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Dans la première partie de cet article, nous avons montré que le prétendu ‘Lénine de l’écologie’ Andreas Malm ne fait en réalité que défendre une conception complètement bourgeoise sur cette question et qu’il se pose en défenseur et en agent du capitalisme d’Etat agissant sur le terrain de la classe ouvrière.
Au prime abord Malm affirme se revendiquer du marxisme, ce qui lui fournit une posture en apparence radicale, mais pour se livrer à une entreprise de dénaturation complète de la théorie marxiste. L’usage éhonté du double langage, typique du courant trotskiste, qui dit une chose pour défendre en réalité son contraire, ainsi que d’autres falsifications ou occultations, lui permet l’extraordinaire tour de passe-passe de faire à la fois disparaître la responsabilité du système capitaliste dans la gravité de la crise écologique ainsi que d’obscurcir la perspective qui s’offre à l’humanité pour sortir du cauchemar : le communisme, dont est porteuse la classe exploitée, le prolétariat, fossoyeur du capitalisme.
Dans cette partie, nous allons montrer pourquoi et comment le capitalisme est incapable d’apporter une solution à la crise écologique, pourquoi et comment c’est la classe révolutionnaire de notre époque, le prolétariat, qui, seule, en détient la clé, et pourquoi la question sociale et la question écologique ne peuvent être résolues qu’en même temps par la destruction des rapports de production capitalistes et le remplacement du système capitaliste par une société débarrassée de l’exploitation, le Communisme.
I°) La dénaturation trotskiste du marxisme
La négation de la responsabilité du mode de production capitaliste dans la crise climatique
Malm semble s’appuyer sur le marxisme. Ainsi affirme-t-il que «Le capitalisme est un processus spécifique qui se déroule comme une appropriation universelle des ressources biophysiques, car le capital lui-même a une soif unique, inapaisable, de survaleur tirée du travail humain au moyen de substrats matériels. Le capital pourrait-on dire, est supra écologique, un omnivore biophysique avec son ADN social bien à lui[1].» De même, il se réfère à Marx lui-même, «le livre III du Capital, sur la façon dont les rapports de propriétés capitalistes «provoquent un hiatus irrémédiable dans l’équilibre complexe du métabolisme social composé par les lois naturelles de la vie» ; la théorie de la rupture -du hiatus- métabolique permet d’expliquer de très nombreux phénomènes, des déséquilibres du cycle de l’azote jusqu’au changement climatique[2].» Mais très rapidement on s’aperçoit qu’il ne s’agit que d’une feinte. En effet, au fil des pages, un glissement s’opère. Il saute aux yeux que l’anticapitalisme de Malm, spécialiste du double langage, ne vise pas le capitalisme dans son ensemble mais se réduit à la seule mise en cause de certaines de ses composantes. Particulièrement le secteur de la production des énergies fossiles, pétrolières et gazières, auquel il impute la responsabilité du réchauffement climatique. Au final, jamais il n’incrimine le système capitaliste comme tel dans le désastre écologique (qu’il réduit au seul réchauffement climatique). En ne prenant pour cible que certains secteurs de la bourgeoisie ou certains Etats (ceux qui dominent la planète) et en ne dénonçant comme problème central que le «Business as usual» de la classe dominante face à l’urgence climatique, il dédouane en réalité la responsabilité du capitalisme comme mode de production dans la crise climatique.
Ainsi, Malm fustige-t-il le cynisme scandaleux et l’absence de préoccupation pour la planète et l’humanité du patron d’Exxon, Rex Tillerson, qui déclare : «ma philosophie est de gagner de l'argent. Si je peux forer et gagner de l'argent, c'est ce que je veux faire». Mais là, en se focalisant sur le seul Tillerson, Malm masque (en toute connaissance de cause pour lui qui se prétend marxiste !) que la «philosophie» de celui-ci constitue en réalité celle de TOUTE la classe dominante ! Le prestidigitateur Malm éclipse la nature exploiteuse et la recherche effrénée du profit maximal inhérentes au capitalisme comme un tout[3]. Au sommet de l’hypocrisie et de la dissimulation, et bien dans la logique typique du courant trotskiste, Malm en arrive à admettre (et finalement, défendre !) l’existence d’une exploitation capitaliste ‘admissible’ de la nature !
Par ailleurs, Malm constate à l’unisson des «deux rapports publiés à l’occasion de la COP21 [qui] ont souligné à quel point les émissions de CO2 étaient indissociables d’une telle polarité. Les 10% les plus riches de l’humanité sont responsables de la moitié des émissions actuelles liées à la consommation, tandis que la moitié la plus pauvre est responsable de 10% des émissions. L’empreinte carbone par habitant des 1% les plus riches représente 175 fois celle des 10% les plus pauvres : les émissions par habitant des 1% les plus riches aux Etats-Unis, au Luxembourg ou en Arabie Saoudite sont 2000 fois plus importantes que celle des habitants les plus pauvres du Honduras, du Mozambique ou du Rwanda.[4]«Malm en conclut que «s’il y a une logique globale du mode de production capitaliste avec laquelle s’articulera l’élévation des températures, c’est sans doute plutôt celle du développement inégal et combiné. Le Capital se développe en attirant les autres rapports dans son orbite tandis qu’il continuera à accumuler, les gens pris dans des rapports extérieurs mais intégrés -pensez aux éleveurs du nord-est de la Syrie- en tireront peu de profit, voire aucun, et pourraient bien ne pas même se rapprocher du travail salarié. Certains amassent des ressources tandis que d’autres, hors de la machine à extorsion mais dans son orbite luttent pour avoir une chance de les produire.[5]»
Pour résumer, selon Malm, le monde se divise simplement entre ‘riches’ et ‘pauvres’, entre ‘bénéficiaires’ et ‘victimes’ du système selon une distribution géographique ‘inégale’ entre un Nord riche et un Sud pauvre. C’est-à-dire le lieu commun de l’idéologie bourgeoise dominante qui s’étale des rapports de l’ONU à l’ensemble des médias bourgeois, en passant par… les colonnes de la presse du courant trotskiste ! Malm se retrouve même sur une position identique à celle de l’Etat chinois pour qui «la crise climatique résulte d’un modèle de développement économique très inégal qui s’est propagé au cours des deux derniers siècles, permettant aux pays riches d’aujourd’hui d’atteindre les niveaux de revenus qui sont les leurs, en partie parce qu’ils n’ont pas pris en compte les dégâts environnementaux qui menacent aujourd’hui la vie et les modes de vie des autres.[6]» Une approche fondée sur la défense par la Chine du concept de «responsabilité commune mais différenciée» exigeant que la gouvernance mondiale du climat respecte les besoins des pays les plus pauvres en matière de développement. Voilà maintenant Malm apôtre de l’impérialisme chinois !
A moins de considérer la Chine populaire comme expression de l’avant-garde prolétarienne et marxiste, cela donne une idée de la validité de ce que Malm veut faire passer pour du marxisme !
Cette concordance de vue entre l’idéologie officielle de l’Etat chinois et Malm ne doit rien au hasard. La conception du monde capitaliste divisé entre ‘dominés’ et ‘dominateurs’, où les fléaux qui accablent la société sont imputables aux seuls grands impérialismes qui ‘victimisent’ les petits est conforme à la pensée trotskiste. Celle-ci opère constamment une distinction entre les différents Etats pour laquelle seuls les grands Etats sont impérialistes. Comme si on pouvait faire une différence de fond entre de grands parrains de la pègre qui dominent le milieu et les maquereaux de quartier ; ils ne se différencient en pratique que par les moyens dont ils disposent !
La concentration toujours plus importante du Capital conditionne par nature un déséquilibre au sein du monde capitaliste et a pour corollaire et conséquence l’existence de périphéries marginalisées. C’est une donnée historique permanente du capitalisme inscrite dans ses gènes. Elle se concrétise dans l’existence d’Etats capables d’exercer une hégémonie mondiale, tandis que les autres en sont privés. L’ensorceleur Malm hypnotise le public en fixant son attention sur l’apparence et la surface des choses afin de créer l’illusion que finalement une solution existe au sein de chaque Etat national à condition qu’il soit mieux géré et se mette à la recherche d’une plus grande ‘harmonie’ entre nations !
L’escamoteur Malm parvient ainsi à soustraire et faire disparaître du champ de la réflexion les points-clés qui seuls permettent vraiment de fournir une base solide à partir de laquelle on peut poser correctement la question des effets du mode de production capitaliste sur la nature :
- la réalité que le capital est un rapport social qui dépasse les frontières de chaque Etat national et existe à l’échelle mondiale ; dont (pour reprendre sa terminologie fumeuse) la principale «polarisation» s’exprime dans l’antagonisme fondamental et irréductible entre les deux classes principales classes sociales qui compose la société capitaliste, le prolétariat et la bourgeoisie. Comme le souligne Marx, «la production fondée sur le capital crée l’industrie universelle (…) et d’autre part un système d’exploitation universelle des propriétés naturelles et humaines.[7]»
- d’une pierre, deux coups Malm passe en même temps sous silence que «pour produire, les hommes entrent en relations et en rapports déterminés les uns avec les autres, et ce n’est que dans les limites de ces rapports sociaux que s’établit leur action sur la nature, la production.[8]» Dit autrement, c’est par l’intercession de différentes formes d’organisation sociale qui se sont succédées dans l’histoire que s’établissent les relations entre le genre humain et la nature. Pour comprendre les origines de la crise écologique-climatique actuelle, il faut donc prendre l’existence du mode de production capitaliste et ses effets sur la nature comme point de départ.
Pour Malm, la classe ouvrière n’est plus le sujet de l’histoire
L’autre plan sur lequel Malm se livre à une négation du Marxisme, c’est celui de l’alternative au système capitaliste. Pour Malm, dans les pays centraux du capitalisme, c’est l’individu qui doit agir par le sabotage pour infléchir les politiques de l’Etat capitaliste : «Dans une réalité fondée scientifiquement, Ende Gelände[9] est le type d’action dont il faudrait multiplier par mille le nombre et l’envergure. Au sein des pays capitalistes avancés et dans les zones les plus développées du reste du monde, les cibles adéquates ne manquent pas : il suffit de chercher autour de nous la centrale électrique alimentée au charbon la plus proche, l’oléoduc, le SUV, l’aéroport et le centre commercial de banlieue qui s’agrandissent… Tel est le terrain sur lequel un mouvement révolutionnaire pour le climat devrait surgir en une vague puissante et toujours plus rapide.[10]» Autrement dit, Malm ne fait que proposer une version plus radicale d’un mouvement citoyen, qui ne se contente plus simplement de l’action sur un terrain légal, mais qui ne doit pas s’interdire de passer outre pour agir contre les barons ou les secteurs du capitalisme identifiés comme responsables du réchauffement climatiques, en s’attaquant à leurs entreprises ou aux produits qu’elles mettent sur le marché.
Plus généralement, pour se battre contre les «moteurs de la crise climatique», Malm multiplie les références à divers mouvements sociaux de l’histoire (apartheid, abolition de l’esclavage… sans se préoccuper de leur nature de classe !) en un magma où il est impossible de reconnaître finalement quelle est la force sociale sur laquelle nous pouvons compter pour trouver une issue à la situation cauchemardesque provoquée par le capitalisme : «Dans la mesure où le capitalisme actuel est totalement saturé d’énergie fossile, quasiment tous ceux qui participent à un mouvement social sous son règne combattent objectivement le réchauffement climatique, qu’ils s’en soucient ou non, qu’ils en subissent les conséquences ou pas. Les Brésiliens qui protestent contre l’augmentation du coût du ticket de bus et demandent des transports gratuits soulèvent en réalité la bannière de la cinquième mesure du programme fixé plus haut, tandis que les Ogoni qui expulsent Shell s’occupent de la première[11]. De même les ouvriers de l’automobile européens qui luttent pour leur emploi, conformément au type de conscience syndicale qu’ils ont toujours possédée, ont intérêt à reconvertir leurs usines à la production des techniques nécessaires à la transition énergétique -éoliennes, bus- plutôt que de les voir disparaître pour une destination à bas salaires. Toutes les luttes sont des luttes contre le capital fossile : les sujets doivent seulement en prendre conscience.[12]»
La prétention boursouflée du théoricien Malm d’actualiser le marxisme à la nouvelle donne climatique, en établissant les nouvelles «polarisations» qui régissent le monde capitaliste et qui se substituent à l’antagonisme fondamental des deux classes principales de la société capitaliste, la classe exploitée (le prolétariat) et la classe exploiteuse (la bourgeoisie) ne vise qu’un seul objectif : nier la nature révolutionnaire du prolétariat. Tout appliqué à démontrer que le communisme ne peut en aucun cas représenter une alternative réaliste et crédible à la catastrophe environnementale et que la lutte du prolétariat est inhabile à jouer en quoi que ce soit un rôle quelconque contre la crise climatique, Malm passe purement et simplement sous silence l’existence, le rôle et la perspective révolutionnaire de la classe ouvrière. S’il se réfère ici et là au prolétariat ou à son histoire c’est uniquement en tant que classe exploitée ou comme simple catégorie sociologique de la société capitaliste noyée dans le tout indifférencié du peuple pour lui réserver un rôle figurant sans importance ou en le diluant dans des mouvements composites interclassistes, qui justement constituent pour lui et son action en tant que classe autonome aux intérêts distincts des autres catégories sociales, un danger mortel.
Là encore, Malm apporte sa contribution aux campagnes bourgeoises pour prolonger les difficultés du prolétariat justement à se reconnaître comme la force porteuse de la transformation de la société, en tant que classe révolutionnaire de notre temps, que l’avènement du capitalisme a fait surgir historiquement comme son fossoyeur.
II°) Le mode de production capitaliste et la nature
Les falsifications bourgeoises de Malm de la nature du capitalisme et de sa responsabilité dans la destruction environnementale obligent à rétablir quelques acquis fondamentaux du marxisme que Malm nie, occulte ou abandonne (en fonction des différents besoins que lui commande le rôle idéologique qu’il joue au profit de l’Etat bourgeois) avec lesquels Malm est en contradiction flagrante. En tout premier lieu le Manifeste du Parti Communiste lui-même.
Le caractère mondial du mode de production capitaliste
Malm ne voit le capitalisme que comme l’addition de ses différentes composantes et nie, au-delà la réalité du monde capitaliste par définition marqué par la concurrence et la division entre nations, l’unité du système capitaliste comme mode de production ainsi que le terrain universel de son existence et de sa domination.
«Talonnée par le besoin de débouchés toujours plus étendus pour ses produits, la bourgeoisie gagne la terre entière. Il lui faut se nicher partout, s’installer partout, créer partout des relations. Par son exploitation du marché mondial, la bourgeoisie a rendu cosmopolites la production et la consommation de tous les pays. (…) elle a retiré à l'industrie sa base nationale. Les antiques industries nationales ont été anéanties et le sont encore tous les jours. Elles sont supplantées par de nouvelles industries, (…) ces industries ne recourent plus à des matières premières locales, mais à des matières premières en provenance des régions les plus lointaines, et leurs produits finis ne sont plus seulement consommés dans le pays même, mais dans toutes les parties du monde à la fois. Les anciens besoins, qui étaient satisfaits par les produits nationaux, font place à de nouveaux besoins, qui réclament pour leur satisfaction les produits des pays et des climats les plus lointains. L’autosuffisance et l’isolement régional et national d’autrefois ont fait place à une circulation générale, à une interdépendance générale des nations.[13]»
Comme le souligne Rosa Luxembourg cela a signifié que «Dès son origine, le capital a mis à contribution toutes les ressources productives du globe. Dans son désir de s'approprier les forces productives à des fins d'exploitation, le capital fouille le monde entier, se procure des moyens de production dans tous les coins du globe, les acquérant au besoin par la force, dans toutes les formes de société, à tous les niveaux de civilisation.» Afin de satisfaire son insatiable besoin de profit, «il est nécessaire (…) que le capital puisse progressivement disposer de la terre entière afin de s'assurer un choix illimité de moyens de production en quantité comme en qualité. Il est indispensable pour le capital de pouvoir recourir brusquement à de nouveaux domaines fournisseurs de matières premières ; c'est une condition nécessaire au processus de l'accumulation, à son élasticité et à son dynamisme (…)» «De même que la production capitaliste ne peut se contenter des forces actives et des ressources naturelles de la zone tempérée, mais qu'elle a au contraire besoin pour se développer de disposer de tous les pays et de tous les climats, de même elle ne peut s'en tenir à l'exploitation de la force de travail de la race blanche. Pour cultiver les régions où la race blanche est incapable de travailler, le capital doit recourir aux autres races. Il a besoin en tout cas de pouvoir mobiliser sans restriction toutes les forces de travail du globe pour exploiter avec leur aide toutes les forces productives du sol (…)[14]»
Voilà contrairement à ce que Malm affirme, quel doit être le point de départ de toute réflexion qui cherche à établir la responsabilité du Capital dans la crise écologique : non pas le cadre local et étriqué de la nation et de son Etat, mais le niveau international et mondial.
Les effets destructeurs du Capital sur la nature et la force de travail.
Dans la phase historique de l’ascendance de son système, «la bourgeoisie, au cours de sa domination de classe à peine séculaire, a créé des forces productives plus nombreuses et plus colossales que l'avaient fait toutes les générations passées prises ensemble[15]» et, de ce fait, a joué un rôle progressif au plan historique. Mais ce développement des forces productives dans la boue et le sang par le système capitaliste de production a pour fondement, au plan social comme au plan environnemental, une dévastation aux conséquences effrayantes.
Pour la classe exploitée, «les premières décennies de la grande industrie ont eu des effets si dévastateurs sur la santé et les conditions de vie des travailleurs, ont provoqué une mortalité et une morbidité si effrayantes, de telles déformations physiques, un tel abandon moral, des épidémies, l'inaptitude au service militaire, que l'existence même de la société en paraissait profondément menacée.[16]»
Comme pour la nature. Ainsi, par ex. aux Amériques «…la culture du tabac épuisait les terres si rapidement (après trois ou quatre récoltes seulement) qu’au cours du XVIII° siècle sa production dut se déplacer du Maryland vers les Appalaches. La transformation des Caraïbes en monoculture sucrière entraina déforestation, érosion et épuisement des sols. Les plantations de canne à sucre introduisirent la malaria dans l’espace tropical américain. (…) Quant aux fabuleuses mines d’argent du Mexique et du Pérou, elles furent épuisées en quelques décennies, laissant des environnements intensément pollués. (…) On pourrait encore mentionner la quasi-disparition du castor, du bison américain ou de la baleine boréale à la fin du XIX° siècle, en lien avec l’industrialisation, le cuir de bison fournissant d’excellentes courroies de transmission et l’huile de baleine un excellent lubrifiant pour les mécaniques de la révolution industrielle.»[17] Ailleurs dans le monde, aux mêmes causes les mêmes effets : «L’arbre à gutta percha disparait dès 1856 de Singapour puis de nombreuses iles de Malaisie. A la fin du XIX° siècle, la ruée vers le caoutchouc s’empare de l’Amazonie, causant massacres d’Indiens et déforestation. Au début du XX° siècle, l’hévéa est transféré du Brésil vers la Malaisie, le Sri Lanka, Sumatra puis au Libéria où les compagnies anglaises et américaines (Hoppum, Goodyear, Firestone…) établissent d’immenses plantations. Ces dernières mettent à bas plusieurs millions d’hectares de forêts causant l’épuisement du sol et l’introduction de la malaria.[18]»
Marx dénonce, dans le Capital, que le «progrès capitaliste» qui ne signifie rien d’autre que le pillage généralisé du travailleur comme du sol, amène à la ruine des ressources naturelles et de la terre comme de la classe ouvrière. En se basant sur les travaux scientifiques de son époque, il développe que les effets de l’exploitation et de l’accumulation capitalistes sont pareillement destructeurs sur la planète comme sur la force de travail du prolétariat : «Dans l’agriculture moderne, de même que dans l’industrie des villes, l’accroissement de productivité et le rendement supérieur du travail s’achètent au prix de la destruction et du tarissement de la force de travail. En outre, chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art d’exploiter le travailleur, mais encore dans l’art de dépouiller le sol ; chaque progrès dans l’art d’accroître sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité. Plus un pays, les États-Unis du nord de l’Amérique, par exemple, se développe sur la base de la grande industrie, plus ce procès de destruction s’accomplit rapidement. La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du procès de production sociale qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur»[19]. D’emblée et dès ses premiers pas le capitalisme s’est affirmé comme destructeur ET de la nature, ET de la force de travail du prolétariat.
La destruction de la nature à son paroxysme dans la décadence du capitalisme
La principale manifestation de l’entrée du système capitaliste en décadence, une fois ‘unifié’ le marché mondial, la guerre et l’état de guerre permanent du capitalisme ont des conséquences profondément écocides. Si «les deux guerres mondiales, les affrontements de la guerre froide et des décolonisations ont suscité des destructions écologiques à l’échelle planétaire, (…) la préparation des conflits, et notamment la mise au point, le test et la production des armements a produit des effets non moins massifs. (…) Mais ces impacts directs sont loin de résumer l’importance du phénomène guerrier dans les rapports des collectifs humains à leurs environnements.[20]»
«Les guerres du XX° siècle ont également été décisives pour façonner les logiques politiques, techniques, économiques, culturelles qui ont présidé à l’exploitation et à la conservation des ressources, à l’échelle des nations mais aussi de la planète toute entière. (…) Les effets des deux conflits mondiaux sur les économies et les écosystèmes (…) ont été décisifs pour globaliser et intensifier (…) les extractions à l’échelle planétaire et pour catalyser une mainmise accrue des pouvoirs étatiques (au Nord) et des firmes occidentales (au Sud) sur ces ressources. (…) La seconde guerre mondiale est une rupture décisive. (…) [Elle] a catalysé l’émergence de comportements d’extraction à outrance, cristallisés pendant le conflit et perpétués (…) après-guerre. (…) [La] reconfiguration à grande échelle des économies d’exploitation, de transport et d’usage» concerne «une large gamme de matières érigées au rang de ‘ressources stratégiques’, du bois, au caoutchouc et aux combustibles fossiles. (…) L’impératif d’approvisionnement d’une économie de guerre entraine la duplication des infrastructures productives et, en fin de compte, des surcapacités industrielles. [21]»
Comme le CCI l’a mis en avant, dans cette période «la destruction impitoyable de l’environnement par le capital [a pris] une autre dimension et une autre qualité (…) ; c’est l’époque dans laquelle toutes les nations capitalistes sont obligées de se concurrencer dans un marché mondial sursaturé ; une époque, par conséquent, d’économie de guerre permanente, avec une croissance disproportionnée de l’industrie lourde ; une époque caractérisée par l’irrationnel, le dédoublement inutile de complexes industriels dans chaque unité nationale, (…) le surgissement de mégalopoles, (…) le développement de types d’agriculture qui n’ont pas été moins dommageables écologiquement que la plupart des différents types d’industrie.[22]»
La "grande accélération" de la crise écologique ces dernières décennies constitue une des manifestations de la crise historique du mode de production capitaliste dans sa période de décadence, poussée à son paroxysme dans sa phase ultime, celle de sa décomposition. Sa gravité représente désormais une menace directe pour la survie de la société humaine. Surtout, les conséquences écologiques du capitalisme en pleine décomposition se mêlent et se combinent à tous les autres phénomènes de la dislocation de la société capitaliste, de la crise économique et de la guerre impérialiste, interagissent et démultiplient leurs effets en une spirale dévastatrice dont les répercussions combinées dépassent sans commune mesure la simple somme de chacune d’entre elles prises isolément.
L’irrémédiable incompatibilité du capitalisme avec la nature
Marx, dès le milieu du XIX° siècle mettait déjà en lumière que le Capital, soumis à la nécessité de toujours plus accumuler, affecte la base naturelle même de la production et déséquilibre dangereusement l’interaction entre le genre humain et la nature en provoquant une rupture irrémédiable de son métabolisme. «Avec la prépondérance toujours plus grande de la population urbaine, qu’elle concentre dans les grands centres, la production capitaliste, d’une part, accumule la force motrice historique de la société, d’autre part, elle perturbe le métabolisme entre l’homme et la terre, c’est-à-dire le retour au sol des composants du sol utilisés par l’homme sous forme de nourriture et de vêtements, donc l’état naturel éternel de la fertilité permanente du sol. [23]» «La grande propriété foncière réduit la population agricole à un minimum, à un chiffre qui baisse constamment en face d’une population industrielle concentrée dans les grandes villes, et qui s’accroît sans cesse ; elle crée ainsi des conditions qui provoquent un hiatus irrémédiable dans l’équilibre complexe du métabolisme social composé par les lois naturelles de la vie : il s’ensuit un gaspillage des forces du sol, gaspillage que le commerce transfère bien au-delà des frontières du pays considéré. La grande industrie et la grande agriculture exploitée industriellement agissent dans le même sens.[24]» Marx pouvait déjà discerner que le capitalisme compromettait l’avenir des générations ultérieures et, potentiellement, mettait l’avenir de l’humanité en danger. Comme on l’a vu, ces prévisions ont été amplement confirmées après plus d’un siècle de décadence du capitalisme.
Pourquoi en est-il ainsi ?
Le capitalisme n’a pas inauguré le pillage de la nature. Mais, à la différence des modes de production antérieurs aux dimensions géographiques plus restreintes et plus locales, à l’impact sur l’environnement plus limité, ce pillage, avec le capitalisme, change d’échelle. Il prend une dimension planétaire et un caractère de prédation qualitativement nouveau dans l’histoire de l’humanité. «C’est seulement avec lui que la nature devient un pur objet pour l’homme, une pure affaire d’utilité ; qu’elle cesse d’être reconnue comme une puissance en soi ; et même la connaissance théorique de ses lois autonomes n’apparaît elle-même que comme une ruse visant à la soumettre aux besoins humains, soit comme objet de consommation, soit comme moyen de production.»[25]
Pour le capitalisme, qui consacre le règne de la marchandise, et se présente comme un système de production universel de marchandises, uniquement mû par la recherche frénétique du profit maximal, TOUT devient marchandise, TOUT est à vendre. Ainsi, depuis l’époque moderne, avec la construction du marché mondial, «l’industrialisation passe par un transfert du contrôle sur la nature dans les mains d’une poignée de grands capitalistes»[26] ; «un nombre croissant d’objets de la nature ont été transformés en marchandises, c’est-à-dire avant toute chose qu’ils ont été appropriés, bouleversant les environnements comme les rapports économiques et sociaux. (…) L’appropriation d’entités naturelles, la privatisation des êtres vivants, ont des conséquences environnementales, économiques et sociales majeures. Toutes sortes d’êtres naturels deviennent des propriétés et des marchandises. (…) Les objets de la nature, en effet, ne sont pas spontanément des marchandises : ces dernières sont le résultat d’une construction, d’une appropriation (parfois violente) doublée d’une transformation qui permet de rendre l’objet conforme aux échanges marchands.»[27]
Le capitalisme ne conçoit la Terre et la nature que comme un «don gratuit» (Marx), un réservoir de ressources ‘providentiellement’ mis à sa disposition, dans lequel il peut puiser sans limite, pour en faire une des sources de ses profits. «Dans l'ordre économique actuel, la nature n'est pas au service de l'humanité mais du capital ; ce n'est pas le besoin de l'humanité en vêtements, en nourriture et en culture qui domine la production, mais le besoin du capital en profit, en or. Les ressources naturelles sont exploitées comme si les réserves étaient infinies et inépuisables. Avec les conséquences néfastes de la déforestation pour l’agriculture, avec l’extermination des animaux et des plantes utiles, le caractère fini des réserves disponibles manifeste au grand jour la faillite de ce type d’économie.»[28]
C’est donc non seulement de l’exploitation de la principale marchandise, la force de travail du prolétariat que le capitalisme tire sa richesse, mais aussi de l’exploitation de la nature. «Le travail n’est pas la source de toute richesse. La nature est tout autant la source des valeurs d’usage (qui sont bien, tout de même, la richesse réelle !) que le travail, qui n’est lui-même que l’expression d’une force naturelle, la force de travail de l’homme. […] Et ce n’est qu’autant que l’homme, dès l’abord, agit en propriétaire à l’égard de la nature, cette source première de tous les moyens et matériaux de travail, ce n’est que s’il la traite comme un objet lui appartenant que son travail devient la source des valeurs d’usage, partant de la richesse.[29]»
La cause de la crise climatique ne réside pas dans les ‘activités humaines’ en général ou dans certains secteurs de l’activité économique du capitalisme, mais dans l’existence du mode de production capitaliste lui-même. C’est parce que le capitalisme tire sa richesse de deux sources : l’exploitation de la nature et l’exploitation de la force de travail du prolétariat, toutes deux transformées en marchandises, qu’il n’a pas de solution à la crise écologique. Il ne peut qu’exploiter l’une et l’autre jusqu’à l’épuisement et la destruction. C’est pourquoi la question sociale et la question écologique vont de pair et ne peuvent être résolues qu’en même temps et par le prolétariat, la seule classe qui a intérêt à abolir toutes les formes d’exploitation ; leur résolution passe par le dépassement du mode de production capitaliste.
III°) le communisme, unique perspective pour l’humanité
C’est précisément ce que nie Malm, comme à son habitude, de façon péremptoire, sans véritable argumentation quand il décrète que : «Dans un monde capitaliste plus chaud, la machine à extorsion ne peut faire autre chose qu’extraire la même quantité de survaleur en pressant les ouvriers jusqu’à la dernière goutte de sueur. Mais au-delà un point de bascule localement déterminé, cela pourrait bien n’être simplement plus possible. Une révolution ouvrière victorieuse attend-elle son heure à l’ombre ? Sans doute pas. (…) L’extraction de survaleur reste probablement la machine à extorsion centrale, mais les effets explosifs du changement climatique ne se transmettent pas de manière directe suivant cet axe.[30]» Pour lui, la crise climatique et la question sociale appartiennent à des sphères complètement séparées sans connexion, ni rapport entre elles. Et puisque la lutte du prolétariat ne se développe pas spécifiquement contre les effets de la crise écologique, mais sur le terrain des conditions qui lui sont faites dans le capitalisme, Malm en conclut que la nature et l’écologie n’entrent aucunement dans le champ de son combat à l’échelle historique pour son émancipation, qu’il n’est pas capable d’intégrer la question écologique, des rapports entre le genre humain et la nature à sa perspective révolutionnaire.
Alors que scientifiques et spécialistes de l’environnement identifient généralement la production fondée sur l’échange marchand, la ‘marchandisation’ et l’exploitation à outrance de la nature, le régime de la propriété privée comme facteurs centraux responsables de la crise écologique et soulignent le besoin d’une solution à l’échelle universelle, alors qu’indubitablement, tous ces éléments diagnostiques condamnent le mode de production capitaliste et pointent incontestablement en direction du projet de société communiste porté par le prolétariat, que font-ils ? En aveugles, ou en complices de plus ou moins bon gré de la classe dominante, ils ne font que proposer des impasses ou des aberrations sans perspectives en guise de solution : demander à l’Etat d’améliorer lois et réglementations, mieux réguler, s’inspirer du rapport à la nature (idéalisé !) des sociétés primitives, revenir à la petite agriculture individuelle et parcellaire, produire local, etc. : en tous cas tous convergent pour rechercher des solutions à l’intérieur et dans les conditions de la société actuelle tout en ignorant et en ‘blackoutant’ la perspective du communisme, justement le SEUL projet de société qui se propose de débarrasser le monde de l’échange marchand et de l’exploitation, que tous voient pourtant à la racine de la crise climatique. Ici encore Malm ne fait pas exception[31], il joint sa voix au chœur des campagnes bourgeoises en leur apportant sa caution trotskiste.
Seul le prolétariat peut abolir l’exploitation et le règne de la marchandise
Le capitalisme a engendré en même temps les prémisses d'une abondance matérielle (qui se révèlent dans l'existence des crises de surproduction permettant le dépassement de l'exploitation) et les formes sociales nécessaires pour la transformation économique de la société, le prolétariat, la classe destinée à devenir son fossoyeur.
La généralisation de la marchandise par le mode de production capitaliste a, en premier lieu, affecté la force de travail mise en œuvre par les hommes dans leur activité productive. Le prolétariat, la classe productrice de l’ensemble des biens, privée de moyens de production, n'a, pour survivre, pas d'autre marchandise à vendre sur le marché que sa force de travail à ceux qui détiennent ces moyens de production, la classe capitaliste. Lui seul, qui est soumis à l’exploitation, à la vente de sa force de travail peut avoir intérêt à se révolter contre les rapports capitalistes fondés sur la marchandise. Comme l'abolition de l'exploitation se confond, pour l'essentiel, avec l'abolition du salariat, seule la classe qui subit cette forme spécifique d'exploitation, produit du développement de ces rapports de production, est capable de se doter d'une perspective de leur dépassement.
D’où le fait que «de toutes les classes qui aujourd’hui font face à la bourgeoisie, seul le prolétariat est une classe réellement révolutionnaire. Les autres classes périclitent et disparaissent avec la grande industrie, alors que le prolétariat en est le produit propre. Les classes moyennes, le petit industriel, le petit commerçant, l’artisan, le paysan, tous combattent la bourgeoisie pour préserver de la disparition leur existence de classes moyennes. Elles ne sont pas révolutionnaires, mais conservatrices. Plus encore, elles sont réactionnaires car elles cherchent à faire tourner à l’envers la roue de l’histoire.[32]»
«Ce qui distingue notre époque, (…) c’est qu’elle a simplifié l’opposition des classes. La société tout entière se divise de plus en plus en deux grands camps ennemis, en deux grandes classes qui s’affrontent directement : la bourgeoisie et le prolétariat.[33]» C’est de la place spécifique qu’occupe le prolétariat au sein des rapports de production capitalistes, que lui provient la faculté de s’affirmer comme force sociale capable de développer une conscience et une pratique aptes à «révolutionner le monde existant», à «transformer pratiquement l’état de choses existant.[34]» La lutte du prolétariat contre les effets de l’exploitation et les conditions qui lui sont faites dans le capitalisme ne peut vraiment aboutir qu’en se donnant pour finalité, l’abolition de l’exploitation elle-même et l’instauration du Communisme. C’est pourquoi «le communisme n'est (…) ni un état qui doit être créé, ni un idéal d'après lequel la réalité devra se régler. (…) [Il est] le mouvement réel qui abolit l'état actuel. Les conditions de ce mouvement résultent des prémisses actuellement existantes.[35]»
Les fondements matériels du Communisme à la solution de la question écologique
L’achat et la vente des richesses produites ne pourront disparaître que si les richesses de la société sont appropriées par celle-ci de façon collective. «L'appropriation [par le prolétariat de l'ensemble des moyens de production] (…) ne peut s’accomplir que par une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même, et par une révolution qui renversera, d’une part, la puissance du mode de production et d’échange précédent ainsi que le pouvoir de la structure sociale antérieure et qui développera, d'autre part, le caractère universel du prolétariat et l'énergie qui lui est nécessaire pour mener à bien cette appropriation, une révolution enfin où le prolétariat se dépouillera en outre de tout ce qui lui reste encore de sa position sociale antérieure.[36]» Avec la prise de possession des moyens de production par la société, l’appropriation collective par la société des richesses qu'elle produit, la production marchande est éliminée, et avec elle l'exploitation sous toutes ses formes, abolie.
L'abolition de l'échange marchand suppose que soit aboli également ce qui en constitue la base : la propriété privée, ce qui signifie la fin du droit de posséder et de s’approprier la nature : «…la terre, véritable matière première de tout travail humain et fondement de toute existence humaine, appartient à la société. Au stade le plus avancé de son développement, la société reprend ce qu'elle possédait déjà à ses toutes premières origines. Chez tous les peuples parvenus à un certain degré de civilisation, la propriété collective de la terre a existé. La propriété collective constitue la base de toute société primitive en formation, celle-ci n'est pas possible sans celle-là. Ce n'est qu’avec l'apparition et le développement de la propriété privée et des formes de domination qui y sont associées que (…) la propriété commune a été, après de dures luttes, éliminée et usurpée en tant que propriété privée. La spoliation du sol et sa transformation en propriété privée furent la première cause de la servitude qui, de l'esclavage antique au travailleur salarié «libre» du vingt [et un]ième siècle, est passée par tous les stades possibles, jusqu'à ce qu'enfin, après des millénaires d'évolution, les asservis rendent le sol à la propriété commune.»[37] La fin de la propriété privée signifie la fin du monopole exercés par quelques capitalistes «sur des parties déterminées de la surface terrestre[38], [et du] privilège d'en disposer au gré de leur volonté à l'exclusion de [tous] les autres.[39]»
«Avec la prise de possession des moyens de production par la société, la production marchande est éliminée (…). L'anarchie à l'intérieur de la production sociale est remplacée par l'organisation planifiée consciente. La lutte pour l'existence individuelle cesse. Par-là, pour la première fois, l'homme se sépare, dans un certain sens, définitivement du règne animal, passe de conditions animales d'existence à des conditions réellement humaines. Le cercle des conditions de vie entourant l'homme, qui jusqu'ici dominait l'homme, passe maintenant sous la domination et le contrôle des hommes qui, pour la première fois, deviennent des maîtres réels et conscients de la nature, parce que et en tant que maîtres de leur propre vie en société. (…) Ce n'est qu'à partir de ce moment que les hommes feront eux-mêmes leur histoire en pleine conscience; ce n'est qu'à partir de ce moment que les causes sociales mises par eux en mouvement auront aussi d'une façon prépondérante, et dans une mesure toujours croissante, les effets voulus par eux.[40]»
Le mode de production communiste révolutionne les rapports du genre humain à la nature
Cette nouvelle étape dans l’histoire du genre humain, véritable saut du règne de la nécessité à la liberté, du gouvernement des hommes à l’administration des choses ouvre une nouvelle ère : le Communisme devra d’abord s’atteler à la priorité de nourrir, vêtir et soigner l’ensemble de l’humanité ainsi que de commencer à réparer les dommages causés par les ravages de la production capitaliste sur l’environnement. La généralisation de la condition de producteur à l’ensemble des membres de la société, la libération des forces productives des limitations et des contraintes de la production capitaliste et de la réalisation du profit entraineront une explosion de la créativité et de la productivité, dans une proportion inimaginable dans les conditions sociales régnant actuellement. En instituant une relation nouvelle et plus élevée entre le genre humain et la nature, il sera le début d’une humanité mondiale unifiée, consciente d’elle-même et en harmonie avec la nature : «la liberté dans ce domaine ne peut consister qu'en ce que l'homme socialisé, les producteurs associés, règlent rationnellement leur métabolisme avec la nature, le placent sous leur contrôle commun, (…) ; l'accomplissent avec le moins de dépenses d’énergie possible et dans les conditions les plus dignes et les plus conformes à leur nature humaine.[41]»
Le développement du mode de production communiste introduira un type d’équipement du sol et du sous-sol totalement différent ; il visera à la meilleure répartition des êtres humains sur l’ensemble du globe et la suppression de l’opposition entre la ville et la campagne.
En vue d’«instituer systématiquement [le métabolisme entre l’homme et la terre] en loi régulatrice de la production sociale[42]» le communisme ne pourra pas faire autrement que se réapproprier et intégrer de façon critique les meilleurs apports des sociétés du passé, en commençant par une meilleure compréhension de la relation plus harmonieuse entre le genre humain et la nature, qui a prévalu pendant la longue période du communisme primitif, tout en intégrant et en transformant toutes les avancées scientifiques et technologiques développées par le capitalisme.[43]
Le Communisme met fin au rapport de prédation et du pillage de la nature des sociétés de classe pour lui substituer «le traitement consciemment rationnel de la terre comme propriété commune éternelle, et comme condition inaliénable de l’existence et de la reproduction de la chaîne des générations humaines successives.[44]»
Pour conclure, contre tous les falsificateurs bourgeois tel Malm[45], nous réaffirmons, avec Marx, qu’en plaçant au centre de son mode de production la satisfaction des besoins humains, en bouleversant les rapports entre les êtres humains tout comme ceux de l’ensemble du genre humain à la nature «le Communisme» représente l’unique et la «vraie solution de l’antagonisme entre l’homme et la nature, entre l’homme et l’homme[46]» qui s’offre à l’humanité pour lui ouvrir les portes de l’avenir.
Face à l’urgence climatique, l’urgence de la révolution communiste
Le Communisme est à l’ordre du jour depuis l’entrée du mode de production capitaliste dans sa période de décadence au tournant du vingtième siècle, lorsque les rapports de production bourgeois devenus trop étroits entrent définitivement en collision avec le développement des forces productives qu’ils ne peuvent plus contenir.
À la différence des classes révolutionnaires du passé, toutes porteuses de nouveaux systèmes d’exploitation et qui pouvaient développer leurs nouveaux rapports de production au sein des anciens rapports de production devenus obsolètes, avant de finalement balayer ces derniers, le prolétariat, lui, première classe de l’histoire à la fois exploitée et révolutionnaire, dépourvue de tout point d’appui matériel au sein des rapports de production capitalistes, doit d’abord briser le pouvoir politique de la classe régnante pour s’ériger en classe dominante. N’ayant à disposition que sa conscience et sa capacité d’organisation comme armes de combat, ce n’est qu’une fois préalablement acquise la destruction de l’Etat bourgeois -de tous les Etats- et la prise du pouvoir révolutionnaire au niveau mondial assurée, qu’il peut faire avancer son projet de nouvelle société, inaugurer la transformation communiste de la société.
Dans la situation historique actuelle de la décomposition, la phase ultime de la décadence du capitalisme et face à la spirale de destructions qu’elle enclenche et qui menace l’avenir de la civilisation, et même la survie de l’humanité, le temps ne joue plus en sa faveur, mais lui seul, comme classe révolutionnaire de notre temps détient la clé pour sortir de cette situation cauchemardesque. Il conserve toutes ses potentialités pour concrétiser son projet historique. L’unique alternative, la seule valide, pour ceux qui cherchent une issue aux calamités capitalistes, c’est, sans céder à la panique face à la situation immédiate, d’œuvrer de façon déterminée à réunir les conditions de la survenue du Communisme, de hâter le processus qui mène à cet acte libérateur du monde, en rejoignant le combat de la classe opprimée dans son effort pour développer la conscience de son action et de son mouvement vers l’accomplissement de sa mission historique.
Scott
[1] Andreas Malm, L’anthropocène contre l’histoire, Editions La Fabrique, 2017, p.137
[2] Andreas Malm, Avis de Tempête, Nature et culture dans un monde qui se réchauffe, Editions La Fabrique, 2023, p.155 (Edition en anglais : Andreas Malm, The Progress of This Storm, Verso, 2017.
[3] «Le capital abhorre l’absence de profit ou un profit minime, comme la nature a horreur du vide. Que le profit soit convenable, et le capital devient courageux : 10% d’assurés, et on peut l’employer partout ; 20% il s’échauffe ; 50%, il est d’une témérité folle ; à 100% il foule aux pieds toutes les lois humaines ; 300%, et il n’est pas de crime qu’il n’ose commettre, même au risque de la potence.» Th. J. Dunning, cité par Marx dans le Livre I du Capital Editions Sociales, 1950, tome 3, p.202)
[4] Andreas Malm, Avis de Tempête, Nature et culture dans un monde qui se réchauffe, Editions La Fabrique, 2023, p.164-65
[5] Andreas Malm, L’anthropocène contre l’histoire, Editions La Fabrique, 2017, p.190-91
[6] Sha Zukang, «Foreword», in Promoting Development and Saving the Planet, p. VII cité par C. Bonneuil, J.B. Fressoz, L’événement Anthropocène – La Terre, l’histoire et nous, Seuil, 2013, p.252 ; Cette approche a été défendue par le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, lors du sommet sur l'action climatique de 2019 et par le Premier ministre chinois Li Kequiang lors de la Commission mondiale sur l’adaptation en 2019.
[7] Marx, New York Daily Tribune, 1853.
[8] Marx, Travail salarié et Capital, 1847, Editions sociales, 1969, p.29
[9] «(En français : jusqu'ici et pas plus loin) est un mouvement social allemand de désobéissance civile visant à alerter sur les actions qui favorisent le changement climatique, notamment l'extraction du charbon.» (Wikipédia)
[10] Andreas Malm, L’anthropocène contre l’histoire, Editions La Fabrique, 2017, p.210
[11] Voir les points du ‘programme de transition vert’ de Malm, dans la première partie, paragraphe : «Une méthode et une approche bourgeoises de part en part»
[12] Andreas Malm, L’anthropocène contre l’histoire, Editions La Fabrique, 2017, p.206
[13] Marx-Engels, Manifeste du Parti Communiste, 1847, Ed. Le Livre de Poche, 1973, pp.9-10
[14] Rosa Luxembourg, L'accumulation du capital, III : Les conditions historiques de l'accumulation, 26 : La reproduction du capital et son milieu
[15] Le Manifeste du Parti Communiste, 1847, https://www.marxists.org/francais/marx/works/1847/00/kmfe18470000a.htm#s...
[16] R. Luxembourg, Introduction à l’économie politique,1907, https://www.marxists.org/francais/luxembur/intro_ecopo/intro_ecopo_51.htm
[17] C. Bonneuil, J.B. Fressoz, L’événement Anthropocène – La Terre, l’histoire et nous, Seuil, 2013, p.260.
[18] Idem, p.267
[19] Karl Marx, Le Capital - Livre premier - Le développement de la production capitaliste, IV° section : la production de la plus-value relative, Chapitre XV : Machinisme et grande industrie
[20] J.B. Fressoz, F. Graber, F. Locher, G. Quenet, Introduction à l’histoire environnementale, Ed. La Découverte, 2014, p.92-93
[21] Idem, p.96-97
[22] "Ecologie : c'est le capitalisme qui pollue la Terre", Revue internationale n°63 (4e trimestre 1990).
[23] Karl Marx, Le Capital, Livre I
[24] Karl Marx, Le Capital, Livre III
[25] Marx, Manuscrits de 1857-1858 dits «Grundrisse», Éditions sociales, Paris, 2011, p.371
[26] .B. Fressoz, F. Graber, F. Locher, G. Quenet, Introduction à l’histoire environnementale, Ed. La Découverte, 2014, p.61
[27] Idem, p.56-57
[28] Anton Pannekoek, Zeitungskorrespondenz Nr.75, 10 juillet 1909, notre traduction
[29]. Marx, Engels, Programmes socialistes, critique des projets de Gotha et d’Erfurt
[30] Andreas Malm, L’anthropocène contre l’histoire, Editions La Fabrique, 2017, p.190-91
[31] On retrouve des élucubrations du même genre chez un autre ‘génial penseur’ de ‘l’écologie critique’, Fabian Scheidler, lui aussi encensé de toute part : «On n’ébauche pas une nouvelle société sur une planche à dessin comme on le fait pour un nouvel aménagement intérieur, une machine ou une usine. Les nouvelles formes d’organisation sociale résultent de conflits persistants et de processus de convergence entre divers groupes. Ce qui ressort in fine ne peut par principe jamais être le résultat d’un seul plan, mais seulement la conséquence de nombreux plans, contradictoires ou convergents. (…) Les grands changements de système ne résultent ni d’une transition lente et graduelle d’un mode d’organisation à un autre, ni d’une rupture volontariste sur le modèle de la révolution d’Octobre en Russie. (…) Ce qu’il n’y a effectivement pas, c’est un plan directeur pour construire un nouveau système qui remplacerait le précédent. Non seulement un tel plan n’existe pas, mais il n’y a plus grand monde pour penser qu’il en faille un.» (F. Scheidler, La Fin de la mégamachine. Sur les traces d'une civilisation en voie d'effondrement, chapitre 11 Possibilités, sortir de la mégamachine, Ed. Seuil, 2020, P.445-50)
[32] Marx-Engels, Manifeste du Parti Communiste, 1847, Ed. Le Livre de Poche, 1973, p.19 ; «Les paysans, bien qu'ils soient exploités de multiples façons et qu'ils puissent mener des luttes parfois très violentes pour limiter leur exploitation, ne peuvent jamais donner pour objectif à ces luttes l'abolition de la propriété privée puisqu'ils sont eux-mêmes de petits propriétaires ou que, vivant aux côtés de ces derniers, ils aspirent à le devenir. Et, même lorsque les paysans se dotent de structures collectives pour augmenter leur revenu à travers une amélioration de leur productivité ou de la commercialisation de leurs produits, c'est, en règle générale, sous la forme de coopératives, lesquelles ne remettent en cause ni la propriété privée, ni l'échange marchand. En résumé, les classes et couches sociales qui apparaissent comme des vestiges du passé (exploitants agricoles, artisans, professions libérales, etc.), qui ne subsistent que parce que le capitalisme, même s'il domine totalement l'économie mondiale, est incapable de transformer tous les producteurs en salariés, ne peuvent porter de projet révolutionnaire. Bien au contraire, la seule perspective dont elles puissent éventuellement rêver est celle d'un retour à un mythique «âge d'or» du passé : la dynamique de leurs luttes spécifiques ne peut être que réactionnaire.» (Revue Internationale n°73, «Qui peut changer le monde ? Le prolétariat est bien la classe révolutionnaire», p.20)
[33] Marx-Engels, Manifeste du Parti Communiste, 1847, Ed. Le Livre de Poche, 1973, p.6
[34] Marx, L’Idéologie Allemande (1846)
[35] Marx-Engels, L’Idéologie allemande, Éd. Sociales, Paris, 1968, p. 64
[36] Marx-Engels, L’Idéologie allemande, Éd. Sociales, Paris, 1968, p. 103-104
[37] August Bebel, „Die Frau und der Sozialismus“, Kapitel 22, Sozialismus und Landwirtschaft, 1. Aufhebung des Privateigentums an Grund und Boden, (notre traduction).
[38] «Quand la société sera parvenue à un degré supérieur d’organisation économique, le droit de propriété de quelques individus sur les terres qui composent le globe paraitra aussi absurde que le droit de propriété d’un homme sur un autre paraît insensé. Aucune société, ni une nation, ni même toutes les nations ne sont propriétaires de la Terre : elles n’en sont que les possesseurs, les usufruitiers, ayant pour obligation, en boni patres familias (en bons pères de famille) de la transmettre sous une forme améliorée aux générations futures.» (Karl Marx, Le Capital - Livre III, Le procès d'ensemble de la production capitaliste, §6 : La transformation d'une partie du profit en rente foncière, Chapitre XLVI : La rente des terrains à bâtir. La rente des mines. Le prix de la terre, (notre traduction))
[39] Karl Marx, Le Capital - Livre III, Le procès d'ensemble de la production capitaliste, §6 : La transformation d'une partie du profit en rente foncière, Chapitre XXXVII : Introduction
[40] F. Engels, Anti-Dühring, Editions sociales, Paris, 1977, p. 319, traduction d’Émile Bottigelli.
[41] Karl Marx, Le Capital - Livre III, Le procès d'ensemble de la production capitaliste, §7 : Les revenus et leur source, Chapitre XLVIII : La formule tripartite, (notre traduction)
[42] Karl Marx, Le Capital - Livre premier, Le développement de la production capitaliste, IV° section : la production de la plus-value relative, Chapitre XV : Machinisme et grande industrie -§X. - Grande industrie et agriculture (in Ed. La Pléiade, Œuvres : Economie-I, p.998)
[43] «Depuis les énormes progrès de la science de la nature au cours de ce siècle, nous sommes de plus en plus à même de connaître aussi les conséquences naturelles lointaines, tout au moins de nos actions les plus courantes dans le domaine de la production, et, par suite, d’apprendre à les maîtriser. Mais plus il en sera ainsi, plus les hommes non seulement sentiront, mais sauront à nouveau qu’ils ne font qu’un avec la nature…» (Engels, La dialectique de la nature, Éditions Sociales, Paris, 1977, p. 180-181, traduction d’Émile Bottigelli.)
[44] K. Marx, Le Capital - Livre III, Le procès d'ensemble de la production capitaliste, § 6 : La transformation d'une partie du profit en rente foncière, Chapitre XLVII : La genèse de la rente foncière capitaliste, 5. Le métayage et la propriété parcellaire.
[45] Ou à la Scheidler.
[46] Karl Marx, Manuscrits de 1844.