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Près de deux ans après les débuts de la pandémie de Covid-19, la situation en Martinique et en Guadeloupe laisse pantois : taux d’incidence démesurés, services de réanimation sursaturés, morgues littéralement débordées, armée à la rescousse, matériel envoyé en masse par les hôpitaux de la métropole, patients transférés en métropole par avion, quand ils peuvent tenir le temps du voyage… Le tableau relève plus d’une médecine de guerre au fin fond du tiers-monde que d’une gestion digne d’un des pays les plus avancés du monde. Comment expliquer un tel désastre ?
Si, il y a encore 18 mois, la fulgurance de la pandémie pouvait rendre vraisemblable l’argument d’une impréparation des services de santé et celui de mesures d’urgence décidées sur la base d’une connaissance scientifique très lacunaire, aujourd’hui ces arguments, qui ne tenaient déjà pas beaucoup à l’époque, ne tiennent plus du tout la route !
Les scientifiques alertent depuis de nombreux mois sur le danger représenté par le variant Delta et sur le risque contenu dans l’allègement des mesures à l’approche de l’été, décidé de façon à ne pas compromettre la « saison touristique ». Par ailleurs, il est maintenant clairement établi que la vaccination permet de ralentir significativement la circulation du virus, y compris ses variants actuels, et représente le seul rempart efficace dans la durée contre les formes les plus graves de la maladie, et donc contre les hospitalisations, les admissions en réanimation et la recrudescence des décès.
Les Antilles présentent le tableau idéal pour une inévitable catastrophe : à l’heure où les voyages à l’étranger sont compliqués par les mesures de quarantaine et/ou la présentation de tests PCR négatifs, les amateurs de chaleur tropicale avaient plus de facilités pour se rendre aux Antilles sans quitter le territoire français. De fait, la saison estivale s’annonçait aussi florissante que celle des fêtes de fin d’année, avec un bon niveau de réservations, avant que la situation sanitaire puis les mesures de confinement ne viennent briser la dynamique. Alors que face au danger annoncé l’État aurait dû prendre des mesures de restriction pour éviter un afflux touristique en été, au contraire, tout a été fait pour promouvoir ces destinations et soutenir l’industrie du tourisme.
En effet, les Antilles présentent un taux de vaccination très inférieur à celui de la métropole : fin juillet, il était autour de 16 % en Guadeloupe, Martinique et Guyane, contre 60 % en métropole. Une raison de plus pour ne pas rajouter un risque exogène dans des zones où, de toute évidence, le variant Delta n’allait trouver aucun obstacle à sa dissémination catastrophique !
Au contraire, la bourgeoisie a fait la sourde oreille et, une fois la catastrophe constatée, elle a sans le moindre scrupule montré du doigt la population locale, désignée comme seule responsable selon elle, en raison de son manque d’enthousiasme pour la vaccination, de la situation désastreuse dans ces trois régions. Au point de stigmatiser la population locale comme étant hostile à la science, embrigadée dans les croyances en la médecine traditionnelle, etc.
Mais la réalité est bien plus complexe que cela ! Certes, la décomposition du système renforce les tendances irrationnelles et le refuge dans les pratiques ancestrales, d’un temps où, finalement, les choses avaient l’air d’aller mieux. La bourgeoisie est la première à être marquée par cette tendance, elle qui est restée sourde aux alertes des scientifiques. Mais s’arrêter là serait trop simple. Les idées irrationnelles et complotistes se développent et trouvent un écho d’autant plus favorable que le terrain y est propice. Ce terrain, c’est celui de la méfiance généralisée envers la « parole officielle ».
Les Antilles françaises ont été parmi les plus rapides à contester les mesures d’État au début de la pandémie. La méfiance envers les discours de l’État est de nature identique, mais bien plus importante que celle répandue dans la population en métropole. Les Antillais n’ont pas oublié le scandale du chlordécone, par exemple, un puissant pesticide reconnu comme très nocif, interdit dès 1976 aux États-Unis, mais qui a continué à être utilisé dans les Antilles jusqu’en 1993, après son interdiction en métropole.
Comme le résume bien la sociologue Stéphanie Mulot, « des affaires comme celle du chlordécone ont montré que l’État et la justice n’avaient pas été capables de protéger la population ». (1) Vincent Tacita, statisticien, rajoute : « à partir du moment où des pouvoirs publics ont autorisé cela, vous imaginez très bien que toute parole provenant de l’État est maintenant écoutée avec moins de recul ». (2)
A cela s’ajoute bien sûr l’incompréhension face à l’afflux de touristes et de locaux revenant de métropole pour les vacances, alors que tout démontre que, partout dans le monde, chaque fois que les aéroports rouvrent, les taux d’incidence augmentent prodigieusement.
Les décisions venant « de Paris » sont encore moins comprises et acceptées qu’elles ne le sont en métropole, dans des régions où le poids de la colonisation pèse encore dans les esprits, entretenu d’ailleurs essentiellement par les fractions bourgeoises locales qui réclament plus d’autonomie de décision face à l’État central.
Aujourd’hui cette situation catastrophique n’est fondamentalement pas due à une population locale méfiante et arriérée mais à l’incapacité de la bourgeoisie d’apprendre de ses erreurs et d’anticiper. Pour le capitalisme, la prévention coûte cher et ne rapporte rien immédiatement, elle n’a donc aucune place dans ce système. Au lieu de renforcer par avance les moyens humains et matériels devant une envolée épidémique dont on pouvait savoir qu’elle ne s’arrêterait pas miraculeusement d’elle-même du jour au lendemain, l’État a laissé s’enliser les hôpitaux, a laissé les soignants s’épuiser physiquement et moralement, a laissé les morts s’entasser dans les morgues puis, faute de place, dans les familles elles-mêmes… Un an et demi après, les mêmes causes produisent les mêmes effets, rien n’a changé !
La bourgeoisie se permet même de vanter hypocritement sa préoccupation en affichant dans toute la presse, à la télé et à la radio, la « solidarité » des hôpitaux de métropole déjà à genoux, qui envoient des lits de réanimation en urgence pour que leurs confrères, là-bas, subissent moins de pression pour choisir entre qui sauver et qui laisser mourir, faute du matériel suffisant.
Cette attitude répugnante ne peut que confirmer qu’il n’y a aucune confiance à accorder à cette classe de menteurs et d’incapables, empêtrés dans les contradictions de leur système pourrissant, décomposé, qui affectent tout sauf leur cynisme et leur mépris de la vie humaine.
GD, 2 septembre 2021
1) « Comment expliquer le faible taux de vaccination dans les Antilles ? », FranceInfo.fr (5 août 2021).
2) Idem.