Submitted by Révolution Inte... on
L’effondrement de l’économie et des régimes staliniens des pays de l’Est, constitue avec la reprise mondiale des luttes ouvrières à partir de 1968, l’événement historique le plus important depuis la deuxième guerre mondiale. Il est donc logique que les communistes révolutionnaires se soient consacrés à analyser et à expliquer ce qui se passait dès que le phénomène a commencé à se faire jour. Ainsi, dans le numéro d’Octobre de Battaglia Comunista[1], à côté d’un manifeste du BIPR sur les événements en Chine, nous trouvons un article sur "La bourgeoisie occidentale applaudit à l’ouverture des pays de l’est" dédié à l’explication des origines et des perspectives de cet effondrement.
La première partie de l’article souligne deux points fondamentaux : en premier lieu, les pays de l’Est n’ont rien de commun avec le communisme et donc la bourgeoisie ment quand elle nous affirme que c’est le communisme qui est en faillite. En second lieu, l’article dit clairement qu’à la base de l’effondrement, il n’y a pas on ne sait quelle "volonté de démocratie", mais plus simplement une épouvantable crise économique, qui est partie intégrante de la crise mondiale du capitalisme. Jusque-là, tout va bien.
Les problèmes commencent quand on passe à la formulation d’un jugement sur la gravité de la crise et sur les conséquences que celle-ci entraîne au niveau du rapport de forces entre les deux blocs impérialistes.
LA DISLOCATION DU BLOC DE L’EST : UNE EVIDENCE... SAUF POUR BATTAGLIA
Selon Battaglia, la pression exercée au travers d’aides économiques par T’Occident sur les pays de l’Est a comme objectif "des changements politiques précis qui permettent une plus grande perméabilité du bloc de l’Est (...) Les Etats-Unis ne pensent pas de cette manière pouvoir démanteler d’un coup l’empire de l’Est, toujours solidement maintenu sous la botte russe. Cependant, ils cherchent certainement à avoir un poids plus grand dans la perspective d’un nouvel équilibre inter-impérialiste dans cette région ".
Pour Battaglia Comunista, à ce qu’il semble, "des élections libres" à la faveur desquelles entreraient "dans le gouvernement des partis démocratiques" ou des syndicats tournés vers l’Occident comme Solidarnosc, sont parfaitement compatibles avec la cohésion du bloc russe qui a toute la force nécessaire pour maintenir de telles forces centrifuges sous son talon de fer. Cette analyse est exactement à l’opposé de l’analyse que développe le CCI depuis la mi-septembre déjà dans ses "Thèses sur la crise économique et politique dans les pays de l’est"[2]. Citons seulement quelques passages: "La permanence de forces centrifuges au sein du bloc russe explique donc la brutalité de la domination impérialiste qui s’y exerce. Elle explique également la forme des régimes politiques qui dirigent ces pays. (...) Un changement de régime politique dans un pays "satellite" porte avec lui la menace directe du passage de ce pays dans le bloc adverse (...). En fin de compte, si le pouvoir central de Moscou ne réagissait pas, nous assisterions à un phénomène d’explosion, non seulement du bloc russe, mais également de sa puissance dominante. Dans une telle dynamique, la bourgeoisie russe, qui aujourd’hui domine la deuxième puissance mondiale, ne serait plus à la tête que d’une puissance de second plan, bien plus faible que l’Allemagne par exemple (...). L’effondrement qui va encore s’accentuer du bloc russe ouvre les portes à une déstabilisation du système de relations internationales, des constellations impérialistes, qui étaient sorties de la seconde guerre mondiale avec les accords de Yalta".
Aujourd’hui, il apparaît clairement que le Pacte de Varsovie -en tant que force capable de s’opposer de manière unie au bloc occidental- n’existe plus. Les accords récents de Malte partent du principe que les accords de 45 à Yalta ne sont plus que des chiffons de papier et Moscou a troqué son renoncement explicite à retenir par la force les pays qui lui étaient anciennement soumis, contre le fait d’avoir les mains libres contre ses nationalités "internes" (baltes, arméniennes, azéris, etc..). Les faits ont déjà démontré que c’était notre analyse qui était la bonne. Essayons maintenant de comprendre à quoi est due l’erreur de BC, qui a surestimé la capacité d’adaptation du bloc russe.
BATTAGLIA DECOUVRE L’EXISTENCE DE LA CRISE ECONOMIQUE A L’EST
L’origine de cette erreur réside dans l’incroyable sous-estimation de la gravité de la crise économique dans ce bloc, qui a réduit à zéro les marges de manœuvre de la bourgeoisie russe. L’appartenance au bloc de l’Est a toujours été une infortune économique qu’il fallait fuir :
- "En ce sens, il n’existe pas parmi les principaux pays du bloc US de "propension spontanée" à passer dans l’autre bloc comme on a pu le constater dans l’autre sens (changement de camp de la Yougoslavie en 48, de la Chine à la fin des années 60, tentatives de la Hongrie en 56, de la Tchécoslovaquie en 68"[3].
Les camarades de Battaglia, au lieu de voir dans les convulsions actuelles de l’économie de l’Est l’aboutissement d’une situation qui dure depuis des décennies sans aucune porte de sortie, les prennent pour les premiers signes de la crise économique à l’Est :
- "Dans les pays à capitalisme avancé d’Occident, la crise s’est surtout manifestée dans les années 70. Plus récemment, la même crise du processus d’accumulation du capital a explosé dans les pays 'communistes’ moins avancés”.
L’élément de nouveauté résiderait, selon B.C. dans le fait que le besoin de capitaux pour moderniser l’appareil de production obligerait le bloc de l’Est à s’ouvrir aux capitaux occidentaux : "d’où la nécessité pour la perestroïka de recourir à l’emprunt auprès des organismes internationaux occidentaux".
Avant de passer à la perspective que trace Battaglia à partir de cette situation, commençons par mettre les choses au point en ce qui concerne les dates à partir desquelles ont commencé à l’Est la crise économique ouverte et l’entrée massive de capitaux occidentaux.
- "A la fin des années 60, le bloc russe a tenté de 'résoudre’ sa crise en cherchant à moderniser son appareil de production (...)
Au prix d’un endettement considérable, les pays du COMECON ont cherché à importer de la technologie et incité les pays industriels à installer des usines ultra-modernes 'clefs en main’. Les pays de l’Est avaient l’illusion qu’il suffisait de moderniser pour transformer cette 'ruée vers l’Est’ du capital occidental en 'ruée vers l’Ouest’ de leurs marchandises.[4]"(4)
La tentative d’attirer les capitaux occidentaux à l’Est remonte donc à la fin des années 60 et elle a échoué dans la première moitié des années 70 à cause de l’incapacité des pays du COMECON à rembourser leurs dettes à l’Occident. Quant à la crise économique qui s’est ouverte dans les années 69-70, les emprunts à l’Occident ont complètement échoué à l’empêcher d’exploser dans toute sa gravité, en même temps que la crise mondiale en 75 : "Selon le Bulletin mensuel de l’ONU (Juillet 1976), le déficit des balances commerciales des pays du bloc russe est passé de 700 millions de dollars en 1972 à 10 milliards de dollars en 1975, avec une accélération brutale entre 74 et 75."(5) "On 'constate’ en 76 un ralentissement des taux de croissance de la productivité des importations et des investissements (N.E.D., 9 Septembre 77)"[5].
Le point fort de l’Est, l’économie de la République Démocratique Allemande, ne fait pas exception : l’excédent commercial de 5.7milliards de marks -que la RDA avait accumulé entre 1960 et 1973- a laissé la place en deux ans, 74-75, à un déficit commercial de 7.3 milliards de marks"[6]. Comme on le voit, ce n’est pas le début de la crise à l’Est qui est à l’origine de la pénétration financière actuelle de l’Occident, ni la faillite de cette pénétration il y a presque 20 ans, qui aurait ouvert la route à la crise des années 70 et à l’écroulement des années 80.
COMMENT BATTAGLIA TOMBE DANS LES ORNIERES DE LA PROPAGANDE BOURGEOISE
Mais Battaglia va droit son chemin et prend au sérieux les bavardages sur les prochains afflux énormes de capitaux à l’Est : "Ce n’est pas par hasard si, depuis que Solidarnosc est au pouvoir, Bush insiste lourdement pour que des aides conséquentes soient accordées à la Pologne (...). Le soutien à la Hongrie va dans le même sens". Pour BC, le capitalisme occidental est prêt non seulement à mettre la main au portefeuille, mais compte vraiment résoudre ses problèmes de cette façon. En fait, pour ces camarades, le problème des occidentaux serait de trouver des investissements à des taux de profit adéquats pour leurs propres capitaux, problème d’autant plus grave que : "l’effondrement des marchés de la périphérie du capitalisme, par exemple l’Amérique latine, a créé de nouveaux problèmes d’insolvabilité à la rémunération du capital (...) Les nouvelles opportunités qui s’ouvrent à l’Est de l’Europe peuvent représenter une soupape de sécurité par rapport à ce besoin d’investissement (...) Si ce large processus de collaboration Est-Ouest vient à se concrétiser, ce sera une bouffée d'oxygène pour le capitalisme international ".
En vérité, on ne sait par où commencer. D’un côté, l’Occident, Bush en tête, passe son temps à claquer la porte à la figure des divers quémandeurs, comme Walesa, qui demandent des dollars en échange de professions de foi démocratique. Comme la CEE l’a justement rappelé, le vrai problème est celui du remboursement des emprunts accordés depuis 70, pas d’en demander d’autres. Les nouveaux emprunts seront instillés à dose homéopathique et ne serviront qu’à empêcher le chaos (surtout social) généralisé aux frontières de l’Occident. Pour ce qui concerne l’hypothèse stupéfiante selon laquelle le capitalisme occidental pourrait faire des affaires en or en investissant dans les pays de l’Est, on en a vraiment les bras qui tombent. Il y a quelque temps, les camarades de BC soutenaient qu’"il fallait reconnaître” que le capitalisme occidental avait momentanément enrayé la crise en extrayant "des superprofits" (?) des pays de la périphérie du capitalisme. Aujourd’hui, ils reconnaissent qu’il y a un "effondrement par insolvabilité" de ces marchés, surtout en Amérique latine, mais sortent immédiatement un autre lapin de leur chapeau, sous la forme de "nouvelles opportunités à l’Est". Mais les marchés à l’Est ont déjà montré qu’ils n’étaient pas solvables par rapport aux investissements modestes de la fin des années 60 ; comment pourraient-ils rémunérer des "placements de capitaux financiers sans précédent""!
L’auteur ne nous l’explique pas. Plus, il a dû lui venir quelque doute tardif parce que tout à coup, il affirme : "à y regarder de plus près, les motifs de désagrégation sont beaucoup plus marqués". L’URSS part en lambeaux et "le reste du monde, à part quelques rares pays développés est tenaillé par la faim, la misère et la guerre". Sur ce point, l’article, au lieu de faire la clarté sur laquelle des deux perspectives est la plus vraisemblable (celle d’une salutaire bouffée d’oxygène pour le capitalisme ou celle d’une décomposition accélérée), se termine en invoquant la révolution prolétarienne, qui est évidemment souhaitable, mais qui ne répond pas le moins du monde à l’analyse des perspectives économiques que l’article se promettait de faire. Maintenant, personne ne demande que Battaglia détienne la vérité dans ses tiroirs, (d’autant plus que la rapidité de l’effondrement de l’Est a surpris tout le monde, y compris le CCI, qui l’avait pourtant prévu depuis longtemps), mais nous avons au moins le droit de demander que BC cesse de publier des articles qui disent tout et son contraire.
Et surtout (ce qui est d’autant plus grave pour une organisation qui se prétend être l’avant-garde du prolétariat) il est navrant de constater que Battaglia, une fois encore, apporte sa petite caution aux campagnes mensongères de la bourgeoisie en participant à semer l’illusion suivant laquelle "grâce à l’ouverture de nouveaux marchés à l’Est", l’économie capitaliste va connaître un nouveau souffle. Autrement dit, B.C. apporte une petite contribution involontaire à la répugnante campagne actuelle à propos de la "supériorité du capitalisme sur le communisme". Voilà à quelles aberrations, à quelle irresponsabilité, conduit la perméabilité de B.C. à l’idéologie bourgeoise. Les camarades de B.C. doivent y penser sérieusement.
Frédéric
[1] Organe du Partito Comunista Internazionalista animateur du BIPR avec la CWO. CP 1753,20101, Milano, Italia.
[2] Publiées dans la Revue Internationale N° 60, Janvier 1990
[3] "Crise économique en Europe de l’Est", Revue Internationale N°34, Juillet 1983
[4] "La crise en Russie et dans l’Europe de l’Est", 2ème partie, Revue Internationale N° 14, Avril 1978
[5] "La crise en Russie et dans l’Europe de l’Est", 1ère partie Revue Internationale N° 12, Décembre 1977
[6] "La crise en RDA", Revue Internationale N° 22, Juillet 1980