Le pacifisme : une arme pour la guerre

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Le renforcement des préparatifs militaires, la menace atomique, constamment suspendue au-dessus de nos têtes, poussent à une révolte toujours plus forte contre la barbarie militaire. Mais cette révolte, parce qu'elle ne parvient pas à se lier à la lutte de classe, parce qu'elle reste en dehors d'une claire perspective prolétarienne, tend à être utilisée, manipulée par la bourgeoisie derrière les étendards du pacifisme, de l'anti-américanisme. Mettre fin aux guerres ne peut être autre chose que détruire le capital.

  • "LE MOT D'ORDRE DE LA PAIX EST, POUR LES MARXISTES REVOLUTIONNAIRES, UNE QUESTION D'UNE IMPORTANCE BEAUCOUP PLUS GRANDE QU'ON NE LE CROIT PARFOIS. LE DEBAT SE RAMENE EN REALITE A UN PROBLEME DE LUTTE CONTRE L'INFLUENCE BOURGEOISE DANS LE MOUVEMENT OUVRIER. ...LE "MOT D'ORDRE" DE LA PAIX N'A PAR LUI-MEME ABSOLUMENT RIEN DE REVOLUTIONNAIRE. IL NE PREND UN CARACTERE REVOLUTIONNAIRE QU'A PARTIR DU MOMENT OU IL S'ADJOINT A NOTRE ARGUMENTATION POUR UNE TACTIQUE DE LUTTE REVOLUTIONNAIRE, QUAND IL S'ACCOMPAGNE D'UN APPEL À LA REVOLUTION, D'UNE PROTESTATION REVOLUTIONNAIRE CONTRE LE GOUVERNEMENT DU PAYS DONT ON EST CITOYEN, CONTRE LES IMPERIALISTES DE LA PATRIE A LAQUELLE ON APPARTIENT". (G. Zinoviev, "Pacifisme ou Marxisme, 23 août 1915).

50.000 manifestants à Berlin-Ouest contre la venue du général Haig, secrétaire d'État américain et naguère chef suprême des forces de l'Otan, et dans plusieurs États d'Europe du Nord (Pays-Bas, pays Scandinaves, RFA...) et même aux Etats-Unis, de nombreuses marches et manifestations contre la guerre ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes.

Ces réactions contre l'armement nucléaire et la bombe à neutrons, la course aux armements et l'engagement européen dans l'OTAN, les crédits militaires et contre les armées elles-mêmes, traduisent une angoisse réelle. Celle d'hommes et de femmes, pris de vertige devant une fantastique accumulation de moyens de destruction, qui sont amenés à s'interroger sur leur avenir et sur celui de leurs enfants. Angoisse qui fait peser sur le monde entier l’ombre permanente de la guerre. Il n'est nullement surprenant que la crainte du déclenchement d'un nouveau conflit mondial s'exprime le plus fortement là où est abritée la concentration la plus massive de l'arsenal guerrier du bloc occidental et notamment en RFA, c'est à dire au voisinage direct des blocs adverses, dans la zone géopolitique où la stratégie des tensions inter impérialistes s'exerce à travers la pression la plus intense.

Oui ! Le fait qu'on assiste à des réactions contre la guerre et les menaces de guerre est pleinement JUSTIFIE ET NECESSAIRE du point de vue prolétarien.

Dans ses "Thèses sur les tâches de la social-démocratie internationale" Rosa Luxembourg rappelait que "l'action de classe du prolétariat de tous les pays doit EN TEMPS DE PAIX COMME EN TEMPS DE GUERRE se fixer comme but principal de combattre l'impérialisme et de faire obstacle à la guerre".

Mais la soudaine attirance de fractions non négligeables de la bourgeoisie envers le "pacifisme" traduit, elle, tout autre chose.

Le pacifisme contre la lutte de classe

De l'aile "gauche" du Labour Party (Benn) en Grande-Bretagne qui prône un "désarmement unilatéral" à l'aile "pacifiste" de la social-démocratie allemande (Brandt) qui feint aujourd'hui de militer pour un désengagement "neutraliste", de la social-démocratie suédoise qui cherche à faire peau neuve aux travaillistes norvégiens, retournant dans "l'opposition", on se découvre une fibre "pacifiste". On se gargarise à qui mieux mieux de phrases sur la "paix" et le "désarmement". La vérité c'est que l'on cherche ainsi à dévoyer les manifestations d'inquiétude face à la menace de conflit mondial que mettent en avant les grondements bellicistes des Haig, des Reagan, des Brejnev, des Strauss et des Thatcher sur le terrain du "pacifisme" pour les détourner complètement du terrain de la lutte de classe. Cette pression bourgeoise est d'autant plus forte dans des États ayant mieux résistés que d'autres jusqu'ici à la crise où, malgré l'ampleur des attaques de la bourgeoisie, la question de la guerre est, encore aujourd'hui, plus présente dans les esprits que celle de l'austérité. Mais l'heure est venue où la situation économique (voir l'article sur la crise en Europe dans ce n°) exige pour ces pays la mise en place d'un programme d'austérité sans précédent.

Ainsi, le pacifisme, remis au goût du jour dans la social-démocratie allemande, est d'une part un cache misère aux rigoureuses mesures d'ores et déjà adoptées par le gouvernement Schmidt au lendemain du sommet d'Ottawa comportant une considérable réduction du budget de L'Etat et d'autre part une préparation au passage de cette fraction de la bourgeoisie dans l'opposition pour pouvoir y prêcher la "paix sociale" au moment où celle-ci pourrait être remise en question tout en laissant à d'autres les rênes du pouvoir et la responsabilité de nouvelles mesures draconiennes impopulaires ainsi que le renforcement militaire de l'alliance atlantique. Toute la question du "pacifisme", du "neutralisme" est une fausse polémique entretenue pour masquer la réalité qui est bien pour l'ensemble de la bourgeoisie de faire passer ses mesures d'austérité à travers la paix sociale.

Dans les années 60, l'opposition à la guerre a pu être dévoyée sur le terrain de "la libération nationale des peuples opprimés". Aujourd'hui, où cette mystification a fait long feu, c'est sur la voie d'un "pacifisme de principe" où elle s'opposerait directement à toute expression de classe que tente de l'exploiter, de la drainer la bourgeoisie.

Cela dévoile la nature véritable du pacifisme : ce n'est pas la "paix" en opposition aux puissances impérialistes qui est défendue mais bien uniquement la "paix" entre les classes, la paix sociale, la pacification nationale au profit du capitalisme impérialiste.

"L'opposition à la guerre qui peut se manifester au sein de la bourgeoisie se résume tout crûment à son opposition à la guerre civile, à la guerre de classe".

Sur ses manœuvres, l'histoire nous livre des expériences édifiantes. La même entreprise que nous voyons à l'œuvre aujourd'hui, les révolutionnaires la dénonçaient déjà il y a plus de 50 ans avec la dernière énergie : "la bourgeoisie a précisément besoin que, par des phrases hypocrites sur la paix, on détourne les ouvriers de la lutte révolutionnaire" énonçait Lénine en mars 1916.

L'usage du "pacifisme" n'a pas changé : "en cela réside l'unité de principe des social-chauvins (Plekhanov, Scheidemann) et des social-pacifistes (Turati, Kautsky) que les uns et les autres, objectivement parlant sont les serviteurs de l'impérialisme : les uns le servent en présentant la guerre impérialiste comme la "défense de la patrie", les autres servent le même impérialisme en déguisant par des phrases sur la paix démocratique, la paix impérialiste qui s'annonce aujourd'hui. La bourgeoisie impérialiste a besoin de larbins de l'une et de l'autre sorte, de l'une et de l'autre nuance : elle a besoin des Plekhanov pour encourager les peuples à se massacrer en criant : "À bas les conquérants !" ; elle a besoin des Kautsky pour consoler et calmer les masses irritées par des hymnes et dithyrambes en l'honneur de la paix" (Lénine, janvier 1917).

Dans la première guerre mondiale, TOUS les propagandistes du "pacifisme de principe" ont sombré dans l'union sacrée. Mais surtout ils ont été les principaux responsables de l'entraînement du prolétariat au massacre sur le de la "défense nationale et de la patrie". Le pacifisme est purement une arme de la bourgeoisie ! et en aucun cas on ne peut s’opposer à la guerre à travers lui.

Les révolutionnaires contre la guerre et le pacifisme

Pour les révolutionnaires, la question du pacifisme a été clairement définie par Lénine : "notre programme de paix" doit consister à expliquer que les puissances impérialistes et la bourgeoisie impérialiste ne peuvent donner la paix démocratique. Il faut chercher cette paix et l'obtenir, mais non sur des positions en arrière, dans l'utopie d'un capitalisme qui ne serait pas impérialiste ou d'une alliance de nations qui seraient égales en droit sous le capitalisme, mais en avant dans la révolution socialiste du prolétariat. Pas une revendication radicale de la démocratie n'est réalisable avec ampleur et solidité (...) autrement qu'à travers les batailles révolutionnaires menées sous les étendards du socialisme. Et celui qui promet aux peuples la paix "démocratique" sans prêcher en même temps la révolution socialiste, celui qui nie la lutte pour un but total..., celui-là dupe les prolétaires" (mars 1916).

Avec quelle actualité résonnent les phrases de Rosa Luxembourg : "La paix mondiale ne peut être préservée par des plans utopiques ou franchement réactionnaires, tels que les tribunaux internationaux de diplomates et de capitalistes, des conventions diplomatiques sur le "désarmement", la liberté maritime..., les alliances politiques européennes, des "unions douanières"...» des États-tampons nationaux, etc. On ne pourra pas éliminer ou même enrayer l'impérialisme, le militarisme et la guerre aussi longtemps que les classes capitalistes exerceront leur domination de classe de manière incontestée. Le seul moyen de leur résister avec succès et de préserver la paix mondiale, c'est la capacité d'action politique du prolétariat international et sa volonté révolutionnaire de jeter son poids dans la balance... Dans la lutte contre l'impérialisme et la guerre, les forces décisives ne peuvent être engagées que par les masses compactes du prolétariat de tous les pays",

La guerre impérialiste est un produit du capitalisme et on ne peut lutter contre la guerre qu'en s'attaquant au capitalisme à sa racine. C'est uniquement par le développement de la lutte de classe que la guerre peut être combattue. Sans cela, livrée à sa propre dynamique, le capitalisme ne peut échapper à la guerre impérialiste qui n'est que la continuation, par la violence des armes, de la guerre économique incessante que se livrent les États et les diverses fractions de la bourgeoisie. Mais beaucoup plus que cela, les "temps de paix" sont devenus le règne d'une "paix impérialiste". C'est ce qu'affirment fermement Lénine et Zinoviev dans "Contre le Courant".

C'est ce qu'atteste l'histoire depuis le début de ce siècle où est démontré "qu'il n'existe pas une opposition fondamentale en régime capitaliste entre guerre et paix". On a pu vérifier le bien-fondé de ce qu'affirmait déjà "le rapport à la conférence de juillet 1945, de la Gauche Communiste de France" car depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, "la production est essentiellement axée sur la production de moyens de destruction, c'est-à-dire en vue de la guerre. La décadence de la société capitaliste trouve son expression éclatante dans le fait que des guerres en vue du développement économique (période ascendante) , l'activité économique se restreint essentiellement en vue de la guerre (période décadente). Cela ne signifie pas que la guerre soit devenue le but de la production capitaliste, le but restant toujours pour le capitalisme la production de la plus-value mais cela signifie que la guerre, prenant un caractère de permanence, est devenue le mode de vie du capitalisme décadent". Cela signifie que les questions de la crise et de la guerre sont complètement liées. C'est pourquoi le problème de la guerre est d'un poids énorme et constant dans la société capitaliste décadente en crise.

La lutte de classe contre la guerre

La véritable réponse -et il n'y en a pas d'autre, c'est que la lutte contre la guerre passe nécessairement par la lutte de classe. C'est le développement de la lutte de classe qui est, dans cette société, le seul moyen de lutter contre la guerre. Contrairement à la propagande de la bourgeoisie qui, à travers les événements de Pologne, a assené, massivement et internationalement l’idée que la lutte de classe poussait vers la guerre mondiale :"si la lutte va trop loin en Pologne, les russes interviendront, et alors...", on a là précisément la preuve concrète d'une réalité inverse, ainsi que témoignent certains "observateurs" avisés de la situation (voir notre encart) : la mobilisation ouvrière sur son terrain de classe a été et reste l'obstacle décisif à l'intervention de l'URSS en Pologne.

Il faut éviter le piège du pacifisme, de la "paix sociale" en comprenant que la lutte contre la guerre c'est aussi la lutte contre l'austérité et tirer les leçons de la lutte de classe que la lutte contre l'austérité est aussi une lutte contre la guerre dans un monde où la crise et la guerre sont les deux phases d'une même réalité, la manifestation inéluctable d'une pourriture qu'exhale par tous ses pores le monde capitaliste.

C'est pourquoi nous traversons aujourd'hui des "années de vérité" dont l'enjeu se précise et se révèle de jour en jour internationalement. N'accepter ni la marche à la guerre ni l'austérité, rejeter les mensonges de la bourgeoisie et ses marchés de dupes, ne pas suivre la gauche dans la voie mensongère du pacifisme, du désarmement de la lutte de classe, refuser la paix sociale. Le développement international des luttes ouvrières est seule capable de porter une réponse au problème de la guerre car "classe qui porte en elle la fin de toutes les guerres et le seul devenir possible de la société, le socialisme, mais aussi classe qui est en première ligne des sacrifices imposés par la guerre impérialiste et qui exclue de toute propriété soit la seule à ne pas avoir de patrie, à être réellement internationaliste, le prolétariat tient en ses mains le sort de toute l'humanité. Et plus directement de sa capacité à réagir sur son terrain de classe à la crise historique du capitalisme, dépend la possibilité ou non de ce système d'y apporter sa propre réponse -la guerre impérialiste- et de l'imposer à la société" (Revue Internationale, n°18: "Le cours historique").

Zinoviev rappelait déjà en 1916 : "La question qui se pose pour nous est beaucoup plus vaste que celle de la conduite à tenir durant les quelques mois qui restent à attendre jusqu'à la fin de la première guerre impérialiste mondiale. La question qui se pose pour nous est celle de toute une époque de guerres impérialistes" pour lancer l'appel au prolétariat mondial : "la révolution prolétarienne ou bien une nouvelle série de guerres impérialistes, de nouvelles mers de sang, de nouveaux millions de victimes. C'est ainsi que l'histoire a posé la question pour tous les pays ... La révolution et le socialisme s'imposent ou bien ce sera une nouvelle série de guerres impérialistes".

Cet appel a conservé toute son actualité et il est plus que jamais crucial de le faire entendre pour l'avenir de l'humanité.

Y.D.

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