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Le thème de la « taxation des super-profits » s’est glissé dans les discours de nombreux politiciens, dans la presse et même dans la bouche d’économistes médiatiques. Les dividendes des actionnaires du CAC-40 en France, les profits de TotalEnergies, LVMH, Engie, Arcelor Mittal, ceux des grands distributeurs d’énergie en Allemagne, en Italie ou en Grande-Bretagne, comme Shell, BP, British Gas… tous enregistrent des records. Ainsi, TotalEnergie a doublé son bénéfice net au deuxième trimestre 2022. Au Royaume-uni, le groupe Shell a engrangé un bénéfice de 40 milliards de dollars. Les cent plus grandes entreprises allemandes connaissent un revenu record de 1 800 milliards d’euros par rapport à la même période, l’année dernière. Le géant mondial des transports de marchandises CMA CGM a augmenté de 7,2 milliards de dollars le sien pour le premier trimestre 2022, soit une hausse de près de 243 % !
Cette situation, qui accentue les écarts et inégalités sociales, s’accompagne d’une exhibition écœurante de certains revenus alors que les salaires des travailleurs stagnent, quand ils ne régressent pas. La précarité est devenue la norme et l’inflation plonge dans la pauvreté une masse croissante d’ouvriers. (1)
La bourgeoisie condamne en parole les super-profits pour mieux défendre le capital
Face à cette situation de dégradation constante, la taxation des super-profits est présentée comme une solution possible ou comme un des moyens pour répondre à la crise. Le Bundestag et d’autres chambres parlementaires en Europe ont ainsi été amenés à prévoir ce type de taxe, principalement sur les profits liés au secteur de l’énergie. Dans ses discours, le Président Macron, préférant bannir toute référence au lexique du gauchisme, évoquait par exemple la possibilité de taxer les « bénéfices indus » des grands énergéticiens. Il s’agissait probablement de rendre moins insupportable aux yeux des ouvriers l’utilisation forcée de leur véhicule, notamment pour les plus précaires, et répondre idéologiquement à ce qui est vécu comme une véritable injustice : « les riches se gavent pendant qu’on peine de plus en plus à faire le plein ».
Une telle propagande, dans la bouche d’autres dirigeants européens du même acabit, en pleine crise économique et dans un contexte de forte poussée inflationniste, témoigne d’ailleurs plus largement de l’inquiétude de la bourgeoisie face à une situation sociale de plus en plus tendue. Du fait de la poussée des luttes dans le monde, la bourgeoisie est obligée d’accorder quelques miettes. Mais ce qu’elle va lâcher d’une main, elle le reprendra aussitôt et inévitablement de l’autre.
Toutefois, au-delà de ces inquiétudes, le danger pour la classe ouvrière est celui d’une mystification en apparence plus radicale portée par la gauche, les syndicats et surtout par les gauchistes, comme les organisations trotskistes. En France, à la fin du mois d’août 2022, la NUPES organisait déjà une pétition intitulée : « taxons les super-profits ». Dans bon nombre de leurs discours, les députés LFI, de Manuel Bompard à François Ruffin, soulignaient la nécessité d’une taxation comme réponse à la crise sociale.
Cette idée était le créneau idéologique quasi exclusif des gauchistes, il y a encore quelques années. Comme ceux de LO (Lutte ouvrière), dont le slogan démagogique se résumait souvent à « faire payer les riches », sorte de variante des discours staliniens du passé qui se présentaient comme les « ennemis des trusts », exploitant au passage le vieux mythe des « 200 familles ». (2) Cette idée ancienne de « prendre aux riches » était aussi véhiculée par d’autres propagandistes, comme ceux d’Attac, qui préconisent toujours une application de la taxe Tobin. (3) En somme, malgré les contradictions irréversibles du capitalisme, sa faillite historique, il serait possible de « soulager les travailleurs » par une « juste redistribution des richesses ».
Mais aujourd’hui, ces anciens discours de l’extrême-gauche, recyclés face à la réflexion au sein de minorités ouvrières plus conscientes et plus combatives, ne suffisent plus. Alors que la gauche classique perpétue son idéologie de « redistribution » et de « régulation » par l’État, les gauchistes s’obligent désormais à parler de la « nécessité de renverser le système ».
Pour LO, cette taxation devient désormais une « supercherie ».Un groupe comme Révolution Permanente, scission du NPA, critique lui aussi ce slogan qui « ne permet pas de s’attaquer à la propriété privée capitaliste ». Sans pour autant abandonner les vieilles platitudes « réformistes » comme l’« indexation des salaires sur l’inflation […] pour unir notre classe » prouvant par là que cette nouvelle boutique gauchiste ne souhaite en aucun cas remettre en cause l’exploitation salariée.
Derrière l’apparente radicalité de ses discours, se cache la défense acharnée du capitalisme d’État sous les traits « d’expropriations » qui permettraient de construire un soi-disant « État ouvrier ». Les organisations gauchistes ne se démarquent absolument pas des conceptions véhiculées par la gauche classique, consistant à entretenir l’illusion de constituer un État « au-dessus des classes », capable de « réguler l’économie au service des travailleurs ». Par conséquent, loin d’être au service de l’émancipation des travailleurs, la gauche et l’extrême-gauche demeureront toujours dans le camp bourgeois au service de la conservation du capitalisme.
De l’argent, il y en a dans les poches du patronat ?
Le monde capitaliste s’enfonce inexorablement dans une guerre économique de plus en plus aiguë, sur fond d’endettement massif. Toutes les entreprises et toutes les nations se battent les unes contre les autres pour maintenir leur compétitivité face à une concurrence acharnée. Pour survivre dans cette jungle, il n’y a pas cent chemins : il faut accumuler le maximum de capital en pressurant les travailleurs pour baisser les coûts de production. Contrairement à des mythes tenaces, comme celui des « Trente Glorieuses », le capitalisme n’a jamais et ne pourra jamais « redistribuer justement la richesse », ce serait se vouer à la ruine. Avec la crise généralisée du système, il n’est même pas pensable d’octroyer la moindre réforme en faveur des ouvriers. La seule perspective que peut proposer le capitalisme au prolétariat, c’est une dégradation permanente des conditions de vie et de travail des ouvriers.
Voilà ce que cherche à dissimuler la propagande sur la « taxation des profits » ! Aussi sophistiqué qu’il puisse l’être dans la bouche des économistes « de gauche », ce mensonge n’a pour unique fonction que de bourrer le crâne des ouvriers d’illusions sur la « sortie de la crise ». Le capitalisme n’a aucune vocation philanthropique, il est conforme à sa nature : accumuler du capital et réaliser du profit par la sueur des travailleurs.
Peut-on mieux partager les richesses ?
L’idée martelée autrefois par les gauchistes, notamment des trotskistes, de « taxer les riches » pour investir un « argent qui dort » et prétendre investir dans l’école, la santé, etc. en vue d’un monde meilleur sous la houlette d’un État démocratiquement contrôlé par les ouvriers est un pur mensonge. Contrairement à ce qu’ils veulent nous faire croire, le capitalisme ne peut nullement surmonter ses contradictions insolubles qui génèrent une crise de surproduction permanente et un endettement devenu abyssal. Le « modèle » de « redistribution » fantasmé, ou celui d’un contrôle étatique assimilé frauduleusement à du « communisme », reste en réalité celui du capitalisme d’État stalinien ! Un « modèle » de gestion capitaliste dont tous les politiciens d’extrême-gauche sont encore porteurs et nostalgiques.
Contrairement à la croyance en la possibilité d’agir pour un État plus « social », la réalité est que l’État représente le fer de lance de la bourgeoisie. La bourgeoisie se plaît à dépeindre des États soumis aux grandes firmes transnationales. Mais le rapport de force entre la bourgeoisie « privée » et l’État est strictement inverse : sans le contrôle étatique étroit de la production et du commerce à tous les niveaux, sans appareil réglementaire sophistiqué (favorisant les passe-droits fiscaux), sans l’armée de fonctionnaires pour former ou soigner les travailleurs, sans l’influence impérialiste des États, les entreprises, petites ou milliardaires, ne seraient rien. Il suffit de voir comment un mégalomane richissime comme Elon Musk est entièrement dépendant des commandes et du bon vouloir de l’État américain pour s’en convaincre.
L’État bourgeois n’est donc pas un lieu neutre de pouvoir à conquérir, c’est l’instrument principal d’exploitation et de la domination de la bourgeoisie sur la société. Il est, à ce titre, le principal ennemi de classe à abattre.
Le mythe de l’État « protecteur » a la vie dure. Fer de lance de toutes les attaques, c’est en son nom que sont menées les « réformes » qui dégradent nos conditions de vie. En réalité, l’État a pour seule fonction de garantir l’ordre qui permet d’exploiter au mieux la force de travail : toute idée de « régulation » de « redistribution » ou de « contrôle ouvrier » n’est qu’un leurre.
Les prolétaires n’ont pas le choix : ils doivent mener le combat le plus unitaire et le plus large possible. Pour cela, ils doivent commencer par rester sourds au vacarme médiatique, mais aussi et surtout à ceux des faux amis que sont les gauchistes et les syndicats qui prétendent qu’il est possible de réformer ou contrôler l’État en faveur des travailleurs. Les plus dangereux ennemis sont ceux qui derrière le masque de la justice, voire celui de la révolution, restent les derniers remparts de l’État bourgeois.
WH, 17 mars 2023
1) Ces bénéfices records ne sont pas pour autant les signes d’une bonne santé de l’économie. Ils s’expliquent essentiellement par la flambée des prix des hydrocarbures, la spéculation et la baisse des coûts de production, en particulier du fait de l’intensification de l’exploitation de la force de travail et des bas salaires maintenus pour l’ensemble des prolétaires.
2) Ce mythe apparaît à la fin du Second Empire, laissant entendre que le pouvoir politique en France et celui de l’argent, via le système bancaire et le crédit, serait aux mains de quelques « 200 familles » extrêmement riches.
3) L’économiste américain, James Tobin, proposait en 1972 une taxation des opérations de change par un prélèvement de l’ordre de 0,05 % à 1 %.