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L’abbé Pierre décédé en 2007 est aujourd’hui accusé de plusieurs agressions sexuelles. Elles font suite à un premier témoignage en 2023 « faisant état d’une agression sexuelle commise par l’abbé Pierre sur une femme » et qui était adressé à Emmaüs International, Emmaüs France et la Fondation Abbé-Pierre. Depuis l’enquête diligentée par Emmaüs a permis de recueillir les récits de sept victimes donc l’une mineure pour des faits s’étalant de 1970 à 2005 : « Ces révélations bouleversent nos structures, au sein desquelles la figure de l’abbé Pierre occupe une place majeure », a réagi le mouvement Emmaüs dans un communiqué. Le « choc » est immense dans la société, tant le personnage, longtemps « personnalité préférée des Français », et son association ont bénéficié d’un large soutien au fil des décennies, des médias et des politiciens de gauche comme de droite. Emmaüs n’a pas été dans le déni (cette fois-ci !). Ce changement de posture suit celui de l’Église laquelle a dû faire face, au niveau mondial, à de très nombreux scandales. Mais ce changement ne s’explique pas par une empathie toute chrétienne envers les victimes avérées ou potentielles pour des affaires souvent couvertes ou étouffées par la hiérarchie (parfois impliquée elle-même) pendant des décennies mais plus sûrement par le choc de confiance à l’intérieur de l’Église comme à l’extérieur et la volonté de freiner l’hémorragie des fidèles.
La sacralisation de l’Abbé Pierre est aujourd’hui fortement écornée par ses comportements ignobles et le silence de son entourage et de l’Église. (1) Il ne faut cependant pas oublier que sa figure du « saint homme » a aussi été l’instrument de toute une idéologie de fausse solidarité basé sur l’exploitation sociale de la misère. Le mouvement Emmaüs rassemble aujourd’hui plus de 30 000 personnes (bénévoles, compagnes et compagnons, salariés et salariés en insertion) dans toute la France. Il est également présent dans 37 pays du monde. Les communautés connaissent nombre de conflits sociaux : pour les travailleurs et parmi les plus fragiles, les sans-papiers (délivrable sous condition suivant l’avis du directeur au bout de trois ans !), c’est 40 heures par semaine et de 150 à 300 € par mois. Des communautés qui connaissent une multiplication des grèves comme dans le Nord en 2023. Martin Hirsch, un temps président d’Emmaüs, puis nommé au gouvernement, a concocté à ces travailleurs un statut particulier (OACAS) car il n’en avait aucun mais qui les exclut du droit de travail classique : « En excluant les compagnons du droit du travail, ce statut OACAS les prive surtout de la possibilité d’avoir recours aux Prud’hommes en cas de conflit avec un responsable. Il les prive également du salaire minimum légal, ainsi que d’un contrat de travail, d’où les expulsions sans préavis. “Avec ce texte, on a tout simplement légalisé l’esclavage”, se désole Victor, un ancien bénévole ». (2)
L’association du « saint homme » est une entreprise d’exploitation capitaliste profitant d’une main d’œuvre fragile avec l’alibi de l’insertion. Toute entreprise de ce type tient objectivement un rôle d’encadrement des travailleurs les plus pauvres et, en dénaturant la solidarité, en éloignant les exploités de la véritable solidarité de classe, elle joue un rôle d’amortisseur de la colère sociale comme beaucoup d’association de ce type face à la crise capitaliste. Dès lors, on comprend le soutien du monde politique, de la bourgeoisie en général, et de l’État. Loin de lutter contre les conséquences et encore moins les causes de la misère et contre toutes les formes d’exclusion comme le prétend sa charte, Emmaüs en vit et la perpétue, elle en est le produit. Emmaüs est bien une claire expression de la violence sociale institutionnalisée.
ETH, 3 août 2024
1 De cette série de témoignage ressort « une forme de sidération lors des faits » une forme d’emprise alimentée par le statut de l’abbé Pierre et une forme d’idolâtrie : « J’ai l’habitude de me défendre. Mais là, c’était Dieu. Comment vous faites quand c’est Dieu qui vous fait ça ? ».
2 « Emmaüs : Certaines communautés sont des zones de non-droit », Reporterre (28 juin 2022).