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Presque un an de guerre en Ukraine… La Russie est bel et bien enlisée, prise au piège. (1) Absorbé par l’engrenage du militarisme, face à une armée ukrainienne préparée à l’avance et à des puissances occidentales qui avaient anticipé, non le moment, mais les visées du Kremlin acculé, l’impérialisme russe aux abois s’est embarqué dans une aventure « spéciale » suicidaire. Il se retrouve aujourd’hui sonné et très affaibli par un conflit qui ne pouvait que l’entraîner sous les décombres.
Une politique de terre brûlée
L’objectif à peine voilé des États-Unis et de l’OTAN, en poussant habilement Moscou au crime, était de briser le fragile lien entre la Russie et la Chine, d’affaiblir et d’isoler davantage Poutine sur la scène internationale. Tout cela, au prix d’une politique de la terre brûlée dont les puissances occidentales sont nettement complices, armant et poussant leur allié ukrainien dans une résistance sanglante, installés dans un chaos dont les conséquences imprévisibles sont potentiellement cataclysmiques.
Dès juillet, les troupes russes ont marqué le pas, laissant paraître des signes d’usure, ne parvenant plus à progresser face à l’armée ukrainienne renforcée par une artillerie dont les armes sophistiquées proviennent largement des alliés occidentaux. Une nouvelle étape est venue accentuer la déconfiture de l’armée russe, lorsqu’en septembre, les troupes ukrainiennes ont obtenu une victoire spectaculaire dans la province de Kharkiv et au nord de Sloviansk. Ce revirement s’est confirmé dès que l’armée ukrainienne s’est emparée de Kherson ; une ville déclarée « russe pour toujours » à peine un mois plus tôt par Poutine, abandonnée ensuite sans résistance.
Aujourd’hui, le bilan de toute cette guerre est effroyable. Début décembre, les belligérants ont tué ou blessé 200 000 personnes. 40 000 civils sont morts en Ukraine et près de 8 millions de réfugiés ont été comptabilisés. (2) Malheureusement, civils et soldats sont d’ores et déjà condamnés a d’autres deuils, d’autres souffrances, aux violences physiques et psychologiques des deux camps : déportations, tortures, viols, exécutions sommaires, bombardements aveugles (en particulier des bombes à sous-munitions très meurtrières). S’ajoutent encore la misère, la faim et le froid au quotidien, la terreur générée par l’État ukrainien, son union patriotique, avec ses contrôles, les quadrillages policiers assurés par ses sbires zélés.
Cherchant désespérément à briser le moral de la population ukrainienne, l’armée russe multiplie, quant à elle, les exactions et les bombardements, privant déjà les habitants de chauffage, d’eau et d’électricité pour l’hiver. L’Ukraine est devenue un charnier et un véritable champ de ruines, un concentré des haines. Une ville comme Marioupol, par exemple, rasée à 90 %, en est un tragique symbole. Des quartiers entiers, des milliers d’écoles, des centaines d’hôpitaux et d’usines sont endommagés ou détruits dans de nombreuses villes, comme celles de Kiev, la capitale, mais également Lviv, Dnipro et Ternopil, en représailles de la destruction du pont de Crimée. Les destructions sont telles qu’il faudrait au minimum 350 milliards de dollars pour reconstruire tout le pays. (3) Le Premier ministre ukrainien, Denys Shmygal, annonce même 750 milliards de dollars. Mais ce zèle patriotique et l’estimation de tels chiffres n’empêcheront nullement l’issue faite de cendres, ruines et cadavres !
Un puissant accélérateur de la décomposition du capitalisme
Alors que la pandémie de Covid-19 est venue torpiller depuis trois ans l’économie mondiale, dont les signaux étaient déjà au rouge, la guerre en Ukraine donne un immense coup d’accélérateur au marasme planétaire, accentuant fortement tous les phénomènes de la décomposition du système capitaliste déjà précipités dans un véritable tourbillon destructeur. Un impact direct sur la situation mondiale qui se manifeste déjà à différents niveaux dans un scénario noir totalement inédit. En premier lieu, par la subite poussée d’une inflation mondiale liée, non seulement à un endettement colossal et à une crise financière, mais aussi et surtout à l’explosion des dépenses militaires destinées au conflit et à de futurs combats de « haute intensité ».
Outre les faillites industrielles en Russie, le bond des dépenses propres à chaque État depuis le début de la guerre, les budgets militaires et civils en soutien à l’Ukraine sont devenus un véritable gouffre financier : « Entre le 24 février et le 3 août, au moins 84,2 milliards d’euros ont été dépensés par quarante et un pays, essentiellement occidentaux ». Les États-Unis ont versé, à eux seuls, 44,5 milliards d’euros (soit près du tiers du PIB ukrainien de 2020). (4)
Bien entendu, cela n’empêche nullement la pauvreté d’exploser dans ce pays en guerre, passant de 2 à 21 % de la population. Une telle situation nécessite des attaques contre tous les ouvriers, générant une paupérisation croissante qui s’installe partout, même dans les pays les plus riches de la planète. Les denrées alimentaires, tout comme les énergies indispensables à la vie courante, sont devenues parfois inaccessibles, de véritables armes de guerre entre voyous au mépris des populations qui doivent péniblement se nourrir et se chauffer. Ainsi, des récoltes de blé en Ukraine, dont les prix explosent, ont été détruites délibérément par l’armée russe. Le marché mondial tend d’ailleurs à davantage se fragmenter, dans une crise qui affecte le commerce et les bases mêmes de la production.
Cette crise et cette guerre alimentent, en plus, la catastrophe climatique et environnementale. L’impact est déjà bien visible en Ukraine. Les véhicules militaires, les bombardements sur les bâtiments civils et industriels, les incendies criminels, ont généré des pollutions très graves : fortes émissions de gaz en tous genres, d’amiante, de métaux lourds et autres produits toxiques. Des rivières sont fortement polluées, comme l’Ikva, contaminée à l’ammoniac. La faune et la flore sont très gravement touchées : « 900 zones naturelles protégées d’Ukraine ont été affectées par les activités militaires de la Russie, soit environ 30 % de l’ensemble des espaces protégés du pays ». Et « près d’un tiers des cultures ukrainiennes pourraient être inexploitables après la guerre ». (5) Le scandale du sabotage des gazoducs russes en mer Baltique révèle, à lui seul, que : « les infrastructures ont relâché environ 70 000 tonnes de méthane, un puissant gaz à effet de serre, soit l’équivalent des émissions de Paris pendant un an ». (6) Les menaces d’une catastrophe nucléaire par les tirs et les frappes des deux camps à Zaporijjia viennent encore assombrir ce sinistre tableau pourtant loin d’être complet.
Le déchaînement du militarisme et du chaos
Même si, en général, les militaires peuvent faire preuve d’expertises indéniables, les États d’habiletés reconnues, même s’ils sont en capacité de marquer des points diplomatiques à tel ou tel moment avec des vues d’ensemble ingénieuses pour défendre leurs propres intérêts, tous leurs savants calculs sont au service d’intérêts étroits, marqués par un mode de production à l’agonie, où la logique du profit et l’économie sont phagocytés par les besoins absurdes de la guerre.
Cette spirale, totalement irrationnelle, de barbarie militaire froidement planifiée par les États, est parfaitement illustrée par les intentions autour de la guerre en Ukraine. Elle confirme pleinement le fait de l’absence de toute motivation ou avantage économique possible : « le croulement du monde capitaliste ayant épuisé historiquement toutes les possibilités de développement, trouve dans la guerre moderne, la guerre impérialiste, l’expression de ce croulement qui, sans ouvrir aucune possibilité de développement ultérieur pour la production, ne fait qu’engouffrer dans l’abîme les forces productives et accumuler à un rythme accéléré ruines sur ruines ». (7) Ainsi, il est désormais parfaitement clair que « la guerre en Ukraine illustre de manière éclatante combien la guerre a perdu non seulement toute fonction économique mais même ses avantages sur un plan stratégique : la Russie s’est lancée dans une guerre au nom de la défense des populations russophones mais elle massacre des dizaines de milliers de civils dans les régions essentiellement russophones tout en transformant ces villes et régions en champs de ruines et en subissant elle-même des pertes matérielles et infrastructurelles considérables. Si dans le meilleur cas, au terme de cette guerre, elle s’empare du Donbass et du Sud-Est de l’Ukraine, elle aura conquis un champ de ruines, une population la haïssant et subi un recul stratégique conséquent au niveau de ses ambitions de grande puissance. Quant aux États-Unis, dans leur politique de ciblage de la Chine, ils sont amenés ici à mener (littéralement même) une politique de la “terre brûlée”, sans gains économiques ou stratégiques autres qu’une explosion incommensurable du chaos sur les plans économique, politique et militaire. L’irrationalité de la guerre n’a jamais été aussi éclatante ». (8)
Face à la débâcle militaire de la Russie, il a existé des signaux diplomatiques discrets qui ont été interprétés comme une disposition de Poutine à peut-être vouloir « négocier ». De même, les occidentaux, en premier lieu les États-Unis, se préoccupent de l’issue d’un conflit qui pourrait, laissé à son libre cours, potentiellement aboutir à une implosion catastrophique de la Russie. Mais quelles que soient les intentions ou la politique des uns et des autres, quelle que soit la durée de cette guerre dont nous ignorons encore l’issue ou les ravages à venir, une chose est certaine : la dynamique d’accélération du chacun pour soi et du chaos, du militarisme, ne pourront que s’exacerber. Seule la révolution mondiale du prolétariat pourra mettre fin à cette folie du capital qui prend désormais les allures de l’apocalypse.
WH, 20 décembre 2022
1) Cf. « Signification et impact de la guerre en Ukraine », Revue internationale n° 168, (Rapport adopté en mai 2022).
2) Mark A. Milley, chef d’État-major américain, cité par Courrier international : « Selon les États-Unis, la guerre en Ukraine a fait 200 000 victimes chez les soldats » (10 novembre 2022).
3) « Ukraine : la reconstruction coûtera au moins 350 milliards de dollars », La Tribune (10 septembre 2022).
4) « Guerre en Ukraine : six mois de conflit résumés en neuf chiffres clés », Les Échos (24 août 2022).
5) « Pourquoi la guerre en Ukraine est aussi un désastre écologique », BFMTV.com (30 octobre 2022).
6) « Les fuites de méthane des gazoducs Nord Stream sont moins importantes qu’annoncé », Le Monde (6 octobre 2022).
7) Rapport à la Conférence de juillet 1945 de la Gauche Communiste de France, repris dans le « Rapport sur le Cours Historique » adopté au 3e congrès du CCI, Revue internationale n° 18 (1979).
8) Cf. « Signification et impact de la guerre en Ukraine », Revue Internationale n° 168, (Rapport adopté en mai 2022).