Gestion de La crise du covid-19 en Belgique: Derrière la mascarade de "l’équipe des 11 millions", des contradictions et des divisions persistantes

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Fin 2020, nous décrivions comme suit l’approche défaillante de la crise Covid-19 par la bourgeoisie belge: « Les intrigues politiques, qui durent depuis le début de 2019, ont été alimentées et intensifiées au début de cette année par l’éclatement de la crise du coronavirus. La combinaison de cette dernière avec la crise politique a produit un mélange explosif et a mené à une fuite de responsabilité de la part des "dirigeants" politiques et, en conséquence, à un chaos considérable dans la gestion du pays. Les forces politiques établies ont laissé faire le sale boulot de gestion de la crise sanitaire par un gouvernement d’affaires courantes qui se heurtait régulièrement aux initiatives "sauvages" des dirigeants régionaux  et  locaux.  Le manque  de  confiance  entre  les  différents niveaux de pouvoir et la pagaille dans la communication publique ont dominé de sorte que  la Belgique compte aujourd’hui  le plus grand nombre de décès covid pour 100.000 habitants dans le monde entier ».[1]

Pour  tenter  de  dissiper  cette  image d'irresponsabilité  et  de  chaos  omniprésents, une équipe gouvernementale fédérale « nouvelle et fraîche » a été nommée début octobre 2020, le gouvernement De Croo. Elle se donnait pour but de mettre fin à l'ancienne « culture de la chamaillerie », d’opter « résolument pour l'unité », à travers une gestion cohérente et un programme innovant : « une équipe de 11 millions de Belges! ». Après 9 mois de  gouvernement,  qu’en  est-il  de  ces belles promesses ?

1. L'approche de la pandémie reste chaotique

À l'instar de ses rivales européennes, la bourgeoisie belge n'a tiré que peu ou pas d'enseignements de la première vague de la pandémie : les possibles mesures d'accompagnement  visant  à  surveiller et  à  contenir  la  pandémie,  telles  que le  suivi  et  le  repérage  avec  mise  en quarantaine obligatoire des personnes infectées  lors de  voyages  à  l'étranger, se sont révélées être un échec total. De toute façon, le gouvernement De Croo, avec le ministre « socialiste » de la Santé F. Vandenbroucke à sa tête, s'était fixé pour  objectif  de  ne  pas  se  résigner  à l'inévitabilité d'un nouveau confinement général lors de la deuxième vague, qui aurait imposé une mise à l’arrêt de toutes les partes non essentielles de l'économie. Par conséquent, depuis novembre, le  cœur  inébranlable  de  la  politique gouvernementale  a  été  de  maintenir ouvert à tout prix les secteurs productifs

de  l'économie  et, en  appui  à  cela, de garantir  l’ouverture des  crèches et  les écoles primaires, même si les mesures de protection telles que  l'aération des locaux ou l’utilisation d’(auto)tests dans les entreprises et  les écoles n'ont pas permis  de maîtriser  les  infectons  ou les  nouvelles  variantes,  de  sorte  que les mesures d'assouplissement ont dû être régulièrement revues ou reportées.

Ensuite,  la campagne de vaccination a démarré  lentement,  avec  de  grandes différences entre les régions (la région de Bruxelles-Capitale  est  loin derrière les autres régions, les villes d'Anvers et de Gand sont aussi en retard par rapport au reste de la Flandre, par exemple). Ici aussi, des scandales ont éclaté au niveau d‘autorités municipales qui ont permis la vaccination prioritaire de leurs propres employés et de leur famille en bafouant l’ordre  de  vaccination  convenu.  Bref, malgré une meilleure centralisation des actons par  le gouvernement De Croo, l'impuissance  à  gérer  efficacement  la pandémie est restée flagrante et a entraîné début 2021 des milliers de décès supplémentaires, tristement superflus.

2. Les chamailleries entre les différents partis politiques se poursuivent

L'une  des  raisons  pour  lesquelles  la gestion de la pandémie continue d'être inefficace et incohérente est le fait que les différents partis tout comme les différents gouvernements régionaux font constamment  des  déclarations  et  des propositions qui remettent en question ou même sapent les plans et les mesures du  gouvernement  fédéral.  Lorsque  le gouvernement  a  imposé  des mesures strictes, celles-ci ont été ouvertement remises en question par des présidents de partis gouvernementaux eux-mêmes (de celui du MR  libéral à celui d'Ecolo, qui  a  ouvertement  déclaré  qu'il  ne suivrait  pas  ces mesures).  Lorsque  le gouvernement fédéral a proposé un plan

d’assouplissement prudent, les gouvernements régionaux (la Flandre en particulier) et les partis (du parti socialiste francophone  aux  libéraux-démocrates flamands) se sont immédiatement lancés  dans  une  surenchère  de mesures d'assouplissement  tandis que  certains bourgmestres  et  municipalités  ont ouvertement déclaré qu'ils ne contrôleraient  plus  le  respect  des  mesures (comme à Liège ou Middelkerke). Enfin, même  le premier ministre  libéral s’est heurté à son ministre « socialiste » de  la santé, qui estimait que De Croo ne tenait pas suffisamment compte de la situation préoccupante des hôpitaux.

Certains se demandent peut-être pourquoi la bourgeoisie aborde les problèmes de manière aussi incontrôlée ? Cela n'a rien à voir avec de la mauvaise volonté et encore moins avec un plan machiavélique. La crise historique du système de production capitaliste exacerbe déjà en soi les contradictions internes, et la décomposition pullulante, dont la crise de Covid-19 elle-même est une expression et un accélérateur, attise le « chacun pour soi » à tel point que la bourgeoisie a de plus en plus de mal à contrôler son propre appareil politique. C'est  là que réside  l'explication  fondamentale  des tensions croissantes au sein de l'appareil politique de la bourgeoisie belge.

3. Les tensions montent au sein de la société

Des  tensions et des protestations  se sont exprimées dans  toutes  sortes de groupes de  la société : des patrons de cafés et des restaurateurs aux traiteurs, du secteur culturel aux centres sportifs amateurs et aux fitness. De plus, des milliers de jeunes se sont rassemblés dans des parcs ou des squares et ont ignoré les mesures corona (comme « La Boum » 1 et 2 dans le bois de la Cambre bruxellois), tandis que les maires étaient de plus en plus  réticents à assurer  l'ordre public.

À  cela  s'ajoute  l'errance  désespérée d'un  soldat  paumé  du  corps  d'élite, adepte  des  théories  d'extrême-droite et  conspiratonnistes.  Il  a  dévalisé  un arsenal d'armes  (jusqu'à des  lance-roquettes contre des véhicules blindés) de la caserne où il était stationné et menace de tuer un certain nombre de décideurs politiques et de virologues parce qu’ils imposeraient une dictature covid. Sur les réseaux sociaux, des dizaines de milliers de personnes le saluent comme le « Robin des Bois moderne », tandis que la police et les forces militaires tentent de l'arrêter depuis des semaines.

La pandémie n’aboutit donc de toute évidence  pas  à  l'imposition  par  l'État bourgeois d'une discipline de  fer  à  sa population.  Cependant,  le  danger  est ailleurs : que les travailleurs rejoignent les campagnes de groupes spécifiques (tels  les  commerçants  ou  le  secteur culturel)  ou  celles  pour  la  défense des « libertés individuelles qui seraient en danger »; que de jeunes ouvriers soient entraînés  dans  des  campagnes  pour récupérer leur liberté:  « Je veux retrouver ma liberté; Je veux faire ce que je veux ». De tels mouvements n'ont rien de positif et menacent d'entraîner les travailleurs dans des protestations égoïstes de certains groupes contre d'autres groupes de la société, dans lesquelles toute forme de solidarité sur une base prolétarienne (la seule qui offre une issue à la misère) est totalement absente. Au début de la crise du covid,  il y avait encore des expressions de solidarité envers le personnel infirmier. Aujourd'hui,  ces  groupes  de protestataires considèrent le personnel infirmier comme des gens mesquins qui vous empêchent de  faire  ce que vous voulez. Ils sont l'expression de la montée sans précédent de l'égoïsme, du « chacun pour soi »et du manque de perspective qui caractérisent cette phase de décomposition du système capitaliste.

4. Attiser la division entre les travailleurs afin de leur faire payer la crise

Grâce à sa politique cynique consistant à  tout  faire  pour  que  les  entreprises restent ouvertes,  le gouvernement De Croo a réussi à limiter les dégâts sur le plan économique : en 2020, l'économie a connu un recul de 6,3 %, ce qui est la plus forte baisse depuis  la Seconde Guerre mondiale, mais celle-ci est comparable à celle de l'Allemagne: 6 %, et est nettement  inférieure à  celle de  la France ou de l'Italie, qui ont connu une baisse de plus de 10 %. Grâce à une politique de subventions massives et inconditionnelles aux entreprises et aux travailleurs, la Belgique est également l'un des pays les plus performants d'Europe en termes de faible croissance du taux de chômage (de 3,6 % à 3,7 % ;  l'Allemagne de 2,4 % à 2,9 %).

Toutefois,  ces  mesures  de  soutien ont un prix  élevé:  « En 2020,  le déficit budgétaire  du  pays  devrait  atteindre un peu plus de 10 % du produit intérieur brut (PIB). C'est plus que dans les pays voisins. Et le rééquilibrage budgétaire est  également plus  lent. D'ici 2023,  le déficit en Allemagne aura été réduit à environ 1% et aux Pays-Bas à environ 2%, tandis qu’en Belgique, il restera à 6% »(Agence Belga, 23.03.21). Le déficit des finances publiques a fortement augmenté (dette de 115 % du PNB en 2020, 120 % en 2023; les Pays-Bas ont vu leur taux d'endettement passer de 60 à 72 %. L'Allemagne est passée de 60 % à 70 %) et de nombreuses entreprises qui étaient censées faire faillite en raison de la crise ont été maintenues artificiellement en vie  pour  le moment.  De  nombreuses sociétés  fictives  auraient  même  été créées  pendant  le  confinement  pour profiter  des  généreuses  mesures  de soutien.

En  fin  de  compte,  c'est  la  classe ouvrière qui paiera dans  les années à venir la facture de la crise Covid-19 sur le plan des salaires et des conditions de vie. Tout d'abord, son pouvoir d'achat sera affecté dans les mois et les années à venir par la hausse de l'inflation : plus de 2% en avril et environ 4% d'ici la fin de  l'année  (De Morgen,  19.05.2021). Ensuite, l'accord salarial central, promu par  le  gouvernement,  impose  une modération  salariale  claire : au  cours des deux prochaines années, seule une augmentation salariale maximale de 0,4 %, hors adaptation à l'indice du coût de la vie, est autorisée.

En même temps, la bourgeoisie a commencé à activer une politique du « diviser pour mieux régner » afin d'étouffer toute velléité de résistance solidaire et unifiée contre  sa  politique.  Déjà  fin  2020,  le gouvernement  De  Croo  a  conclu  un accord  avec  le  personnel  hospitalier, qui  impliquait  des  augmentations  de salaire et une amélioration des conditions  de  travail,  sans  inclure  dans  cet accord  le personnel d'entretien ou  les autres  travailleurs  de  la  santé.  Dans l'accord  salarial  central  qui  a  été mis en œuvre en mai 21, la possibilité a été donnée de négocier une prime supplémentaire pouvant  aller  jusqu'à 500 €, mais uniquement pour les « entreprises performantes ». Les syndicats s'opposent à cette prime au nom de la liberté de négocier une augmentation salariale plus forte  en  fonction  de  la « performance » des  entreprises. Autrement  dit,  après avoir  collaboré avec  le gouvernement et les patrons pour maintenir le niveau la  production  nationale  pendant  le confinement,  les  syndicats  revendiquent  désormais  le  droit  de  diviser les  travailleurs  selon  la  logique  de  la production  capitaliste  et  du « chacun pour soi ». De cette manière, ils veulent saper encore plus la solidarité mutuelle entre les travailleurs mieux payés dans les  entreprises « performantes »  et  les travailleurs moins bien payés dans  les entreprises  ou  les  secteurs « non-performants ».

Bref, l'impuissance de la bourgeoisie à mener une politique cohérente contre le Covid-19 et ses difficultés croissantes à contrôler sa structure politique n'offrent aucun  avantage  aux  travailleurs.  Une politique d'austérité est en train d'être mise  en place,  avec  la pleine  collaboration  des  syndicats,  qui  les  mettra sous pression dans  les années à venir. D’autre part, il existe le danger que ces mêmes  travailleurs  soient  entraînés dans toutes sortes de tensions sociales et de contradictions entre les différents groupes de la société, qui menacent de saper encore plus  leur  identité et  leur autonomie de classe/

Jos / 06.06.2021

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Vie politique de la bourgeoisie