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Quand, en ce 28 mai, les familles de supporteurs madrilènes et liverpuldiens se préparaient à passer 90 minutes de « parenthèses enchantées », elles pouvaient peut-être s’attendre à rencontrer quelques hooligans. Elles étaient pourtant loin d’imaginer que les véritables brutes auxquelles elles feraient face allaient être ces « hommes en bleu » supposément chargés de la protection de l’événement. Ce fut, en effet, une journée de terreur pour les victimes de l’État bourgeois. Les mensonges impudiques du premier flic de France, Gérald Darmanin, et de son sous-fifre Didier Lallement, tristement célèbre pour la politique ultra-répressive instituée lors du mouvement des « gilets jaunes », et régulièrement utilisée contre le prolétariat à chaque manifestation, ne peuvent dissimuler la vérité des faits. Les témoignages abondent de cette violence aveugle des forces de répression bourgeoises, avec matraquages et gazages de personnes innocentes, parfois de jeunes enfants, accompagnés pour les moins chanceux, de croche-pattes et de tabassage à terre. Et, comme par hasard, toutes les vidéos à proximité du stade ont été prématurément effacées ! Oui, il est probable que ces supporteurs se souviendront de cette journée mémorable où, pour parfois 690 euros, ils purent bénéficier d’un passage à tabac en règle de la part de l’État français.
Manque de moyen et terreur d’État : le cocktail de la décomposition capitaliste
Tout le monde, en France et à l’étranger a pu constater l’incapacité de l’État français, septième puissance mondiale, à organiser un simple événement sportif. Cette incurie ne s’explique pas seulement par une simple sous-estimation des organisateurs, elle découle avant tout d’une véritable déstructuration des services. Très vite, les enquêtes ont révélé qu’une des principales raisons du chaos était le trop faible nombre de stadiers par rapport au nombre de supporteurs attendus. (1) Le mensonge, vite levé, des « trente à quarante milles faux billets » utilisé par Darmanin visait justement à masquer cette réalité. A savoir que face au manque de moyens et au désordre que cela peut provoquer, l’État n’a plus qu’une seule solution à sa disposition : la violence brutale et aveugle.
Cet exemple, loin d’être exceptionnel, illustre bien l’impasse dans laquelle le capitalisme s’enfonce. Cela fait plus d’un siècle qu’il a perdu tout caractère progressiste, comme l’affirmait le Manifeste de l’Internationale communiste à son congrès fondateur de 1919. Pire encore, il est entré depuis ces dernières décennies dans sa phase ultime de décomposition. (2) Le fait qu’une des principales puissances du capitalisme comme la France, avec tous les moyens potentiels à sa disposition, soit incapable d’organiser un événement sportif, devenant ainsi la risée de la presse mondiale, illustre à la perfection une certaine perte de contrôle de la bourgeoisie sur son appareil étatique.
La répression policière : une répétition générale en prévision de la lutte de classe
Les arguments de Darmanin sur la fraude ou la gestion des hooligans servent en réalité à la bourgeoisie française, un peu dépassée par l’événement, de justification de la violence de l’État face aux « menaces à l’ordre public ». Derrière cette appellation volontairement floue se dissimule la préparation du terrain pour la répression de la classe ouvrière. Ce que souhaitent le gouvernement et la préfecture de police, de manière moins fébrile, c’est à la fois envoyer un message clair à tous les opposants potentiels à la politique de la bourgeoisie et en même temps préparer la police et ses méthodes de répression en prévision de la reprise de la lutte de classe face à la crise économique.
Dans le théâtre de la politique française, le rôle du « bon flic » est déjà joué par la gauche du capital, au premier rang desquels la gauche radicale de Mélenchon et du PCF, et sur son flanc gauche, par les trotskistes, les anarchistes officiels et les syndicats. Pour les premiers, c’est l’argument de la « police de proximité », supposée, par la magie même du changement de nom, être au « service des citoyens », censée ne réprimer seulement que la « délinquance ». Ce qu’ils omettent volontairement de préciser, c’est que les ouvriers qui refuseront l’ordre établi en luttant contre le capitalisme, parce qu’ils sont déjà criminalisés pour cela, seront traités comme des « délinquants », voire des « terroristes » ! L’histoire des luttes ouvrières abonde d’exemples en ce sens.
Quant aux seconds, alors que les trotskystes « purs » de LO plagient le programme mélenchonniste, ceux du NPA proposent par exemple de « désarmer la police ». Les prolétaires peuvent désormais être rassurés par la niaiserie de cet angélisme trompeur, ils pourront continuer d’être déférés devant les tribunaux, tabassés par la police et parqués dans les prisons surpeuplées, mais ils pourront, soi-disant, échapper à l’éborgnement et aux mains arrachées ! C’est sur une question comme la nature de la police que l’appartenance de la gauche et l’extrême gauche du capital à la bourgeoisie est des plus évidente.
La démocratie bourgeoise et l’État totalitaire : deux faces d’une même pièce
Dans un État de droit, comme l’est la France, les « violences policières » sont présentées comme une « exception », un « dérapage » commis par quelques moutons noirs. En réalité, la violence d’État est au cœur de toutes sociétés de classes. Elle contribue à empêcher ce système décadent de s’écrouler en maintenant par la force les conditions d’une exploitation forcenée. Pour le prolétariat, l’opposition démocratie/dictature perd toute raison d’être : la démocratie aussi est totalitaire dans la mesure où elle réagit avec les moyens les plus perfectionnés de la violence d’État pour empêcher toute remise en question de ce système et toute alternative. Cet incident apparaît bien dans les médias bourgeois comme un simple dérapage, une anomalie. La répression violente est en réalité la réponse normale de l’État démocratique.
Pache, 15 juin 2022
1« Incidents au Stade de France : le déni des pouvoirs publics malgré une organisation défaillante », Le Monde (30 mai 2022).
2Sur la décomposition, voir, « Thèses sur la décomposition », Revue internationale n°107 (4e trimestre 2001).