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LES GAUCHISTES TELS QU’EN EUX-MEMES
Une fois de plus, le terrain des élections s'est montré un excellent révélateur du caractère contre-révolutionnaire des groupes gauchistes de tout acabit.
Après les élections anglaises, où les gauchistes nationaux avaient appelé à voter travailliste après l'une des plus grandes grèves qu'a menée le prolétariat des mines, les élections françaises de mai 1974 ont permis aux gauchistes nationaux de se vautrer dans l'électoralisme.
La plupart des groupes gauchistes français, qui s'étaient développés depuis 1965, en partie sur leur opposition au soutien de Mitterrand par le PCF, lors des présidentielles, proclament ouvertement qu'"il faut voter Mitterrand", ancien garde des Sceaux sous la IVe République. Mieux, ils font spécialement campagne pour lui au second tour, en se glorifiant, comme l'affirmait L.O. après le premier tour, d'avoir ramené à la gauche les voix des ouvriers dégoûtés par le même Mitterrand. L'utilisation de la radio et de la télévision leur a permis de bavarder sans retenue sur la "démocratie pour tout le monde" (heureux patronat qui, grâce aux gauchistes, pourra exploiter très démocratiquement les ouvriers.), d'inviter , très sérieusement, Mitterrand à "ne pas faire à de compromis avec la bourgeoisie" (Krivine), de décréter sans rire que le socialisme c'est "l'égalité devant la loi et l'argent" (Laguiller).
Il n'y a là nul "opportunisme" des gauchistes, à qui l'électoralisme ferait perdre leurs principes révolutionnaires. Le terrain pourri des élections a mis à nu leur nature d'agents de la bourgeoisie. Contrairement à ce qu’affirment les journalistes du "Prolétaire", ces théoriciens professionnels du gauchisme, les organisations gauchistes, comme L.O., n'"abandonnent pas le marxisme", n'ayant jamais été sur son terrain. On ne peut pas plus les taxer de "centristes", une organisation ne pouvant avoir une double nature de classe. Quant à l'opportunisme, dans le sens donné par Lénine, c'est une maladie grave qui ne peut se manifester que dans le camp prolétarien. Les gauchistes, sans aucun "opportunisme", ont fait très bien leur travail en poussant les ouvriers combatifs vers les urnes. Remercions- les pour leur campagne : gageons qu'elle amènera les ouvriers avancés à comprendre la nature capitaliste du gauchisme !
POURQUOI ROUVRIR LE DEBAT ?
Depuis longtemps, en effet, la question des élections n'en est plus une pour les révolutionnaires. La Commune de 1871 puis la vague révolutionnaire des années 1917-21 ont montré, dans la pratique, non seulement que la dictature prolétarienne devait nécessairement passer par la destruction du parlement, rouage de l'Etat bourgeois, mais encore que le parlementarisme dit "révolutionnaire" et, plus généralement, toute participation aux élections ne sont qu'un substitut à la lutte de classe, empoisonnant le prolétariat d'illusions démocratiques. Le passage des partis communistes a la contre-révolution, accéléré par leur "parlementarisme révolutionnaire", devait prouver, ainsi que les gauches italienne, allemande et hollandaise des années 1930 le soulignèrent, puis, avec force, "Internationalisme" après la deuxième guerre, que désormais l'antiparlementarisme, la non-participation aux élections, était une des frontières de classe entre organisations prolétariennes et organisations bourgeoises.
Nous n'avons nullement l'intention d'ouvrir une polémique avec les gauchistes pour leur montrer qu'ils sont dans l'"erreur". Ils n'appartiennent pas au camp du prolétariat, et contrairement aux utopistes, nous né pensons pas que l'on puisse gagner la bourgeoisie -fût-ce sa fraction la plus à gauche- aux idées révolutionnaires. Nous ne devons pas cesser de combattre ceux dont le rôle est d'entraîner le prolétariat sur le terrain de prétendues "réformes". Nous devons dénoncer sans pitié devant le prolétariat cette "opposition de Sa Majesté le Capital", qui voit dans les élections une soupape de sûre- té -rêvée au mécontentement ouvrier, et invite donc les prolétaires à "manifester leur mécontentement", "avertir la bourgeoisie"...
Si nous remettons sur le tapis la question des élections, c'est que dans la période révolutionnaire qui s'annonce, une fraction du prolétariat révolutionnaire peut être amenée, faute d'une continuité organique avec le passé révolutionnaire de sa classe, à envisager une intervention sur le terrain des élections. Le mythe de la "tribune" (utilisation de la radio et de la télévision pour une "propagande révolutionnaire") risque de faire encore -du moins au début de la révolution- des ravages dans les rangs du prolétariat. Mais le danger le plus grave que court le prolétariat, au cours de la révolution, est encore son envoi de députés dans des formes rénovées et camouflées de parlements, par la transformation des soviets, organes de lutte du prolétariat, en assemblées consultatives dominées par les réformistes : "communes" locales rattachant le prolétariat à sa localité. Le "Grand Conseil ouvrier" de Budapest, en 1956, n'était qu'un parlement camouflé en conseil ouvrier, dont le but était de diluer la classe ouvrière hongroise dans la bourgeoisie et la petite-bourgeoise, derrière des mots d'ordre patriotiques. C'est ce qui faillit se produire en Russie avec les mencheviks jusqu'en septembre 1917 ; c'est ce qui se produisit effectivement en Allemagne, où la social-démocratie se chargea de transformer les conseils en chambres d'enregistrement de sa politique contre-révolutionnaire. C'est la maturité, la haute conscience de sa mission historique qui permet au prolétariat de donner un sens révolutionnaire au fait qu'il délègue ses pouvoirs à des députés ouvriers.
Voilà pourquoi notre position sur les élections -déjà abordée en détail dans R.I. n° 2, nouv. Série- doit être de nouveau affirmée. Avant de voir pourquoi les élections ne sont plus un terrain ou une tribune pour les ouvriers, il est nécessaire d'éclairer la question de l'antiparlementarisme, et donc de 1'abstentionnis me, à la lueur de l'expérience du prolétariat.
LA QUESTION DES ELECTIONS AU XIXe SIECLE
Au XIXe siècle, le parlement était le centre de la vie politique bourgeoise : c'est là que légiférait la classe dominante. Le prolétariat, à l'époque où le réformisme était possible non seulement, mais un mal inévitable, pouvait jouer des rivalités au sein de la bourgeoisie pour faire passer des réformes permettant d'améliorer sa position au sein du système capitaliste. Alors que le prolétariat se développait en nombre, les élections permettaient à la classe de se compter, de prendre conscience de sa force et de sa différence d'avec toutes les autres classes. Sur la participation aux élections, l'accord était total entre réformistes et révolutionnaires. Les révolutionnaires, eux, mettaient en garde sur le danger de corruption représenté par le parlement : ils dénonçaient le "crétinisme parlementaire", le parlement dont le rôle était de régulièrement "représenter" et "fouler aux pieds" la population laborieuse. De toute façon, pour les marxistes, le parlement était secondaire par rapport au terrain de la lutte de classe. C'était un mal inévitable en l'absence de luttes révolutionnaires, auquel le prolétariat payait un lourd tribut par des compromissions en tout genre. Seuls les anarchistes étaient par principe contre toute participation aux élections. Pour les "individualistes" dont la devise était "Ni Dieu, ni maître", le prolétariat qu'ils considéraient non comme une classe mais comme une somme d'individus, ne pouvait être représenté, d'après eux. Les partis sociaux-démocrates, en déléguant des députés au Parlement, aliénaient la volonté individuelle de chaque ouvrier. Les bakouninistes pensaient que la révolution était à tout moment à l'ordre du jour, appelaient au boycott du Parlement, et à la "propagande par le fait". En fait, la raison majeure de leur abstentionnisme était leur opposition à la formation du parti politique du prolétariat et à toute lutte politique pour le pouvoir.
Après 1914, lorsque le prolétariat rejette le Parlement, la non-compréhension du changement de période devait permettre à l'IC de qualifier d'"anarchistes" les gauches italienne et allemande, oubliant ce que disait Lénine de Kautsky, que "l'une des méthodes les plus sournoises de l'opportunisme consiste à répéter une position valable dans le passé" ("Le renégat Kautsky").
En effet, après 1914, avec la crise historique du capitalisme s'affirme le déclin du Parlement. Le centre politique de la bourgeoisie se déplace du législatif vers l'exécutif (Etat fort ou dictatorial). Les révolutionnaires sont unanimes pour reconnaître que l'alternative est désormais : socialisme ou barbarie; l'ère du réformisme est définitivement close; le prolétariat ne peut plus obtenir de réformes, ni par le syndicat, ni par le parlement qui devient l'ultime mystification de la bourgeoisie (Assemblées constituantes en Russie et en Allemagne).
Sur cela, les révolutionnaires étaient d'accord : le débat devait porter sur ce que Lénine appelait la "tactique". C'est sur cela que vont s'affronter bolcheviks et gauches européennes.
LE DEBAT DANS L'I.C.
Position des bolcheviksLes bolcheviks, contrairement aux gauchistes qui se revendiquent d'eux, a-
vaient, lorsqu'ils défendaient l'idée d'un "parlementarisme révolutionnaire", le souci constant de dénoncer le rôle du Parlement comme instrument de l'Etat bourgeois; leurs tracts les plus durs allaient contre le crétinisme parlementaire des sociaux-démocrates auxquels ils opposaient l'exemple de Liebknecht dénonçant en pleine guerre l'impérialisme allemand.
Leur position était d'ailleurs déterminée par la lutte de classe : en 1906, ils appelaient au boycott de la Douma, alors que la vague révolutionnaire de 1905 n'était pas encore tombée; en 1907, début du recul du prolétariat russe, ils envoient des députés à la même Douma. En Septembre 1917, ils se retirèrent du Pré-parlement. C'est le reflux de la vague prolétarienne dès 1920, qui les amena à remettre à l'honneur, au IIe Congrès de l'I.C., l'idée du "parlementarisme révolutionnaire", totalement absente au 1er Congrès.
Mais, ne comprenant pas que la nouvelle période entraînait l'abandon du terrain des élections, les bolcheviks et l'IC reprirent intégralement la vieille idée social-démocrate du Parlement, arène de la lutte de classe : "..., les intérêts et les conflits de classes se reflètent dans le Parlement" (Lénine). On pouvait entendre de la bouche de Lénine, au IIe Congrès, ceci : "... l'on peut tendre à détruire une organisation en y entrant (sic), en l'utilisant".
De détruire de l'intérieur, à la conquête du Parlement,... il n'y avait qu'un pas... vite franchi. D'abord la dénonciation des sociaux-démocrates comme piliers du capitalisme, se transforma très rapidement en collaboration de classe avec la social-démocratie ("gouvernement ouvrier" en 1923 en Allemagne); le "parlementarisme révolutionnaire" du IIe Congrès ne fit qu'ouvrir la voie au frontisme du IIIe Congrès dont se revendiquent, à juste titre, les gauchistes d'aujourd'hui.
La rapide mainmise des Cachin, Smeral, Lévi, sur les P.C., la prépondérance des chefs parlementaires "communistes" à la tête des partis transformèrent rapidement les nouveaux partis en bouges électoraux. Tel fut le haut fait du parlementarisme révolutionnaire.
Position des gauches communistesC'est contre cet abandon du terrain de classe que réagirent les gauches italienne, et surtout allemande et hollandaise.
Les gauches communistes insistaient sur le changement de période : le prolétariat ne pouvait plus employer les mêmes méthodes de lutte que par le passé. Il s'agissait de choisir entre préparation électorale et préparation révolutionnaire, dans le cours descendant du capitalisme qui ouvre la voie à la révolution mondiale. C'est ce que sentait Bordiga, même s'il limitait la non-utilisation du Parlement aux pays capitalistes avancés, lorsqu'il déclarait dans les "Thèses de la gauche italienne", présentées au IIe Congrès :
- "Dans la période historique actuelle (ouverte par la fin de la guerre mondiale, avec ses conséquences sur l'organisation sociale de la bourgeoisie; par la révolution russe, première réalisation de la conquête du pouvoir par le prolétariat, et par la constitution de la nouvelle Internationale en opposition au social-démocratisme des traîtres) et dans les pays où le régime démocratique a depuis longtemps achevé "sa formation, il n'existe plus, au "contraire, aucune possibilité d'utiliser la tribune parlementaire pour l'œuvre révolutionnaire des communistes, et la clarté de la propagande non moins que la préparation efficace de la lutte finale pour la dictature exigent que les communistes mènent une agitation pour le boycottage des élections par les ouvriers".
(On voit qu'à l'époque, il ne se trouvait pas de savants littérateurs "bordiguistes" pour disserter sur l'invariance du marxisme de 1847 à nos jours, sur la continuité "invariante" de la "tactique").
Néanmoins, c'est la gauche allemande qui avait la vision la plus claire; elle voyait très bien que la période ouverte par 1917 était celle du combat des masses prolétariennes donnant le meilleur d'elles-mêmes, et non plus celle de la social-démocratie (celle du jacobinisme de "Que Faire ?"), où des "chefs ouvriers" se substituaient à l'action des masses et discutaient avec les autres classes au sein du Parlement.
- "Le parlementarisme est la forme typique de la lutte par le moyen des chefs "où les masses elles-mêmes jouent un "rôle secondaire. Sa pratique consiste dans le fait que des députés, des personnalités particulières mènent la lutte essentielle. Ils doivent, par conséquent, éveiller dans les masses l'illusion que d'autres peuvent mener la lutte pour elles..."(Pannekoek).
La révolution mondiale demande que le prolétaire s'engage totalement, sans déléguer sa force vive à des chefs, pour s'émanciper par ses propres forces :
- "Vient la révolution. Maintenant (le prolétariat) doit faire tout par lui-même. L'ouvrier doit lutter seul avec sa classe contre le formidable ennemi, doit mener la lutte la plus terrible qui se soit jamais vue au monde... S'il fait confiance à ses chefs ou à d'autres classés au Parlement, un grand danger le menace : qu'il retombe dans "son ancienne faiblesse en laissant "agir les chefs, qu'il s'en remette à "son Parlement, qu'il se confine dans "la fiction selon laquelle d'autres "peuvent faire la révolution pour lui, "qu'il poursuive des illusions, qu'il "reste enfermé dans l'idéologie bourgeoise" (Gorter."Réponse à Lénine").
Cette position intransigeante de la gauche allemande ne fut pas tenue avec la même fermeté de principe par la gauche italienne.
Contrairement à ce que la gauche italienne affirmait et encore maintenant ses pâles épigones du P.C.I., il ne s'agissait nullement d'un débat sur l'utilisation tactique du Parlement, mais bien de la question de principe de la non-participation aux élections. A l'heure où le prolétariat révolutionnaire se moque bien de ces subtilités "tactiques", cette question devenait le point de rupture entre communistes et sociaux-démocrates reconvertis de fraîche date au communisme. N'en déplaise au P.C.I., la gauche italienne reconnaissait que c'était malgré tout une question fondamentale, ne serait-ce qu'en se constituant en fraction abstentionniste (1919). La soumission de Bordiga à l'I.C. allait entraîner la participation du P.C. d'Italie aux élections et précipiter la dégénérescence de ce parti. Qu'on en juge par cette proclamation de Bordiga lui-même (1924} qui flaire l'électoralisme le plus grossier :
- "Tout bon communiste n'a qu'un devoir : c'est de combattre... la tendance à l'abstention de nombreux prolétaires, conclusion erronée de leur hostilité au fascisme. En agissant ainsi, nous ferons une excellente propagande et nous contribuerons à former une conscience résolument révolutionnaire..." (Stato Operaio. Février 1924).
Telle était 1'utilisation "conséquente" -mot qu'affectionnent particulièrement les bordiguistes pour les zig-zig de leur invariance- du parlementarisme révolutionnaire : ramener les prolétaires combatifs et révolutionnaires sur le terrain électoral.
Il faut sans doute voir là l'origine de l'électoralisme du P.C.I. qui se présenta aux élections de 1948 en Italie (voir Bulletin d'Etude et de Discussion n° 7) tout en se déclarant par principe abstentionniste. Jusqu'à il y a peu de temps, le P.C.I. n'était plus pour le parlementarisme révolutionnaire, sauf ... "chez les peuples de couleur", "dans les pays où la révolution bourgeoise est encore en cours et où le parlement conserve son caractère originel d'institution anti-féodale et donc historiquement révolutionnaire (Russie 1917, pays coloniaux arriérés de 1920 et en partie d'aujourd'hui)". Mais la vertu des élections italiennes récentes, a ramené les courageux partisans de l'abstentionnisme sur le terrain des urnes : à l'occasion du referendum sur le divorce, "Programme Communiste" (n°9) a appelé les prolétaires à se prononcer en faveur du divorce sans appeler à voter. Le plus comique était que la section française du P.C.I., apparemment ignorante de ce fait, ou peu soucieuse d'en faire part aux lecteurs du Prolétaire, au même moment jetait ses foudres sur l'électoralisme des gauchistes. Vérité au-delà des Alpes, erreur en deçà. ? Nous attendons le point de vue "officiel" du P.C.I., qui n'a plus d'"international" que le nom et apparaît au grand jour comme une fédération de sections social-démocrates, cédant de plus en plus aux préjugés du prolétariat local[1].
LES ELECTIONS, NEGATION DE LA CLASSE OUVRIERE
L'expérience faite par le prolétariat des élections, il devait la payer chère dans les années 1930 : utilisation des élections pour l’embrigader dans la guerre (fronts populaires français et espagnol) comme chair à canon.
Le caractère totalitaire des élections est confirmé par la tendance mondiale à rendre obligatoires les élections tout comme les syndicats,(Belgique, pays du Tiers Monde légalement; pays à capitalisme d'Etat dans les faits). Ainsi partout a été mis en place le mécanisme de la démocratie bourgeoise. Les bourgeoisies qui proclament, en France, que le vote est plus un devoir qu'un droit, sont parfaitement conscientes du rôle mystificateur, totalitaire du vote dans le prolétariat. Les journalistes bourgeois qui se réjouissaient de l'exceptionnelle participation électorale pour le second tour des présidentielles étaient plus futés que tous ces théoriciens du "vote de classe", "utile", "révolutionnaire", "ouvrier", etc. Giscard aussitôt a d’ailleurs accordé le vote à 18 ans, revendiqué par le P.C. et les gauchistes.
Beaucoup diront : c'est vrai; mais malgré tout le vote est un signe du degré de la lutte de classe. Nous répondrons qu'on ne saurait tirer aucun argument de ce que les ouvriers votent en masse ou ne votent pas : cela peut montrer aussi bien une démoralisation profonde du prolétariat qu'une remontée de ses luttes et de sa combativité. La signification du vote global des ouvriers n'est que le reflet déformé du moment (recul ou remontée des luttes du prolétariat) . Avant toute chose, le vote des ouvriers ne peut que refléter les illusions profondes de leur classe sur la démocratie, ou leur attachement aux traditions électorales.
Mais avant toute chose, l'électoralisme est la négation absolue de la classe ouvrière. Même s'ils croient s'exprimer par le bulletin de vote (pour exprimer leur mécontentement), les ouvriers sont mystifiés enfermés, individu par individu, dans un isoloir, ils ne font qu'exprimer leur impuissance. En effet, le prolétariat, classe atomisée par la division du travail au sein de la société capitaliste (usines, ateliers, avec toute la hiérarchisation qui l'accompagne (qualifications) voit son atomisation renforcée par tout le jeu de la démocratie bourgeoise. Alors que même en l'absence des luttes revendicatives, même écrasé, le prolétariat existe en soi au sein de la société capitaliste, les élections ont pour fonction d'en faire une masse d'individus, atomes isolés, des "citoyens" privés de leur qualité de prolétaires. Le vote ne fait qu'isoler le prolétaire de sa classe, en fait un esclave docile prisonnier de la mystification démocratique, un "citoyen" comme les autres lié à sa "nation" à un prétendu intérêt commun, celui du capital national.
Le vote donne carte blanche à la bourgeoisie pour sa politique. C'est les élections de 1933 qui ont permis à Hitler de parachever le massacre du prolétariat allemand commencé par ses collègues sociaux- démocrates 'en 1919-1923. Les élections sont la corde que donne la bourgeoisie au prolétariat pour se pendre. Telle est la fonction du vote aujourd'hui : l'égalisation démocratique du pouvoir bourgeois. Noyés dans, un cloaque de bourgeois, épiciers, cadres, etc. le vote ne saurait permettre aux ouvriers révolutionnaires de se compter. Il y a tout un monde entre l'individu ouvrier qui vote et l'ouvrier qui lutte, participe à des grèves sauvages (ce sont parfois les mêmes ouvriers combatifs qui peuvent voter à droite) Le vote rend inconscient de sa force l'ouvrier le plus combatif.
Le mensonge de la "tribune"Mais le fin du fin de la justification de la participation aux élections, est de dire qu’on n’appelle pas à voter mais qu'on fait campagne pour utiliser la "tribune" des moyens de diffusion bourgeois.
Supposons une organisation qui aujourd'hui n'appellerait pas à voter mais se présenterait pour dénoncer impitoyablement le capital et ses agents (P.C., gauchistes): elle ne saurait être entendue en période de non-surgissement du prolétariat; pour se faire entendre, il faudrait faire des compromissions, pour se faire "comprendre", et donc flatter les préjugés des ouvriers. Se présenter aux élections, en période révolutionnaire où le prolétariat se lance dans l'action les armes à la main, relèverait d’une pure trahison.
Mais surtout, parler d'agitation, de "tribune" dans des périodes où le prolétariat ne se manifeste pas comme classe, est une mystification: les révolutionnaires, ultra-minoritaires en temps de calme social, d'intégration du prolétariat au capital par les syndicats, ne peuvent agiter que du vent! L'agitation des révolutionnaires ne peut plus s'effectuer que dans la lutte révolutionnaire de la classe, dans les usines et dans la rue. Mais le caractère le plus frappant de cette "tribune", c'est qu'elle est une tribune de théâtre dont on présente les marionnettes aux prolétaires, derrière l'écran d'une télévision.
Le jeu est réglé d'avance avec ses personnages principaux (Giscard, Chaban, Mitterrand) et ses bouffons (Dumont, Laguiller, Le Pen). Pour faire sérieux, tout doit donner l'impression de liberté, de démocratie - : on peut voir Krivine parler de révolution, de communisme; Arlette dénoncer la misère et l'exploitation et (démocratie oblige) les "abus" de la police. Dumont, bouffon attitré, peut faire son numéro de clown sur l'écologie. Tout ce bric-à-brac à idées et ce clinquant de liberté démocratique doivent donner l'impression au prolétariat que les élections c'est à la fois beau et sérieux. En effet, tout cela a pour fonction d'endormir la conscience du prolétaire devant son poste de télévision : au XIXe siècle, la religion était la consolation du prolétariat; au XXe, à l'époque où la religion ne fait plus recette, les élections — ce petit moment où surgit la politique au-delà de l'usine quotidienne — constituent le nouvel opium du prolétariat.
C'est pourquoi, dans ce ballet réglé à l'avance par la bourgeoisie, de prétendus révolutionnaires qui feraient campagne (même sans appeler à voter), ne pourraient que compléter le théâtre de marionnettes de la bourgeoisie; ils donneraient l'impression au prolétariat que, malgré tout, même s'ils disent la vérité ("Arlette dit la vérité" se disent les ouvriers, bien illusionnés sur le caractère révolutionnaire de la propagande de celle-ci), la "démocratie bourgeoise" du bon. Même les rouges peuvent s'exprimer !
LES REVOLUTIONNAIRES NE SONT PAS « ABSTENTIONNISTES »
Cependant, si la non-participation aux élections est une position active dans le camp révolutionnaire, elle ne saurait être un label de classe. Il suffit de rappeler que les gauchistes, unanimement, boycottèrent les élections de Juin 1968. Demain, si la classe ouvrière déserte le terrain électoral, les gauchistes se proclameront abstentionnistes pour ne pas se démasquer devant le prolétariat. On a pu voir d'ailleurs, lors de ces dernières élections présidentielles, maoïstes et anarchistes rivaliser d'abstentionnisme : 1'Humanité Rouge qui n'a de rouge que le sang des ouvriers massacrés par ses ancêtres staliniens, dénonçaient en Mitterrand un mauvais -patriote "bradant l’indépendance nationale au profit du social-impérialisme soviétique" (ce qui est faux, étant donné les sympathies atlantistes de Mitterrand); "Front Rouge" fort marri de n'avoir pu présenter son super patriote F.T.P., André Roustan, appelait aussi à l’abstention. Idem pour les francs- maçons et bourgeois libéraux du Monde Libertaire qui titrait "Elections, piège à cons", "oubliant" son soutien électoral au Front Populaire espagnol de 1936. En fait, ce qui déterminait anarchistes et maoïstes, c'était l'espoir de recruter les éléments dégoûtés par l'électoralisme des trotskystes et non des principes politiques. (Le plus comique de la campagne présidentielle aura été de voir les jeunes U.J.P. appeler à 1'abstention!).
Tout cela montre que les révolutionnaires ne peuvent en aucun cas se définir comme abstentionnistes, comme le faisait la gauche italienne en 1919. Aujourd’hui, faire campagne pour l'abstention ne ferait que donner une valeur au vote et même indirectement rentrer dans le grand jeu électoraliste par le décompte des "voix" abstentionnistes. Les communistes se battront bec et ongles en période révolutionnaire contre la gauche et les gauchistes qui manœuvreront tout ce qu'ils pourront pour amener les ouvriers à voter; à ce moment-là, les révolutionnaires et leur classe boycotteront par la violence les urnes; il n'y aura là aucune position abstentionniste qui, comme l'indique le terme, est purement défensive et passive.
Contrairement à ce que certains pourraient croire, nous ne nous définissons pas comme antiparlementaires, anti-syndicats ou anti-luttes de libération nationale. Les révolutionnaires ne peuvent se définir comme "anti-quoi que ce soit". Ils ne sont pas une collection de positions, même si des positions de classe, chèrement acquises par 1e prolétariat, permettent de les distinguer des agents gauchistes du capital. Les révolutionnaires sont une cristallisation consciente, organisée, du combat sans merci qui conduira le prolétariat à s'affirmer mondialement par la destruction politique de la bourgeoisie, ouvrant ainsi le règne de la société sans classes délivrée de l'esclavage salarié.
Chardin
[1] "Il s'agit de dire à la poignée de prolétaires que nous touchons par notre presse et notre intervention orale qu'il n'est pas indifférent (sic) à nous communistes que les prolétaires puissent ou ne puissent pas divorcer".(Programme Communiste n°9).
De plus en plus le P.C.I. apparaît comme une secte gauchiste trouvant au prolétariat des "acquis" à défendre (divorce) dans la société capitaliste, abandonnant l'abstentionnisme pour l'électoralisme honteux et le frontisme le plus vigoureux.