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“On a su que le monde ne serait plus le même. Quelques personnes ont ri, d'autres ont pleuré mais la plupart sont restées silencieuses. Je me suis rappelé la phrase de l’Écriture hindoue, le Bhagavad Gita ; Vishnu tente de persuader le Prince d'accomplir son devoir et, afin de l'impressionner, prend sa forme aux bras multiples et dit: “Maintenant je suis devenu la Mort, le destructeur des mondes”. Je suppose que nous avons tous pensé cela, d'une façon ou d'une autre”
C’est ainsi que s’exprima Robert Oppenheimer en 1965 pour raconter ce qu'il ressentit lorsqu'il assista au premier essai nucléaire dans le désert du Nouveau Mexique en juillet 1945.
Le film de Christopher Nolan retrace le cas de conscience de ce scientifique, connu comme « le père de la bombe atomique ».
Il est vrai que Robert Oppenheimer a été dépassé par la monstruosité de ce à quoi il a grandement contribué : mettre au point un engin de mort qui dépassait de très loin ce qui existait auparavant. Cette nouvelle arme atomique allait faire 210 000 morts les 6 et 9 août 1945 à Hiroshima et Nagasaki. Sans compter le nombre incalculable des décès ultérieurs suite aux graves conséquences des effets des radiations qui ont perdurées de très longues années par la suite.
Alors oui, au cours de la guerre, la justification idéologique était toute trouvée pour le gouvernement américain. L’Allemagne nazi menait des recherches pour fabriquer une arme puissante et destructrice. La défense du « monde libre », de la démocratie, justifiait de tout faire pour combattre le nazisme, de développer des armes suffisamment puissantes capables de détruire cet ennemi de la civilisation qui exterminait les juifs.
Oppenheimer était juif et a été sensible à cette propagande.
Le processus de réalisation de la bombe fut lancé, Oppenheimer et son équipe de savants sont allé au bout de ses recherches. Il fit, à la veille de la Conférence de Potsdam, des essais concluants en plein désert du Sud des États-Unis en juillet 1945.
Mais alors, en 1945, pourquoi poursuivre ce programme militaire alors que l’Allemagne était vaincue ?
L’alibi de défense de la civilisation contre la barbarie nazie ne tenait plus.
Personnage très contradictoire, Oppenheimer était convaincu qu’il œuvrait pour la paix dans le monde en ayant construit un engin de mort dépassant tout ce qui avait été construit jusqu’alors, permettant d’éviter des guerres dans le futur par effet de dissuasion.
Le but de Truman, le président américain qui ordonna l’holocauste nucléaire, ainsi que son complice Winston Churchill était tout autre.
A l’opposé des tombereaux de mensonges colportés depuis 1945 sur la prétendue victoire de la démocratie synonyme de paix([1]), la seconde boucherie mondiale est à peine terminée que se dessine déjà la nouvelle ligne d’affrontement impérialiste qui va ensanglanter la planète. Yalta([2]) contenait la fracture impérialiste majeure entre le grand vainqueur de 1945, les États-Unis, et son challenger russe. Puissance économique mineure, la Russie put accéder, grâce à la Seconde Guerre mondiale, à un rang impérialiste de dimension mondiale, ce qui ne pouvait que menacer la superpuissance américaine. Dès le printemps 1945, l’URSS utilise sa force militaire pour se constituer un bloc dans l’Est de l’Europe. Yalta n’avait fait que sanctionner le rapport de forces existant entre les principaux requins impérialistes qui étaient sortis vainqueurs du plus grand carnage de l’histoire. Ce qu’un rapport de forces avait instauré, un autre pouvait le défaire. Ainsi, à l’été 1945, la véritable question qui se pose à l’État américain n’est pas de faire capituler le Japon le plus vite possible comme on nous l’enseigne dans les manuels scolaires, mais bien de s’opposer et de contenir la poussée impérialiste du « grand allié russe » !
C’est ainsi que ce film de Christopher Nolan veut montrer comment un brillant chercheur passionné de culture et pétris d’humanisme va se trouver au centre d’événements historiques qui le dépassent, mais dont il est à la fois acteur et victime de ceux-ci.
Mais ce film fait également une large part au contexte qui régnait lors des premières années de la guerre froide, celle du maccarthysme. La chasse aux éléments « subversifs », les « communistes » liés à l’URSS de Staline dont Oppenheimer sera victime ([3]) avant d’être ensuite réhabilité par J.F. Kennedy en 1962.
Dans le contexte actuel de guerre en Ukraine et de manœuvre de l’impérialisme américain contre la Russie, ce film semble apparaître comme prémonitoire. Vu la barbarie de la Russie en Ukraine actuellement, la politique américaine et anglaise à la fin de la Seconde Guerre mondiale n’était-elle pas justifiée ?
L’industrie du cinéma a depuis longtemps été largement utilisée pour la propagande des États. Déjà, avant la Seconde Guerre mondiale, l’État américain a demandé à Walt Disney d’aller promener sa petite souris en Amérique du Sud pour contrer la montée de la propagande nazie.
L’une des conditions du plan Marshall, en 1947, pour les pays européens l’acceptant était de laisser diffuser largement les œuvres cinématographiques américaines dans les salles de cinéma. Encore une fois, il s’agissait de contrer l’influence grandissante de l’URSS, au lendemain de la guerre, en donnant une image démocratique, de liberté, des États-Unis.
Le combat idéologique entre les deux blocs a été assimilé à la lutte de la « démocratie » contre la dictature «communiste». Chaque fois, les démocraties occidentales ont prétendu mener le combat contre un système fondamentalement différent du leur, contre des « dictatures » ([4]). Il n'en est rien : il s’agit bien de deux politiques issues du même système capitaliste !
Cette vision idyllique et naïve de la «démocratie» est un mythe. La «démocratie» est le paravent idéologique qui sert à masquer la dictature du capital dans ses pôles les plus développés. Il n'y a pas de différence fondamentale de nature entre les divers modèles que la propagande capitaliste oppose les uns aux autres pour les besoins de ses campagnes idéologiques de mystification. Tous les systèmes soi-disant différents par leur nature, qui ont servi de faire-valoir à la propagande démocratique depuis le début du siècle, sont des expressions de la dictature de la bourgeoisie, du capitalisme.
Comme l’affirmait Oppenheimer en 1945, le monde ne sera en effet plus jamais le même.
Le capitalisme c’est la guerre. Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, il n’y a pas eu de Troisième Guerre mondiale. La compétition entre les deux blocs américain et russe, est restée une « guerre froide », dans le sens où elle n'a jamais pris la forme d’un conflit ouvert. Elle fut plutôt menée à travers une série de guerres par procuration entre États locaux et autres « mouvements de libération nationale » accomplissant la sale besogne alors que les deux superpuissances fournissaient les armes, le renseignement, le support stratégique et la justification idéologique.
Depuis l’effondrement du bloc de l’Est à la fin des années 80, ce n’est pas un « nouvel ordre mondial » qui s’est imposé.
Mais c’est, au contraire, à une accélération de la barbarie et du chaos auquel le monde est confronté. La guerre en Ukraine et maintenant le conflit au Moyen Orient en sont les dernières manifestations guerrières avec ce que cela signifie comme massacres de populations entières, sans défense, avec les destructions massives que cela entraîne.
Le capitalisme entraîne la société humaine dans un abîme sans fin.
Plus que jamais l’alternative est : Communisme ou destruction de l’humanité !
CT
[1] Voir notre article « 50 ans après : Hiroshima, Nagasaki, ou les mensonges de la bourgeoisie » :
https://fr.internationalism.org/rinte83/hiroshima.htm#_ftnref2
[2] La conférence de Yalta est une réunion des principaux responsables de l'Union soviétique (Joseph Staline), du Royaume-Uni (Winston Churchill) et des États-Unis (Franklin D. Roosevelt). Les buts de la conférence de Yalta étaient les suivants :
- adopter une stratégie commune afin de hâter la fin de la Seconde Guerre mondiale ;
- régler le sort de l’Europe après la défaite du Troisième Reich ;
- garantir la stabilité du nouvel ordre mondial après la victoire. (Wikipedia)
[3] Il s’était vu reproché d’avoir eu des liens, dans sa jeunesse, avec le Parti « Communiste » américain (il était plutôt démocrate, soutenant Roosevelt). Le véritable reproche pour l’accuser d’être un agent soviétique était son refus de mettre en œuvre ses grandes qualités scientifiques pour la fabrication de la bombe H.
[4] Voir notre article « Le mensonge de l’État ‘ démocratique ‘» : https://fr.internationalism.org/rinte76/mensonge.htm