Où vont les conférences internationales ?

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l’HUMOUR et la PATIENCE sont les principales qualités des révolutionnaires.” (Lénine)

Mai 68 a brisé le monopole politique des "idées-reçues" de la contre-révolution ; il a balayé le mythe de la disparition de la classe ouvrière. Ce formidable réveil de la lutte de classe s'est exprimé dans le surgissement de tout un nouveau milieu politisé. Mais 1'esprit critique, ce souffle de vie resurgi à partir de 1968, faut-il l'exercer dans le vide en pensant que l'histoire recommence à zéro ou ne faut-il pas plutôt l'utiliser pour renouer avec le cadre des acquis de la IIIème Internationale et de la Gauche Communiste ? Faut-il s'organiser comme révolutionnaires ? Le marxisme est-il valable aujourd'hui ? A quoi sert-on ? "To be or not to be !" ,Cette préoccupation a marqué toutes les conférences internationales de cette époque depuis la conférence de Bruxelles en 1969 convoquée par "Informations et Correspondances Ouvrières" (aujourd'hui dissout ), conférence à laquelle assistaient aussi bien Cohn-Bendit, que Paul Mattick, jusqu'à celles de Liverpool en 1973 et de Paris en 1974 et 1975. Entre ceux qui se sont donnés la tâche de définir une plateforme de principes politiques et de retrouver une continuité historique, et ceux qui prétendaient réinventer le monde, les libertaires anarchisants, les modernistes, et d'autres qui, soit rejettent la classe ouvrière comme le sujet de l'histoire, soit rejettent la continuité historique, une séparation nette s'est faite. Cette décantation a été d'autant plus difficile et douloureuse que les groupes qui avaient une continuité propre (essentiellement la gamme des groupes bordiguistes, PCI -Programme en tête) ont largement «ignoré" l'impulsion et même la réalité de 68, du haut d'une défense jalouse de leurs versions particulières de la Gauche Italienne contre les "bâtards".

Mais généralement les groupes modernistes anarchisants, les groupes "anti-groupes", ou les groupes "non-groupes" ne durent que le temps d'un soupir et dès le milieu des années 70 la préoccupation des discussions internationales entres révolutionnaires commencent à changer.

Le nouveau cycle de rencontres initié par le PCI Battaglia Comunista (Italie) et auquel participe le CCI, la CWO (G.B), le NCI (Italie), Il Léninista (Italie) et d'autres groupes -voir les brochures de la 1ère et 2ème conférences internationales publiées par le "Comité Technique"- se conçoit comme discussions entre groupes politiques qui savent déjà pourquoi ils existent et ce qu'ils défendent.

La participation est fixée par des critères politiques et les ordres du jour ont été axés sur l'évaluation de la période actuelle : les perspectives de la crise, les apports de la lutte de classe, l'intervention des révolutionnaires. Il y a un débat de fond sur les positions politiques mais cela ne se situe plus dans l'abstrait mais dans le cadre d'une actualisation du marxisme. Enfin ... c'est l'intention.

Mais si les groupes les plus sérieux durent (généralement !) plus longtemps, après une lecture des brochures de ces conférences il faut constater qu'ils subissent aussi le poids de la "tradition". Si par le passé, il fallait mettre l'accent sur le fait qu'il y a une continuité avec le passé du mouvement ouvrier dans le resurgissement du prolétariat dans la fin des années 60 , aujourd'hui il ne faut pas pour autant perdre de vue la rupture dans cette continuité historique et organisationnelle.

Beaucoup de groupes restent enfermés dans une "orthodoxie" qu’on peut appeler léniniste sur la question du parti (le parti comme unique détenteur ' de la conscience de classe, .appelé à prendre le pouvoir au nom du prolétariat) et même sur la question nationale. Ceci ne fait que traduire la pression de l'idéologie bourgeoise, le poids des générations mortes qui pèse sur le cerveau des vivants.

Cette fausse alternative entre "tout innover" et "ne jamais toucher au passé sacré", entre le modernisme et "l'orthodoxie", est illustrée de façon un peu caricaturale par l'évolution du PIC[1] (Jeune Taupe) et du CGI (Le Communiste).

Les " larges"

Comme nous tous, le PIC ressent le besoin de rencontres internationales pour clarifier l'orientation de l'intervention révolutionnaire. Mais il ne se joint pas aux autres[2]... Il organise sa propre conférence car il ne veut pas se salir les mains à discuter avec des "léninistes" sur la question du parti.

On pourrait rétorquer que par ailleurs de son propre aveu (dans le n° 1 du bulletin de discussions internationales de Jeune Taupe) le PIC "participe en tant que PIC à la revue Spartacus avec des courants très hétérogènes dont certains très éloignés de l'autonomie ouvrière (défense des syndicats, participation aux élections ...)"(p.6) mais il y a certainement là une nuance qui nous échappe.

Pour le PIC, le CCI est à mettre dans le même panier que les "léninistes". Mais sa définition de ce terme reste très vague : soit il s'agit d'une querelle de mots entre les termes "organisation des révolutionnaires" et "parti" (cf. page 18), soit il s'agit d'une évolution dans le groupe jusqu'à considérer que c'est seulement en rejetant et la révolution russe et la IIIème Internationale qu'on peut se libérer des tares léninistes.

Dans ce dernier cas, le PIC s'engage sur une pente glissante vers le modernisme et seule la discussion pourrait clarifier ce point.

À cause de cette fixation sur le côté "anti-parti" de l'autonomie ouvrière, le seul critère politique à l'invitation des groupes à leurs conférences, c'est la formule ambiguë : "ne pas être un constructeur du parti". De ce point de vue, il n'y a pas à avoir peur. Certains des groupes sont si peu "constructeurs" qu'ils ont disparu avant de pouvoir venir (Arbetarmakt, Suède ; Àrbeiderkamp, Norvège ; World To Win, USA ; Teoria et Practica qui devient ex-Teoria et Practica, Espagne). D'autres sont d'accord mais n'ont pas les moyens collectifs matériels en tant que groupe pour pouvoir venir (Kronstadt Kids, G.B. ; Root and Branch[3] (USA);ou sont des individus isolés comme

B.K, Suède. Le Collegamenti devait ramasser ses tentacules fédéralistes entre Naples, Milan et Florence avant de répondre qu'il ne pouvait rien promettre. Le Collectif pour A.O. (Espagne) pour sa part est pour 1'autonomie ouvrière si .par "ouvrier" on entend les étudiants, les ménagères, les prisonniers, les "psychiatrisés", et les professionnels (pages 14-16) !

Bref le manque de critères politiques fait de cette "anti-conférence" un triste exploit dont on reparlera prochainement du compte-rendu.

Les" étroits"

De l'autre côté du glissement vers le flou politique se situe le GCI[4] (une scission du CCI plus récente que le PIC), qui est aujourd'hui le énième petit groupe à se mettre dans la machine à remonter le temps pour devenir Bordiga. Le GCI, cependant, "après discussion avec B.C. et la CWO" (page 36, Le Communiste n° 4) veut bien participer aux conférences internationales, mais il considère "vides et stériles des réunions qui ont pour fonction de communiquer des positions générales de groupe à groupe". Que faire alors ? Il faut se séparer des "centristes". Il faut deviner qui sont ces "centristes" puisque dans le texte publié dans leur revue ne figure pas une note n° 2 qui parait par contre dans la lettre du GCI au comité technique de la conférence (datée du 7.1.80). "Le centrisme se caractérise par le rejet des acquis du marxisme tels que l'anti-frontisme, 1'anti-nationalisme, l'abstention électorale, le défaitisme révolutionnaire, la dictature du prolétariat (jusque-là, ça va encore, mais...) ...la terreur révolutionnaire, la nécessité d'un État ouvrier, et le rôle dirigeant du parti". On a beau refaire le calcul, le CCI est bien le seul groupe qui rejette effectivement les 3 derniers points.

Si le PIC n'a pas de critères clairs pour ses conférences internationales et reste très "large", le GCI veut quant â lui déjà tirer des conséquences organisationnelles, limiter la participation et se débarrasser des troubles fêtes. Le GCI n'est qu'une caricature de la méfiance de ceux qui s'accrochent aux schémas bordiguisants du passé.

Pour le CCI au contraire, la conférence doit s'élargir ; le comité technique a invité plusieurs groupes (Autriche, Grande-Bretagne, Colombie, Suède, USA) à venir à la 3ème conférence en tant qu'observateurs. Le grand (et seul ? ) mérite de ces conférences est de rompre l'isolement, de montrer la nécessité et l'intention de poursuivre une confrontation de positions.

Il est beaucoup trop tôt pour tirer des conclusions organisationnelles quelconques. Une lecture des deux bulletins de préparation à la 3ème conférence montre plutôt l'incapacité de synthétiser des résultats, la difficulté à écrire sur un ordre du jour sans tomber dans les "dadas" de chacun ; les accusations et suspicions gratuites pleuvent. On a beau jeu de vouloir reprocher aux ouvriers de ne pas être à la hauteur de tel ou tel schéma abstrait du parti. Mais il faut constater que la discussion entre révolutionnaires a du mal à être à la hauteur des discussions qui ont lieu entre les ouvriers comme pendant les luttes de Longwy, Rotterdam, Fiat, British Steel et autres !

Quel sera le bilan de cette 3ème conférence ? Cela dépend en premier lieu du développement de la lutte de classe et ensuite d'une rupture réelle de la part des groupes qui se veulent communistes avec l'esprit "large" ou "étroit" et finalement toujours borné.

J.A.


[1] PIC : Pour une Intervention Communiste (France)

[2] Cf. "nos censeurs" dans la Revue Internationale n° 20

[3] Quand Internationalism (USA) a demandé à Root and Branch une rencontre pour discuter publiquement de la situation politique, ils nous ont proposé une bière au bar, refusant un "dialogue de sourd"... Ceci montre que si Paris vaut bien une messe, Boston ne vaut qu'une bière.

[4] GCI : Groupe Communiste Internationaliste (Belgique), voir une critique de ce groupe dans Internationalisme n° 40 sur la question des luttes revendicatives.

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