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Nous publions ci-dessous un article de la Gauche communiste, du groupe Bilan, célébrant les 65 ans de la Commune de Paris. L’intérêt de cet article, en pleine période de contre-révolution et de marche vers la Seconde Guerre mondiale, est de mettre en évidence la continuité historique entre la Commune de 1871 et la révolution d’Octobre 1917. L’article illustre à la fois le caractère prolétarien de ces deux expériences révolutionnaires, leur portée internationale et la tragédie de leur défaite. Il met surtout en exergue, face aux faux amis et à la politique chauvine des “fronts populaires”, que le prolétariat doit apprendre de ses expériences en sachant, comme le soulignait déjà en son temps Rosa Luxemburg, que c’est de “défaites en défaites” que progresse la lutte du prolétariat pour affirmer et développer sa conscience révolutionnaire.
Entre le Paris de la glorieuse Commune de 1871 et le Paris du Front Populaire existe un abîme qu’aucune phraséologie ne peut dissimuler. L’un s’est annexé les travailleurs du monde entier, l’autre a vu traîner dans la boue de la trahison le prolétariat français. Nous voulons, pour reprendre les profondes expressions de Marx, que “le Paris des ouvriers en 1871, le Paris de la Commune” soit “célébré comme l’avant-coureur d’une société nouvelle” et non comme un simple épisode “national”, un moment de défense de la patrie, de la lutte contre le “Prussien” ainsi que voudront inévitablement le présenter les valets du Front populaire.
Certes, les circonstances historiques dans lesquelles elle surgit pourraient permettre pareilles spéculations. Marx lui-même n’avait-il pas écrit : “Tenter de renverser le nouveau gouvernement en la présente crise, lorsque l’ennemi est presque aux portes de Paris, serait un acte de pure folie. Les ouvriers doivent remplir leur devoir civique”. Mais lorsqu’en mars 1871 apparut la Commune, c’est Marx le premier qui en dégagea le profond caractère internationaliste en écrivant : “Si la Commune représentait vraiment tous les éléments sains de la société française, si elle était par conséquent le véritable gouvernement national, elle était en même temps un gouvernement ouvrier et, à ce titre, en sa qualité d’audacieux champion du travail et de son émancipation, elle avait un caractère bien marqué d’internationalisme”.
La grandeur de la Commune réside dans le fait qu’elle sut surmonter les préjugés de l’époque, inévitables dans la phase de la formation des États capitalistes, pour s’affirmer, non comme le représentant de la “Nation” ou celui de la République démocratique (“on croit, dit Engels dans sa préface à la “Commune” de Marx, avoir déjà fait un progrès tout à fait hardi si l’on s’est affranchi de la croyance en la monarchie héréditaire pour jurer en la République démocratique. Mais, en réalité, l’État n’est pas autre chose qu’une machine d’oppression d’une classe par une autre, et cela tout autant dans une république démocratique que dans une monarchie”), mais celui du prolétariat mondial. Marx écrit d’ailleurs très justement : “le secret de la Commune le voici : elle était, par-dessus tout, un gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte entre la classe qui produit et la classe qui s’approprie le produit de celle-ci ; la forme politique, enfin trouvée, sous laquelle il était possible de réaliser l’émancipation du travail”.
C’est cette signification historique, dégagée génialement par Marx au feu des événements mêmes, qui est restée de l’insurrection des travailleurs parisiens et qui lui donna l’importance colossale qu’elle eut pour le développement du mouvement ouvrier. Il s’agissait de l’apparition de “la forme politique, enfin trouvée, sous laquelle il était possible de réaliser l’émancipation du travail”. Quoi d’étonnant si, jusqu’en 1914, le mouvement international vécu sur le souvenir héroïque de la Commune, s’y nourrit, mais dut aussi, avec le triomphe de l’opportunisme, en estomper la signification réelle.
La bourgeoisie française aidée par Bismarck devait écraser par le fer et par le feu la Commune, laquelle dans les conditions de développement économiques et sociales de l’époque, ne pouvait avoir de perspectives. Ce n’est qu’après de longues années que la bourgeoisie, aidée par l’opportunisme réussit à brouiller parmi les travailleurs la portée immense de cet événement. Mais là où la violence échoua, devait réussir la corruption. En 1917, il apparut que seuls les bolcheviks russes avaient appris à l’école de la Commune, qu’eux seuls en avaient maintenu la signification et au travers de sa critique s’étaient habilités aux problèmes insurrectionnels. Sans la Commune, la révolution d’octobre 1917 n’aurait pas été possible. Ici, il s’agissait d’un de ces moments historiques où “la lutte désespérée des masses, même pour une cause perdue, est nécessaire à l’éducation ultérieure de ces masses et à leur préparation aux luttes futures” (Lénine), d’un premier fruit
d’une expérience sanglante, d’un pas concrètement posé vers la révolution mondiale. La Commune fut grande et le restera parce que les ouvriers parisiens se laissèrent ensevelir sous ses décombres plutôt que de capituler. Aucune menace de Thiers, aucune violence ne vient à bout de leur héroïsme. Il fallut les massacres de Mai 1871, ceux du Père-Lachaise pour rétablir l’ordre et le triomphe de la bourgeoisie. Et même les opportunistes de la IIe Internationale qui écartèrent délibérément les enseignements de la Commune, durent s’incliner devant son héroïsme. Avant la guerre, les partis socialistes durent glorifier la Commune pour mieux en écarter les leçons historiques. Mais cette attitude comportait une contradiction fondamentale en ce qu’elle faisait des insurgés parisiens un foyer permanent de la lutte révolutionnaire internationale où d’authentiques marxistes vinrent apprendre.
La Commune russe de 1917 n’aura pas connu ce sort glorieux. Sa transformation en un foyer de contre-révolution, sa désagrégation sous l’action de la corruption du capitalisme mondial en a fait un élément de répulsion d’où l’on retire avec peine des enseignements. Soviet pour l’ouvrier ne signifie plus un pas en avant par rapport à la Commune, mais un pas en arrière. Au lieu de périr sous ses propres décombres, face à la bourgeoisie, le Soviet a écrasé le prolétariat. Son drapeau est aujourd’hui celui de la guerre impérialiste. Mais autant et dans la même mesure où il n’y aurait pas eu d’Octobre 1917 sans la Commune de 1871, il n’y aurait pas de possibilité de révolution triomphante sans la fin lamentablement tragique de la révolution russe.
Qu’importe après tout si la Commune sert aux battages chauvins du Front populaire, si la Russie est devenue un instrument puissant pour la préparation de la guerre impérialiste : c’est le destin des grands événements de l’Histoire d’être asservis aux intérêts de la conservation capitaliste, dès qu’ils ont cessé d’être une menace pour sa domination. La seule chose que personne au monde ne peut effacer de la Commune, c’est son caractère de pionnier de la libération des travailleurs. La seule chose qui reste des Soviets russes, c’est l’expérience gigantesque de la gestion d’un État prolétarien (1) au nom et pour le compte du prolétariat mondial.
Là résident les fondements de ces événements que le renouveau des batailles révolutionnaires doit faire ressurgir sur l’arène politique. Les formes historiques importent peu : Commune ou Soviet (plutôt Commune que Soviet), le prolétariat mondial ne pourra répéter les erreurs historiques de l’une ou de l’autre, car, comme le dit si bien Marx, il n’a pas à “réaliser un idéal, mais à dégager les éléments de la nouvelle société que la vieille société bourgeoise elle-même porte en ses flancs”. Nous n’avons pas à opposer un idéal utopique et abstrait à ces deux expériences historiques, à nous égarer dans un enthousiasme vide ou une répulsion sentimentale, mais à dégager de la phase historique où a sombré la révolution russe “les éléments de la nouvelle société”, ainsi que le fit Lénine au sujet de la Commune. Comme le prouve lumineusement la Commune hongroise de 1919, en dehors de ce travail, l’on assiste inévitablement à la répétition d’erreurs, d’échecs, qui, parce qu’existe une expérience antérieure, compromettent pour de longues années la lutte du prolétariat.
Les ouvriers ne peuvent pas “répéter” au cours de leur lutte émancipatrice, mais doivent innover, précisément parce qu’ils représentent la classe révolutionnaire de la société actuelle. Les inévitables défaites qui surviennent dans ce chemin ne sont alors que des stimulants, de précieuses expériences qui déterminent, par la suite, l’essor victorieux de la lutte. Par contre, si nous répétions demain une seule des erreurs de la révolution russe, nous compromettrions pour longtemps le destin du prolétariat qui se pénétrerait de la conviction qu’il n’a plus rien à tenter.
Laissons donc, pendant que le prolétariat est battu dans tous les pays, les traîtres falsifier la portée de la Commune. Laissons la Russie suivre son cours. Mais veillons à préserver les enseignements de ces deux expériences, à préparer les armes nouvelles pour la révolution de demain, à résoudre ce devant quoi la révolution russe a échoué, car si “le grand acte socialiste de la Commune, ce fut son existence même et son propre fonctionnement” (Marx), le mérite de la révolution russe fut d’avoir abordé les problèmes de la gestion d’une économie prolétarienne en liaison avec le mouvement ouvrier de tous les pays et sur le front de la révolution mondiale. Le “grand acte” de la Commune s’est terminé dans des massacres, la gestion de l’État russe a fini avec “le socialisme dans un seul pays”. Nous savons aujourd’hui qu’il vaut mieux que les prochaines révolutions finissent comme la Commune parisienne plutôt que dans la honte de la trahison. Mais nous travaillons, non avec une perspective de défaite, mais avec la volonté de préparer les conditions de la victoire.
Deux Communes ont vécu. Vive les Communes du prolétariat mondial.
Bilan n° 29 (mars-avril 1936)
1 Cette notion “d’État prolétarien” témoigne du fait que toutes les leçons de l’échec de la Révolution russe et de la dégénérescence de la IIIe internationale n’avaient pu être tirés à l’époque. Aujourd’hui encore, certains groupes du milieu politique prolétarien conservent une telle confusion sur la nature de l’État. En réalité, il ne peut y avoir d’État prolétarien dans la mesure où cet appareil, qui s’impose comme expression de la société divisée en classes, s’oppose radicalement à la nécessaire autonomie du prolétariat et à son projet qui est justement de le faire dépérir jusqu’à la disparition complète des classes elles-mêmes. (Note de la rédaction)