vie sociale. Alors que les contradictions du capitalisme en crise ne font que s'aggraver, l'incapacité de la bourgeoisie à offrir la moindre perspective pour l'ensemble de la société et l'incapacité du prolétariat à affirmer ouvertement la sienne dans l'immédiat ne peuvent que déboucher sur un phénomène de décomposition généralisée, de pourrissement sur pied de la société. (Thèses : la décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste, Point 4)

Cette putréfaction affecte la société à tous les niveaux et agit comme un véritable poison : montée de l’individualisme, de l’irrationalité, de la violence, de l’autodestruction, etc. La peur et la haine l’emportent peu à peu. Se développent les cartels de la drogue en Amérique latine, le racisme partout… La pensée est marquée par l’impossibilité de se projeter vers l'avenir, par une vision à court terme et bornée ; la politique de la bourgeoisie se retrouve elle-même de plus en plus limitée au coup par coup. Ce bain quotidien imprègne forcément les prolétaires. Atomisés, réduits à des individus-citoyens, ils subissent de plein fouet le pourrissement de la société.

2000-2010 : des tentatives de luttes entravées par la perte d'identité de classe

Les années 2000-2010 vont être une succession de tentatives de luttes qui toutes vont se confronter au fait que la classe ouvrière ne sait plus qu'elle existe, que la bourgeoisie est parvenue à lui faire oublier qu'elle est la force sociale motrice de la société et de l'avenir.

Le 15 février 2003 a lieu une manifestation mondiale contre la guerre en Irak qui se profile (elle éclatera effectivement en mars, au prétexte de "lutte contre le terrorisme", durera 8 ans et fera 1 million de morts). Dans ce mouvement, il y a le refus de la guerre, alors que les guerres successives des années 1990 n’avaient soulevé aucune résistance. Mais c’est surtout un mouvement enfermé sur le terrain citoyen et pacifiste ; ce n’est pas la classe ouvrière qui lutte contre les velléités guerrières de son État respectif, mais une addition de citoyens qui réclament à leur gouvernement une politique de paix.

En mai-juin 2003, en France, de nombreuses manifestations vont se succéder contre une réforme du régime de retraite. La grève éclate dans le secteur de l’Éducation nationale, une menace de "grève générale" plane, elle n’aura finalement pas lieu et les enseignants resteront isolés. Cet enfermement sectoriel est le fruit, évidemment, d’une politique délibérée de division de la part des syndicats, mais ce sabotage réussit, car il s’appuie sur une très grande faiblesse dans la classe : les enseignants se considèrent comme à part, ils ne se ressentent pas comme des membres de la classe ouvrière. Pour l’instant, la notion même de classe ouvrière est toujours perdue dans les limbes, rejetée, ringardisée, honteuse.

En 2006, les étudiants en France se mobilisent massivement contre un contrat précaire spécial jeunes : le CPE (Contrat Première Embauche). Ce mouvement va démontrer un paradoxe : la réflexion se poursuit dans la classe ouvrière mais la classe ne le sait pas. Les étudiants redécouvrent en effet une forme de lutte authentiquement ouvrière : les assemblées générales. Dans ces AG ont lieu de réelles discussions ; elles sont ouvertes aux travailleurs, aux chômeurs, aux retraités. Il y a là le développement de la solidarité ouvrière entre les générations et entre les secteurs. Ce mouvement montre l’émergence d’une nouvelle génération prête à refuser les sacrifices imposés et à lutter. Cependant, cette génération a aussi grandi dans les années 1990, elle se trouve ainsi fortement marquée par l’apparente absence de la classe ouvrière, la disparition de son projet et de son expérience. Cette nouvelle génération ne se mobilise donc pas comme classe exploitée mais se dilue dans la masse des "citoyens".

Le "mouvement d'occupation des places" qui va s'étendre en 2011 sur une bonne partie de la planète est marqué des mêmes forces et faiblesses. Là aussi la combativité se développe, comme la réflexion, mais sans référence à la classe ouvrière et à son histoire. Pour les Indignados d'Espagne ou de Occupy des États-Unis, d'Israël et du Royaume-Uni, la tendance à se voir comme "citoyens" plutôt que comme prolétaires rend tout ce mouvement vulnérable à l’idéologie démocratique. Résultat, "Democracia Real Ya ! (Démocratie réelle maintenant !) devient le mot d’ordre du mouvement. Et les partis bourgeois comme Syriza en Grèce et Podemos en Espagne peuvent se présenter comme les vrais héritiers de ces révoltes. Autrement dit, les ouvriers et enfants d'ouvriers, mobilisés comme "citoyens" parmi les autres couches en colère de la société, les petits patrons, les commerçants et les artisans appauvris, les paysans, etc., ne peuvent pas développer leurs luttes contre l'exploitation et donc contre le capitalisme ; au contraire, ils se retrouvent sous la banderole des revendications pour un capitalisme plus juste, plus humain, mieux géré, pour de meilleurs dirigeants.

La période 2003-2011 représente ainsi toute une série d’efforts de notre classe pour lutter face à la dégradation continue des conditions de vie et de travail sous ce capitalisme en crise mais, privée d’identité de classe, elle aboutit (temporairement) à un marasme plus grand.

Et l’aggravation de la décomposition dans les années 2010 va encore renforcer ces difficultés : développement du populisme, avec toute l’irrationalité et la haine que ce courant politique bourgeois contient, prolifération à l’échelle internationale des attentats terroristes, prise de pouvoir sur des régions entières par les narcotrafiquants en Amérique latine, par les seigneurs de guerre au Moyen-Orient, en Afrique et dans le Caucase, immenses vagues de migrants fuyant l’horreur de la faim, de la guerre, de la barbarie, de la désertification liée au réchauffement climatique… la méditerranée devient un cimetière aquatique.

Cette dynamique pourrie et mortifère tend à renforcer le nationalisme et à se reposer sur la "protection" de l’État, à être influencé par les fausses critiques du système offertes par le populisme (et, pour une minorité, par le djihadisme). Le manque d'identité de classe est aggravé par la tendance à la fragmentation en identités raciales, sexuelles et autres catégories particulières, ce qui renforce à son tour l'exclusion et la division, alors que seul le combat prolétarien peut porter avec lui l'unité de tous les secteurs de la société victimes de la barbarie du capitalisme. Et cela pour la raison fondamentale que c'est le seul combat qui puisse abolir ce système.

2020 : le retour de la combativité ouvrière

Mais la situation actuelle ne saurait se résumer à ce pourrissement de la société. D’autres forces que celles de la destruction et de la barbarie sont aussi à l’œuvre : la crise économique ne cesse de s’aggraver et impulse chaque jour plus l'exigence de la lutte ; l’horreur du quotidien pose sans cesse des questions que les travailleurs ne peuvent qu’avoir en tête ; les luttes de ces dernières années ont commencé à apporter quelques réponses et ces expériences creusent leur sillon sans que l’on s’en rende compte. Pour reprendre les mots de Marx : "Nous reconnaissons notre vieille amie, notre vieille taupe qui sait si bien travailler sous terre pour apparaître brusquement".

En 2019, se développe en France un mouvement social contre une nouvelle réforme des retraites. Plus encore que la combativité, qui est très grande, ce qui est plus significatif encore de la dynamique à l’œuvre c'est la tendance à la solidarité entre les générations qui s’exprime dans les cortèges : de nombreux ouvriers proches de la soixantaine – et donc non concernés directement par la réforme – font grève et manifestent pour que les jeunes salariés ne subissent pas cette attaque de la bourgeoisie.

L’éclatement de la guerre en Ukraine, en février 2022, provoque l’effroi ; il y a dans la classe ouvrière la peur que le conflit se répande et dégénère. Mais, en même temps, la guerre aggrave considérablement l’inflation. Confronté déjà aux effets désastreux du Brexit, c’est le Royaume-Uni qui est le plus durement touché. Face à cette dégradation des conditions de vie et de travail insoutenables, la grève éclate dans ce pays dans de multiples secteurs (santé, éducation, transports…) : c’est ce que les médias vont appeler "l’été de la colère", en référence à "l’hiver de la colère" de 1978-79 !

En faisant ce parallèle entre ces deux grands mouvements séparés de 43 ans, les journalistes vont, souvent de façon involontaire, mettre le doigt sur une réalité fondamentale : derrière cette expression de "colère" se cache un mouvement extrêmement profond. Deux expressions vont courir de piquet de grève en piquet de grève : "Enough is enough" et "Nous sommes des travailleurs". Autrement dit, si les ouvriers britanniques se dressent face à l’inflation, ce n’est pas seulement parce que c’est insoutenable. C’est aussi parce que la conscience a mûri dans les têtes ouvrières, que la taupe a creusé durant des décennies et ressort à présent un petit bout de son museau : le prolétariat commence à recouvrer son identité de classe, à se sentir plus confiant, à se sentir une force sociale et collective. Les combats de la classe ouvrière au Royaume-Uni en 2022 ont une importance et une signification qui dépassent très largement les frontières de ce pays. D'une part, ils sont menés dans un pays de première importance dans le monde, sur le plan économique, financier et politique, notamment du fait de la domination de la langue anglaise et des vestiges de l'Empire britannique de la grande époque du capitalisme. D'autre part, c'est le plus vieux prolétariat du monde qu'on a vu à l'œuvre, un prolétariat qui, au cours des années 1970, avait fait preuve d'une combativité exceptionnelle mais qui ensuite, avec les années Thatcher, avait subi une défaite majeure qui l'avait paralysé pendant des décennies malgré des attaques massives portées par la bourgeoisie. Le réveil spectaculaire de ce prolétariat est l'indice d'un changement en profondeur dans l'état d'esprit et la conscience de l'ensemble du prolétariat mondial.

En France, une nouvelle mobilisation se développe et, là aussi, les manifestants mettent en avant leur appartenance au camp des travailleurs et reprennent le "Enough is enough" en le traduisant par "C’est assez !". Dans les cortèges, apparaissent des références à la grande grève de Mai 68. Nous avions donc raison d’écrire en 2020 : "Les acquis des luttes de la période 1968-89 ne sont pas perdus, même s’ils ont pu être oubliés par beaucoup d’ouvriers (et de révolutionnaires) : combat pour l’auto-organisation et l’extension des luttes ; début de compréhension du rôle anti-ouvrier des syndicats et des partis capitalistes de gauche ; résistance à l’embrigadement guerrier ; méfiance envers le jeu électoral et parlementaire etc. Les luttes futures devront s'appuyer sur l'assimilation critique de ces acquis en allant beaucoup plus loin et certainement pas sur leur négation ou leur oubli."

La classe ouvrière doit partir à la reconquête de sa propre histoire. Concrètement, les générations qui ont connu 1968 et la confrontation aux syndicats dans les années 1970s/80s sont aujourd’hui encore vivantes. Les jeunes des assemblées de 2006 et 2011 doivent eux aussi faire partager aux jeunes d'aujourd'hui leurs tentatives. Cette nouvelle génération des années 2020 n’a pas subi les défaites des années 1980 (notamment sous Thatcher et Reagan), ni le mensonge de 1990 sur la "mort du communisme" et la "fin de la lutte des classes", ni les années de plomb qui ont suivi. Elle a grandi dans une crise économique permanente et un monde en perdition ; c’est pourquoi elle porte en elle une combativité intacte. Cette nouvelle génération peut entraîner derrière elle toutes les autres, tout en devant les écouter, apprendre de leurs expériences, de leurs victoires comme de leurs défaites. Passé, présent et futur peuvent à nouveau se rejoindre dans la conscience des prolétaires.

Face aux effets dévastateurs de la décomposition, le prolétariat va devoir politiser ses luttes

Comme on l'a vu, les années 2020 ont ouvert à deux battants, partout dans le monde, la perspective de convulsions sans exemple dans le passé, avec au bout, la destruction de l'humanité.

Plus que jamais, la classe ouvrière est donc confrontée à un défi majeur, celui de parvenir à développer son projet révolutionnaire et ainsi proposer la seule autre perspective possible : le communisme. Pour ce faire, elle doit déjà parvenir à résister à toutes les forces centrifuges qui s’exercent sur elle sans relâche, elle doit être capable de ne pas se laisser happer par la fragmentation sociale qui pousse au racisme, à la confrontation entre bandes rivales, au repli, à la peur, elle doit être capable de ne pas céder aux sirènes du nationalisme et de la guerre (qu'elle se présente comme "humanitaire", "antiterroriste", de "résistance", etc.) Les différentes bourgeoisies accusent toujours la partie ennemie de "barbarie" pour justifier leur propre barbarie. Résister à toute cette pourriture qui gangrène peu à peu l’ensemble de la société et parvenir à développer son combat et sa perspective implique forcément pour toute la classe ouvrière d’élever son niveau de conscience et d’organisation, de parvenir à politiser ses luttes, à créer des lieux de débats, d’élaboration et de prise en main des grèves par les ouvriers eux-mêmes. Parce que la lutte du prolétariat contre le capitalisme c’est :

  • - La solidarité ouvrière contre la fragmentation sociale.
  • - L’internationalisme contre la guerre.
  • - La conscience révolutionnaire contre les mensonges de la bourgeoisie et l’irrationalité populiste.
  • - La préoccupation pour l’avenir de l’humanité contre le nihilisme et la destruction de la nature.

Révolutionnaires du monde entier

Ce bref survol de décennies de luttes ouvrières fait émerger une idée essentielle : le combat historique de notre classe pour le renversement du capitalisme va encore être long. Sur sa route, va se dresser une succession d’embûches, de pièges et de défaites. Pour être finalement victorieux, ce combat révolutionnaire va nécessiter une élévation générale de la conscience et de l'organisation de toute la classe ouvrière, au niveau mondial. Pour que cette élévation générale puisse se produire, il faudra au prolétariat se confronter dans la lutte à tous les pièges tendus par la bourgeoisie et, en même temps, se réapproprier son passé, son expérience accumulée depuis deux siècles.

Quand, le 28 septembre 1864 est fondée à Londres l'Association Internationale des Travailleurs (AIT), cette organisation devient l'incarnation de la nature mondiale du combat prolétarien, condition du triomphe de la révolution mondiale. Elle est la source d'inspiration du poème écrit en 1871 par le communard Eugène Pottier qui deviendra un chant révolutionnaire transmis de générations en générations de prolétaires en lutte, dans presque toutes les langues de la planète. Les paroles de L'Internationale soulignent à quel point cette solidarité du prolétariat mondial n'appartient pas au passé mais pointe vers le futur : 
Groupons-nous, et demain,
L’Internationale,
Sera le genre humain

Ce regroupement international des forces révolutionnaires, c'est aux minorités militantes organisées que revient la tâche de le porter. En effet, si les masses de la classe ouvrière produisent cet effort de réflexion et d’auto-organisation essentiellement durant les périodes de luttes ouvertes, une minorité s'est toujours engagée, à toutes les périodes de l'histoire, dans le combat permanent pour la révolution. Ces minorités incarnent et défendent la constance et la continuité historiques du projet révolutionnaire du prolétariat, qui les a sécrétées à cet effet. Pour reprendre les mots du Manifeste communiste de 1848 : « Quelle est la position des communistes par rapport à l'ensemble des prolétaires ? Les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis ouvriers. Ils n'ont point d'intérêts qui les séparent de l'ensemble du prolétariat. Ils n'établissent pas de principes particuliers sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement ouvrier. Les communistes ne se distinguent des autres partis ouvriers que sur deux points : 1. Dans les différentes luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat. 2. Dans les différentes phases que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité. Pratiquement, les communistes sont donc la fraction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui stimule toutes les autres ; théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat l'avantage d'une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien ».

C'est sur cette minorité que repose la responsabilité première de s’organiser, de débattre, de clarifier toutes les questions, de tirer les leçons des échecs passés, de faire vivre l'expérience accumulée. Aujourd'hui, cette minorité, extrêmement peu nombreuse et morcelée dans de multiples petites organisations, doit se regrouper pour confronter les différentes positions et analyses, se réapproprier les enseignements que nous ont légués les fractions de la Gauche communiste et préparer l'avenir. Pour mener à bien le projet révolutionnaire mondial, le renversement du capitalisme sur toute la planète, il faut que le prolétariat se dote de l’une de ses armes les plus précieuses et dont la carence lui a coûté si cher dans le passé : son parti révolutionnaire mondial. Ainsi, en octobre 1917, le parti bolchevique a joué un rôle essentiel dans le renversement de l’État bourgeois en Russie. Inversement, une des causes de la défaite du prolétariat en Allemagne consiste dans l'impréparation du parti communiste dans ce pays, parti qui n'a été fondé qu'au cours même de la révolution. Son inexpérience lui a fait commettre des erreurs qui ont contribué à la défaite finale de la révolution en Allemagne et, partant, dans le reste du monde.

ET MAINTENANT ?

La situation du combat prolétarien a changé considérablement depuis un demi-siècle. Comme on l'a vu, les obstacles rencontrés par la classe ouvrière sur son chemin vers la révolution se sont révélés bien plus importants qu'on ne pouvait le soupçonner lors de la fondation de notre organisation. Cependant, restent aujourd'hui totalement d'actualité les mots qui figuraient sur le Manifeste adopté par le Premier congrès du CCI : "Avec ses moyens encore modestes, le Courant Communiste International s'est attelé à la tâche longue et difficile du regroupement des révolutionnaires (…). Tournant le dos au monolithisme des sectes, il appelle les communistes de tous les pays à prendre conscience des responsabilités immenses qui sont les leurs, à abandonner les fausses querelles qui les opposent, à surmonter les divisions factices que le vieux monde fait peser sur eux. Il les appelle à se joindre à cet effort afin de constituer, avant les combats décisifs, l'organisation internationale et unifiée de son avant-garde."

De même, les mots du Manifeste du 9e congrès du CCI conservent toute la validité qu'ils avaient en 1991 : "Jamais dans l'histoire les enjeux n'ont été aussi dramatiques et décisifs que ceux d'aujourd'hui. Jamais une classe sociale n'a dû affronter une responsabilité comparable à celle qui repose sur le prolétariat. Si celui-ci n'est pas en mesure d'assumer cette responsabilité, il en sera fini de la civilisation, et même de l'humanité. Des millénaires de progrès, de travail et de pensée seront anéantis à tout jamais. Deux siècles de luttes prolétariennes, des millions de martyrs ouvriers n'auront servi à rien. Pour repousser toutes les manœuvres criminelles de la bourgeoisie, pour déjouer ses mensonges odieux et développer vos luttes en vue de la révolution communiste mondiale, pour abolir le règne de la nécessité et accéder enfin à celui de la liberté :

Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !"

 

Courant Communiste International
(septembre 2025)

Conscience et organisation: 

Personnages: 

Heritage de la Gauche Communiste: 

Rubrique: 

Manifeste des 50 ans du Courant Communiste International