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À la rentrée 2020, alors que les manifestations contre les violences policières se multipliaient à travers le monde, à la suite de plusieurs meurtres ignobles de Noirs et de violences racistes, sortait un ouvrage qui a fait l’événement : Flic : Un journaliste a infiltré la police.
Le poids des idéologies d’extrême droite dans la police
Au fil des chapitres, Valentin Gendrot, journaliste d’investigation, y narre son parcours en tant qu’adjoint de sécurité au sein de la Police nationale : sa formation express de trois mois, son passage à la controversée Infirmerie psychiatrique de la Préfecture de Police de Paris, puis son infiltration glaçante dans le commissariat du 19e arrondissement. L’auteur livre un témoignage saisissant sur le quotidien des forces de l’ordre, tant sur leur « mal-être » palpable, conduisant de nombreux policiers à se donner la mort, que sur l’ambiance particulièrement brutale et glauque des commissariats.
Mais ce qui frappe le plus, à chaque étape de son récit, c’est la banalisation écœurante du racisme dans les rangs de la police, tant dans les propos orduriers et quotidiens qu’à travers les actes parfois odieux de policiers dont certains n’hésitent pas à tabasser les « petits bâtards » (c’est-à-dire, les immigrés) ou à couvrir de façon totalement éhontée les actes écœurants de leurs collègues. Les scènes de passage à tabac et d’humiliation sont, en effet, insoutenables. Comment ne pas être sidéré par le niveau effarant de bêtise et de méchanceté de certains flics ?
Si l’auteur adopte toutes sortes de précautions rhétoriques, ne voulant pas généraliser son expérience, il constate tout de même, sur la base de travaux de sociologues et d’enquêtes de journalistes, que « la démarche la plus prudente aboutit à cette constatation : 85 % des morts suite à une situation impliquant des gendarmes et/ou des policiers (sans que l’on puisse dire s’il s’agit de bavures ou non) sont des personnes issues de minorités visibles ».
Les innombrables bavures visant systématiquement des Noirs ou des Maghrébins (issus des classes populaires, le plus souvent), les témoignages poignants de familles des « cités », victimes du comportement de petits voyous des forces de l’ordre ou la brutalité inhumaine à l’égard des migrants, laissaient déjà peu de doute sur les « motivations » de nombreux flics : casser du « petit bâtard » ! En janvier 2020, le livreur Cédric Chouviat trouvait ainsi la mort à Paris étouffé par des policiers. En décembre de la même année, d’autres libéraient leur hargne raciste sur le Martiniquais Michel Zecler. En 2017, le jeune Théo était également sauvagement agressé et mutilé lors d’une interpellation. En 2016, Adama Traoré décédait sous les coups de la police. Et tout cela n’est qu’un panel des affaires les plus médiatisées ! Combien de bavures passées sous silence ? Combien d’agressions transformées en actes de « légitime défense » de policiers « victimes » de prétendus voyous ?
La police républicaine contre la classe ouvrière
Si l’ouvrage de Valentin Gendrot dénonce de façon saisissante la réalité du racisme dans la police, l’auteur a aussi médiatiquement contribué à alimenter le mensonge d’une « police démocratique », « au service du peuple ». Il s’emploie ainsi à démontrer que la formation des flics est trop courte, trop sommaire, que le contrôle hiérarchique est défaillant, que les moyens matériels et humains sont insuffisants. Il suffirait finalement de mettre un peu d’ordre dans ce capharnaüm.
Son récit et ses analyses passent ainsi totalement à côté de la nature politique de ce « détachement spécial d’hommes en arme ». (1) Pourtant, ce qui caractérise les « bavures » à l’égard des « minorités visibles », c’est qu’elles touchent presque systématiquement des personnes issues de la classe ouvrière ou des couches populaires. La police est toujours très prévenante avec les puissants et leurs intérêts, qu’importe la couleur de leur peau. Car la violence policière est en réalité celle de l’État bourgeois, un État qui impose l’ordre capitaliste derrière le masque hypocrite de la démocratie. S’il y a tant de sympathie pour l’extrême droite dans la police, c’est que la bourgeoisie, face au renforcement des contradictions du capitalisme et de la crise, a besoin d’une force idéologiquement fiable et moralement abrutie, moins susceptible d’être retournée par la classe ouvrière et prête à obéir aux ordres les plus barbares.
Sous un apparent discours « humaniste », que signifie une police mieux formée et mieux équipée ? Rien d’autre que plus de répression ! Car l’État et sa police (comme ses magistrats, ses partis de gauche et ses syndicats) sont le produit des antagonismes de classes inconciliables et l’instrument de l’exploitation des opprimés au service exclusif de la bourgeoisie : « Pour que les antagonistes, les classes aux intérêts économiques opposés, ne se consument pas en une lutte stérile, le besoin s’impose d’un pouvoir qui, placé en apparence au-dessus de la société, doit estomper le conflit, le maintenir dans les limites de l’ “ordre” ; et ce pouvoir, né de la société mais qui se place au-dessus d’elle et lui devient de plus en plus étranger, c’est l’État ». (2) Mais « ce pouvoir, en quoi consiste-t-il principalement ? En des détachements spéciaux d’hommes armés, disposant de prisons, etc. […] L’armée permanente et la police sont les principaux instruments de la force du pouvoir d’État ». (3)
Les violences policières ne sont ni un accident de l’Histoire, ni de simples dérapages d’une minorité de flics racistes. Elle est au contraire l’expression de la nature oppressive de l’État. D’ailleurs, compte tenu de l’exacerbation des violences de toutes sortes générées par la phase de décomposition, la brutalité des forces de répression ne fait que s’accentuer sans que celles-ci soient en mesure de les contrecarrer. Bien au contraire ! La répression de plus en plus féroce de la police ne faisant qu’accentuer la tendance au chaos social.
Mais surtout, la bourgeoisie a toujours été d’une férocité sans limites face à toute remise en cause de son ordre social, comme lorsqu’elle déchaînait, il y a 150 ans, ses armées versaillaises contre la Commune de Paris, sur les pavés-même où elle matraque aujourd’hui la classe ouvrière et les « petits bâtards » ! Le même « ordre démocratique » fut invoqué lors de la répression de la semaine sanglante de Berlin en 1919, comme au moment de la répression implacable des grèves et des émeutes de 1947 en France.
La « police de la République » n’a d’ailleurs jamais hésité à faire appel à la racaille d’extrême droite pour mater des manifestants indociles. L’État a toujours encouragé en sous-main l’action de ces groupes qui forment régulièrement une force d’appoint dans la répression des mouvements sociaux. En 1968, par exemple, la police avait laissé les gros bras du groupe néofasciste Occident semer la terreur dans le Quartier latin. C’est dans ce même quartier, en 2006, que la police, assiégeant la Sorbonne, avait laissé passer une horde d’extrême droite pour malmener les étudiants en lutte contre le « Contrat Première Embauche » (CPE). On peut encore citer, parmi d’innombrables exemples, l’évacuation musclée de la faculté de Montpellier, en mars 2018, par des nervis armés de bâtons que la police avait alors raccompagné aimablement à l’extérieur des bâtiments sans les interpeller, ni même s’inquiéter de leur identité.
Parce que Valentin Gendrot est incapable de comprendre la nature historique de la violence policière, son ouvrage passe totalement sous silence la répression de la classe ouvrière en général, une violence pourtant massive et visible aux yeux de tous. Il contribue ainsi à rabattre l’indignation légitime face aux violences racistes de la police sur le terrain du droit bourgeois et des luttes parcellaires.
EG, 18 août 2021
1) Lénine, L’État et la révolution (1917).
2) Engels, L’origine de la famille, de la propriété et de l’État (1884).
3) Lénine, L’État et la révolution (1917).