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Le 27 mars, le CCI a tenu une nouvelle réunion publique (RP) virtuelle sur le thème : “Face à la pandémie et à la crise économique : quelle réponse de la classe ouvrière ?” Un bon nombre de camarades ont participé à cette réunion, où s’est exprimée une forte volonté de discuter, de se clarifier, d’approfondir. Après 4 heures de discussion, nous avons proposé d’arrêter la réunion, tout en sachant que le sujet était loin d’être épuisé. Des camarades sont d’ailleurs intervenus afin d’encourager la poursuite de ces rencontres et, éventuellement, d’augmenter leur fréquence.
Nous ne reviendrons pas dans ce bilan sur toutes les questions soulevées au cours de la RP. Nous souhaitons plutôt développer un sujet particulier qui traversait les interventions de plusieurs participants : la nature et la composition de la classe ouvrière.
Plusieurs intervenants ont exprimé des interrogations au sujet du poids de la classe ouvrière dans la société capitaliste, du type : les ouvriers sont-ils majoritaires ou minoritaires ? Selon le CCI, la réponse à cette question ne peut s’effectuer sur un plan quantitatif mais sous l’angle de la place et du rôle des producteurs salariés dans les rapports sociaux de production capitalistes.
D’autre part, des doutes se sont exprimés sur la capacité de la classe ouvrière à rester une alternative à la barbarie capitaliste. Mais ce qui frappe également, ce sont les difficultés chez certains camarades à apporter une réponse convaincante à ces interrogations. Quelle est la racine de ces difficultés et comment y répondre ? C’est la question que nous voulons reprendre dans cet article.
Un long recul depuis l’effondrement du bloc de l’Est
De notre point de vue, les difficultés à s’appuyer sur la force historique du prolétariat sont à relier au contexte difficile que traverse la classe ouvrière elle-même. L’impact de la pandémie, alors que le prolétariat subit depuis trois décennies un recul de sa conscience suite à l’effondrement du bloc de l’Est en 1989, au point d’avoir perdu son identité de classe, le conduit à ne plus se considérer comme une véritable classe sociale ayant un projet historique. Tout ceci n’est pas sans produire d’effets néfastes sur l’ensemble des ouvriers, même pour les minorités les plus conscientes.
Au moment même où le mur de Berlin s’effondrait, et plus encore lors de la dislocation rapide du bloc soviétique, une propagande terrible sur la prétendue “faillite du communisme”, assimilé mensongèrement au stalinisme, portait un immense coup de massue sur la conscience des ouvriers. À cela s’ajoutait tout un discours officiel sur la prétendue “disparition de la classe ouvrière”. Selon les historiens et sociologues bourgeois, il ne restait désormais plus que de simples catégories étudiées de manière purement quantitative : “cols bleus”, “col blancs”, “employés”, “femmes/hommes”, “jeunes/vieux”, “immigrés”, etc. : un saucissonnage permettant de faire disparaître toute une classe dans son ensemble ! Si on reconnaissait parfois du bout des lèvres la présence des ouvriers, c’était pour davantage les diluer dans tout un tas de spécificités et d’identités diverses, mais plus du tout comme “classe”. Un discours d’autant plus pernicieux que les apparences ont semblé donner raison à la classe dominante. La disparition dans les pays industriels des secteurs traditionnels comme les mines, la sidérurgie, etc., et les délocalisations durant les années 1990-2000, pouvaient en effet donner l’illusion que la classe ouvrière avait effectivement disparu ou qu’elle ne se trouvait plus qu’en Chine ou dans d’autres pays “émergents”.
Avec la pandémie de Covid-19, la “redécouverte” des prolétaires au cœur des pays centraux n’a eu pour objet que de nous mettre encore davantage la tête sous l’eau : en divisant encore, par exemple, les blouses blanches reconnues comme “héroïques” du fait de leur “sacrifice pour la nation” et les autres prolétaires qualifiés d’ “invisibles”. Et parce qu’ “invisibles”, forcément, sans identité, inexistants ! Certes, en “première ligne”, mais comme “chair à virus”, donnant une image d’impuissance et d’écrasement total. D’autre part, une propagande incessante s’abat contre la classe ouvrière dans laquelle les médias présentent les miasmes de la société capitaliste à l’agonie (l’atomisation, le “tous contre tous”, la pensée mystique et irrationnelle) comme le propre de la “nature humaine”. Le but étant de présenter l’action collective et la solidarité comme illusoires et ainsi pousser les exploités à se résigner et abandonner le combat pour un autre avenir. Des soignants aux personnels d’entretien, des ouvriers d’usine aux livreurs, des caissières aux forçats de l’agroalimentaire, etc., toute la classe ouvrière se retrouve exposée face à cette industrie du mensonge.
Le prolétariat est une classe exploitée et révolutionnaire
Ce qu’a cherché la bourgeoisie, c’est faire oublier aux prolétaires qu’ils sont une classe fondamentale au cœur de la production et qu’ils sont, selon le mot de Marx, les véritables “fossoyeurs du capitalisme”. Par la place qu’ils occupent au cœur des rapports de production, et non du fait de leur sexe, de leur couleur de peau ou de la couleur du col de leur vêtement, les prolétaires, comme producteurs associés, vendent leur force de travail à ceux qui détiennent les moyens de production. Ils s’opposent frontalement par leurs intérêts divergents, incompatibles avec ceux de leurs exploiteurs et de la machine capitaliste. Dans la tradition du mouvement ouvrier, l’opposition fondamentale des classes, aujourd’hui encore, reste bien celle-ci : travail contre capital.
Pourtant, cette opposition est occultée, de même que toute l’expérience du mouvement ouvrier qui se retrouve en même temps falsifiée. Le socialisme ne serait plus qu’un idéal du passé, une utopie du XIXe siècle totalement obsolète, une idée en faillite et “dangereuse pour la démocratie”. Il n’y aurait donc plus rien à tirer de l’expérience de la lutte du prolétariat dont la place ne serait plus que dans les salles de musée.
La réalité est toute autre ! Non seulement la classe ouvrière existe (y compris d’ailleurs sous sa forme “classique” de travailleurs industriels) mais reste une classe historique, c’est-à-dire porteuse d’une autre société et de nouveaux rapports sociaux visant à abolir l’exploitation.
Contrairement aux couches intermédiaires de la petite bourgeoisie, comme les commerçants et les artisans ou également les paysans pauvres, la classe ouvrière détient une spécificité, celle d’être contrainte de vendre sa force de travail et de ne rien posséder, d’être une classe exploitée. Quelle est la source de cette exploitation ? Comme l’a démontré Marx, le salaire que reçoit chaque jour l’ouvrier est inférieur à la valeur de ce qu’il a produit. Voilà la base de l’exploitation capitaliste. Le salaire de l’ouvrier correspond uniquement à la partie de la valeur lui permettant de subvenir à ses besoins afin de pouvoir reproduire sa force de travail. La valeur restante n’est pas payée à l’ouvrier, elle est accaparée par le patron. Marx a appelé ce montant “la plus-value”. Par exemple, Si l’ouvrier travaille pendant 8 heures, il reçoit l’équivalent de 4 heures (1) et les 4 autres heures sont appropriées par le patron. (2)
Bien entendu, tous les salariés ne sont pas exploités : les dirigeants des grandes entreprises sont souvent des salariés mais avec leurs salaires de plusieurs millions d’euros par an, il est clair qu’ils ne sont pas exploités et qu’ils vivent eux-mêmes de la plus-value extraite à la sueur du front des prolétaires. C’est la même chose pour les hauts fonctionnaires. Appartenir à la classe ouvrière suppose également ne pas avoir une fonction dans la défense du capitalisme contre la classe ouvrière. Le clergé ou les flics ne sont pas propriétaires de leurs moyens de production (l’église ou le “panier à salade” de la répression étatique) et sont également salariés. Cependant, ils n’ont pas un rôle de producteurs de richesses mais de défenseurs des privilèges des exploiteurs et de maintien en place de l’ordre existant. Il en va de même pour les managers ou le petit chef dans un atelier qui jouent un rôle de flic au service du patron. Par contre, même s’ils ne produisent pas directement de la plus-value, les infirmiers ou les enseignants, par exemple, font partie de la classe ouvrière de par leur rôle vis-à-vis de la force de travail à réparer ou à former pour le capital, et de par leurs conditions d’exploitation sociale même.
En plus d’être une classe exploitée, la classe ouvrière a aussi et surtout la spécificité d’être une classe révolutionnaire, ce que nous appelons une “classe historique”. Produisant tout et ne possédant rien, elle n’a, à la différence des petits producteurs indépendants, par exemple, aucun intérêt à vouloir maintenir la société capitaliste. Au contraire, en tant que classe exploitée, elle subit de plein fouet la crise inéluctable et généralisée du système capitaliste. Elle doit donc se battre pour réduire les effets de l’exploitation, mais comme classe révolutionnaire il lui faut conquérir son émancipation et détruire les causes de l’exploitation. Son véritable intérêt, sa seule perspective, c’est la destruction du capitalisme. Et parce qu’elle se trouve, à l’échelle internationale, au cœur de la production, elle a non seulement l’intérêt mais aussi les moyens matériels de renverser le capitalisme. En effet, sa place comme producteur associé dans le travail, sur la base d’une solidarité commune face à l’exploitation capitaliste, en fait une classe dotée d’une conscience et d’une mémoire historique sans barrières, sans patrie ni frontière. Sa force se construit sur la base de l’expérience historique d’un mouvement qui prend nécessairement une dimension internationale du fait que “les prolétaires n’ont pas de patrie”, selon les mots du Manifeste du Parti communiste. Ne possédant que son unité et sa conscience, le prolétariat reste aujourd’hui encore, et cela tant que durera le capitalisme, une classe révolutionnaire.
Contrairement à l’idée que sa force pourrait en soi être liée à son nombre par rapport au reste de la population, c’est avant tout sa nature de classe solidaire et opposée au capital qui en fait toujours le sujet de la révolution et de l’histoire. Par exemple, lors de la révolution prolétarienne d’Octobre 1917 en Russie, la classe ouvrière était nettement minoritaire sur le plan quantitatif mais elle était la seule capable de donner une orientation révolutionnaire à la société.
Aujourd’hui encore, malgré les doutes, le poids réel des difficultés, la classe ouvrière conserve intacte ses forces révolutionnaires face à l’État bourgeois. Son projet révolutionnaire n’est ni une belle idée qui viendrait de l’extérieur ou de quelques cerveaux de génie, mais de sa propre expérience et de la nécessité de son combat de classe. Alors que la crise du système capitaliste, croulant sous le poids de ses propres contradictions ne peut offrir que la crise chronique et un cortège d’attaques incessantes contre leurs conditions de vie, les prolétaires n’auront d’autre choix que de lutter. Leurs luttes revendicatives, formeront la base permettant d’affirmer à terme une véritable perspective révolutionnaire. En lien avec sa mémoire collective, son expérience et sa conscience de classe, l’avenir révolutionnaire appartient toujours au prolétariat.
WH, 10 avril 2021
1) Si la valeur de 4 heures de travail correspond à la reproduction de sa force de travail.
2) En réalité, il s’agit d’une valeur moyenne. Marx montre que cette valeur du salaire oscille autour de cette moyenne et dépend du rapport de force entre les classes.