VIET-NAM,exemple de "Libération nationale"

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De tous côtés aujourd'hui, nous entendons crier à la solidarité avec telle ou telle "lutte héroïque" de "li­bération nationale". Cependant, depuis la dernière guerre mondiale un nombre considérable de pays ont réa­lisé leur "libération nationale" sans que pour autant il se produise un changement radical, révolutionnaire dans leur structure interne ou dans leurs relations de soumission aux grandes puissances capitalistes.

Non seulement, aucun des mouvements de "libération na­tionale" n'a donné naissance à une révolution proléta­rienne, mais encore les          grandes puissances impérialis­tes (USA, URSS, Chine, etc.…) loin de s'affaiblir, n'ont fait que se renforcer.

La guerre du Viêt-Nam est-elle une exception ?

Nous nous proposons de démontrer qu'elle ne l'est pas et, à travers cet exemple, déterminer d'un point de vue révolutionnaire, la nature de classe des luttes déli­bération nationale" et ce qu'elles représentent pour le prolétariat mondial.

I LA BASE ECONOMIQUE DE LA " LIBERATION NATIONALE "

La colonisation a fait  pénétrer le mode de production capitaliste dans les pays se trouvant à un stade inférieur de développement. "Elle (la bourgeoisie( contraint toutes les nations (...) d'adopter le mode de production bourgeois; elle les contraint d'importer chez elles ce qui s'appelle la ci­vilisation, autrement dit, elle en fait des nations de bourgeois. En un mot elle crée un monde à son image" (Marx-Engels. "Manifeste Communiste").

La puissance dominante lance sur le nouveau marché ses produits manufac­turés, et bouleverse ainsi les rapports pré-capitalistes (économie naturel­le primitive) pour en substituer de nouveaux: les rapports de production capitaliste qui font surgir une bourgeoisie et une classe ouvrière locale.

La première naît comme intermédiaire du capital étranger sur le plan local sous la forme d'une bourgeoisie commerciale dont l'existence dépend de la présence et du maintien du capital étranger.

Le développement des forces productives du pays s'accompagne par la suite, de la disparition progressive d'une partie des couches pré-capita­listes et de la montée d'une bourgeoisie industrielle détentrice d'une par­tie du capital national.

Cette couche aura rapidement des intérêts antagonistes à ceux du capi­tal étranger. En effet:

  • La bourgeoisie nationale ne ramasse que les miettes que l'exploiteur étranger laisse derrière lui.
  • L'intérêt de la bourgeoisie nationale est de développer au maximum toutes les forces de production du pays, tandis que la puissance domi­nante ne s'intéresse qu'aux secteurs qui lui sont directement rentables (et dans une relation subordonnée aux besoins de l'industrie de la mé­tropole), au détriment des autres (maintien de régimes de monoculture ou d'industrie extractive, etc...).
  • La bourgeoisie locale pense pouvoir subsister sans la puissance en question, et qu'il est plus profitable pour elle de choisir ses parte­naires commerciaux librement.

Ainsi, l'existence d'un capital national implique nécessairement celle d'un intérêt capitaliste national et c'est là la base des luttes de "li­bération nationale".

Les représentants de ces intérêts ont changé à travers l'histoire, se présentant tantôt sous une forme, tantôt sous une autre; les mots d'ordre de la bataille eux aussi ont changé. Cependant, la nature du combat reste la même: une NATURE BOURGEOISE.

II LES REPRESENTANTS DES INTERETS CAPI­TALISTES NATIONAUX BOURGEOISIE, BUREAUCRATIE

Jusqu'au début du XX° Siècle, c'est fondamentalement la bourgeoisie privée nationale détentrice d'une partie du capital local, qui a représen­té les intérêts de celui-ci. C'est elle qui a entrepris les tâches de sa défense face aux puissances étrangères; c'est elle qui a réalisé les tâ­ches d'aménagement capitaliste dans ces pays (USA, Amérique Latine, etc..). A mesure que le capitalisme à l'échelle mondiale est entré dans sa phase impérialiste de décadence, à mesure que le développement du capital devait faire face à des contradictions et des concurrences inter-capitalistes cha­que fois plus grandes à cause de la saturation mondiale des marchés, ces bourgeoisies se sont avérées de plus en plus impuissantes à faire face aux puissances étrangères et à développer le capital national.

Aussi, Trotsky pouvait-il formuler sa théorie de la Révolution Perma­nente selon laquelle, la bourgeoisie des pays sous-développés n'étant plus capable dans le "capitalisme pourrissant" de réaliser les tâches de la ré­volution bourgeoise, ce serait le prolétariat qui en prendrait la charge. Il y voyait même la base d'un processus révolutionnaire -analogue à celui qui donna naissance à la Révolution Russe de 1917- qui ferait aboutir ces révolutions, originairement bourgeoises, à des révolutions prolétariennes.

La théorie de Trotsky fut démentie par les faits. Les bourgeoisies de ces pays arriérés se sont avérées incapables de réaliser leur tâche, mais ce n'est pas le prolétariat qui s'en est chargé, sinon les couches de la petite bourgeoisie intellectuelle, fonctionnaires et technocrates.

Ces couches, privilégiées et éduquées, comprenant parfaitement les in­térêts du capital national quoique ne le détenant pas, sont devenues les porteuses de l'idée du capitalisme d'État, seule forme d'organisation du capital qui permette de tenter de faire face aux capitaux étrangers et de contenir ou éliminer tout mouvement qui s'opposerait à ces besoins.

En effet, le capitalisme d'État -passage de tous les moyens de pro­duction aux mains de l'appareil étatique- permet:

- de concentrer toutes les ressources économiques du pays et de ren­forcer ainsi dans la mesure du possible le potentiel de production, - de soumettre la principale ressource -la force de travail- à un contrôle total par l'encadrement d'un parti unique et de ses syndi­cats, organes de l'État (interdiction du droit de grève, interdic­tion de toute organisation opposée au parti au pouvoir, dictature idéologique, baisse forcée des salaires et imposition de normes de travail nécessaires aux besoins du capital national, etc...),

- de réaliser manu militari l'accumulation primitive du capital en éliminant par la force tous les secteurs de production pré-capita­listes (nationalisations des terres, élimination des petites exploi­tations et de l'artisanat).

Toutes ces conditions sont nécessaires pour le renforcement du ca­pital national.

Pourquoi est-ce cette couche de la petite bourgeoisie qui devient la championne du capitalisme d'État ? D'une part, elle n'a aucun intérêt au maintien du statu quo, n'ayant aucun avenir du fait de la stagnation économique du pays. D'autre part, indispensable à la marche du pays, elle est parfaitement consciente du retard de son pays comme du degré de pourritu­re et corruption des dirigeants qu'elle sert; dirigeants, qui, trop liés au capital étranger, ne peuvent que négliger les intérêts de l'économie na­tionale.

Ces couches, condamnées à rester les serviteurs des cliques corrompues au pouvoir, voient dans le CAPITALISME D'ÉTAT le moyen de déplacer celles- ci pour se mettre à leur place. En effet, technocrates et bureaucrates par définition trouvent leur intérêt, comme couche sociale, dans l'établisse­ment d'un système dans lequel le pouvoir politique ET économique est aux mains de l'État, c'est-à-dire d'eux-mêmes. C'est pourquoi leur lutte est toujours celle pour les nationalisations, le renforcement absolu de l'appa­reil étatique, et la prise du pouvoir par un parti unique, le leur, "celui qui a fait la révolution".

Les intérêts du capital national sont ainsi représentés par deux cou­ches capitalistes, correspondant à des périodes historiques différentes:

  • une fraction de la bourgeoisie privée nationale,
  • la bureaucratie, une partie de la petite bourgeoisie intellectuelle, technocrate, fonctionnaire.

Ainsi, dans la Guerre du Viêt-Nam, on trouve au sein du Front National de Libération ces deux fractions alliées en lutte contre l'emprise des USA.

LE F.N.L.

Il persiste encore à l'heure actuelle des fractions de la bourgeoisie privée qui tentent d'échapper à l'emprise du capital étranger. Ainsi, on trouve au sein du FNL vietnamien une fraction luttant contre les USA sans désirer pour autant l'instauration d'un régime de capitalisme d'État, sty­le Viêt-Nam du Nord (RDVN) qui l'exproprierait. Tran Bau Kiem, chef de la délégation du FNL aux conversations de Paris, déclarait récemment dans une interview donnée au Nouvel Observateur: "Je suis d'abord secrétaire général du Parti Démocrate dont les membres appartiennent surtout aux milieux aisés. Il comprend beaucoup de commerçants, d'intellectuels, d'industriels. Dire que vouloir libérer son pays de l'emprise colonialiste ou néo-colonialiste c'est être marxiste, c'est un abus de langage".

La présence de cette fraction ayant des intérêts privés explique le ca­ractère bourgeois traditionnel du Programme du Front, réclamant entre autres la protection du droit de propriété privée.

Cependant, ces fractions de la bourgeoisie privée restent assez réduites et leur champ de manœuvres est étroit; à l'intérieur du pays, elles s'oppo­sent aux "valets de l'impérialisme américain", c'est-à-dire au gouvernement en place Son seul allié reste donc le régime du Nord sous l'emprise duquel elle ne veut pas non plus tomber; c'est pourquoi cette couche est aujour­d'hui de plus en plus amenée à composer avec les USA. Sa subsistance en tant que couche sociale sera déterminée non pas par les combats livrés sur le champ de bataille, mais par le règlement international du conflit qui ré­glera le futur statu quo du Sud-Viet-Nam.

La lutte de cette bourgeoisie est aujourd'hui désespérée dans la mesure où il n'y a aucune possibilité réelle qu'elle se libère des USA sans tomber sous les coups d'un régime bureaucratique capitaliste d'État (dit "commu­niste") qui l'éliminera.

LA BUREAUCRATIE

Cette couche dont l'existence comme classe n'est pas liée à la proprié­té privée du capital mais à la fonction qu'elle va exercer est la couche la plus dynamique. Mais seule elle ne représente aucun poids dans le jeu des forces en présence. Ainsi, elle cherchera sur le plan national aussi bien que sur le plan international tout appui susceptible de l'aider dans la réalisation de ses aspirations.

Sur le plan national:

  • Tout d'abord, la bureaucratie cherchera un soutien dans la popula­tion. La mobilisation de la population contre l'impérialisme étranger est facilement réalisable car dans ces pays, l'ingérence du capital étranger apparaît comme la cause de tous les maux. Mettant de côté la lutte de classe, la mobilisation se fera sur un critère de nationalité et ainsi prolétaires et bourgeois sont appelés au combat sans distinc­tion. Dans cette optique, sont créés de larges fronts nationaux; ainsi, le Comité Central du Parti Communiste indochinois crée en Mai 1941 le Viet-Minh ayant pour but de : "réunir TOUS LES PATRIOTES sans distinc­tion de fortune, d'âge, de sexe, de religion ou d'opinion politique pour travailler ensemble à la libération de notre peuple, et au SALUT DE NOTRE NATION" ("Les Grandes Dates de la Classe Ouvrière"(sic)publié par Hanoï. Cité dans Ho Chi Minh de Lacouture).
  • La bureaucratie s'alliera avec tous les partis susceptibles de l'aider à un moment donné, quitte à les éliminer par la suite. C'est ainsi que le Parti Communiste Indochinois a présenté des candidats en commun avec le Parti Trotskyste en 1933 et même jusqu'en 1937 aux élections du Con­seil colonial pour que seulement deux ans plus tard, dans un rapport d'Ho Chi Minh, la ligne d'action soit: "vis à vis des trotskystes; point d'alliance, point de concessions. Il faut à tout prix démasquer leur rôle d'hommes de main des fascistes". "En Août 1945, Ta Tu Thau, un des dirigeants du Parti Trotskyste, lance le mot d'ordre pour l'établis­sement de Conseils Ouvriers et paysans à la place du règne Viet-Minh.

Il est arrêté, "jugé" devant les Comités du "peuple" et déclaré trois fois innocent. Il semblait peu utile de préparer un quatrième jugement et ainsi, il fut fusillé quelques jours après son troisième acquitte­ment" (Raconté par Solidarity. Brochure "The rape of Viêt-Nam par Bob Potter)[1].

- Un autre exemple des alliances de la bureaucratie est donné lorsqu'au Printemps 1943, Ho Chi Minh se trouve à la tête du Dong Minh Hoi, orga­nisation regroupant les différents partis nationalistes vietnamiens et financée à raison de 100000 $ c. par mois par la Chine de Chiang Kai Chek; un an plus tard, en Mars 1944, Ho Chi Minh obtiendra un porte­feuille ministériel dans un "gouvernement provisoire" regroupant ces différents partis nationalistes et ayant pour programme l'indépendan­ce du Viêt-Nam avec l'aide du Kuomintang. Cette alliance éphémère sera rejetée dès l'instant où la bureaucratie se sent assez forte pour créer son propre gouvernement, ce qui est fait en Août 1945 par la création du "Comité Viêt-Nam de Libération du Peuple" (sur 14 membres, 11 appar­tiennent ou au Viet-Minh).

Ainsi, de proche en proche, la bureaucratie éliminera ses ennemis (a­près en avoir tiré le maximum) pour rester seule au pouvoir.

Quelle est la nature de ce pouvoir ? De toutes parts, on nous parle de la "révolution" vietnamienne, du "combat héroïque" contre l'impéria­lisme américain; partout, on s'enivre d'une phraséologie révolutionnai­re et on semble oublier les faits concrets: où va mener le combat ? quelle est la nature du régime du Nord Viêt-Nam ? quel est l'acquis de ce pro­létariat au nom duquel la bureaucratie mène sa lutte ?

LA R.D.V.N.

La proclamation en Septembre 1945 de la République Démocratique du Viêt-Nam consacre la réalisation de l'indépendance vietnamienne vis-à-vis du colonialisme français et l'aboutissement de la "révolution" viet­namienne. Cependant, le pouvoir qui est établi n'a de révolutionnaire ou prolétarien que le nom.

L'État n'y a pas été brisé: maintien de la structure étatique bour­geoise, avec un Président de la République, un Président du Conseil, un Conseil des Ministres, 16 Ministères, etc... (Cf. Constitution Nord-Viet­namienne de 1960. Ce ne sont que les dirigeants qui ont changé: à la pla­ce de l'ancien empereur Bao Dai et de l'administration française, c'est une bureaucratie qui s'installe.

A la place de la bourgeoisie privée ou des entreprises étrangères qui étaient les exploiteurs d'autrefois, nous avons aujourd'hui la machine d'État qui "dirige les activités économiques d'après un plan unifié. L'État s'appuie sur les organismes gouvernementaux, sur les organisations syndicales, sur les coopératives et sur toutes les autres organisations de travailleurs pour édifier et réaliser le plan économique". (Constitu­tion de la RDVN de 1960. Chap II. Art. 10).

[1] Solidarity c/o H. Russel. 53 A Westmoreland Road. Bromley. Kent. GB.

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