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Au début de la Première Guerre mondiale, l’un des premiers signes du réveil de la classe ouvrière après la trahison de ses organisations politiques et la première année de massacre a été la conférence tenue à Zimmerwald, en Suisse, en septembre 1915, qui a réuni un petit nombre d’internationalistes de différents pays. Lors de cette conférence, de nombreux points de vue différents sur la guerre se sont exprimés, la majorité d’entre eux tendant vers le pacifisme. Seule la minorité de gauche défendait une opposition clairement révolutionnaire à la guerre. Ce travail, combiné à la reprise de la lutte des classes à un niveau plus général culminant avec la flambée révolutionnaire en Russie et en Allemagne, devait donner naissance à un nouveau parti politique mondial basé sur des positions révolutionnaires, l’Internationale communiste, fondée en 1919.
Aujourd’hui, nous sommes encore loin de la formation d’un tel parti, surtout parce que la classe ouvrière a encore un long chemin à parcourir avant de pouvoir poser à nouveau la question de la révolution. Mais, face à un système mondial qui se dirige vers l’autodestruction, face à l’intensification et à la prolifération des guerres impérialistes, nous voyons réémerger de petits signes de la conscience qu’une réponse internationale et internationaliste à la guerre impérialiste est nécessaire. Comme nous l’avons dit dans notre précédent article sur l’Action Week de Prague, (1) le rassemblement de Prague était l’un de ces signes, pas moins hétérogène et confus que la conférence initiale de Zimmerwald (et beaucoup plus désorganisé), mais un signe tout de même.
Pour nous, organisation qui puise ses origines dans la Gauche communiste des années 1920, et avant cela, dans la gauche de Zimmerwald autour des bolcheviks et d’autres groupements, il était nécessaire d’être présents autant que possible à l’événement de Prague afin de défendre un certain nombre de principes politiques et de méthodes d’organisation :
– Contre la désorganisation ambiante qui a transformé certaines parties de cette « semaine d’action » en un véritable fiasco, la nécessité d’un débat organisé et ouvert autour de thèmes précis et visant des résultats clairs. Cela signifie que les réunions doivent être présidées, que des notes doivent être prises, que des conclusions doivent être tirées, etc.
– Contre l’envie immédiatiste de parler uniquement de « ce que nous pouvons faire maintenant », la nécessité de discuter dans un cadre historique plus large afin de comprendre la nature des guerres actuelles, l’équilibre des forces entre les deux classes principales et la perspective de futurs mouvements de classe massifs.
– Contre l’idée d’actions « exemplaires » de substitution menées par de petits groupes dans le but de saboter les efforts de guerre de différents États, la nécessité de reconnaître que seule la mobilisation massive de la classe ouvrière peut constituer une véritable opposition à la guerre impérialiste, et que, dans un premier temps, de tels mouvements sont plus susceptibles d’émerger de la lutte contre l’impact de la crise économique (exacerbée, bien sûr, par la croissance d’une économie de guerre) que d’une action de masse directe contre la guerre.
– Pour faire valoir ces points de vue, il a fallu s’opposer à l’exclusion des groupes de la Gauche communiste souhaitée par les éléments à l’origine de l’organisation de l’Action Week. Nous reviendrons sur cette question plus loin.
Dans notre premier article, qui visait à rendre compte de l’issue chaotique de l’Action Week et à en évoquer certaines des raisons sous-jacentes, nous avons souligné le rôle constructif joué par les groupes de la Gauche communiste, mais aussi par d’autres éléments, en essayant de construire un cadre organisé pour un débat sérieux (qui s’est appelé l’« assemblée auto-organisée »). La délégation du CCI a soutenu cette initiative, mais nous ne nous faisions pas d’illusions sur les difficultés rencontrées par cette nouvelle formation, et encore moins sur la possibilité d’un suivi organisé de l’événement, à travers, dans un premier temps, la création d’un forum en ligne pour les débats qui n’ont pas pu être développés à Prague. Il semble aujourd’hui que même cet espoir minimal n’ait pas abouti et qu’il faille repartir de zéro pour définir les modalités et les possibilités des futurs rassemblements.
Autres bilans de l’événement
Depuis la semaine de Prague, il y a eu très peu de tentatives pour décrire ce qui s’est passé, et encore moins pour tirer les leçons politiques de cet échec évident. L’Anarchist Communist Network a écrit un bref compte rendu, (2) mais qui se concentre principalement sur la division parmi les anarchistes tchèques entre les « défenseurs de l’Ukraine » et ceux qui recherchent une position internationaliste sur la guerre. Cela a certainement été un élément dans la désorganisation de l’événement mais, comme nous l’avons soutenu dans notre premier article, il est nécessaire d’aller beaucoup plus loin dans la réflexion, au moins en ce qui concerne l’approche activiste qui est encore dominante chez les anarchistes opposés à la guerre sur une base internationaliste. (3)
À notre connaissance, ce sont les plus hostiles aux groupes de la Gauche communiste qui se sont le plus exprimés. Tout d’abord, un groupe d’Allemagne qui se concentre sur la solidarité avec les prisonniers. (4) Ce groupe n’a assisté qu’à la fin du premier jour de l’assemblée auto-organisée et à une partie du deuxième, avant de se rendre à la conférence officielle (5) dont ils prétendent qu’elle aurait donné lieu à des discussions intéressantes… sans rien dire sur ce qui y a été discuté. Mais ils sont très clairs sur les personnes qu’ils accusent d’avoir saboté l’Action Week : « Nous ne l’avons pas réalisé à ce moment-là, mais il était déjà clair que dans la situation déjà chaotique, des groupes essayaient de faire exploser la réunion de l’intérieur, en plus des attaques des anarchistes de l’OTAN, tandis que d’autres conflits entre groupes se déroulaient à ce moment-là. Il s’agissait avant tout de groupes communistes de gauche ». Ainsi, au lieu de proposer des solutions pour sortir de la situation chaotique léguée par les organisateurs officiels, les groupes de la Gauche communiste n’auraient fait qu’aggraver la situation !
Les déformations et les calomnies de Tridni Valka
Le récit le plus « substantiel » de ce qui s’est passé est fourni par le groupe tchèque Tridni Valka, que la plupart des gens savaient impliqué dans l’organisation de l’Action Week, et à juste titre, puisque leur site web hébergeait toutes les annonces à ce sujet.
Mais ce qui est le plus important dans cet article, ce sont les nombreuses déformations et calomnies qu’il contient. En réalité, ils veulent masquer leur propre responsabilité dans ce fiasco en l’imputant à ce qu’ils décrivent comme un « comité d’organisation » totalement distinct, dont la composition reste à ce jour un mystère. Tridni Valka affirme qu’il n’était favorable qu’au Congrès anti-guerre non public et qu’il pensait que les organisateurs n’avaient pas les ressources nécessaires pour gérer une semaine entière d’événements. Ils critiquent en particulier la « manifestation anti-guerre » prévue le vendredi, qui avait été rejetée la veille comme dénuée de sens et comme une menace pour la sécurité par tous les éléments qui s’étaient prononcés en faveur du boycott de la manifestation et de la poursuite du débat politique (c’est-à-dire de la tenue de l’assemblée auto-organisée). Pourtant, l’annonce appelant les gens à participer à la manifestation est toujours en ligne sur le site web de Tridni Valka. (6) Cette confusion est le résultat inévitable d’une conception politique qui évite ou rejette une démarcation politique claire entre les différentes organisations et rend impossible de déterminer quel groupe ou comité est responsable de quelle décision, une situation qui ne peut que semer la confusion et la méfiance.
Ils cherchent surtout à justifier leur politique d’exclusion de la Gauche communiste du congrès, d’abord en développant un argumentaire terminologique sur l’étiquette « Gauche communiste », puis en lançant un certain nombre d’exemples historiques visant à accuser les groupes existants de la Gauche communiste d’essayer de construire un « parti de masse » sur le modèle bolchevique. Ils affirment également que tous les groupes de la Gauche communiste défendent la signature par les bolcheviks du traité de Brest Litovsk en 1918. Ils dénoncent aussi la conférence de Zimmerwald et la gauche de Zimmerwald, à laquelle se réfère également la Gauche communiste, comme n’étant qu’un ramassis de pacifistes, et prétend même que « le soi-disant “communisme de gauche” défend (plus ou moins, selon les nuances privilégiées par chacune de ces organisations) la position de la IIIe Internationale sur la question coloniale »…
Tous ces arguments sont avancés pour démontrer que les positions de la Gauche communiste étaient incompatibles avec la participation au congrès contre la guerre. Il n’est pas possible de répondre ici à tous ces arguments, mais un ou deux points méritent d’être soulignés, car ils révèlent la profondeur de l’ignorance (ou de la déformation délibérée) que révèle l’article de Tridni Valka :
– Premièrement, la critique de l’idée social-démocrate du parti de masse a été développée en premier lieu par… les bolcheviks à partir de 1903.
– En Russie, en 1918, c’est précisément l’opposition au traité de Brest-Litovsk qui a donné naissance à la fraction communiste de gauche au sein du parti russe (même s’il est vrai que, plus tard, certains communistes de gauche, notamment la fraction italienne, se sont opposés (à juste titre selon nous) à la position de « guerre révolutionnaire » que les communistes de gauche proposaient comme alternative à la signature du traité).
– Quant à l’argument selon lequel les groupes actuels de la Gauche communiste continuent tous à défendre la position de la IIIe Internationale sur la question coloniale, nous pouvons renvoyer Tridni Valka à n’importe lequel de nos articles sur le sujet pour constater qu’ils soutiennent exactement l’inverse !
Au fond, Tridni Valka veut exclure définitivement le CCI du camp prolétarien. Pourquoi ? Parce que nous affirmons que le groupe qui a le plus fortement influencé Tridni Valka, le Groupe Communiste Internationaliste (GCI), a fini par flirter avec le terrorisme et que Tridni Valka n’a jamais clarifié les différences qu’il avait avec le GCI. Réponse de Tridni Valka : « Il est très probable que les services de sécurité de l’État tchèque (et d’autres) se réjouissent de ce genre de “révélations” et d’“informations” sur les liens supposés de notre groupe “avec le terrorisme”. Merci aux indicateurs du CCI, qui ferait mieux de se rebaptiser CCI-B, avec un B pour “Bolchevik” et surtout pour “Betrayer” [traître] ! Putains de balances !!! »
En fait, le CCI a depuis longtemps assumé sa responsabilité politique en dénonçant la prétention du GCI à représenter le nec plus ultra de l’internationalisme, en exprimant leur soutien de plus en plus grotesque aux prétendues expressions du prolétariat que seraient les organisations terroristes, comme le Bloc Révolutionnaire Populaire au Salvador et le Sentier Lumineux au Pérou, ou en décelant carrément une « résistance prolétarienne » dans les atrocités d’Al-Qaïda. De telles positions politiques exposent clairement toutes les organisations révolutionnaires authentiques à la répression des services de sécurité de l’État qui les utiliseront pour faire l’amalgame entre l’internationalisme et le terrorisme islamique.
Par ailleurs, nous avons montré une autre facette de la capacité du GCI à faire le travail de la police : ses menaces de violence contre nos camarades du Mexique, dont certains avaient déjà été agressés physiquement par des maoïstes mexicains. (7) Si Tridni Valka avait le sens des responsabilités face à la nécessité de défendre le camp internationaliste, il aurait pris publiquement ses distances avec les dérives du GCI.
Nous n’avons pas dit notre dernier mot sur les leçons de l’événement de Prague, ni sur les autres tentatives de développer une réponse internationaliste à la guerre, mais nous ne pouvions pas ne pas répondre à ces attaques. En présentant la tradition de la Gauche communiste comme un obstacle à l’effort de rassemblement des modestes forces internationalistes d’aujourd’hui, les auteurs de ces attaques révèlent que ce sont eux qui s’opposent à cet effort. Dans les prochains articles, nous avons l’intention de répondre au bilan de la conférence dressé par la TCI et d’aborder certaines des questions clés posées par la conférence. Cela signifie, en particulier, approfondir les raisons pour lesquelles nous insistons sur le fait que seul le mouvement réel de la classe ouvrière peut s’opposer à la guerre impérialiste, pourquoi seul le renversement du capitalisme peut mettre fin à la spirale croissante de la guerre, et pourquoi les approches activistes privilégiées par la majorité des groupes participant à la semaine d’action ne peuvent que conduire à une impasse.
Amos, 22 août 2024
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1) « “Action Week” à Prague : L’activisme est un obstacle à la clarification politique », Revue internationale n° 172 (2024) ?
2) « Together Against Capitalist Wars and Against Capitalist Peace ! », publié sur le site web du groupe (2024).
3) La Communist Workers Organisation (CWO) a également rédigé un bref compte rendu, mais nous souhaitons y répondre dans un article séparé.
4) « Das Treffen in Prag, der Beginn von einer Katastrophe » du Soligruppe für Gefangene (publié en ligne).
5) C’est-à-dire le « Congrès anti-guerre » non public convoqué par le Comité d’organisation initial, qui excluait les groupes de la Gauche communiste. Cette réunion a donné lieu à une courte déclaration commune publiée sur le site web de l’Anarchist Communist Network.
6) « Manifestation contre les guerres capitalistes et la paix capitaliste » publié sur le site de Tridni Valka en plusieurs langues.
7) « Menaces de mort contre le CCI : Solidarité avec nos militants menacés ! », Révolution internationale n° 355 (2005).