Submitted by Révolution Inte... on
Cinquante-huit personnes tuées, 2323 autres blessées, 11.824 interpellations par la police, 717 millions de dollars de dégâts, 10.000 maisons particulières ou magasins détruits ou endommagés. Tel est le bilan de trois jours et nuits d’une flambée de violence mêlant, dans une confusion extrême, les agressions à caractère raciste (des Noirs vis-à-vis des Latino-américains ou des Blancs), les pillages organisés et l’action ouverte des gangs armés, les pillages spontanés de la population totalement déshéritée s’engouffrant, toutes races confondues, dans les supermarchés éventrés, l’autodéfense meurtrière des petits commerçants protégeant leur bien et la répression sauvage de la police barrant l’accès aux quartiers bourgeois à l’aide des fusils antiémeutes.
LA DECOMPOSITION DU CAPITALISME AU COEUR DE LA PREMIERE PUISSANCE MONDIALE
La cause profonde de ces évènements est l’approfondissement et la généralisation de la misère à tout le pays depuis le début des années 80, et son accélération brutale depuis le début des années 90 résultant de la récession ouverte qui frappe les Etats-Unis. Ainsi, ce sont actuellement 23 millions de personnes qui vivent avec des bons de nourriture auprès des soupes populaires, et plus de 30 millions qui ont un revenu inférieur au seuil de pauvreté. En plus de celles-là, 37 autres millions ne peuvent s’acheter aucune protection sociale. Une partie de la classe ouvrière se trouve de ce fait réduit à la clochardisation. Faute de pouvoir se payer un logement, une fraction importante du prolétariat est sans abri, contrainte de dormir sur les trottoirs, dans des voitures, ou dans les cinémas pornos parce que les seuls endroits restant ouverts la nuit.
Les Noirs sont les plus affectés par la pauvreté. C’est ce qui explique pourquoi le taux de mortalité de leurs enfants est deux fois plus élevé que chez les Blancs, ou encore pourquoi ils figurent au premier rang des statistiques de la délinquance (la principale cause de décès des hommes de cette couleur dans la tranche d’âge des 15-34 ans est l’homicide; en 1989, 23% des individus entre 20 et 29 ans se trouvaient en prison ou en liberté surveillée).
Dans les ghettos des grandes villes, souvent à majorité noire, se sont constituées de véritables poches d’une misère sordide. L’accumulation de celle-ci, depuis des années, a conduit à une putréfaction de la vie sociale, se traduisant dans le comportement individuel par le développement forcené du chacun pour soi, et de la haine raciale, par la fuite effrénée dans la folie et le suicide à travers l’usage de drogues de plus en plus dures, et, dans les relations si l’on peut dire civiles, par la loi de la jungle, le poids croissant de l’autorité des gangs qui se font la guerre pour le contrôle des quartiers. Los Angeles est probablement la ville du monde où la décomposition a investi le plus profondément toute la vie sociale : plus de 100 000 jeunes, appartenant à des mafias, se répartissent le commerce au détail de la drogue et, armes au poing, se disputent la mainmise sur les rues. Ainsi, la lutte des gangs y a-t-elle provoqué la mort de 700 personnes en 1991.
La décomposition de la vie de la société n’est pas une particularité de Los Angeles, ni des USA, contrairement à ce que sous-entend la bourgeoisie française. Bien que ce soit dans des proportions différentes, elle affecte tous les pays du monde, et il suffit de regarder du côté des pays de l’Est ou du Tiers-Monde pour se rendre compte des ravages qu’elle exerce sur l’ensemble de la planète. De même, certaines de ses manifestations caricaturales, telle la consommation de drogues dures chez les jeunes générations, qui pouvait autrefois faire figure de spécificité américaine, font aujourd’hui leur apparition dans tous les pays d’Europe.
Comme nous l’avons déjà mis plusieurs fois en évidence[1] (notes 1 et 2), la multiplication des phénomènes de la décomposition devient une donnée majeure de la société bourgeoise et caractérise la phase actuelle de pourrissement sur pied du capitalisme. Celui-ci ne se limite pas à la dégradation irréversible de la vie sociale, mais se présente comme une désagrégation générale de la société, résultant de l’accumulation pendant deux décennies de toutes les caractéristiques du capitalisme décadent, exacerbées par l’enfoncement dans la crise économique : guerres et massacres aux portes des grands pays développés, populations entières menacées de disparition par les famines en Afrique, massacres interethniques dans les ex-républiques soviétiques, .épidémies, destruction de l’environnement, catastrophes ferroviaires, aériennes, etc.
L’EXPRESSION DE LA FAILLITE DU CAPITALISME UNE MENACE CONTRE LA CLASSE OUVRIERE
Ainsi, c’est parce qu’ils sont une manifestation typique de cette décomposition et qu’ils interviennent dans le pays industrialisé le plus puissant de la planète, aux portes de la Silicon Valley, région où se trouve concentrée la technologie la plus avancée du monde, que la situation des ghettos de Los Angeles et les évènements dont ils ont été le théâtre constituent une illustration édifiante du caractère insurmontable des contradictions que porte en lui le capitalisme et de sa faillite en tant que mode de production.
Une telle situation de pourrissement de la société constitue également un danger pour la classe ouvrière : "Plus le capitalisme va s’enfoncer dans sa propre décadence, plus il va prolonger son agonie, moins la classe ouvrière des pays centraux sera épargnée par tous les effets dévastateurs de la putréfaction de ce système.
Ce sont en particulier les nouvelles générations de prolétaires qui sont aujourd’hui directement menacées par ce danger de contamination qui gangrène toutes les couches de la société. Le désespoir menant au suicide, l’atomisation, la débrouille individuelle, la drogue, la délinquance et tout autre phénomène de marginalisation - telle la clochardisation des jeunes chômeurs, qui n’ont jamais été intégrés dans le processus de production - sont autant de fléaux qui risquent d’exercer une pression vers la dissolution et la décomposition du prolétariat et, partant, d’affaiblir ou même de remettre en cause sa capacité à réaliser sa tâche historique de renversement du capitalisme[2] (2)."
La situation d’une ville comme Los Angeles apparaît condenser tous les effets négatifs que la décomposition fait peser sur la classe ouvrière. Ces émeutes ont seulement accentué certains d’entre eux. Les lynchages de Blancs ou de Latino-américains par des Noirs, mais aussi le fait que bien des boutiques qui n’ont pas été incendiées portaient l’inscription "propriétaire noir" ont sans conteste participé à alimenter une tendance déjà croissante au développement du racisme dans l’ensemble du pays. Or, celui-ci est un puissant facteur de division des rangs ouvriers.
Ces évènements ont également, à un niveau plus immédiat, concouru à "pourrir” la réflexion que suscite immanquablement dans la classe ouvrière la faillite économique du système, particulièrement patente à travers les licenciements massifs. En effet, ils influencent nécessairement cette réflexion dans le sens de penser que des conditions de vie de plus en plus difficiles, en particulier pour la fraction de la classe ouvrière qui se trouve au chômage, au lieu de pousser à la lutte contre le système qui en est responsable, ne peuvent qu’engendrer la violence aveugle et barbare.
La bourgeoisie, à travers ses médias, s’est évidemment appliquée à amplifier le message négatif que ces évènements en eux-mêmes délivrent à la classe ouvrière.
LA BOURGEOISIE A PROVOQUE AU MOMENT ET DANS LES CONDITIONS DE SON CHOIX UN EVENEMENT DE TOUTE FAÇON INEVITABLE
L’utilisation idéologique de ces faits contre la classe ouvrière nous montre une fois de plus que, si la bourgeoisie est évidemment impuissante à enrayer la décomposition de son système, cela ne signifie pas pour autant qu’elle ne fasse que la subir.
Des émeutes de la misère étaient et demeurent inévitables aux USA. La bourgeoisie avait d’ailleurs parfaitement conscience que "l’incendie couvait", selon les termes employés le 26 mars par le sénateur démocrate du New Jersey. Si elle ne détenait pas le pouvoir d’en empêcher l’irruption, elle s’est par contre donné les moyens de faire en sorte que celle-ci se produise au moment et dans les conditions où ça l’arrangeait le mieux. Ainsi, toute la publicité faite autour du procès des flics qui avaient sauvagement tabassé l’automobiliste noir Rodney King répondait en réalité au dessein d’accroître la tension dans le ghetto de Los Angeles, et le verdict d’acquittement a constitué une véritable provocation destinée à mettre le feu aux poudres. La suite des évènements confirme qu’il s’est agi d’une manœuvre de la bourgeoisie, celle-ci laissant carrément le champ libre à la formation et à la propagation de l’émeute à l’intérieur du périmètre du ghetto de South Central, totalement déserté par les forces de l’ordre lorsque fut prononcé le verdict. Plus tard, des responsables de la police, questionnés sur cette absence mystérieuse, s’en expliqueront en invoquant une série de défections matérielles et humaines. Qui peut croire au caractère circonstanciel de ces manquements s’agissant de l’appareil répressif de la bourgeoisie la plus puissante, la mieux renseignée et certainement la mieux équipée pour faire face à ce type de situation. On peut d’autant moins y croire que les forces de police avaient, les jours précédents, été mobilisées en nombre, justement en prévision d’un verdict dont la bourgeoisie avait évidemment déjà décidé qu’il serait scandaleusement provocateur. D’ailleurs, les quartiers bourgeois de Beverley Hill et de Hollywood furent quant à eux solidement protégés par des dispositifs de police équipés de la panoplie complète antiémeutes. C’est ce qui explique que la richesse opulente de ces districts n’ait pas été prise en cible par les émeutiers et que la violence ait ainsi été canalisée et libérée dans des affrontements barbares au sein de la population des ghettos où se mêlent la pègre, le sous-prolétariat, certaines fractions de la classe ouvrière au chômage et la petite-bourgeoisie commerçante.
La bourgeoisie retire de cette manœuvre deux types d’avantages. Les premiers consistent en ceci que, la tension étant retombée au sein du ghetto de Los Angeles, et désamorcée dans ceux des autres métropoles américaines, se trouve ainsi diminué, pour un certain temps, le risque d’éclatement de nouvelles émeutes, prenant par surprise la bourgeoisie, échappant à son contrôle, s’attaquant aux quartiers bourgeois pour les piller et les saccager, et cela dans plusieurs villes simultanément. Une telle éventualité, qui est effectivement contenue dans la situation d’appauvrissement brutal d’une grande partie de la population aux USA, requérant de la part de l’État une répression inouïe pour rétablir l’ordre, bien qu’elle ne participe évidemment en rien de faire avancer la lutte de classe, ne fait pas pour autant l’affaire de la bourgeoisie, tout au contraire, en particulier en pleine période électorale.
Les seconds avantages pour la bourgeoisie se situent au niveau idéologique contre la classe ouvrière. Nous en avons déjà évoqué les aspects liés à la décomposition. Un autre trait, essentiel, concerne la relance de la fausse opposition droite/gauche que ces évènements permettent d’opérer, et qui trouve une chambre d’écho dans l’actuelle campagne électorale. La situation de quasi guerre civile à Los Angeles alimente en "thèmes sociaux" les démocrates qui, par la bouche de leur gouverneur de l’Arkansas, peuvent se livrer à une analyse "radicale" des émeutes en déclarant que "les gens pillent parce qu’ils ne font plus partie du système*. L’action "politique" des démocrates s’est promptement trouvée renforcée par l’entrée en scène des syndicats, sur les lieux de travail. Ainsi, le 4 mai, ils ont entraîné dans la grève, sur le terrain interclassiste de l’antiracisme, la moitié des 28.000 employés municipaux de Washington.
La boucle est bouclée, et confrontée à un véritable raz de marée de licenciements, la classe ouvrière se voit proposée comme fausse solution à la misère et aux émeutes autodestructrices l’électoralisme et le syndicalisme, c’est-à-dire les pièges qui ont affaibli sa lutte pendant des années.
Même acculée par les contradictions de son système responsable de toutes les calamités qui s’abattent sur l’humanité, la bourgeoisie nous montre, une fois de plus, qu’elle est capable des pires machinations pour maintenir son ordre. La classe ouvrière doit donc le plus possible prendre conscience qu’elle va devoir développer sa lutte contre un ennemi qui, de lui-même, n’abandonnera jamais sa domination sur la société, fût-ce au prix de la pire barbarie qu’engendre chaque minute supplémentaire de cette domination.
Si seule, évidemment, la victoire de sa lutte révolutionnaire est capable de mettre définitivement un terme au capitalisme et au pourrissement actuel de la société, déjà, le développement de ses combats de classe par le prolétariat, avec ses propres méthodes de lutte, contre les attaques de la bourgeoisie constituera un antidote aux effets de la décomposition pour de larges franges de la classe ouvrière, en leur évitant de sombrer dans le désespoir, l’individualisme, la délinquance et le néant. Pour toutes ces raisons, la lutte de classe est le seul avenir du prolétariat.
M.