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Depuis cet été, la situation sociale a évolué de manière significative en Europe. L’aggravation considérable de la crise économique avec, en particulier, la flambée spectaculaire des prix et ses conséquences dramatiques sur les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière ont poussé le prolétariat à réagir : en Grande-Bretagne d’abord, et dans d’autres pays européens ensuite comme en France, en Allemagne, en Italie ou en Grèce. Des grèves ont été organisées par les syndicats sous la pression du mécontentement qui règne dans la classe ouvrière. Cette situation s’est concrétisée en France par trois journées de grèves et de manifestations (les 29 septembre, 18 octobre et 10 novembre), relativement bien suivie pour la première, un peu moins pour les suivantes. Quoiqu’il en soit, ces événements ont démontré la réalité de la combativité des prolétaires, mais qui, pour le moment, reste parfaitement encadrée par les chiens de garde de l’ordre social que sont les syndicats et les partis d’extrême-gauche.
Les discours des gauchistes dans les dernières luttes: isoler, désorienter et démoraliser !
Certains groupes politiques trotskystes comme Révolution Permanente (RP) et Lutte Ouvrière (LO) se sont fortement mobilisés dans ces grèves avec un discours anti-prolétarien bien rodé. LO s’était déjà exprimée sur les luttes en Grande-Bretagne, avec un discours faussement radical comme à son habitude, en affirmant que « les travailleurs n’ont aucun contrôle sur leurs grèves, entièrement dirigées et décidées par des directions syndicales, qui pourraient y mettre fin sur la base de compromis insatisfaisants », (1) ce qui est exact, même si les « compromis insatisfaisants » montreraient par trop la collusion des syndicats avec l’État-patron, et que « pour que la grève se généralise, pour qu’elle soit commune à l’ensemble du monde du travail, il faudrait que les travailleurs débordent les organisations syndicales des différents secteurs ». Cette officine de l’État bourgeois va même plus loin en proclamant qu’il est impératif de « déborder les organisations syndicales » regrettant que « la plupart des mobilisations sont restées sectorielles » et que « la dynamique des grèves […] est émiettée par cette dispersion et par l’absence de plan d’ensemble ». On retrouve le même discours à propos des récentes grèves et journées de manifestations en France puisque dans le « Bulletin d’entreprise » du 10 octobre dernier, (2) signé par Nathalie Arthaud, LO nous dit que « la lutte est difficile. C’est pourquoi il faut la préparer. Souvent l’initiative des débrayages ou de la grève est prise par les syndicats. […] L’essentiel est que la lutte soit dirigée démocratiquement par les travailleurs qui veulent se battre. » Évidemment, LO ne donne absolument pas la clé permettant à la classe ouvrière de s’approprier sa lutte. Sous des accents de radicalité, LO ne fait ici que propager la mystification classique de l’extrême-gauche selon laquelle c’est à la « base » et non pas « aux directions syndicales » de prendre en charge la lutte, discours dont elle s’est déjà faite le porte-voix zélé pour saboter les luttes de l’intérieur même de syndicats pourtant discrédités. En effet, systématiquement, ses militants appuient de manière directe ou indirecte la sale besogne des syndicalistes.(3) Le seul et unique objectif de cette propagande consiste à épouser verbalement le sentiment de méfiance pouvant régner au sein de la classe à l’égard des « directions » pour mieux enchaîner les ouvriers à l’emprise du syndicalisme à travers l’appel « au syndicalisme de base » ou des « coordinations ». Face à toutes ces mystifications propices à la désorientation des luttes, la seule ligne prolétarienne demeure l’auto-organisation des luttes contre les syndicats (et pas uniquement leurs directions) et le contrôle du mouvement par des assemblées générales unitaires ouvertes à tous les ouvriers.
Le groupe Révolution Permanente, (4) très présent dans les manifestations, est quant à lui sur une approche bien moins subtile : non seulement il laisse entendre que la grève dans les raffineries est « légitime » du fait des profits extravagants des entreprises pétrolières, comme si la lutte pouvait être justifiée, non par les sacrifices que le capital impose à la classe ouvrière, mais par les profits qu’il en tire (et donc que, si le capital perdait de l’argent, la lutte serait bien moins justifiée !), mais ce groupe pousse ouvertement à l’isolement des ouvriers dans leur secteur d’activité, les raffineries, en l’occurrence : « Faire tenir la grève, en alimentant les caisses de grèves des deux entreprises, […] mais aussi par un élan de solidarité, qui peut s’exprimer par des visites de soutien, des communiqués ou motions syndicales de soutien à la grève, et plus globalement par une dénonciation acharnée des profits des groupes pétroliers, de leur politique de destruction de la planète et de leurs profits faramineux : voilà notre tâche actuelle. ». (5) En plus d’appuyer totalement la campagne syndicale de « blocage de l’économie », RP met surtout en scène l’impuissance des ouvriers à soutenir le mouvement dans les raffineries, en transformant les autres secteurs ouvriers en purs spectateurs de cette grève.
La classe ouvrière a déjà depuis longtemps fait l’expérience de ce genre de stratégie qui ne mène qu’à épuiser les ouvriers en grève en les isolant les uns des autres : les secteurs « stratégiques » dans l’économie ne manquant pas, on peut répéter ce genre de stratégie stérile dans autant de secteurs que l’on veut ! La triste expérience des mineurs anglais et de leur année de grève en 1983/84, qui eux aussi cherchaient à « bloquer » une économie alors encore très dépendante du charbon, doit nous rappeler toute l’inanité de ces mots d’ordre. En appuyant le mouvement des raffineries, totalement encadré par les syndicats, isolé malgré la sympathie que lui témoignent la plupart des autres ouvriers, RP ne cherche qu’à étouffer davantage le mouvement et à créer la confusion dans la tête des ouvriers les plus combatifs. RP cherche, en effet, à réduire le combat de la classe ouvrière à des conflits par procuration, une lutte contre un patronat avide et non contre le capitalisme. Du reste, lorsque la situation a commencé à se détériorer, l’État a mis en place la réquisition des quelques ouvriers nécessaires à la remise en marche de la distribution du carburant, et a rouvert les vannes des pompes à essence !
Le gauchisme reste une arme indispensable de la bourgeoisie contre la classe ouvrière
Il existe aujourd’hui non seulement une nécessité de lutter contre les sacrifices que la crise du capitalisme et la décomposition de la société imposent au prolétariat, mais aussi un mécontentement de plus en plus fort menant à une volonté de plus en plus marquée de se battre et d’en découdre. Il existe au sein de la classe ouvrière mondiale une conscience que la situation ne peut qu’empirer, et cette préoccupation devient centrale dans le rapport de force entre la bourgeoisie et classe ouvrière. La bourgeoisie le sait parfaitement, et elle veut absolument éviter que ce mécontentement ne mène à une généralisation des luttes, ce qui permettrait à la classe ouvrière d’éprouver sa force et de retrouver une partie de son identité, de la conscience de son rôle pour la transformation de la société. Pour éviter cela, la classe dominante cherche à encadrer la lutte des exploités au moyen de ses syndicats et à les désorienter en pourrissant leur conscience avec une idéologie faussement prolétarienne.
Depuis Mai 68 et la reprise internationale de la lutte de classe, le gauchisme occupe en France une place importante dans le dispositif bourgeois d’encadrement du prolétariat, notamment du fait de la place très importante qu’y occupait le Parti communiste français stalinien et de la nécessité de lui adjoindre une opposition « critique » de gauche(6). L’effondrement mondial du stalinisme ne peut que renforcer l’importance de la place qu’occupe le trotskysme dans l’organigramme bourgeois et étatique des saboteurs de luttes : leur caution « radicale » (dont on peut voir qu’elle va très loin dans le cas de LO) est fondamentale pour crédibiliser, d’une part, la gauche « de gouvernement », en appelant à « faire pression sur elle » (comme lorsque LO appelait à voter pour le « socialiste » Mitterrand en 1981 ou pour Royal en 2007), et les syndicats, qui sont toujours présentés comme des organes de lutte, mais menés par des « directions syndicales qui jouent le jeu du dialogue social avec le gouvernement et le patronat ». Nulle part, jamais ces officines gauchistes n’expliqueront que les prolétaires, dès lors qu’ils luttent contre la dégradation de leurs conditions de vie et de travail, s’affrontent en fait à l’État capitaliste, et donc que leur lutte est à la fois économique et politique, alors que les syndicats, de par leur nature même, ne peuvent que se cantonner à les encadrer et enfermer sur un terrain strictement économique et limité en désarmant totalement la classe ouvrière face à son principal ennemi, l’État.
Dans les luttes, lorsque les ouvriers parviennent à desserrer le carcan syndical en s’auto-organisant, en menant des assemblées générales avec une réelle prise en main pour discuter des perspectives et des moyens de la lutte, les trotskystes ont toujours joué les chiens de garde empêchant les ouvriers combatifs et les révolutionnaires de participer aux assemblées générales, comme lors de la lutte des cheminots de décembre 1986 ou celle des infirmières en 1988, en sabotant les décisions de ces assemblées générales comme le faisaient les militants du NPA lors de la lutte contre le CPE en 2006, en poussant les ouvriers dans des luttes stériles et isolées dont ils ne peuvent sortir que vaincus, amers et désabusés, comme lors de la lutte des raffineries du mois dernier.
LO et RP cherchent toutes deux à briser la prise de conscience des ouvriers sur la nature et la fonction des syndicats, la première en déviant la réflexion sur une fausse opposition entre base et direction syndicale, la seconde en martelant la validité de la stratégie syndicale sur l’isolement dans la corporation et l’entreprise. Cela signifie, clairement, que la lutte de la classe ouvrière est aussi une lutte contre le gauchisme et contre des organisations comme LO et Révolution Permanente.
Pour la Gauche communiste, il est vital que les ouvriers étendent leur lutte le plus rapidement possible, sortent de l’usine ou de l’administration pour obliger la bourgeoisie à céder le plus rapidement possible sur les revendications. Nous savons combien les grèves longues sont un piège pour le prolétariat. Nous savons aussi que les syndicats seront présents et dangereux jusqu’à la révolution, aussi les communistes doivent-ils dès à présent se battre dans chaque lutte, même la plus petite, pour donner une direction politique très claire sur la nécessité de l’extension géographique de la lutte et la nécessité des assemblées générales. Cette direction politique ne signifie pas que les révolutionnaires puissent organiser la classe ou décider à sa place, mais qu’ils doivent montrer concrètement la validité de cette orientation politique et contrer toutes les tentatives de maintenir la lutte dans l’isolement.
HG, 9 novembre 2022
1 « ne vague de grèves inédite en Grande-Bretagne », Lutte de classe n° 226 (septembre-octobre 2022).
2 « Après le 18 octobre : préparer une lutte d’ensemble », Lutte ouvrière n°2830, (28 octobre 2022).
3 Cf. notre brochure : Bilan de la lutte des infirmières (octobre 1988). Par le biais de « l’entrisme », des militants de LO sont eux-mêmes syndiqués et jouent un rôle non négligeable avec les syndicalistes (au sein de la CGT par exemple).
4 Ce groupe est le produit d’une scission au sein du NPA.
5 « Contre Total et les groupes énergétiques : pourquoi soutenir la grève des raffineurs pour des augmentations de salaire ? », site de Révolution permanente (3 octobre 2022).
6 Le trotskysme cessa d’être un courant du mouvement ouvrier quand il passa définitivement dans le camp de la bourgeoisie au cours de la Deuxième Guerre mondiale en abandonnant l’internationalisme prolétarien au profit de la défense d’un camp impérialiste contre l’autre, en particulier au nom de l’antifascisme ou de la défense de la « patrie socialiste ». Voir la Brochure du CCI : Le trotskysme contre la classe ouvrière.