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Dans son éditorial des bulletins d’entreprises du 21 mai, reproduit dans le n° 1145 de son journal, le groupe trotskiste "Lutte Ouvrière" déplore avec amertume le renoncement du PS à son projet de donner le droit de vote aux immigrés et fustige Rocard "qui fait ainsi le jeu de la droite, voire de l’extrême-droite”.
Son argumentation est stupéfiante : écoutons-la quelques instants.
Première étape, LO pose la question : qui sont ces étrangers qui vivent et travaillent en France ? Et elle donne la réponse : "Ce sont trois millions de travailleurs qui travaillent comme les ouvriers français et ils sont à nos côtés dans les grèves". OK ! Voyons la suite : "Aucun d’entre nous ne peut penser qu’ils ne pourraient pas voter sur la grève ou dans les élections des délégués du personnel parce qu’Us sont étrangers F Voilà que LO fait l’amalgame entre la vie de la classe ouvrière et la vie de la bourgeoisie. Que veut-elle nous amener à penser ? Que la bourgeoisie devrait s’organiser comme la classe ouvrière ? Ou plutôt l’inverse ?
En fait, la réponse est simple : c’est bien sur le terrain de la bourgeoisie que veut nous entraîner LO. Les élections de la bourgeoisie sont un terrain devenu depuis longtemps totalement étranger à la classe ouvrière, pour les ouvriers immigrés comme pour l’ensemble de la classe ouvrière. Elle n’a nen à y faire, parce qu’elle ne peut y lutter, obtenir quelque chose de la bourgeoisie, qu’elle ne peut que s’y laisser mystifier par elle. Et nous mystifier, c’est bien ce qu’a entrepris de faire LO qui n’a de cesse de chercher à nous attirer en toute occasion vers les urnes (d’ailleurs, Arlette n’est-elle pas la candidate la plus fidèle des présidentielles ?) pas pour y arracher quoi que ce soit de la bourgeoisie, mais pour y obtenir, dit-elle, une simple "tribune révolutionnaire" pendant les campagnes électorales.
Là encore, LO nous fait glisser de terrain : les seules tribunes du prolétariat où il puisse exprimer sa vie de classe, ce sont les assemblées générales. Mais, passons !
Dans les faits, LO, qui ne dédaigne pas à l’occasion prétendre que "gauche et droite, c’est blanc bonnet et bonnet blanc" et, de temps à autre, demande à sa petite frange d’électeurs "de marquer sa défiance envers la gauche" en ne votant pas au second tour, ramène les ouvriers qui expriment justement cette défiance, dans le giron du "soutien critique" à la gauche.
La preuve? C’est la seconde étape de l’argumentation : "C’est donc trois millions de voix de gauche qui ne se retrouvent pas comptabilisées par la gauche, c’est un cadeau électoral fait à la droite et... Rocard favorise même la droite au détriment de son propre parti. "
Laissons tomber ces dernières élucubrations qui veulent faire croire aux ouvriers qu’ils ont à faire à une gauche complètement stupide et totalement inconsciente de ses faits et gestes, pour ne retenir que l’essentiel : LO souhaite ardemment que la situation "profite" à la gauche même si cette gauche au gouvernement aligne mesures anti-ouvrières sur mesures anti-ouvrières. L’amour inconditionnel de la gauche que LO réclame des ouvriers, LO lui donne un seul sens : "faire pression". Voilà pourquoi LO se lamente sur le fait que "trois millions de travailleurs soient exclus de toute possibilité d’influencer les politiciens". Ainsi, le PS serait un parti politicien (mais défendant quels intérêts ?), mais les ouvriers, par leur "pression" -c’est-à-dire en votant pour lui, si on suit LO, et non pas en luttant contre lui, pourraient infléchir sa "politique politicienne" ! Quelle curieuse conception de la "pression ouvrière" ! Non seulement LO nous dit que pour lutter, le seul moyen efficace, c’est d’aller aux urnes mais encore elle nous assure qu’il faut voter pour le PS ! Et LO de conclure péremptoirement : "Le gouvernement Rocard vient de reculer devant les intérêts des travailleurs." Ainsi, Rocard a bêtement refusé trois millions de voix qui lui étaient offertes. Mais ce n’est pas le plus fort du raisonnement : LO est bien en train de nous raconter que le PS au gouvernement défend les intérêts des travailleurs puisqu’il prétend qu’il a pu reculer en ce domaine (sur la question du vote des immigrés) et que "l’intérêt des travailleurs" c’est avant tout de voter pour ce même PS. A l’en croire, heureusement qu’il s’est trouvé des ouvriers français qui ont bien compris où étaient les véritables intérêts des travailleurs en allant réélire Mitterrand en 1988.
LO nous démontre ici que tout son discours radical sur la gauche, sur les élections et surtout dans les luttes, n’est que au bla-bla. De temps à autre, le vernis radical de LO s’écaille, laissant apparaître la nature bourgeoise la plus grossière de ce groupe et sa fonction réelle qui est de constamment aller chercher les ouvriers sur leur terrain de classe pour les ramener sur celui de la bourgeoisie.
YD