Réponse au «F.O.R.» (III)

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Nous publions ici la 3ème partie de la lettre que nous a adressé le "Ferment Ouvrier Révolutionnaire" (cf. RI n° 56 et RI n° 57) et la réponse qu'elle appelle de notre part.

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... À part cela, le paragraphe de votre article sur Trotsky et les "trotskystes" a retenu également notre attention.

Tout d'abord, jamais le "Pour un second manifeste communiste" n'a défini le courant trotskyste comme "réformiste" mais comme "réformiste vis-à-vis du stalinisme" ce qui est quelque peu différent. Cependant, cette rectification étant faite, aujourd'hui, en effet, une très grande partie d'entre nous ne considère plus cette définition comme valable et préfère souligner que le "trotskysme" se rapproche de plus en plus de la contre-révolution.

Pour ce qui est du "préjugé favorable" pour LO que notre groupe a en effet à un moment montré, nous pensons encore maintenant que le F.O.R. n'a pas eu tort d'espérer que LO donnerait quelque chose d'intéressant puisqu’en 1974, Union Ouvrière scissionnait. Bien entendu, nous savons que, pour vous,U.0. n'a jamais été qu'un ramassis d'"avortons du capital", mais nous jugeons ce qu'a été U.O. différemment de la manière si peu indulgente et si rapide dont vous l'aviez jugée du haut de votre promontoire de "futur parti de la révolution".

Enfin, sur le fait que nous faisons une différence entre Trotsky, le "maître" comme vous dites, et les "trotskystes", les "disciples", une question une seule : faites-vous une différence entre Marx et ceux qui se baptisent "marxistes", entre Lénine et ceux qui se baptisent "léninistes", entre Bordiga et ceux qui se baptisent "bordiguistes" ?

En dernier, vous nous demandiez de nous prononcer sur la caractérisation de la période présente. Bien que nous pensions qu’un adjectif n'a pas un intérêt majeur, nous nous prononçons ici à ce sujet clairement : malgré l'agitation qui s'est déclarée depuis plusieurs années, nous pensons que la période est encore contre-révolutionnaire car rien ne nous indique que la période ait changé dans sa nature.

Voilà, nous pensons avoir épuisé les problèmes que soulevait votre SALUT A "ALARME". Nous ne ferons pas paraître cette présente lettre dans notre journal car, pour le moment, nous ne voulons pas y faire entrer de polémiques entre groupes.

Le 27 octobre 1978, Salutations communistes

F. 0. R

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Cette partie de votre lettre traite principalement de Trostky et du trotskysme mais avant d'aborder cette question, nous voudrions dire quelques mots de votre idée que "malgré l'agitation qui s'est déclarée depuis plusieurs années... la période est encore contre-révolutionnaire car rien ne nous indique que la période ait changé dans sa nature".

En premier lieu, il serait nécessaire que vous précisiez ce que vous entendez par "période contre-révolutionnaire". Si vous désignez de cette façon une période qui n'est pas encore révolutionnaire, nous sommes d'accord avec une telle idée. Effectivement, "rien n'indique" encore que la révolution soit à nos portes. De fait, avec une telle définition, c'est pratiquement toute la vie du capitalisme (à l'exception d'une courte période qui va de 1917 à 1923) qu'on peut qualifier de "période contre-révolutionnaire". Cependant, en mettant dans le même sac toutes les périodes autres que celles où le prolétariat s'affronte les armes à la main et de façon généralisée à l' État capitaliste, on s'interdit de comprendre que dans ces autres périodes, il peut exister des moments où la lutte de classe tend à avancer et se généraliser et d'autres où, au contraire, elle tend à reculer au point de laisser la scène politique entièrement occupée par le jeu interne du capitalisme. Il en est ainsi de la période qui va de 1'épuisement et de la défaite de la vague révolutionnaire du premier après-guerre jusqu'au milieu des années 60. Globalement, pendant toute cette période, c'est le capitalisme qui a l'initiative, qui a les mains libres pour imposer à la société ses propres "solutions" aux problèmes qui sont posés à celle-ci. C'est ainsi qu'à la suite de la crise économique mondiale de 1929, le prolétariat est incapable de résister au cours vers la guerre impérialiste qui constitue justement la réponse capitaliste à cette crise. Plus : le mécontentement ouvrier qui ne manque pas de se manifester contre la misère que la crise inflige aux travailleurs, s'il est incapable de se transformer en combativité contre le capitalisme, est par contre récupéré par divers secteurs de celui-ci pour mieux encadrer les prolétaires dans la participation à la deuxième guerre mondiale : c'est à la gauche du capital et à l’"antifascisme" que revient la palme de cette politique dont le prolétariat espagnol a été, comme on l'a vu, une des premières victimes. Voilà ce qu'on peut appeler une "période contre-révolutionnaire" ou, plutôt, de triomphe de la contre- révolution. Or, telle n'est pas, dans notre analyse, la nature de la période présente. Ce que vous qualifiez de simple "agitation" : mai 68, "l'automne chaud" italien et les émeutes d'Argentine en 69, l'insurrection des ouvriers polonais de 1970, l'explosion de grèves "sauvages" et très combatives qui touche même des pays aussi "calmes" que l'Allemagne et la Suède au tournant des années 60 et 70, la reprise actuelle des luttes de classe aux USA, en Allemagne, en Grande-Bretagne ainsi que dans des pays arriérés comme le Pérou et maintenant l'Iran, tous ces mouvements constituent pour nous (et nous l'avons affirmé depuis 1968) des indices indiscutables du fait que "la période a changé dans sa nature", que le capitalisme n'est plus entièrement maître du jeu et que, de plus en plus, il devra compter avec ce protagoniste dont on avait oublié jusqu'à l'existence pendant des décennies : le prolétariat mondial.

Venons-en à la question du trotskysme : vous affirmez qu'il n'y a pas unanimité dans votre organisation sur cette question : nous pensons qu'il serait très important que vous fassiez connaître publiquement le contenu de vos débats comme les révolutionnaires l'ont toujours fait dans le passé et comme, pour sa part, le CCI le fait chaque fois qu'apparaissent en son sein des divergences politiques importantes. Ceci dit, même celle de vos positions qui se considère la plus critique à l'égard du trotskysme est, de notre point de vue, encore trop timorée. Pour vous, "le trotskysme se rapproche de plus en plus de la contre- révolution". Pour nous, il est dans la contre-révolution. Nous considérons en effet que sa participation au second conflit impérialiste au nom de l'anti- fascisme et de la défense de l'URSS marque son passage irrémédiable dans le camp du capitalisme. Dans ce conflit, il a complètement abandonné ce qui constitue une des positions fondamentales de la classe ouvrière, l'internationalisme, pour passer corps et âme aux côtés d'un des camps impérialistes, pour participer partout à la "résistance" ou appeler les ouvriers russes à défendre la "patrie socialiste". Et votre façon de faire une distinction entre Trotsky et les trotskystes nous paraît, sur ce point, assez spécieuse. Nous n'identifions pas, nous non plus, Trotsky et les courants politiques qui se réclament de lui. Cependant, les aberrations politiques (du point de vue prolétarien) contenues dans le "Programme de Transition" de 1938 n'ont pas été écrites par un quelconque Mandel, Lambert ou Bois[1], c'est Trotsky lui-même qui y préconise la "défense de l' État ouvrier" et la priorité de la lutte "anti-fasciste". Et les contorsions qu'il est obligé de faire entre le début de la guerre mondiale et son assassinat pour, à la fois, encourager les ouvriers anglais à saboter l'effort de guerre de leur capitalisme et leur demander -au cas qu'il considère probable d'une entrée de l'URSS dans la guerre- de favoriser les livraisons d'armes à l'"État ouvrier", ces contorsions illustrent de façon claire la contradiction entre son souci internationaliste et la nature bourgeoise de sa position. Cette contradiction, la plupart de ses compagnons la résolvent en l'alignant ouvertement derrière un des camps. Que, par la suite, certains de ses proches, y compris sa compagne Natalia Sedova, aient rompu avec la "IVe Internationale" et ses positions chauvines comme lui-même l'aurait peut-être fait s'il n'était tombé sous les coups des tueurs de l'"État ouvrier", n'enlève rien à l'énorme responsabilité -d'autant plus grande qu'il avait été auparavant un grand révolutionnaire- que Trotsky a porté dans le passage du "trotskysme" à la contre-révolution et qui n'a rien à voir avec les erreurs que Marx et même Lénine ont pu commettre et derrière lesquelles se réfugient les faussaires de tout acabit.

De fait, le FOR n'a jamais été capable de faire une rupture claire avec le trotskysme et de comprendre la nature exacte de ce courant. De la même façon que Trotsky a été incapable de rompre complètement avec la dégénérescence de la révolution en Russie et de la 3e Internationale, dans la mesure où il avait lui-même participé à cette dégénérescence, l'appartenance au trotskysme jusqu'à la seconde guerre mondiale des fondateurs du FOR leur a interdit jusqu'à présent de comprendre la nature aujourd'hui contre-révolutionnaire de ce courant, elle-même résultat des positions confuses ou carrément bourgeoises qu'il a véhiculées depuis ses origines et malgré sa propre résistance contre la dégénérescence. C'est ce qui apparaît clairement dans “Pour un second Manifeste Communiste" (1961) où on se contente de relever le caractère "plus qu'insuffisant", "propre à favoriser les opportunismes face à la contre-révolution stalinienne" et désormais "caduc" du Programme de Transition alors qu'on affirme en même temps que : "En contraste avec la dégénérescence réactionnaire de l'internationale Communiste, l'Opposition de gauche , qui fut à l'origine de la IVe Internationale, exprimait la continuité idéologique et organique de la Révolution de la même manière que les groupes internationalistes de 1914 face à la corrosion patriotique de la social-démocratie ". Malheureusement, la "défense de l'URSS" n'était pas, en 1938, seulement "propre à favoriser les opportunismes" mais bien une position bourgeoise comme l'avait compris la Gauche communiste (italienne, allemande et hollandaise) qui, bien plus que l'Opposition de gauche , "exprimait la continuité idéologique et organique de la Révolution" et dont le "second Manifeste" ne dit pas un mot.

Cette incapacité du FOR à couper le cordon ombilical avec ses origines trotskystes l'a conduit à commettre des erreurs de taille sur les scissions qui ont pu secouer les groupes trotskystes et dont votre lettre, au lieu d'en tirer les enseignements, au contraire se vante. Ainsi, pour vous, "le FOR n'a pas eu tort d'espérer que LO donnerait quelque chose d'intéressant puisqu'en 1974, "Union Ouvrière" scissionnait". Peut-être considérez-vous que le FOR n'a "pas eu tort" d'écrire à cette occasion ('Alarma’ n°28) que : "la présence d'Union Ouvrière au sein du prolétariat promet de révéler le fait organique le plus positif arrivé en France pour le moins depuis la fin de la guerre jusqu'à aujourd'hui... la constitution d'Union Ouvrière marquera une nouvelle époque dans la régénération du mouvement révolutionnaire en France". Rien que cela ! Quand on connaît la pitoyable trajectoire suivie par "Union Ouvrière" depuis cette époque, ballotée entre le "situationnisme" et l'ouvriérisme pour sombrer dans le néant, on devrait pouvoir se rendre compte de l'absurdité (et du ridicule !) des analyses d'alors du FOR. Pas du tout dites-vous ! "Le FOR n'a pas eu tort".

EN GUISE DE CONCLUSION...

Au risque de nous attirer encore le mécontentement du FOR qui trouvera probablement que nous le "jugeons du haut de notre promontoire", il nous semble nécessaire de mettre en évidence ce qui, de notre point de vue, constitue la base de ses erreurs politiques : l'incapacité de rompre de façon claire et énergique avec la période de contre-révolution que la classe ouvrière a supportée jusqu'au milieu des années 60 et dont elle a commencé depuis à sortir. Cette incapacité se manifeste sur plusieurs plans :

  • son incompréhension de la nature réelle du trotskysme et les illusions qu'il conserve sur ce courant politique, sur sa capacité à constituer un terrain fertile pour l'éclosion d'une pensée révolutionnaire, incompréhension et illusions qui résultent de la rupture incomplète du FOR avec ses origines ;
  • son idéalisation des événements d'Espagne auxquels la participation de ceux qui plus tard allaient fonder le FOR ne suffit pas à conférer une nature révolutionnaire ; idéalisation qui, par bien des aspects, s'apparente à celle qu'en font les anarchistes auxquels, d'ailleurs, le FOR fait d'autres emprunts comme le rejet moral des déterminations objectives du mouvement prolétarien, le volontarisme et la vision individualiste de la démarche des révolutionnaires et de l'ensemble des membres de la classe ouvrière ;
  • le poids d'une vision qu'on pourrait qualifier de "pessimiste" du prolétariat qui ne saurait, face à la crise, avoir d'autre réaction que celle des années 30: une plus grande atomisation et une plus grande soumission à la bourgeoisie, vision qui s'accompagne de l'incompréhension du changement de période historique': ouverture d'un cours vers des affrontements révolutionnaires.

La dernière manifestation du poids des années de contre-révolution sur le FOR, qui n'apparaît pas dans cette lettre mais n'en est pas moins réelle est son sectarisme, sectarisme qui s'est exprimé notamment par son départ spectaculaire de la conférence internationale de novembre 78 et par le refus de ce groupe de poursuivre la discussion et la confrontation politiques avec les autres courants communistes.

Nous pensons que le FOR est incontestablement un groupe communiste animé d'une sincère volonté révolutionnaire. Mais ces qualités ne suffisent pas aux courants révolutionnaires pour être à la hauteur des tâches pour lesquelles ils ont surgi dans la classe. Pour que le FOR puisse contribuer efficacement au processus déjà engagé de prise de conscience de celle-ci vers de nouveaux affrontements révolutionnaires, il faut qu'il soit capable de tirer à fond les enseignements de plus d'un demi-siècle d'expérience prolétarienne, qu'il se dégage de la "tradition de toutes les générations mortes (qui) pèse d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants" (Marx "Le 18 Brumaire...") et en particulier, qu'il comprenne l'impérieuse nécessité de rompre avec l'esprit de secte et d'engager le débat entre révolutionnaires en vue de préparer leur regroupement futur. Sinon, il est condamné à devenir une entrave à ce processus et finalement à disparaître après avoir stérilisé les énergies révolutionnaires de ses militants et de ceux qu’il influence.

Salutations Communistes

 

[1] Leaders respectifs de la IVème "Internationale", de l'OCI et de "Lutte Ouvrière".

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